Archive pour avril, 2013
CE QU’ A VU THOMAS. PAR JEAN BAPTISTE BLONDEAU – (LE 18 – 04 – 04)
6 avril, 2013http://www.philagora.fr/religion/18-04-04.htm
( J’ai fait une recherche Google sous le titre : «croire sans voir » c’est l’un des résultats )
CE QU’ A VU THOMAS. PAR JEAN BAPTISTE BLONDEAU - (LE 18 – 04 – 04)
Jean XX 26, 30
« Huit jours après, les disciples étaient de nouveau réunis, et cette fois y compris Thomas. Jésus survint, les portes closes, et, debout au milieu d’eux, il leur dit: « Paix à vous! ».
Ensuite il dit à Thomas: « Avance ton doigt ici et regarde mes mains; avance ta main et mets-la dans mon côté, et ne sois plus incrédule, mais croyant! »
Thomas lui répondit: « Mon Seigneur et mon Dieu! ». Jésus lui dit: « Tu as cru, parce que tu as vu! Heureux ceux qui auront cru sans voir! »
CE QU’A VU THOMAS.
« Cela choque les esprits raisonnables. Les esprits rationnels. Ceux qui font à la raison une confiance… aveugle ! En réalité nous voyons bien peu de ce que nous croyons., à commencer par les médias qui nous donnent à voir bien plus qu’elles nous montrent vraiment. Lorsqu il y a un an les images de la TV nous faisaient voir le peuple de Bagdad renversant dans la liesse la colossale statue de Saddam Hussein, il eût suffi de pousser un peu la caméra, de modifier le champ, pour découvrir les cordes attachées aux chars américains. Quelques encablures et l’illusion s’envolait, cela a échappé à des images postérieures. Nous voyons, alors nous croyons, et en réalité nous ne voyons que ce que l’on veut bien nous montrer. Ou nous dire. Et ainsi de suite. Non pas qu’il faille déconsidérer les médias. Sans elles plus de liberté du tout. Ce sont d’abord elles dont s’emparent toujours les pouvoirs totalitaires. Mais il ne faut pas être naïf. Être prudent. Prudent comme Thomas? Peut-être.
Thomas nous dit en tout cas qu’il vaut mieux partir de l’incrédulité que de la naïveté. Rien de plus aveuglant que des préjugés ou de la mauvaise foi. Thomas nous prouve qu’il vaut mieux pas de foi du tout. C’est d’ailleurs au niveau de cette réelle incrédulité que va le viser la parole de Jésus : « Ne sois plus incrédule mais croyant… ».
Il est vrai que croire sans voir n’est pas facile. Jean et Pierre n’ont vu qu’un tombeau vide, eux cela leur a suffit, ils ont cru. Thomas devait le savoir, mais lui ça ne lui suffit pas. Ce n’est pas facile de croire que quelqu’un aussi accablé par la mort que peut l’être un crucifié aux mains, aux pieds et au coeur percés puisse se redresser pour laisser vide le tombeau où l’on a mis sa dépouille mortelle.
Et que va voir Thomas? Les signes de l’amour plus que la présence comme « avant ». La marque des clous, le côté percé, c’est la vision du crucifié en ce qu’elle dit d’un amour qui est allé jusqu’à l’extrême puisqu’ « il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux que l’on aime ». Et avec le don de la paix c’est vers ces signes bouleversants que Thomas est invité à avancer ses mains. Rien n’indique d’ailleurs qu’il l’ait fait mais c’est en y reconnaissant les marques de l’amour qu’il s’écrie
« Mon Seigneur et mon Dieu ! ». C’est-à-dire la plus totale, la plus complète profession de foi au Ressuscité, dépassant l’accueil muet de ses compagnons précédant le cri de sa foi aujourd’hui. L’incrédule, mystérieusement, dépasse les autres dans la foi, même Paul n’a jamais traité directement Jésus de « Dieu ».
Thomas découvre la faiblesse divine que disent ces clous, cette plaie, comme étant l’identité même, la présence tout entière du divin. Et cela on ne peut le voir qu’avec les yeux de la foi, que grâce à l’habitation en nous de l’Esprit de Dieu. Le cri de la foi chrétienne est toujours devant l’invisible, Dieu est caché derrière la faiblesse des plaies car elles sont le signe de l’amour. C’est ce qu’a vu Thomas et son cri a de quoi nous bouleverser jusqu’aux larmes et nous fait mieux comprendre la réponse de Jésus : « Heureux ceux qui croient sans avoir vu ». Certes Thomas a vu mais au-delà de ce qu’il a vu, sa foi lui a fait crier « Mon Seigneur et mon Dieu ». Et nous sommes aujourd’hui ce Thomas, nous qui comme lui n’avons sous les yeux que les signes de la faiblesse, les signes d’une humanité meurtrie, d’une humanité aux mains et aux pieds percés, au coeur déchiré par la violence, l’indifférence, l’injustice, la guerre, le désespoir, pour tomber aux pieds de cette humanité comme Jésus tomba aux pieds de ses disciples la veille de sa mort, et nous écrier, comme Thomas: Mon Seigneur et mon Dieu ! car « ce que vous avez fait aux plus petits qui sont mes frères… ». Chrétiens, nous sommes témoins de l’invisible pour dire au monde, aujourd’hui, que son visage est celui de l’amour, et que son visage c’est le nôtre ».
Père BLONDEAU
Hendrick ter Brugghen – The Incredulity of Saint Thomas
5 avril, 2013DIMANCHE 7 AVRIL : COMMENTAIRES DE MARIE NOËLLE THABUT – DEUXIEME LECTURE – Apocalypse 1, 9…19
5 avril, 2013http://www.eglise.catholique.fr/foi-et-vie-chretienne/commentaires-de-marie-noelle-thabut.html
DIMANCHE 7 AVRIL : COMMENTAIRES DE MARIE NOËLLE THABUT
DEUXIEME LECTURE – Apocalypse 1, 9…19
9 Moi, Jean,
votre frère et compagnon
dans la persécution, la royauté et l’endurance avec Jésus,
je me trouvais dans l’île de Patmos
à cause de la parole de Dieu
et du témoignage pour Jésus.
10 C’était le jour du Seigneur ;
je fus inspiré par l’Esprit,
et j’entendis derrière moi une voix puissante,
pareille au son d’une trompette.
11 Elle disait :
« Ce que tu vois, écris-le dans un livre
et envoie-le aux sept Eglises
qui sont en Asie Mineure. »
12 Je me retournai pour voir qui me parlait.
Quand je me fus retourné,
je vis sept chandeliers d’or ;
13 et au milieu d’eux comme un fils d’homme,
vêtu d’une longue tunique ;
une ceinture d’or lui serrait la poitrine.
17 Quand je le vis,
je tombai comme mort à ses pieds,
mais il posa sur moi sa main droite, en disant :
« Sois sans crainte.
Je suis le Premier et le Dernier,
18 je suis le Vivant :
j’étais mort,
mais me voici vivant pour les siècles des siècles,
et je détiens les clefs de la mort et du séjour des morts.
19 Ecris donc ce que tu auras vu :
ce qui arrive maintenant,
et ce qui arrivera ensuite. »
Pendant six dimanches de suite, nous allons lire en deuxième lecture des passages de l’Apocalypse de Saint Jean : c’est une chance qui nous permettra de faire un peu connaissance avec l’un des textes les plus attachants du Nouveau Testament ; livre difficile à première vue, il nous demande un effort mais nous serons vite récompensés. Aujourd’hui donc, premier contact. Le mot « Apocalypse » vient du grec : cela signifie « révélation », « dévoilement » au sens de « retirer un voile » ; il s’agit pour Jean de nous révéler le mystère de l’histoire du monde, mystère caché à nos yeux. Parce qu’il s’agit de nous révéler ce que nos yeux ne voient pas spontanément, le livre se présente sous forme de visions : par exemple, le verbe « voir » est employé cinq fois dans le simple passage d’aujourd’hui !
Ce mot « d’Apocalypse » malheureusement n’a pas eu de chance : il est devenu presque un épouvantail, ce qui est le pire des contresens ! Car, à sa manière, l’Apocalypse est, comme tous les autres livres bibliques, une Bonne Nouvelle. Toute la Bible, dès l’Ancien Testament, est le dévoilement du mystère du « dessein bienveillant de Dieu », (comme dit la Lettre aux Ephésiens), le projet d’amour de Dieu pour l’humanité. Les Apocalypses sont un genre littéraire particulier, mais comme tous les autres livres bibliques, elles n’ont pas d’autre message que l’amour de Dieu et la victoire définitive de l’amour sur toutes les formes du mal. Si nous ne sommes pas convaincus de cela en ouvrant les Apocalypses, et en particulier celle de Jean, mieux vaut ne pas les ouvrir ! Nous risquons de les lire de travers !
Ce qui fait l’une des difficultés de ce genre littéraire, ce sont les visions souvent fantastiques et difficiles à décrypter, pour nous tout au moins. Tout est là : ce n’était pas difficile pour les destinataires, c’est difficile pour nous qui ne sommes plus dans leur situation. Pourquoi parler sous forme de visions ? Pourquoi ne pas parler en clair ? Ce serait tellement plus simple… non, justement ; l’Apocalypse de Saint Jean, comme tous les livres du même genre (il y a eu plusieurs apocalypses écrites par des auteurs différents entre le deuxième siècle av. JC et le deuxième siècle ap. JC), est écrite en temps de persécution ; on le lit bien ici : « Moi, Jean, votre frère et compagnon dans la persécution… je me trouvais dans l’île de Patmos à cause de la parole de Dieu et du témoignage pour Jésus. » A Patmos, Jean ne fait pas du tourisme, il y a été exilé.
Parce qu’on est en pleine persécution, une Apocalypse est un écrit qui circule sous le manteau, pour remonter le moral des troupes ; le thème majeur, c’est la victoire finale de ceux qui actuellement sont opprimés. Le discours, en gros, c’est : apparemment vous êtes vaincus, on vous écrase, on vous persécute, on vous élimine ; et vos persécuteurs sont florissants : mais ne perdez pas courage ; Christ a vaincu le monde : regardez, il est vainqueur. Il a vaincu la mort. Les forces du mal ne peuvent rien contre vous ; elles sont déjà vaincues. Le vrai roi, c’est le Christ ; ceci, Jean le dit dès la première phrase : « Moi, Jean, votre frère et compagnon dans la persécution, la royauté et l’endurance avec Jésus. »
Evidemment, un tel discours ne peut pas être trop explicite, puisque le danger est grand de le voir saisi par le persécuteur ; alors on raconte des histoires d’un autre temps et des visions fantasmagoriques, tout ce qu’il faut pour décourager la lecture par des non-initiés. Par exemple, Saint Jean dit tout le mal possible de Babylone, qu’il appelle « la grande prostituée ». Pour qui sait lire entre les lignes, il s’agit évidemment de Rome. Le message de toute Apocalypse, c’est celui-là : les forces du mal pourront se déchaîner, elles ne l’emporteront pas !
C’est ce qui explique le triste contresens que nous faisons souvent sur le mot « Apocalypse » : car on y trouve effectivement la description du mal déchaîné, mais on y trouve bien plus encore l’annonce de la victoire de Dieu et de ceux qui lui seront restés fidèles.
Je reviens à l’Apocalypse de Saint Jean : puisqu’elle fait partie du Nouveau Testament, son personnage central est bien évidemment Jésus-Christ : il est au centre de toutes les visions.
Dans la lecture de ce dimanche, cette victoire du Christ nous est présentée dans une vision grandiose : c’est un dimanche, également, c’est-à-dire le jour où l’on célèbre la Résurrection du Christ. Jean a l’impression de revivre comme une nouvelle Pentecôte : une voix puissante comme une trompette, le souffle de l’Esprit… il est saisi… au milieu de sept chandeliers d’or, un être de lumière lui apparaît ; un « fils d’homme » ; dans le vocabulaire du Nouveau Testament, le fils de l’homme est l’une des expressions pour dire le Messie ; pour Jean, cela ne fait pas l’ombre d’un doute, c’est le Christ. Alors, comme tout homme mis soudainement en présence de Dieu, Jean tombe à ses pieds et il s’entend dire « Sois sans crainte »… et il entend les paroles de victoire : « Je suis » (le nom même de Dieu)… « Je suis le Premier et le Dernier… Je suis le Vivant… le victorieux de la mort… je détiens les clés de la mort et du séjour des morts. »
Et comme toujours, ce genre de vision est vocation, pour une mission au service de ses frères : « Ecris ce que tu auras vu… » sous-entendu va encourager tes frères ; le passé, le présent, l’avenir m’appartiennent : on entend résonner ici la promesse du Christ : « Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra » (Jn 11, 25).
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Note
1 – Les exégètes s’entendent pour dire que l’Apocalypse de Jean a été écrite sous le règne de l’empereur Domitien (81-96). Or cet empereur ne s’est pas livré à une persécution systématique des Chrétiens. Le climat d’insécurité dans lequel vit la communauté de Jean vient peut-être d’une part des exigences du culte impérial promu par Domitien et d’autre part de l’opposition des Juifs restés réfractaires au Christianisme. C’est ce qui semble ressortir des lettres aux sept Eglises.
Compléments
Dans l’Ancien Testament, le message du livre de Daniel était de type apocalyptique : écrit vers 165 av.J.C. pour encourager ses frères persécutés par le roi grec Antiochus Epiphane, Daniel n’attaquait pas directement le problème : il racontait les actes d’héroïsme accomplis par des Juifs fidèles sous la persécution de Nabuchodonosor quatre cents ans plus tôt ; ce n’était qu’une leçon d’histoire, en apparence ; mais, pour qui savait lire entre les lignes, le message était clair.
Un exemple de texte de style « apocalyptique » dans l’histoire récente : au temps de la domination russe sur la Tchécoslovaquie, une jeune actrice tchèque a composé et joué de nombreuses fois dans son pays une pièce sur Jeanne d’Arc : franchement l’histoire de Jeanne d’Arc boutant les Anglais hors de France au quinzième siècle n’était pas le premier souci des Tchèques ; et si le scénario tombait entre les mains du pouvoir occupant, ce n’était pas trop compromettant ; mais pour qui savait lire entre les lignes, le message était clair : ce que la jeune fille de dix-neuf ans a su faire, avec l’aide de Dieu, nous le pouvons nous aussi.
HOMÉLIE DU 2E DIMANCHE DE PÂQUES, C
5 avril, 2013http://parolesdudimanche.blogs.lalibre.be/archive/2010/04/06/homelie-du-2e-dimanche-de-paques-c.html
HOMÉLIE DU 2E DIMANCHE DE PÂQUES, C
AC 5, 12-16 ; AP 1, 9-11A, 12-13, 17-19 ; JN 20, 19-31
Nous allons tout à l’heure proclamer notre foi en Jésus Christ ressuscité, notre foi en la résurrection de la chair et notre foi en la vie éternelle. Mais elle ne peut pas se contenter d’une affirmation verbale, même si elle exprime une sincère et ardente conviction. C’est toute notre manière de vivre qui doit aussi en rendre témoignage.
Or, la foi en la résurrection du Christ semble souffrir de la concurrence du développement de la croyance en la réincarnation. Il s’agit d’un phénomène de société (1).
Réincarnation et Résurrection se présentent toutes deux aujourd’hui, du moins en Occident, comme une réponse à ce désir profond et très généralisé d’un accomplissement parfait de l’être humain au-delà de la mort biologique. D’autres, au contraire, estiment qu’après la mort c’est le néant. Le pur matérialisme, qui nie toute transcendance, et la croyance en la réincarnation, interpellent notre foi. Ils nous invitent à la clarifier, à l’approfondir et à mieux en témoigner. D’autant plus que l’événement de la Résurrection du Christ est au cœur de notre foi.
Pour fortifier notre foi pascale, la liturgie nous présente, durant plusieurs dimanches, quelques récits de « manifestations » du Christ ressuscité à des disciples de Jésus, hommes et femmes. Ce qui témoigne de la manière dont la foi pascale est née pour chacun d’eux, de leur rencontre personnelle et originale avec le Christ. Ils ont donc traduit chacun leur expérience intérieure, spirituelle, en cherchant et en utilisant des langages, surtout poétiques et symboliques, pour tenter de dire ce qui est en fait « irracontable ». Ce qui faisait dire au pape St Grégoire, à la fin du VIe siècle : « Jésus leur est apparu en-dehors comme il était au-dedans de leur cœur ».
Avoir la foi ne consiste donc pas pour nous à chercher des preuves scientifiques irréfutables d’un événement, mais bien à faire confiance à ces gens qui racontent ce qui leur est arrivé à eux, ce qu’ils ont expérimenté, et qui en témoignent par leur vie radicalement renouvelée, comme nous le voyons dans les Actes des Apôtres, proposés comme première lecture ces dimanches du temps pascal.
Malheureusement, nous avons encore trop souvent une conception de la résurrection du Christ très matérialiste, voire même fondamentaliste. « Il ne faut pas s’accrocher à la littéralité des textes », écrit le mystique Maurice Zundel. Mais nous sommes tentés de lire et de comprendre l’Evangile comme s’il s’agissait d’un procès-verbal ou d’un compte-rendu littéral, ou même d’un reportage historique minutieux des faits et gestes de Jésus. Or, les évangiles ne sont pas faits pour des téléspectateurs.
La première et la plus importante des préoccupations n’est pas de savoir si ce qui nous est raconté s’est bien passé exactement comme cela est écrit, mais bien de découvrir quelle est, pour la foi en Jésus Christ, la signification des faits racontés, c’est-à-dire la signification religieuse ou théologique. Il y a donc une lecture et une interprétation croyante des textes. D’où l’encouragement aux recherches scientifiques de l’exégèse, de l’histoire, de la théologie, etc. Ce qui, malheureusement, fait encore peur à de nombreux chrétiens.
Un exemple : certaines réactions aux émissions de « Corpus Christi ». Emissions austères, difficiles et même risquées, puisqu’il s’agit de porter à l’écran des travaux d’analyse scientifique des Ecritures, des recherches de laboratoire, mais qui font partie d’une très légitime recherche de la vérité. Les avis donnés sont ceux de spécialistes mondiaux de la Bible, qui ne sont pas tous catholiques, ni tous chrétiens. On peut donc entendre des avis différents, entendre énoncer des thèses opposées. Mais des perceptions et des lectures différentes des événements bibliques, en tenant compte des résultats des recherches actuelles, peuvent aider le croyant « à mieux connaître le contexte des événements, et comprendre l’enracinement culturel et historique du Christ dans l’évangile » (Mgr Defois).
Ces émissions ont suscité beaucoup d’intérêt, et pas seulement parmi les croyants. Mais, en levant certains tabous, elles ont également provoqué de l’émoi, de la réprobation, de la crainte. Certains y ont même vu une attaque contre la foi. Ce qui faisait dire au cardinal Pierre Eyt : « N’ayons pas peur de scruter les Ecritures ! ». D’autant plus que nous ne sommes pas encore dans la possession plénière de la vérité. D’ailleurs, la foi ne justifie pas une paresse intellectuelle. Aujourd’hui moins que jamais.
Que retenir, par exemple, de l’épisode de Thomas, qui signifie « jumeau », le jumeau de tous les croyants ? Il s’agit d’une leçon de catéchèse, destinée aux premières communautés chrétiennes, pour leur expliquer combien la foi des apôtres était restée difficile, même après la résurrection. Autrement dit, les chrétiens, les apôtres en tête, doivent apprendre à croire sans voir et se passer de preuves matérielles.
Mais que faut-il entendre par « résurrection », « relevé d’entre les morts », « réveillé d’entre les morts », ou encore « exalté à la droite du Père » ? Les apôtres ont voulu dire que, dans l’événement pascal, le Christ est revenu à la vie, non pas dans le sens d’un retour à la vie d’avant sa mort, mais bien d’une entrée définitive dans une nouvelle dimension de la vie. Une vie définitivement transformée et invincible. La Résurrection, c’est la permanence de la vie. La vie en plénitude. Il est bien le Vivant.
Ce sont désormais les chrétiens qui poursuivent la mission d’annoncer la Bonne Nouvelle et qui sont preuve du Christ ressuscité, par leur témoignage d’une vie renouvelée, comme on le voit dans les Actes. N’oublions pas l’enseignement de Paul : « Ensevelis avec lui dans le baptême, avec lui encore vous avez été ressuscités puisque vous avez cru en la force de Dieu qui l’a ressuscité des morts » (Col 2, 12). De même, « du moment que vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez ce qui est en haut, là où se trouve le Christ » (Col 3, 1).
Nous sommes donc appelés à être des vivants. Témoin du Ressuscité, le chrétien va s’efforcer de lutter pour le respect et la dignité de la vie et de la personne humaine. Notre résurrection, notre avenir, se joue déjà dans la trame de nos gestes quotidiens. Tous nos actes d’amour tissent notre visage d’éternité. Seul l’amour vécu est énergie de résurrection. Nous sommes des artisans de vie. C’est cela que Jésus veut poursuivre par nous. Nous pouvons devenir, par l’Eucharistie, chacun et tous ensemble, le Corps du Christ, les pieds du Christ, les mains du Christ, le Christ continué. C’est ainsi que l’Eucharistie célèbre et actualise la Résurrection du Seigneur pour notre aujourd’hui. Bien vécue, elle nous permet d’être à notre tour des témoins crédibles.
P. Fabien Deleclos, franciscain (T)
1925 – 2008
(1) Pour Michel Hubaut, franciscain, qui a publié un ouvrage sur « Dieu, l’homme et la réincarnation » (DDB 1998, 207 pp.), l’immortalité advient aujourd’hui et maintenant à chaque fois que l’être humain se dépasse pour aimer. C’est chaque jour que nous ressuscitons un peu plus. Celui qui naît à l’amour, par l’amour, devient immortel, puisque l’amour est l’être même de Dieu. Notre résurrection, c’est notre parfait achèvement… Elle commence dès ici-bas et cultive en nous l’espérance.
12:10 Publié dans Pâques C | Lien permanent | Commentaires (1) | Envoyer cette note | Tags : pâques, résurrection, réincarnation, foi, manifestation, expérience, langage, poétique, symbolique, preuve
TITRE : PÂQUES, UN NOUVEAU JOUR QUI DURE ENCORE!
4 avril, 2013http://www.lesreflexionsderaymondgravel.org/homelies2012/homelie22avril12.pdf
(est un fichier PDF , je l’ai transformé en Txt, il est possible que j’ai fait quelques erreurs, désolé!)
PÂQUES 3 (B) : 22 AVRIL 2012
TROISIÈME DIMANCHE DE PÂQUES : 22 AVRIL 2012
TITRE : PÂQUES, UN NOUVEAU JOUR QUI DURE ENCORE!
Référence Biblique : 2
2ème Lecture : Jean (1 Jn 2,1-5a)
1 Mes petits enfants, je vous écris pour que vous évitiez le péché. Mais, si l’un de nous vient à pécher, nous avons un défenseur devant le Père : Jésus Christ, le Juste. 2Il est la victime offerte pour nos péchés, et non seulement pour les nôtres, mais encore pour ceux du monde entier. 3Et voici comment nous pouvons savoir que
nous le connaissons : c’est en gardant ses commandements. 4 Celui qui dit : « Je le connais », et qui ne garde pas ses commandements, est un menteur : la vérité n’est pas en lui. 5 Mais en celui qui garde fidèlement sa parole, l’amour de Dieu atteint vraiment la perfection.
Référence Biblique : Évangile : Luc (Lc 24,35-48)
Les disciples qui rentraient d’Emmaüs racontaient aux onze Apôtres et à leurs compagnons 35 ce qui s’était passé sur la route, et comment ils avaient reconnu le Seigneur quand il avait rompu le pain. 36 Comme ils en parlaient encore, lui-même était là au milieu d’eux, et il leur dit : « La paix soit avec vous. » 37 Frappés de
stupeur et de crainte, ils croyaient voir un esprit. 38 Jésus leur dit : « Pourquoi êtesvous bouleversés? Et pourquoi ces pensées qui surgissent en vous? 39 Voyez mes mains et mes pieds : c’est bien moi! Touchez-moi, regardez : un esprit n’a pas de chair ni d’os, et vous constatez que j’en ai. » 40 Après cette parole, il leur montra ses mains et ses pieds. 41 Dans leur joie, ils n’osaient pas encore y croire, et restaient saisis d’étonnement. Jésus leur dit : « Avez-vous ici quelque chose à manger? » 42 Ils lui offrirent un morceau ce poisson grillé. 43 Il le prit et le mangea devant eux. 44 Puis il déclara : « Rappelez-vous les paroles que je vous ai dites quand j’étais encore avec vous : Il fallait que s’accomplisse tout ce qui a été écrit de moi dans la loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes. » 45 Alors il leur ouvrit l’esprit à l’intelligence des Écritures. 46 Il conclut : « C’est bien ce qui était annoncé par l’Écriture : les souffrances du Messie, sa résurrection d’entre les morts le
troisième jour, 47 et la conversion proclamée en son nom pour le pardon des péchés, 2à toutes les nations, en commençant par Jérusalem. 48 C’est vous qui en êtes les
témoins. »
HOMÉLIE DE RAYMOND GRAVEL
Titre : Pâques, un nouveau jour qui dure encore! En cette année B, on passe de Marc à Jean et de Jean à Luc, pour montrer toute la richesse des manifestations du Christ ressuscité aux disciples de la première heure. De sa présence physique auprès des siens, Jésus n’est plus selon la chair, mais il est maintenant tout aussi présent selon l’Esprit, et l’expérience du premier jour de Pâques dure encore, parce que ce jour ne finit plus : c’est l’expérience du témoignage : « C’est vous qui en êtes les témoins » (Lc 24,48). Quels messages pouvons-nous tirer des lectures bibliques d’aujourd’hui?
!. Pâques : un nouveau jour qui dure encore : Dans l’évangile de Luc, le jour de Pâques est le jour le plus long de l’année…C’est un jour qui ne finit pas. Au matin, très tôt, des femmes se rendent au cimetière pour visiter un mort et reçoivent un message qu’il est vivant et elles ont pour mission de l’annoncer aux disciples (Lc 24,1-10). Les disciples ne les croient pas; ils disent que c’est du délire de femmes (Lc 24,11). Le soir venu, 2 disciples font route vers Emmaüs, à 2 heures de marche de Jérusalem, et sur la route, ils rencontrent un étranger qui leur réchauffe le cœur par sa Parole; les 2 disciples invitent l’étranger dans leur maison, car il se fait tard et ils reconnaissent le Ressuscité, à travers cet étranger, lorsqu’il rompt le pain et le partage avec eux (Lc 24,13-32). Aussitôt, ces 2 disciples repartent vers Jérusalem (un autre 2 heures de marche), pour aller rejoindre les autres disciples rassemblés (Lc 24,33-34). Arrivés à Jérusalem, c’est l’évangile d’aujourd’hui, les disciples d’Emmaüs racontent aux autres disciples leur expérience du Ressuscité (Lc 24,35). On est toujours le même jour; il doit commencer à se faire tard…Pendant qu’ils se racontent, le Christ se fait présent au milieu d’eux, en leur souhaitant la paix, comme dans l’évangile de Jean, la semaine passée (Lc 24,36). Et là, saint Luc nous donne une catéchèse sur la messe; il nous fait assister à une eucharistie, comme lieu de rencontre et de reconnaissance du Ressuscité (Lc 24,37-48). Et, après cette eucharistie, le Christ ressuscité emmène les disciples à Béthanie cette fois,un autre petit village au sud de Jérusalem, pour les bénir et s’élever vers le
ciel (Lc 24,50-51). Et, après l’Ascension, toujours le même jour, les disciples retournent à Jérusalem, dans le temple, pour bénir Dieu (Lc 24,52). 3 Finalement, Luc précise : « Et ils étaient sans cesse dans le Temple à bénir Dieu » (Lc 24,53).En 1991, dans la revue Signes d’aujourd’hui, le théologien Marcel Metzger se pose la question suivante : « À quelle heure les disciples d’Emmaüs se sont-ils donc couchés le soir de Pâques? » C’est une bonne question, si on fait une lecture littérale du récit…Mais en même temps, on y décèle pleins d’incohérences et de non-sens : Au temps biblique, la nuit, on ne peut circuler…Il n’y a pas de lumière. Tous ces déplacements de nuit n’ont pas d’allure, et comment ont-ils pu voir Jésus monter au ciel, en pleine nuit?
Dans le fond, ce que Luc veut nous faire comprendre, à travers ce récit, c’est que Pâques est une nouvelle aventure, un nouveau Jour, pour l’Église qui est signe de la présence du Ressuscité, à travers ses disciples, les chrétiens de tous les temps. Cette nouvelle aventure ne se termine pas; elle se continue dans l’Église d’aujourd’hui. C’est un jour nouveau qui dure encore…Nous sommes toujours le dimanche de Pâques!
2. La mort-résurrection : une même réalité : Comme dans l’évangile de Jean, la mort-résurrection de Jésus sont 2 événements inséparables pour la foi chrétienne. Que devons-nous retenir de cette présence du Ressuscité? Il y a des similitudes dans tous les évangiles concernant la Résurrection du Christ : tous affirment que le tombeau est vide, que Jésus est vivant, que ceux et celles qui l’ont vu ne l’ont pas reconnu tout de suite et que le doute et la peur font partie de l’expérience de foi de celles et ceux qui l’ont rencontré. Ce qui signifie que le Christ ressuscité n’est pas le cadavre réanimé de Jésus de Nazareth; c’est le Crucifié transformé par Pâques : « Voyez mes mains et mes pieds : c’est bien moi! Touchez-moi, regardez : un esprit n’a pas de
chair ni d’os, et vous constatez que j’en ai » (Lc 24,39). Et pour dire qu’il est le même tout en étant différent de celui qu’ils ont connu sur les routes de Galilée, après leur avoir demandé quelque chose à manger (Lc 24,41), le Ressuscité : « prit le poisson et le mangea devant eux » (Lc 24,43), non pas avec eux, mais bien devant eux, pour signifier, selon le théologien Gérard Sindt que : « Manger devient ici une preuve de la vérité d’un être en
relation qui abolit les distances tout en les maintenant ». Mais pourquoi cette insistance sur la matérialité du Ressuscité, dans l’évangile de Luc? Saint Luc connaît très bien la théologie de saint Paul qui dit que l’Église est Corps du Christ ressuscité, à travers ses disciples qui sont ses membres. C’est donc à travers eux que le Christ peut se manifester, non pas en fantôme, mais en être humain, en chair et en os : « Frappés de stupeur 4
et de crainte, les disciples croyaient voir un esprit » (Lc 24,37). « Jésus leur dit : Pourquoi êtes-vous bouleversés? Et pourquoi ces pensées qui surgissent en vous? » (Lc 24,38). « Voyez mes mains et mes pieds : c’est bien moi! Touchez-moi, regardez : un esprit n’a pas de chair ni d’os, et vous constatez que j’en ai » (Lc 24,39). Mais qui est-il donc? Il est celles et ceux qui portent les marques de sa passion (nous sommes en pleine persécution), qui annoncent sa Parole en ouvrant les esprits à l’intelligence des Écritures, qui partagent le pain rompu et qui proclament, en son nom, le pardon des péchés pour tous. Ceux-là sont les premiers témoins de Pâques.3. Des témoins officiels aux croyants d’aujourd’hui : Pourquoi ces récits d’apparitions aux disciples? Tout simplement, pour faire des disciples de l’Église primitive des témoins officiels de Pâques : « C’est vous qui en êtes les témoins » (Lc 24,48). Encore aujourd’hui, il nous est possible de faire l’expérience du Ressuscité comme au premier temps de l’Église. La seule différence, c’est qu’il nous est impossible de comparer cette présence du Ressuscité avec celle du Nazaréen, comme les premiers chrétiens pouvaient le faire. Cependant, leur témoignage devrait nous suffire. Les disciples de la première heure ont connu Jésus de Nazareth; ils l’ont vu mourir, ils l’ont rencontré dans l’Église du 1er siècle et ils ont pu vérifier l’authenticité du Ressuscité comme la continuité de Jésus de Nazareth qu’ils ont connu, aimé et suivi. Ils deviennent donc des témoins privilégiés et les expériences ultérieures du Ressuscité se fondent nécessairement sur leur témoignage. C’est donc sur la foi des premiers témoins que s’expriment notre propre foi au Christ. Au 4è siècle, saint Augustin avait une façon bien à lui d’exprimer cette réalité. Dans son sermon # 116, sur l’évangile d’aujourd’hui, il
écrit : « Le Christ total s’est fait connaître d’eux (ses disciples) et s’est fait connaître de nous. Mais il n’a pas été connu tout entier par eux, ni tout entier par nous. Eux, ils ont vu la tête (Jésus) et ils ont cru au corps
(Église). Nous, nous avons vu le corps (Église) et nous avons cru à la tête (Jésus). Cependant, le Christ ne fait défaut à personne : il est tout entier en tous, et pourtant son corps lui demeure attaché ».En terminant, en 2è lecture aujourd’hui, saint Jean nous rappelle que pour connaître Jésus Christ, il nous faut faire l’expérience de l’Amour : « Celui qui dit : Je le connais et qui ne garde pas ses commandements, est un menteur : la vérité n’est pas en lui » ( 1 Jn 2,4). « Mais en celui qui garde fidèlement sa parole, l’amour de Dieu atteint vraiment la perfection » (1 Jn 2,5). Cessons de matérialiser les récits de Pâques, pour ne pas en réduire la portée et la signification profonde. Nous sommes concernés par ces récits, puisque nous avons la possibilité de rencontrer le
Ressuscité et l’obligation d’en témoigner pour que d’autres puissent aussi le rencontrer…Et c’est à l’amour que nous aurons que les autres le reconnaîtront.
Raymond Gravel ptre
Diocèse de Joliette.
LA VOCATION DE LA PERSONNE À LA LUMIÈRE DE L’INCARNATION – COLLOQUE SUR EDITH STEIN
4 avril, 2013http://www.zenit.org/fr/articles/la-vocation-de-la-personne-a-la-lumiere-de-l-incarnation
LA VOCATION DE LA PERSONNE À LA LUMIÈRE DE L’INCARNATION
COLLOQUE SUR EDITH STEIN
ROME, 4 AVRIL 2013 (ZENIT.ORG) ANITA BOURDIN
« Edith Stein philosophe » : c’est le titre d’un colloque international quiaura lieu les 11 et 12 avril à Paris. Il estorganisé par le Professeur Emmanuel Falque (Institut Catholique de Paris) et le Professeur Jean-François Lavigne (Archives Husserl, Ecole Normale Supérieure), en lien avecle Collège des Bernardins et les Dominicains du Saulchoir. Eric de Rus, auteur connu des lecteurs de Zenit y participera il nous en dit davantage.
Zenit – Eric de Rus, vous participez à un colloque au collège des Bernardins sur Edith Stein la semaine prochaine: de quoi s’agit-il?
Eric de Rus – Ce colloque coïncide exactement avec le centenaire de l’arrivée d’Edith Stein à Göttingen. En effet, 1913 marque ses débuts en phénoménologie, à l’école de Husserl, donc de son entrée en philosophie. Le programme de ce colloque balaie les champs principaux de la pensée philosophique d’Edith Stein : l’anthropologie, l’empathie, l’éducation, la réflexion politique, métaphysique.
Les organisateurs posent la question en ces termes : « Aujourd’hui, en France, l’originalité et la force de la pensée philosophique d’Edith Stein restent trop méconnues. On ne veut souvent retenir d’elle que la jeune assistante privée du « Maître » Husserl ; ou, plus tardive, la haute figure carmélitaine, auteur de méditations spirituelles lumineuses, nées de l’approfondissement de la vie contemplative. Mais : entre la jeune phénoménologue qui cherche, et la mystique sereine qui va au don total de soi, jusqu’à Auschwitz… que s’est-il passé ? Qui est Edith Stein ? »
Dans vos travaux vous accordez une place centrale à l’incarnation. Pourquoi ?
Partir de l’incarnation pour réfléchir au sens de la personne humaine et de sa vocation me paraît essentiel pour éviter de céder à une anthropologie trop abstraite.De publication en publication mon propos se centre toujours davantage sur ce que j’appelle la vocation épiphanique de la personne humaine. Qu’est-ce que cela signifie ?Je considère que le propre de l’être humain est de posséder une intériorité, c’est-à-dire une profondeur à partir de laquelle il est capable d’une perception particulière de la réalité. Il peut capter intuitivement l’essence de la réalité qui est « Vie », pure densité de Présence rayonnante. La personne humaine est un être incarné. Elle se situe donc à la charnière entre la Vie qui l’habite et le monde matériel où l’insère sa corporéité. Cette situation assigne à l’être humain une vocation épiphanique. Autrement dit chacun est appelé à donner corps à la vie sous les traits imprévisibles de son existence unique. Voilà pourquoi ce geste d’incarnation permanente est un processus de création continue qui engage la liberté humaine.A ce titre, l’éducation, définie par Edith Stein comme un « art de donner forme à sa vie », représente la mise en œuvre exemplaire de ce geste anthropologique intégral par lequel l’homme devient vraiment lui-même, dans toute la plénitude de son être, jusqu’à « cette humanité accomplie, pure expression de la nature libérée et transfigurée par la force de la grâce. » (Edith Stein).
Vous avez publié au Cerf un « Essai à deux voix » avec Mireille Nègre – Quand la vie prend corps (2012) -: que disent ces deux voix ?
La démarche artistique nous ouvre une voie d’accès à ce geste anthropologique intégral. La danse, en l’occurrence, offre une métaphore privilégiée du geste comme dévoilement charnel de la vie à travers le mouvement. Il s’agit de révéler par le corps la réalité invisible de la vie sans en figer l’élan mais en lui fournissant les points d’appui qui en libèrent la ligne de vol.
Mireille Nègre, en tant que danseuse consacrée, a vécu la danse comme une incarnation de l’essence sacrée de la vie.
Or il y a là un enjeu fondamental pour l’existence humaine dans la mesure où cette épiphanie artistique nous donne de contempler, comme dans un miroir, une image de la vocation universelle de la personne : révéler la Vie divine dans la chair.
Cet Essai à deux voix, en conjuguant une approche philosophique et théologique avec la démarche concrète et incarnée de la danseuse, célèbre la dignité de l’être humain et la beauté de sa vocation.
Au fil de cet Essai deux axes se dégagent. Le premier met en relief le mystère de l’intériorité humaine comme foyer de la vie. Le second se penche sur l’ascèse qui préside au déploiement du geste épiphanique, la discipline faite d’écoute, de concentration et de transparence du cœur.
La préface est de sr Marie Keyrouz, connue, elle, comme une voix ! Pourquoi cette troisième voix ?
La préface de Soeur Marie Keyrouz apporte sa contribution à notre réflexion à partir de son « lieu propre » : le chant sacré. Mais il s’agit de la même démarche épiphanique comme elle l’indique clairement : « C’est cette extériorisation vitale de l’intériorité que nous avons toujours résumée sous l’expression : chanter le divin par l’humain. La vie n’est pratiquement saisissable que dans la mesure où elle laisse à nos yeux la trace sensible de son passage. Le recours à la parole, au chant, à la danse ou à toute autre expression corporelle est capable de mettre l’âme humaine au contact du divin, de la transporter par le mot, le son ou le geste … Philosophe, chanteur ou danseur, chacun cherche l’expression des mouvements de son âme qui resteraient intraduisibles sans le langage des sons et mouvements produits par son souffle et son corps. »
Quel message Edith Stein nous transmet-elle pour Pâques, qui célèbre la résurrection du Corps de Dieu ?
Edith Stein déclare que le corps, selon son « sens originaire », est « le miroir de l’âme sur lequel se reflète toute sa vie intérieure, au moyen duquel elle entre dans le champ de la visibilité. Il peut lui-même être transfiguré avec elle ; la lumière qui remplit l’âme peut également le pénétrer et rayonner à travers lui ». Jean-Paul II, dans ses catéchèses sur la théologie du corpsne dit pas autre chose : « Le corps en effet – et seulement lui – est capable de rendre visible ce qui est invisible: le spirituel et le divin. Il a été créé pour transférer sdans la réalité visible du monde le mystère caché de tiute éternité en Dieu et en être le signe visible ».
Le christianisme exalte la profondeur de la corporéité humaine et sa dimension épiphanique en référence au Corps de Dieu. Reconnaître le Christ c’est, pour Edith Stein, accueillir « la révélation corporelle de Dieu … en qui seul l’amour divin s’est pleinement incarné ». En sa Personne – et c’est le cœur du mystère éblouissant de l’Incarnation – sont unies, sans confusion et sans séparation, la nature humaine et la nature divine. Comme l’a dit Maxime le Confesseur: « L’illimité se limite d’une manière ineffable, tandis que le limité se déploie jusqu’à la mesure de l’illimité. »
Ainsi Jésus-Christ est l’archétype de toute existence épiphanique : leseul Geste absolument parfait de la VIE purement manifestée comme AMOUR dans l’alliance indépassable de la divinité invisible et de l’humanité charnelle.
Votre dernier livre, Une existence épiphanique (Ad Solem, 2013) est consacré à une autre carmélite, Cristina Kaufmann (1939-2006). Pourquoi cet intérêt pour la mystique ? Et pourquoi la préface d’une autre artiste : la pianiste Elizabeth Sombart ?
Mon questionnement sur la vocation épiphanique de la personne humaine est très attentif à l’expérience des amis de Dieu, mystiques et saints. Cristina Kaufmann définit la mystique comme « le fait de vivre l’incarnation ».
Les mystiques prennent part, depuis leur intériorité la plus profonde, à la Vie de Dieu ; ils en prolongent le mystère dans leur propre chair devenue le lieu d’une épiphanie de la Vie divine. Le discours mystique, par la place qu’il accorde à l’incarnation, témoigne d’un profond réalisme anthropologique.
Les images utilisées par le discours mystique sont très incarnées comme en témoigne par exemple le Cantique Spirituel de saint Jean de la Croix dont les accents évoquent audacieusement le vocable amoureux du Cantique des cantiques.
Comme Michel de Certeau l’a montré, c’est d’abord dans le corps du mystique que s’écrit l’expérience de Dieu. .La référence à la « blessure infiniment savoureuse», selon les termes de sainte Thérèse d’Avila, évoque de façon très éloquente cette expérience vivante du contact avec Dieu. La blessure est signe d’une brèche qui nous signifie que notre humanité incarnée est vulnérable. Mais c’est par là, justement, que notre réalité s’ouvre à la transcendance qui l’empêche de se refermer sur elle-même. Enfin, la blessure en sa signification mystique devient source féconde, à l’image des blessures du Crucifié qui, transfigurées dans la lumière de la Résurrection, deviennent source de guérison, de grâce, de vie.
En résumé l’expérience des mystiques porte à son plus haut point d’incandescence la vocation épiphanique de toute personne. C’est sans doute la raison pour laquelle les mystiques authentiques, come l’a dit Henri Bergson, « n’ont pas besoin d’exhorter ; ils n’ont qu’à exister ; leur existence est un appel ».
Finalement, plus nous nous approchons du mystère de la Vie tel qu’il affleure à même la chair de notre réalité incarnée, plus les mots vacillent. Martin Buber a écrit : « Sans doute existe-t-il un langage, le plus discret de tous, qui ne veut que faire partager l’existentiel et non le décrire. Il est si élevé et si discret, qu’il semble presque ne pas appartenir au langage, n’être qu’un mouvement de paupières dans le silence » : c’est cette langue de fin silence qui caractérise la poésie et la musique. La très grande pianiste Elizabeth Sombart appartient à cette constellation d’êtres épiphaniques dont le geste inspiré vous relie au silence sonore de la Vie …
GIOTTO TROIS FEMMES AU TOMBEAU DETAIL
3 avril, 2013LA LOI, LE TEMPLE ET L’ESPRIT SAINT : JÉSUS ET LES TRADITIONS JUIVES DU IER SIÈCLE
3 avril, 2013http://www.eleves.ens.fr/aumonerie/numeros_en_ligne/paques03/seneve002.html
LA LOI, LE TEMPLE ET L’ESPRIT SAINT : JÉSUS ET LES TRADITIONS JUIVES DU IER SIÈCLE
Lise Barucq, Léonard Dauphant
« N’allez pas croire que je sois venu
abolir la loi et les Prophètes,
je ne suis pas venu abolir,
mais accomplir.» Mt 5,17.
Jésus de Nazareth est juif. Pourtant, à sa suite, une nouvelle tradition s’est peu à peu construite, en opposition aux autorités du judaïsme. Pour celui qui s’interroge sur l’élaboration de cette divergence , il peut déjà être intéressant de chercher à comprendre, à la lecture des Évangiles, la position de Jésus au sein du judaïsme de son temps. Il faut d’abord se mettre à l’esprit ce que signifie la religion biblique au Ier siècle. C’est à cette époque charnière et sanglante que se bousculent les événements: foisonnement de courants religieux en Judée, naissance du Messie attendu, révoltes juives contre l’administration romaine, destruction du Temple. C’est donc il y a deux mille ans que sont nés et le christianisme, communauté de ceux qui reconnaissent Jésus comme Seigneur, et le judaïsme rabbinique, qui se forme après la destruction du Temple de Jérusalem. Il faut alors étudier l’enseignement du Christ dans un contexte religieux disparu, autour d’une seule Bible matrice de deux religions différentes.
OÙ EN ÉTAIT LE JUDAÏSME AU TEMPS DE JÉSUS?
A l’époque de Ponce Pilate (qui opprime la Judée de 26 à 36), la Bible est à peu près fixée, on la divise en trois ensembles de livres : la Loi (Torah), les Prophètes (Neviim), et les Ecrits (Kétouvim), historiques, poétiques ou de sagesse. La religion juive s’articule alors autour de deux affirmations essentielles: l’unité de Dieu et l’élection d’Israël («Ecoute, Israël, le Seigneur notre Dieu est le seul Seigneur.» Dt 6,4, affirmation qui avait sa place dans la litugie au début de notre ère). De ces deux affirmations découlent d’une part un sentiment national et religieux, dont le coeur identitaire est Sion, le Temple, d’autre part un respect nécessaire de l’Alliance conclue sur le Mont Sinaï, qui se manifeste dans la Parole, c’est-à-dire dans la Loi.
Les fidèles se divisent en revanche en un certain nombre de courants de pensée. Tous les Juifs n’appartiennent pas à un groupe, une « philosophie » pour reprendre le terme de Flavius Joseph, mais ceux-ci structurent les élites et la société juive.
Les Saducéens (qui se réclament du Grand-Prêtre Saddock) forment l’élite sacerdotale du temple de Jérusalem. Ces aristocrates règnent sur leurs immenses domaines et pratiquent autour du Sanctuaire une religion traditionaliste à l’extrême, qui refuse la résurrection des morts et marginalise l’enseignement des Prophètes au profit des sacrifices.
Les Esséniens sont une petite élite monastique, très ascétique et très fermée. Leur sensibilité religieuse est aussi ritualiste que celle des Saducéens mais, retirés du monde, ils se passent du Temple dont ils méprisent les compromissions avec l’occupant.
Les Pharisiens sont une élite intellectuelle influencée par la conception grecque de l’enseignement et placent au centre de leur vie spirituelle l’étude de la Loi de Moïse, écrite (la Torah) et orale (celle-ci ne sera fixée par écrit dans le Talmud qu’à partir du IIème siècle). Cette connaissance approfondie du texte biblique va de pair avec une ouverture de la pratique des règles de pureté sur le monde profane. Ainsi, la sainteté n’est plus réservée aux prêtres ou aux pélerins le temps de leur passage à Sion, elle est accessible au quotidien; le Temple n’est plus exactement le centre. Cette conception de la Loi, appuyée sur le réseau naissant des maisons communes (synagogues) leur assure une grande popularité. Ils sont de loin les plus nombreux, présents partout jusqu’en Galilée, et les plus proches de Jésus.
Il s’ajoute à cela une autre division: l’importance accordée au messianisme, à l’attente d’un roi (ou d’un roi-prêtre) qui chassera les Païens pour restaurer la puissance du peuple élu. Si les Esséniens sont très marqués par cette attente, les Pharisiens et les prêtres sont divisés. La division est aussi avant tout sociale: l’attente de la libération est la plus forte dans les milieux populaires.
JÉSUS, PROPHÈTE RÉFORMATEUR?
Jésus est juif. Sa vie quotidienne s’est inscrite dans le cadre de l’obéissance à la Loi de son peuple.Jésus se présente aussi comme un rabbin de son temps qui développe une autorité particulière sur la Loi, et s’oppose de manière plus ou moins virulente aux autres docteurs.Le rabbi, au premier siècle comme aujourd’hui, a deux rôles: résoudre les questions pratiques et chercher ce qu’il y a d’essentiel dans la Loi. Ainsi, comme tous les docteurs prestigieux, Jésus doit répondre à la question: « Quel est le premier de tous les commandements?» (Mt 22,34-40). La réponse de Jésus est double: « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme et de tout ton esprit», puis « Tu aimeras ton prochain comme toi-même». Jésus utilise donc le Texte et réalise ici, démarche toute pharisienne, une hiérarchisation au sein de la Loi en mettant en avant Deut 6,4 et Lv 19,18. Sa réponse également est celle d’un pharisien: Hillel donne la même. D’ailleurs, elle satisfait le scribe qui interroge ici Jésus, selon le récit que fait Marc de cet épisode (Mc 12,28-34). Cependant, Jésus montre une certaine autorité sur la Loi. En effet, si l’on suit Matthieu : «Les foules étaient frappées de son enseignement: car il les enseignait en homme qui a autorité, et non pas comme leurs scribes.» (Mtt 7,28-29). Son autorité semble même supérieure à celle de Moïse. Ainsi, en Mtt 19,9, Jésus relativise le certificat de divorce, qui appartient à la Loi de Moïse, en s’appuyant sur la Genèse. Et là, comme souvent, Jésus ne se contente pas de commenter le Texte, il prend une position tranchée.
Il est important de remarquer que ce qu’enseigne Jésus tout au long de sa prédication n’est rien d’autre que ce que contient le Texte, mais c’est la lecture qu’il en fait qui est nouvelle, recentrée. Ainsi, le commandement nouveau que nous avons reçu (Jn 13,34): «Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés», trouve sa nouveauté dans le «comme je vous ai aimés», puisque le commandement est celui de Lv 19, 18 précédemment cité.
Alors, Jésus juif libéral? Tout à l’opposé, il prend, sur le mariage par exemple, des positions extrêmement exigeantes, en décalage avec son époque. Son enseignement n’est donc pas un laxisme, au contraire. Il cherche au-delà de la stricte observance, en son nom même, ce qui la motive : un lien direct avec Dieu, si proche qu’il se révèle notre Père. Et un père doit être aimé selon la droiture du coeur. On ne pourrait recenser dans la Bonne Nouvelle tous les épisodes où Jésus viole la lettre de la Loi pour accomplir la Loi, c’est-à-dire l’amour. Il est un passage étrange, inclassable : Marc 7,1-23. Emporté par son indignation face aux casuistes qui retournent la tradition orale contre la Loi écrite, c’est-à-dire la loi contre elle-même, il se prend à proclamer ce qui est la négation même des prescriptions juridiques alimentaires.
L’EXTASE DE SAINT PIERRE
« Ce que Dieu a purifié, toi, ne le dis pas souillé. » Actes 10,15
Regardons l’articulation du passage, le seul où le mot « tradition » apparaît dans l’Evangile.
7,1-8: Des Pharisiens et des « scribes de Jérusalem », peut-être des Saducéens, en tout cas des Juifs traditionalistes, interrogent Jésus car ses disciples n’observent pas la coutume des ablutions rituelles. Jésus leur répond par un extrait d’Isaïe 29,13. Ainsi, face à ceux qui parlent de loi orale, le Messie annoncé par les Prophètes réplique par le message d’intériorité de ces derniers, donc il oppose aux « nouvelles traditions », aux jurisprudences rabbiniques, la source la plus ancienne du Judaïsme. Jésus, fondamentaliste de l’Esprit, face aux traditions des hommes.
7,9-13 : « Vous rejetez le commandement de Dieu pour établir votre tradition». Dénoncant un abus, c’est toute la loi orale, c’est-à-dire ce qui permet d’appliquer concrètement les prescriptions juridiques de la Bible, qui se trouve entachée de soupçons. Au nom des dix Commandements, unifiés dans l’Amour, tout ce qui en découle est marginalisé.
7,14-23 : Que se passe-t-il alors? Jésus aurait pu donner un ordre de priorité, plaçant la pureté du coeur avant celle des rites. Il profère au lieu de cela une parole qui porte en elle la négation pure et simple des prescriptions alimentaires. Or le Christ n’a jamais pratiqué cette parole («rien d’extérieur qui pénètre dans l’homme ne peut le souiller»), et pour preuve, les Apôtres se sont déchirés sur la question des rites alimentaires. Si Jésus avait mangé du boudin, ça se saurait. Décalage entre l’enseignement du Messie, poussé dans ses dernières conséquences, et sa sensibilité, modelée par la coutume nationale? Pour nous qui ne respectons pas les prescriptions alimentaires, cette parole du Christ enfonce des portes ouvertes. Mais c’est inouï, inaudible pour ses disciples qui préfèrent prendre cela pour une parabole. Pourtant ce qui est dit est dit, pour l’éternité. Mot à mot il leur répète que le mal provient de l’intérieur de l’homme, et que nous péchons exclusivement (et non pas surtout) par notre coeur, pas par le ventre. « C’était purifier tous les aliments», comme l’indique, a posteriori, l’évangéliste.
Pour garder l’Alliance avec Dieu il fallait jusque là une conduite droite, guidée par les préceptes de la Torah. Jésus privilégie un coeur pur : mais ça se raccroche à quoi un coeur pur? Le culte en « esprit » et en « vérité », (c’est-à-dire en hébreu selon le « souffle » et la « solidité ») n’a plus besoin de rites : L’Esprit « solide », voilà le nouvel appui du croyant.
JÉSUS, MESSIE
Au centre de la conscience nationale juive et de la vie spirituelle du peuple était le Temple. Or l’épisode dit de la « purification du Temple », qui pourrait aussi s’appeler « substitution des Temples », remet profondément en cause ce pilier de la pratique religieuse où Jésus lui-même, comme ses parents, vient pour se recueillir et enseigner.
LA PURIFICATION DU TEMPLE, LE GRECO
Cet épisode, le plus violent de sa prédication si l’on suit le texte de Jean, voit Jésus chasser les marchands, pour affirmer qu’il est le nouveau Temple promis pour adorer le Père. Étudions le passage (là, le lecteur est de nouveau invité à ouvrir sa Bible..).
2,13-17 : Il chasse non seulement les changeurs (refus des transactions, de l’argent dans le culte), mais aussi les animaux de sacrifice eux-mêmes, qui sont en vente. Le culte est donc rendu impossible. Ce qui est extraordinaire, c’est que cette action évoque aussitôt aux disciples un verset du psaume 69, où le psalmiste est persécuté à mort pour la foi. C’est donc une évocation implicite mais nette de la Passion, la première de l’Évangile de Jean.
2,18-20 : Jésus se livre à une mise en scène telle qu’en faisaient les prophètes; il n’agit pas pour empêcher les sacrifices mais pour enseigner. Ce n’est pas une manif., ni une émeute, mais un signe, au sens d’action symbolique, visible, d’une réalité spirituelle cachée à venir. Ses auditeurs ne s’y trompent pas. Passé le premier moment de stupeur, ils demandent au prophète de s’identifier en tant que tel, de leur donner un signe, au sens cette fois de manifestation d’autorité, qui le rend apte à agir ainsi. Or ce signe, il l’a déjà donné, dans l’interpellation «Ne faites pas de la maison de mon Père..», qui révèle aux croyants son autorité, fruit de ses relations privilégiées avec Dieu. L’incompréhension s’instaure.
Il leur répond : «Détruisez ce sanctuaire et en trois jours je le relève». Le sens premier défie l’intelligence. Ca fait quarante-six ans que le Temple est en travaux, et lui, en trois jours…? Notons que cette réponse et cette manière de la comprendre signifient moins pour les Juifs la « purification » du Temple que sa destruction. Par ailleurs dans le prophète Zacharie (Zc 14,20-21), la fin du cantonnement de la pureté dans le Temple est le signe des temps messianiques.
2,21-22 : Or Jésus ne parle plus de ce temple de pierre, qu’il a symboliquement aboli; il annonce le nouveau Temple, lieu de présence de Dieu sur Terre : lui-même, sanctuaire voué à la destruction par ses auditeurs, mais que Dieu va ressusciter. Le seuil d’incompréhension est franchi, seuls les disciples, a posteriori, comprendront cette parole et ainsi, croiront à l’Écriture. Cette révolution, le passage du culte sacrificiel du temple à celui du Fils de Dieu mis en croix, réalise les prophéties. Pour les disciples, loin de trahir le judaïsme, le bouleversemnt messianique accomplit la Loi et la justifie.
Ainsi, Jésus place l’intériorité, la conscience avant la pratique rituelle. Son message ne renie pas l’enseignement biblique, il ne s’oppose pas au judaïsme, il énonce une nouvelle attitude spirituelle. La présence de Dieu parmi son peuple ne se fait plus par des usages mais par une attitude intérieure tout aussi exigeante, mais d’une autre manière. La nouveauté radicale est la venue du Messie en elle-même. Jésus fait du neuf, non pas contre la Bible, mais parce que telle est la promesse de Dieu. Il innove en proposant, par sa venue même, un nouvel éclairage sur le sur l’Alliance, qui résidait dans le Texte.
Face à ses adversaires docteurs de la Loi, scrupuleux, attentifs au détail, qui innovent pour vivre leur vie heure après heure dans une obéissance méticuleuse à la volonté de Dieu, Jésus se place dans une situation eschatologique, celle du Royaume de Dieu. Le Messie bouleverse les coutumes pour faire émerger un culte préparé de toute éternité. Désormais dans la cité sainte s’effacera la limite entre le pur et l’impur, la pureté s’étendra à tout le peuple. Or voici que nous croyons que cet événement est arrivé : l’Esprit souffle non seulement à Jérusalem, mais sur toute chair. Peu importe la lettre, l’Esprit l’emporte. Et ce n’est pas uhn hasard si c’est à la Pentecôte, fête juive commémorant le don de la Loi au peuple que l’Esprit Saint vient sur les Apôtres. Les prescriptions juridiques, les élaborations de la jurisprudence, ce que nous nommons « tradition », n’ont plus lieu d’être, puisque toute la Loi est désormais accomplie, c’est-à-dire réduite à l’essentiel en Jésus, modèle de l’amour du Père, et est relayée dans la vie des croyants par la liberté du souffle de Dieu, venu sur toute chair, jusqu’à la nôtre.
L.B., L.D.