Archive pour avril, 2013
DIMANCHE 21 AVRIL: COMMENTAIRES DE MARIE NOËLLE THABUT
20 avril, 2013http://www.eglise.catholique.fr/foi-et-vie-chretienne/commentaires-de-marie-noelle-thabut.html
DIMANCHE 21 AVRIL: COMMENTAIRES DE MARIE NOËLLE THABUT
PREMIERE LECTURE – Ac 13, 14. 43-52
Paul et Barnabé
14 étaient arrivés à Antioche de Pisidie.
Le jour du sabbat, ils entrèrent à la synagogue.
43 Quand l’assemblée se sépara,
beaucoup de Juifs et de convertis au judaïsme
les suivirent.
Paul et Barnabé, parlant avec eux,
les encourageaient à rester fidèles à la grâce de Dieu.
44 Le sabbat suivant,
presque toute la ville se rassembla
pour entendre la parole du Seigneur.
45 Quand les Juifs virent tant de monde,
ils furent remplis de fureur ;
ils repoussaient les affirmations de Paul avec des injures.
46 Paul et Barnabé leur déclarèrent avec assurance :
« C’est à vous d’abord
qu’il fallait adresser la parole de Dieu.
Puisque vous la rejetez
et que vous-mêmes ne vous jugez pas dignes de la vie éternelle,
eh bien ! nous nous tournons vers les païens.
47 C’est le commandement que le Seigneur nous a donné :
J’ai fait de toi la lumière des nations
pour que, grâce à toi,
le salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre. »
48 En entendant cela, les païens étaient dans la joie
et rendaient gloire à la parole du Seigneur ;
tous ceux que Dieu avait préparés pour la vie éternelle
devinrent croyants.
49 Ainsi, la parole du Seigneur se répandait dans toute la région.
50 Mais les Juifs entraînèrent les dames influentes
converties au judaïsme,
ainsi que les notables de la ville ;
ils provoquèrent des poursuites contre Paul et Barnabé,
et les expulsèrent de leur territoire.
51 Ceux-ci secouèrent contre eux la poussière de leurs pieds
et se rendirent à Iconium,
52 tandis que les disciples étaient pleins de joie dans l’Esprit Saint.
Nous sommes à la synagogue d’Antioche de Pisidie (en plein milieu de l’Asie Mineure, c’est-à-dire l’ouest de la Turquie actuelle) un samedi matin pour une célébration du shabbat. Le public est plus mélangé que nous ne le pensons spontanément : pour prendre une image, on pourrait dire qu’il y a trois cercles concentriques ; il y a d’abord, évidemment, les Juifs de naissance ; le deuxième cercle, ce sont les prosélytes : c’est-à-dire des non-Juifs de naissance qui ont été attirés par la religion juive au point de se convertir et d’en accepter toutes les pratiques, y compris la circoncision. Luc les appelle « les convertis au Judaïsme ».
Le troisième cercle, ce sont les « craignant Dieu » ; Luc ici les appelle les « païens », mais vous voyez qu’ils ne sont plus tout à fait des païens, puisqu’ils ont été attirés eux aussi par la religion juive et qu’ils se rendent le samedi matin à la synagogue pour le shabbat ; ils connaissent donc les Ecritures juives. En revanche, ils ne sont pas allés jusqu’à la circoncision et à l’ensemble des pratiques juives.
Au départ, le projet de Paul est clair : à peine arrivé dans la ville, il compte se rendre à la synagogue le plus tôt possible pour s’adresser à ses frères juifs ; il leur parlera de Jésus de Nazareth ; pour lui, c’est la démarche qui s’impose de toute évidence ; les Apôtres qui sont tous juifs, ne l’oublions pas, considèrent le Christ comme le Messie attendu par tous les Juifs : ils vivent un accomplissement ; dans leur logique, un Juif qui lit l’Ecriture deviendra forcément chrétien : ils ont donc tout naturellement commencé par essayer de rallier les autres Juifs à leur découverte… et Paul compte bien faire la tournée des synagogues ; dans son idée, quand tout le peuple juif sera converti, on entreprendra la conversion des païens.
Car, aux yeux de Paul, comme de tous ses contemporains, le plan de Dieu comportait deux étapes : d’abord le choix du peuple élu à qui Dieu s’est révélé (c’est ce qu’on appelle « l’élection d’Israël » ) et ensuite c’est ce peuple élu qui devait annoncer le salut de Dieu aux autres peuples, aux païens ; pour exprimer cette « logique de l’élection » dans le plan de Dieu, le prophète Isaïe disait : « J’ai fait de toi la lumière des nations pour que mon salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre ». D’ailleurs, dans un premier temps, Jésus, lui-même, avait donné cette consigne à ses apôtres : « Ne prenez pas le chemin des païens… allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d’Israël » (Mt 10, 5).
Donc, dès le premier sabbat, Paul et Barnabé se rendent à la synagogue d’Antioche de Pisidie ; et ils reçoivent au premier abord un accueil plutôt favorable ; du coup, ils peuvent espérer que certains deviendront chrétiens à leur tour. Le sabbat suivant (c’est-à-dire le samedi suivant), ils recommencent à prendre la parole à la synagogue, et, apparemment, beaucoup de gens se sont dérangés pour les écouter ; mais cette fois leur succès commence à énerver les gens influents ! Luc dit : « quand les Juifs virent tant de monde, ils furent remplis de fureur, ils repoussaient les affirmations de Paul avec des injures. » Là, nous avons un petit problème de vocabulaire, parce que Luc ici appelle « Juifs » ceux qui vont s’opposer à Paul ; en réalité, il y a des Juifs qui deviendront chrétiens (comme Paul lui-même), et des Juifs qui refuseront absolument de reconnaître Jésus comme le Messie (ce sont ceux que Luc appelle « Juifs » ici).
En revanche, Luc note que les païens (c’est-à-dire les craignant Dieu) semblent mieux disposés, il dit : « Les païens étaient dans la joie et rendaient gloire à la parole du Seigneur ; tous ceux que Dieu avait préparés pour la vie éternelle devinrent croyants. »
Alors se produit un grand tournant dans la vie de Paul ; car c’est là, à Antioche de Pisidie qu’il va décider de modifier ses plans ; voilà comment le problème se pose : d’une part, seuls quelques Juifs acceptent de les suivre, et il faut abandonner l’espoir de convertir l’ensemble du peuple juif au Christianisme. D’autre part, le refus de la majorité des Juifs ne doit pas retarder l’annonce du Messie aux païens. Alors Paul se souvient qu’Isaïe avait déjà prédit que le petit Reste d’Israël sauverait l’ensemble du peuple et l’humanité. Concrètement, Paul comprend que c’est ce petit Reste qui assumera la vocation d’apôtre des nations qui était celle du peuple juif tout entier. Paul et Barnabé et ceux qui voudront bien les suivre seront ce petit Reste.
C’est exactement ce que Paul et Barnabé disent à Antioche : « C’est à vous, d’abord qu’il fallait adresser la parole de Dieu. Puisque vous la rejetez, et que vous-mêmes ne vous jugez pas dignes de la vie éternelle, eh bien ! Nous nous tournons vers les païens. » Et donc, à partir de ce moment-là, ils tournent leur énergie missionnaire vers les « craignant Dieu » d’abord, puis plus tard, vers les païens.
Décidément, à Antioche de Pisidie, un tournant décisif vient d’être pris dans la vie des premiers Chrétiens !
HOMÉLIE DU 4E DIMANCHE DE PÂQUES, C
20 avril, 2013http://parolesdudimanche.blogs.lalibre.be/
HOMÉLIE DU 4E DIMANCHE DE PÂQUES, C
AC 13, 14, 43-52 ; AP 7, 9, 14B-17 ; JN 10, 27-30
Gros succès de foule pour Paul et Barnabé en mission à Antioche ! La conviction des apôtres, mais surtout la « Bonne Nouvelle » de Jésus Christ qu’ils annonçaient fit des merveilles. La région en fut contaminée et les conversions nombreuses. C’est l’aspect positif d’une face de la grande aventure chrétienne. Celle que nous aimons retenir. L’autre côté, par contre, n’est pas rose. Si les auditeurs sont attentifs, ouverts et accueillants, il y en a d’autres qui se bouchent les oreilles ou ne veulent pas entendre. La bienveillance s’accompagne de jalousie. La joie des uns provoque la fureur des autres, et aux applaudissements succèdent les injures… Et tandis que les uns se rassemblent autour des apôtres (pour recevoir la semence de vérité et rendre grâce à Dieu), d’autres courent et se dépensent pour organiser l’opposition, provoquer des incidents qui puissent justifier l’expulsion de ces prédicateurs insoumis.
Les premières communautés chrétiennes n’ont pas du tout vécu en « paradis terrestre ». Jean, lui-même, dans sa grande fresque mystique, symbolique et liturgique, n’hésite pas à le rappeler… Ceux qui sont « debout devant le trône et devant l’Agneau en vêtements blancs avec des palmes à la main… viennent de la grande épreuve » (2e lecture). Pour suivre l’Agneau et Pasteur jusqu’au triomphe du rassemblement final, il faut l’avoir écouté, suivi et avoir partagé avec lui aventures, périls et souffrances.
Tout commence par une parole reçue ou rejetée. Parole de quelqu’un. Une parole divine, incarnée en Jésus Christ, Vérité et Vie, Chemin sûr et Source intarissable. L’être et la voix ne font qu’un. Un Bon Pasteur qui donne nourriture de vie éternelle à ses brebis qui l’écoutent, le connaissent et le suivent.
Cependant, l’image romantique du Bon Pasteur, qui nous reste souvent en mémoire, comme aussi le cliché des « moutons de Panurge », ne sont guère susceptibles de nous faire « abandonner nos filets » ou affronter autrement les orages et tempêtes terrestres. Le Bon Pasteur de l’Evangile, le vrai berger, n’est pas sorti d’Epinal, et les brebis de son troupeau n’ont que lointaine parenté avec celles de Rabelais.
Le berger dont le Christ fait la louange est un chef, un meneur qui ne manque ni d’audace ni de courage. Son premier souci est d’assurer à son troupeau une nourriture saine et abondante. Il doit donc chercher et prospecter, entraîner et pousser, convaincre par la parole et le geste ces brebis affamées qui risquent de se jeter avidement sur n’importe quoi et de s’égarer dans de dangereuses impasses. Mission difficile et périlleuse.
La nourriture dont nous avons besoin pour vivre n’est autre que la Parole de Dieu. « Prenez et mangez ». Parole et pain sont corps du Christ. Le Verbe incarné, c’est la Parole-Chair. Une parole qui nourrit l’être tout entier et non la seule mémoire. Elle n’est pas savoir abstrait mais relation personnelle. Une communion de pensée, de cœur, d’action. Manger la Parole, n’est-ce pas se nourrir de vie plénière et expérimenter déjà, même dans les angoisses et les brouillards d’ici-bas, un peu de ce royaume définitif où les « brebis » n’auront plus faim ni soif… et où « Dieu essuiera toute larme de leurs yeux » (2e lecture) ?
Il est donc une voix qu’il nous faut connaître et reconnaître… Elle ne cesse de nous appeler pour nous libérer des étroitesses, susciter la communication entre les êtres et les peuples, les races et les langues, et briser les murs des ghettos. Egalement pour nous arracher aux illusions et aux mirages, aux pièges séduisants et aux routes sans issue… Une Parole qui donne sens à la vie.
Chaque dimanche, elle nous rassemble. Chaque dimanche, elle est appel, remontrance, lumière et programme… Mais comme au temps de Paul et Barnabé, aujourd’hui dans l’Eglise, comme hier dans la synagogue, les uns l’accueillent et d’autres la rejettent… Ne cessons pas de tendre l’oreille pour recevoir, connaître et suivre Celui qui nous interpelle.
P. Fabien Deleclos, franciscain (T)
1925 – 2008
TERTULLIEN. DIRE DIEU UN ET TROIS.
18 avril, 2013http://www.patristique.org/Tertullien-Dire-Dieu-un-et-trois.html
TERTULLIEN. DIRE DIEU UN ET TROIS.
PAR LUC FRITZ
Après avoir présenté l’homme et son œuvre, nous parlerons du montanisme, mouvement auquel Tertullien accorda sa sympathie, puis du monarchianisme qu’il combat particulièrement dans son livre Contre Praxéas. En un second temps seront exposés quelques éléments facilitant la compréhension de la théologie trinitaire de Tertullien.
Tertullien a été un polémiste brillant et redoutable. Ses écrits sont les fruits des luttes incessantes qu’il mena pour défendre les chrétiens persécutés par les autorités politiques, les catholiques agressés par les différents mouvements gnostiques, les montanistes marginalisés et condamnés par ceux qu’il appellera les psychiques (c’est-à-dire les catholiques selon lui hostiles à l’Esprit), la Trinité refusée par les adeptes des doctrines monarchiennes, etc…
Ce cours voudrait présenter quelques aspects de la théologie trinitaire de Tertullien. Celle-ci a été explicitée en réaction à Praxéas, un monarchien unitarien qui, par des manœuvres frauduleuses, avait convaincu Zéphyrin (199-217), l’évêque de Rome, de revenir sur des lettres de communion qu’il avait données aux adeptes d’un mouvement charismatique dirigé par Montan. Cette manigance avait provoqué les foudres de Tertullien déjà montaniste :
« À cette époque, en effet, l’évêque de Rome reconnaissait désormais les prophéties de Montan, Prisca et Maximilla et par suite de cette reconnaissance accordait la paix aux églises d’Asie et de Phrygie. Mais lui, ayant fait de faux rapports sur ces prophètes et sur leurs églises et invoquant les décisions de ses prédécesseurs, le contraignit à révoquer les lettres de paix déjà signées et à revenir sur son dessein de recevoir les charismes. Ainsi Praxéas s’entremit-il à Rome pour deux besognes du diable : il chassa la prophétie [le montanisme] et implanta l’hérésie [le subordinatianisme], il mit le Paraclet en fuite et le Père en croix. »
La présentation qui suit se calque d’une certaine manière sur cette réaction de Tertullien. En un premier temps, après avoir présenté l’homme et son œuvre, nous parlerons du montanisme, mouvement auquel il accorda sa sympathie, puis du monarchianisme qu’il combat particulièrement dans son livre Contre Praxéas. Le second volet du cours voudrait donner quelques éléments facilitant la compréhension de la théologie trinitaire de Tertullien.
PAPE FRANÇOIS: JÉSUS EST L’ »AVOCAT » DE L’HOMME
18 avril, 2013http://www.zenit.org/fr/articles/jesus-est-l-avocat-de-l-homme
JÉSUS EST L’ »AVOCAT » DE L’HOMME
CATÉCHÈSE DU PAPE FRANÇOIS, 17 AVRIL 2013
ROME, 17 AVRIL 2013 (ZENIT.ORG) PAPE FRANÇOIS
« Nous avons un avocat qui nous défend toujours, qui nous défend des pièges du diable, nous défend de nous-mêmes, de nos péchés ! Chers frères et sœurs, nous avons cet avocat », le « Christ », a déclaré le pape François lors de sa catéchèse, ce 17 avril 2013.
Lors de l’audience générale, place Saint-Pierre, le pape a encouragé à avoir recours à cet « avocat » : « n’ayons pas peur d’aller à lui pour lui demander pardon, lui demander sa bénédiction, sa miséricorde ! Il nous pardonne toujours, il est notre avocat : il nous pardonne toujours ! Ne l’oubliez pas ! ».
Catéchèse du pape François en italien:
Chers frères et sœurs, bonjour ! Dans le Credo, nous trouvons l’affirmation que « Jésus est monté au ciel, est assis à la droite de Dieu ». La vie terrestre de Jésus culmine avec l’événement de l’Ascension, lorsqu’il passe de ce monde à son Père et qu’il est élevé à sa droite. Quelle est la signification de cet événement ? Quelles en sont les conséquences pour notre vie ? Que signifie contempler Jésus assis à la droite du Père ? Laissons-nous guider par l’évangéliste Luc sur ces questions.
Partons du moment où Jésus décide d’entreprendre son dernier pèlerinage à Jérusalem. Saint Luc écrit : « Or il advint, comme s’accomplissait le temps où il devait être enlevé, qu’il prit résolument le chemin de Jérusalem » (Lc 9, 51). Tout en « montant » vers la Cité sainte, où il accomplira son « exode » de cette vie, Jésus voit déjà le but, le ciel, mais il sait bien que la vie qui le ramène dans la gloire de son Père passe par la Croix, par l’obéissance au dessein divin d’amour de l’humanité. Le Catéchisme de l’Eglise catholique affirme que « l’élévation sur la croix signifie et annonce l’élévation de l’ascension au ciel » (n. 661). Nous aussi, nous devons avoir clairement à l’esprit, dans notre vie chrétienne, qu’entrer dans la gloire de Dieu exige la fidélité quotidienne à sa volonté, même lorsque cela requiert des sacrifices, ou parfois de changer nos projets. L’ascension de Jésus se réalise concrètement sur le Mont des oliviers, près du lieu où il s’était retiré pour prier avant sa passion, pour demeurer en union profonde avec son Père : une fois encore, nous voyons que la prière nous donne la grâce de vivre dans la fidélité au projet de Dieu.
A la fin de son Évangile, saint Luc raconte l’événement de l’Ascension de manière très synthétique. Jésus conduisit ses disciples « jusque vers Béthanie et, levant les mains, il les bénit. Et il advint, comme il les bénissait, qu’il se sépara d’eux et fut emporté au ciel. Pour eux, s’étant prosternés devant lui, ils retournèrent à Jérusalem en grande joie, et ils étaient constamment dans le Temple à louer Dieu. » (24, 50-53) : c’est ce que dit saint Luc. Je voudrais relever deux éléments de son récit. Avant tout, pendant l’Ascension, Jésus accomplit le geste sacerdotal de la bénédiction et les disciples expriment certainement leur foi en se prosternant, en s’agenouillant, la tête inclinée. Ce premier point est important : Jésus est le prêtre unique et éternel qui, par sa passion, a traversé la mort et le sépulcre, et est ressuscité et monté au ciel ; il est auprès du Père, où il intercède pour toujours en notre faveur (cf. Hé 9, 24). Comme l’affirme saint Jean dans sa Première lettre, il est notre avocat : comme c’est beau d’entendre cela ! Lorsque quelqu’un est convoqué par le juge ou porte plainte, la première chose qu’il fait est de chercher un avocat pour qu’il le défende. Nous, nous en avons un, qui nous défend toujours, qui nous défend des pièges du diable, nous défend de nous-mêmes, de nos péchés ! Chers frères et sœurs, nous avons cet avocat : n’ayons pas peur d’aller à lui pour lui demander pardon, lui demander sa bénédiction, sa miséricorde ! Il nous pardonne toujours, il est notre avocat : il nous pardonne toujours ! Ne l’oubliez pas ! L’ascension de Jésus au ciel nous fait alors connaître cette réalité, si consolante pour notre route : dans le Christ, vrai Dieu et vrai homme, notre humanité a été portée auprès de Dieu ; il nous a ouvert le passage ; c’est comme un premier de cordée lorsqu’on escalade une montagne, qui a atteint la cime et qui nous amène à Dieu en nous attirant à lui. Si nous lui confions notre vie, si nous nous laissons guider par lui, nous sommes certains d’être en de bonnes mains, dans les mains de notre sauveur, de notre avocat.
Un second élément : saint Luc rappelle que les apôtres, après avoir vu Jésus monter au ciel, retournèrent à Jérusalem « en grande joie ». Cela nous paraît un peu étrange. En général, lorsque nous sommes séparés de nos proches parents, de nos amis, par un départ définitif et surtout à cause de la mort, il y a en nous une tristesse naturelle, parce que nous ne verrons plus leur visage, nous n’entendrons plus leur voix, nous ne pourrons plus jouir de leur affection, de leur présence. L’évangéliste souligne au contraire la joie profonde des apôtres. Comment est-ce possible ? C’est précisément parce que, avec le regard de la foi, ils comprennent que, bien que Jésus soit soustrait à leurs yeux, il reste avec eux pour toujours, il ne les abandonne pas et, dans la gloire du Père, il les soutient, les guide et intercède pour eux.
Saint Luc raconte aussi le fait de l’Ascension au début des Actes des apôtres, pour souligner que cet événement est comme le maillon qui relie la vie terrestre de Jésus et celle de l’Église. Saint Luc mentionne aussi la nuée qui soustrait Jésus à la vue de ses disciples, restés là à contempler le Christ s’élevant vers Dieu (cf. Ac 1, 9-10). Interviennent alors deux hommes en vêtements blancs, qui les invitent à ne pas rester immobiles à regarder le ciel, mais à nourrir leur vie et leur témoignage de la certitude que Jésus reviendra de la même manière qu’ils l’ont vu s’élever vers le ciel (cf. Ac 1, 10-11). C’est justement une invitation à partir de la contemplation de la seigneurie du Christ, pour recevoir de lui la force de porter l’Évangile et d’en témoigner dans notre vie de tous les jours : contempler et agir, « prie et travaille », comme l’enseigne saint Benoît, l’un et l’autre sont nécessaires dans notre vie de chrétiens.
Chers frères et sœurs, l’Ascension n’indique pas l’absence de Jésus, mais nous dit qu’il est vivant au milieu de nous d’une manière nouvelle ; il n’est plus en un point précis du monde, comme c’était le cas avant l’Ascension ; maintenant il est dans la seigneurie de Dieu, présent en tout lieu et en tout temps, proche de chacun de nous. Dans notre vie, nous ne sommes jamais seuls : nous avons cet avocat qui nous attend, qui nous défend. Nous ne sommes jamais seuls : le Seigneur crucifié et ressuscité nous guide ; il y a, avec nous, de nombreux frères et sœurs qui, cachés dans le silence, dans leur vie familiale et professionnelle, au cœur de leurs problèmes et de leurs difficultés, de leurs joies et de leurs espérances, vivent leur foi chaque jour et portent au monde, avec nous, la seigneurie de l’amour de Dieu, dans le Christ Jésus ressuscité, monté au ciel, notre avocat. Merci !
Traduction de Zenit, Hélène Ginabat
le passage de la Mer Rouge
17 avril, 2013LES JUDÉO-CHRÉTIENS : DES TÉMOINS OUBLIÉS
17 avril, 2013http://www.bible-service.net/extranet/current/pages/675.html
135 – LES JUDÉO-CHRÉTIENS : DES TÉMOINS OUBLIÉS
NOTE HISTORIQUE
APPROFONDIR
Ils se voulaient Juifs et chrétiens… Une page oubliée de l’histoire de l’Église pour relire le Nouveau Testament.
Ils se voulaient Juifs et chrétiens, mais » ils ne sont ni Juifs ni Chrétiens ! « . C’est du moins l’opinion, pour une fois partagée, d’Augustin et de Jérôme.
Nous sommes au Ve siècle et les gens ainsi jugés allaient disparaître après avoir été poussés aux marges de l’Histoire. Qui étaient-ils ? Ici, on les appelle » ébionites « , là » nazôréens « . De ces sobriquets donnés par leurs adversaires, ils ont tiré fierté. » Ébion « , en hébreu, signifie » pauvre « . Origène – parmi d’autres – se moque de leur pauvreté intellectuelle ? Eux se placent dans la lignée des » pauvres d’Israël » ! Par ailleurs, qui ne serait honoré de porter le titre de » nazôréen « , exactement comme Jésus lui-même ?
Dans le Dossier, Jean-Pierre Lémonon présente les résultats d’une enquête historique dont l’intérêt ne se limite pas à exhumer une page du passé. Qu’est-ce que la » grande Église » à dominante grecque et latine a fait des communautés proche-orientales de culture sémitique ? Pourquoi ce malaise devant ceux et celles qui pensaient pouvoir confesser Jésus le Christ et pratiquer les commandements de Moise ? Doit-on les rapprocher des » faux frères » dénoncés par Paul dans sa lettre aux Galates ? Quel a été, à l’aube du christianisme, le poids de l’Église de Jérusalem souvent citée à ce propos et, chez elle, de Jacques le frère du Seigneur ? Il nous faut relire, avec ces questions, les lettres de Paul, mais aussi l’œuvre johannique et le récit des Actes des Apôtres.
L’enquête historique croise bien des questions actuelles, comme la judéité de Jésus, I’élaboration progressive de la christologie ou les rapports – continuité, accomplissement, rupture – du Premier et du Nouveau Testament. Dans la vie quotidienne, sur quels critères se définissent donc la valeur d’une pratique et la vérité d’un discours ?
La partie « Actualités » donne, avant les habituelles recensions d’ouvrages récents, la fin d’une étude de François-Xavier Amherdt sur Paul Ricœur. Le philosophe récemment disparu a affronté la question de la vérité du discours biblique. Il a remarqué en particulier, concernant l’interprétation de la résurrection de Jésus, que les textes évangéliques, de Marc à Jean, comportaient un » espace de variation » remarquable.
Les judéo-chrétiens, à leur manière, témoignent de la richesse et des tensions de cet espace initial où se sont élaborés les mots de la foi chrétienne.
Cahier Évangile n°135
64 pages, SBEV/Éd. du Cerf, mars 2006
DOSSIER : » Les judéo-chrétiens : des témoins oubliés ”
par Jean-Pierre Lémonon
p. 03 Au sein du christianisme primitif, certaines tendances ont fini par sortir de l’histoire. Parmi elles, se trouve le courant dénommé » judéo-chrétien « , expression à la fois pratique et imprécise. Pratique, elle désigne des disciples de Jésus qui voulurent continuer à observer les commandements mosaïques. Imprécise, elle regroupe des communautés très diverses. À partir de notations disséminées surtout chez les Pères de l’Église, du IIe au Ve s., émergent les ébionites et les nazoréens. Qui étaient-ils ? Quelle était leur foi ? Pourquoi ont-ils disparu ? Quels liens peut-on établir avec les premières communautés chrétiennes, en particulier l’Église de Jérusalem ?
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CARACTÉRISTIQUES DES JUDÉO-CHRÉTIENS
NOTE HISTORIQUE
Approfondir
Dans leur ensemble les judéo-chrétiens sont d’origine juive…
Dans leur ensemble les judéo-chrétiens sont d’origine juive, mais il n’est pas impensable que certains chrétiens provenant des nations se soient laissés entraîner dans un désir de double appartenance. Sans négliger la foi au Dieu Un et la certitude de l’élection d’Israël, le judaïsme se caractérise par une pratique dont les traits essentiels sont la circoncision, la célébration du sabbat et des fêtes, ainsi que le respect des règles alimentaires. Les judéo-chrétiens vont donc se distinguer par la volonté de mettre en uvre des observances spécifiques qui expriment le rattachement étroit de leur foi nouvelle à la tradition d’Israël. Certes, tous les disciples de Jésus ont eu le souci de rattacher leur foi à la tradition d’Israël, mais les judéo-chrétiens expriment ce lien par la mise en uvre des commandements de la Loi mosaïque.
Pratique des commandements
Préciser le contenu concret de ces commandements n’est pas des plus faciles. En effet, le judaïsme du Ier s. était divers, et tous les groupes juifs n’avaient pas la même compréhension des commandements. Or, dans la communauté des disciples rentrent des Juifs de diverses origines : lévites, prêtres, pharisiens (Ac 4, 36 ; 6, 7 ; 15, 5), baptistes (Jn 1, 35), habitants de Jérusalem de langue juive et d’autres de langue grecque (Ac 6, 1). Chaque groupe avait sa propre idée sur la mise en uvre des commandements issus de la Loi mosaïque. De plus, les bouleversements provoqués par la destruction du Temple en 70, puis par le décret d’Hadrien en 135 interdisant aux Juifs de résider à Jérusalem, ont considérablement modifié le champ des commandements. Il est donc très difficile de préciser les commandements suivis par les groupes dits » judéo-chrétiens » car, entre les uns et les autres, il pouvait y avoir des différences importantes. Il n’en demeure pas moins que tous, par la pratique des commandements mosaïques, pensaient se rattacher étroitement à la tradition d’Israël.
Selon Marcel Simon, un des pionniers dans le renouveau des études sur les judéo-chrétiens, on pourrait parler de » judéo-chrétiens » quand, tout en se proclamant disciples de Jésus, des personnes mettent en uvre des commandements mosaïques qui dépassent les obligations s’appliquant à tout croyant. Ces dernières sont mentionnées à la suite de l’assemblée de Jérusalem : abstention » des souillures de l’idolâtrie, de l’immoralité, de la viande étouffée et du sang » (Ac 15, 20). M. Simon formule ainsi son point de vue : » sera judéo-chrétien celui qui ira au-delà de ce minimum indispensable et se pliera à d’autres prescriptions de la Loi rituelle juive ». On peut discuter sur le point de départ proposé, il n’en demeure pas moins que l’intérêt du propos est de mettre en valeur l’observance des pratiques juives pour la définition des judéo-chrétiens. Mais la signification attachée à ces pratiques doit également être évaluée, car certains judéo-chrétiens en font une condition de salut tandis que d’autres les considèrent comme une simple affirmation de la continuité de l’histoire de l’Alliance.
Réserve vis-à-vis de Paul
Un parcours même rapide à travers l’ensemble des textes qui évoquent directement ou non ces hommes et ces femmes qui veulent être et juifs et chrétiens oblige à ajouter à la pratique des commandements un autre trait : toute une sensibilité manifeste de la réserve ou montre de l’hostilité vis-à-vis de l’apôtre Paul. Cependant ce dernier trait ne s’applique pas à tous les judéo-chrétiens.
Regards divers sur Jésus de Nazareth
L’attachement aux rites juifs ne suffit cependant pas à rendre compte de la diversité des groupes judéo-chrétiens, car ces communautés portent aussi un regard différent sur l’identité de Jésus. Certains le considèrent comme un maître ; d’autres reconnaissent en lui le Messie d’Israël sans confesser pourtant sa divinité, refusant notamment l’idée d’une naissance virginale ; d’autres enfin ont une confession christologique que ne renieraient pas les Pères de l’Église.
Aussi pour faire droit aux différentes sensibilités des groupes dits » judéo-chrétiens » et préserver, autant que faire se peut, la spécificité de chacun d’entre eux il est préférable de conserver les noms qu’ils reçoivent chez les Pères de l’Église, tout en sachant qu’il est fort vraisemblable qu’à l’origine ces noms leur furent donnés par leurs adversaires (voir Épiphane, »Panarion » 29,1,3 ; 6,2).
Dans la littérature patristique les judéo-chrétiens apparaissent essentiellement sous trois noms : ébionites, nazôréens et elkasaïtes. Nous suivrons ici l’histoire des deux premiers groupes, nous réservant de parler des elkasaïtes en un long Appendice. En certains cas, en particulier à propos de la littérature rabbinique, nous serons cependant obligés de parler de » judéo-chrétiens » en général.
Jean-Pierre Lémonon, SBEV / Éd. du Cerf, Cahier Évangile n° 135 (mars 2006) « Les judéo-chrétiens : des témoins oubliés », p. 7-9.
SAINT ISAAC LE SYRIEN : SUR LE JEÛNE CONTINUEL ET LE RECUEILLEMENT EN UN SEUL LIEU
17 avril, 2013http://www.pagesorthodoxes.net/metanoia/jeune-ecrits.htm#isaac
SAINT ISAAC LE SYRIEN : SUR LE JEÛNE CONTINUEL ET LE RECUEILLEMENT EN UN SEUL LIEU
CE QUI EN RÉSULTE. ET QU’IL APPRIT À VIVRE CES CHOSES AVEC RIGUEUR DANS LA CONNAISSANCE DU DISCERNEMENT
Longtemps tourmenté à droite et à gauche, souvent éprouvé sur ces deux voies, couvert de plaies innombrables par l’adversaire, mais secrètement comblé de grands secours, j’ai recueilli en moi l’expérience de tant d’années, et dans l’épreuve et par la grâce de Dieu j’ai appris ceci : deux modes constituent le fondement de tous les biens, le rappel de l’âme hors de la captivité que lui impose l’ennemi, et la voie qui mène vers la lumière et la vie : se recueillir en un seul lieu et toujours jeûner. C’est-à-dire : se plier soi-même avec sagesse et prudence à la règle de la tempérance et de l’immobilité, dans la recherche et la méditation continuelles de Dieu. C’est par là qu’on atteint la soumission des sens. Par là qu’on acquiert la vigilante sobriété de l’intelligence. Par là que s’apaisent les passions sauvages qui se lèvent dans le corps. Par là que nous viennent la douceur des pensées. Par là que la réflexion se fait lumineuse. Par là qu’on s’applique aux œuvres de la vertu. Par là qu’on peut concevoir ce qu’il y a de plus haut et de plus fin. Par là qu’en tout temps coulent les larmes sans mesure, et que nous est donnée la mémoire de la mort. Par là qu’on porte la pure chasteté, parfaitement dégagée de toute imagination qui tourmente l’intelligence. Par là qu’on voit avec acuité et pénétration les choses qui sont au loin. Par là qu’on découvre la profondeur des significations secrètes que l’intelligence comprend au cœur des paroles divines ; qu’on découvre également les mouvements intérieurs à l’âme, et le discernement de ce qui distingue les esprits du mal et les saintes puissances, les vraies visions et les imaginations vaines. Par là qu’on acquiert la crainte que donnent les voies et les chemins de Dieu, cette crainte en pleine mer des pensées, qui rompt avec la négligence et la nonchalance ; qu’on acquiert aussi la flamme de la ferveur qui passe sur tout péril et qui surmonte toute peur ; enfin qu’on porte en soi la chaleur dégagée de tout désir, cette chaleur qui efface de la réflexion la convoitise et plonge dans l’oubli tout souvenir des choses passées. Pour tout dire d’un mot, c’est par là qu’on parvient à la liberté de l’homme vrai, à la joie de l’âme et à la résurrection avec le Christ dans le Royaume.
Que celui qui néglige ces deux choses sache que non seulement il se fait du mal à lui-même en se privant de tout ce que nous venons de dire, mais qu’il ébranle ainsi le fondement de toutes les vertus. Car de même qu’elles sont le commencement, la tête de l’œuvre divine dans l’âme, la porte et le chemin qui mènent au Christ, si on les garde et si on demeure en elle, de même si on les quitte et si on s’éloigne d’elles on tombe dans ces deux maux : la divagation du corps et la gourmandise impudente, qui sont à l’opposé de ce que nous avons dit et créent dans l’âme un lieu pour les passions.
Le premier mal affranchit des liens de la réserve les sens qui s’étaient soumis. Et qu’arrive-t-il ? Ce sont les rencontres extravagantes, improvisées, qui côtoient la chute. C’est le trouble des vagues profondes, que la vue éveille en nous. C’est la fièvre des yeux, qui domine le corps et fait aisément défaillir le cœur. Ce sont les pensées intempérantes, qui nous poussent jusqu’à ce que nous tombions. C’est la tiédeur du désir des œuvres de Dieu, le relâchement progressif de la tension de l’hésychia, et le total abandon des lois de la vie monastique. C’est le retour des vices qu’on avait oubliés, et l’initiation à d’autres qu’on ne savait pas, et qui ne cessent de nous investir par toutes les choses que nous voyons et qui nous assaillent dès lors que nous allons de pays en pays et de lieu en lieu. Ce sont les passions, que la grâce de Dieu avait fait périr et avait chassées de l’âme, perdues sous l’oubli de leur souvenir dans l’intelligence, qui de nouveau se soulèvent et obligent l’âme à les servir. Je n’en finirais pas de tout dire. Ces choses et bien d’autres, viennent ainsi de la première cause, c’est-à-dire de la divagation du corps et du refus de supporter la souffrance de l’hésychia.
Mais qu’en est-il de l’autre mal, ce mal qui nous porte à faire ce que font les porcs ? Or que font les porcs, sinon débrider le ventre, l’emplir sans relâche, et ne pas avoir un temps déterminé pour satisfaire le besoin du corps, comme font les êtres de raison ? Et qu’arrive-t-il ? C’est le vertige, la lourdeur, les épaules tombantes, qui nous obligent à délaisser la liturgie de Dieu et engendrent la paresse qui délaisse les prosternations. C’est la négligence des prières continuelles. C’est la froideur de la réflexion enténébrée. C’est l’intelligence épaisse, que les troubles et l’obscurcissement des pensées empêchent de discerner. C’est le lourd nuage de ténèbres étendu sur toute l’âme. C’est l’acédie, l’indifférence à toute l’œuvre de Dieu et à la lecture, car on a cessé de goûter la douceur des paroles divines. C’est l’inertie où plonge la satisfaction des besoins. C’est l’intelligence déréglée, qui divague par toute la terre. C’est l’humeur qui surabonde et se répand dans tous les membres. Ce sont les imaginations impures la nuit dans la souillure des fantasmes et l’extravagance des images pleines de la convoitise qui traverse l’âme et y fait ce qu’elle veut en toute impureté.
Un grand sage l’a dit aussi : « Si quelqu’un met ses délices dans l’abondante nourriture du corps, il expose au combat son âme. Mais si jamais il revient à lui-même et cherche de toute sa force à se retenir, il ne peut pas, à cause du feu débordant qui enflamme les mouvements du corps, et à cause de la violence et de la nécessité des provocations et des excitations qui captivent l’âme sous leurs volontés. » Vois-tu ici la finesse de ces sages athées ? Le même dit encore : « Les délices du corps dans la mollesse et la moiteur portent l’âme aux passions de la jeunesse et l’entourent de mort. » L’homme qui s’abandonne ainsi tombe sous le jugement de Dieu.
Mais quand l’âme ne cesse de se vouer au souvenir de ce qu’elle doit faire, elle se repose dans sa liberté. Ses soucis sont minces. Elle ne regrette rien. Pourvoyant à la vertu, ne gardant que celle-ci et réfrénant les passions, elle est tendue vers la croissance, la joie sans inquiétude, la vie bonne et le port dégagé de tout péril. Car non seulement les jouissances du corps confortent les passions et leur donnent de s’attaquer à l’âme, mais elles la déracinent. Elles enflamment le ventre dans l’intempérance et le désordre de l’extrême débauche. Elles le forcent à satisfaire à contretemps les besoins du corps. L’homme qui est ainsi battu en brèche par les jouissances est incapable de supporter la moindre faim et de se dominer. Car il est prisonnier des passions.
Tels sont les fruits de honte que porte la gourmandise. Mais avant eux viennent les fruits de la patience, les fruits de la vie menée dans un seul lieu et dans l’hésychia. C’est pourquoi l’ennemi, qui connaît les temps des besoins naturels que notre nature est appelée à satisfaire, et qui sait combien notre intelligence est égarée par la distraction des yeux et le confort du ventre, s’efforce de nous exciter pour que nous ajoutions au besoin naturel, et de semer ainsi en nous à ce moment là des ombres de pensées mauvaises, afin que les passions autant que possible l’emportent sur la nature en s’unissant davantage à nous, et engloutissent l’homme dans la chute. Dès lors que l’ennemi connaît les temps, il nous fallait donc nous aussi connaître notre faiblesse et savoir que notre nature est incapable de résister aux impulsions et aux mouvements qui nous emportent dans ces moments-là, non plus qu’à la subtilité des pensées qui ont la légèreté de l’écume à nos yeux. II nous fallait discerner que nous sommes incapables de nous voir nous-mêmes et d’affronter ce qui nous arrive. Mais l’ennemi nous a trop éprouvés, il nous a trop souvent tourmentés, pour que nous n’ayons pas désormais la sagesse de ne pas nous laisser aller à vouloir notre confort et de ne pas succomber à la faim. Bien plutôt, même si la faim nous tenaille et nous presse, ne quittons pas le lieu de notre hésychia, ne nous portons pas là où de telles choses nous arrivent si facilement, ne cherchons pas des prétextes et des moyens de sortir du désert. Car c’est là ce que veut l’ennemi. Si tu demeures dans le désert tu ne seras pas tenté. Tu n’y vois ni femme ni rien qui nuise à ta vie, et tu n’y entends rien de malséant.
« Qu’as-tu à faire d’aller en Égypte pour y boire l’eau du Nil ? » (Jr 2,18). Comprends ce que je te dis. Montre à l’ennemi ta patience et ton expérience dans les petites choses, pour qu’il ne te demande rien dans les grandes. Que ces petites choses te soient une frontière où tu pourras par elles renverser l’adversaire. Ne cesse pas de veiller, et il ne te tendra pas de plus grands pièges. Celui que l’ennemi ne peut persuader de faire cinq pas hors de son ermitage, comment peut-il le forcer à sortir du désert, ou à s’approcher d’un bourg ? Celui qui n’accepte pas de se pencher par la fenêtre de son ermitage, comment peut-il le persuader d’en sortir ? Celui qui ne prend qu’un peu de nourriture chaque soir, comment se laissera-t-il séduire par ses pensées au point de manger avant le temps ? Celui qui a honte de se rassasier des aliments les plus communs, comment désirera-t-il les riches nourritures ? Et celui qui ne prête nulle attention à son propre corps, comment se laissera-t-il séduire jusqu’à rechercher la beauté des autres ?
II est donc bien clair que celui qui au départ méprise les petites choses se laisse vaincre et donne ainsi à l’ennemi l’occasion de le combattre dans les grandes choses. Mais celui qui ne s’attache pas à la vie temporelle et ne cherche en rien à s’y établir, comment pourrait-il avoir peur des tourments et des afflictions qui le mènent à la mort qu’il aime ? Un tel combat est tout entier dans le discernement. Ainsi les sages ne font rien pour livrer de grandes batailles. C’est la patience dont ils font preuve dans les petites choses qui les garde de tomber dans les grandes peines.
Le diable s’efforce donc tout d’abord d’effacer du cœur l’attention continuelle. Puis il persuade le moine de négliger les temps dévolus à la prière et les règles destinées au corps. Ainsi la pensée du moine commence à se glorifier elle-même. Il se met à prendre de la nourriture, très peu, presque rien, mais avant le temps. Et quand il est tombé, quand il a cessé de se retenir, il glisse dans l’intempérance et la débauche. Dès lors il est vaincu, surtout s’il pose ses yeux, si peu soit-il, sur sa nudité ou sur la beauté de ses membres quand il enlève ses vêtements ou quand il sort dehors pour les besoins du corps, ou s’il passe la main sous ses habits et se touche lui-même. Alors lui arrivent d’autres choses, et d’autres encore. Et celui qui au début gardait son intelligence et s’affligeait pour la moindre chose, ouvre grandes contre lui-même les portes de la perdition. Car les pensées sont pour ainsi dire comme l’eau. Quand elles se rassemblent de partout, elles suivent leur chemin. Mais si elles sortent un tant soit peu de leur lit, elles rompent les berges et dévastent tout. Car l’ennemi est là, qui regarde, observe, attend nuit et jour en face de nous et guette par quelle porte ouverte de nos sens il va pouvoir entrer. À la moindre négligence dans l’une des choses que nous venons de dire, ce chien trompeur et impudent nous lance ses flèches. Tantôt c’est notre nature elle-même qui aime le confort, la familiarité, le rire, la distraction, la nonchalance, et devient source de passions et océan de troubles. Tantôt c’est l’adversaire qui introduit ces choses dans l’âme. Laissons donc les grandes peines et attachons nous aux petites que nous tenons pour rien. Car si comme nous l’avons vu, ces petites peines que nous dédaignons débouchent sur de tels combats, sur les souffrances insupportables, les luttes confuses et les plaies les plus graves, qui n’irait au plus vite trouver la douceur du repos en assumant d’emblée les petites peines ?
Ô sagesse, que tu es merveilleuse, et comme tu prévois de loin toute chose. Bienheureux celui qui t’a découverte. Il est délivré de la négligence de la jeunesse. Celui qui fait venir en lui petit à petit la guérison des grandes passions fait bien. Un jour un philosophe qui s’était conduit avec présomption et qui l’avait senti, se corrigea sur-le-champ. Un autre, le voyant, rit de ce qu’il faisait. Il répondit : « Ce n’est pas la chose elle-même que je crains. Mais j’ai peur de la dédaigner. Car souvent le petit dédain engendre de grands dangers. En me corrigeant tout de suite d’avoir manqué à l’ordre, j’essaie de demeurer sobre et vigilant et de ne pas dédaigner même ce qui ne mérite pas qu’on le craigne. » Tel est l’amour de la sagesse : toujours être sobre et attentif aux moindres choses qui arrivent. Ainsi le sage porte en lui comme un trésor un grand repos. Mais il ne dort pas, pour que rien ne vienne le renverser. Il émonde les causes avant le temps. Il s’afflige pour la moindre chose. Mais cette petite affliction lui épargne la grande.
Les fous préfèrent le petit confort immédiat au Royaume lointain, ignorant qu’il est meilleur de souffrir en combattant que de se prélasser sur la couche du royaume terrestre et d’être condamné pour négligence. Les sages préfèrent la mort à l’accusation d’avoir accompli sans être vigilants ce qu’ils avaient à faire. Le sage dit : « Sois sobre, sois éveillé, veille sur ta vie. Car le sommeil de la réflexion est proche de la vraie mort, il en est l’image même. » Basile-qui-portait-Dieu dit : « Celui qui est paresseux dans les petites choses, ne crois pas qu’il va se distinguer dans les grandes. »
Ne sois pas abattu quand tu es devant les choses pour lesquelles tu dois vivre. Ne crains pas de mourir pour elles. Le signe de l’acédie est la bassesse d’âme. Et la mère des deux est le dédain. Un homme vil est un homme qui souffre de deux maladies : l’amour du corps et le peu de foi. Car l’amour du corps est un signe d’incroyance. Mais celui qui s’est guéri de ces deux maux a trouvé la certitude : il croit en Dieu de toute son âme et il attend le siècle à venir.
Si quelqu’un a pu approcher Dieu en dehors de tout danger. de tout combat, de toute tentation, imite-le. L’audace du cœur et le mépris des périls viennent de l’une de ces deux causes la dureté intérieure, ou la force de la foi en Dieu. Mais l’orgueil suit la dureté, et l’humilité suit la foi. Nul homme ne peut acquérir l’espérance en Dieu, s’il n’a pas d’abord mis fin partiellement à sa volonté. Car l’espérance en Dieu et le courage du cœur viennent du martyre de la conscience. C’est par le vrai témoignage de notre intelligence que nous avons confiance en Dieu. Et tel est le témoignage de l’intelligence : que nul ne soit condamné par sa conscience pour avoir négligé ce qu’il devait faire à la mesure de sa force. Si notre cœur ne nous condamne pas, nous sommes libres et confiants devant Dieu. La liberté confiante vient donc de la juste action des vertus et de la bonne conscience. Certes il est dur d’asservir le corps. Mais celui qui a tant soit peu senti l’espérance en Dieu n’a pas besoin d’être persuadé davantage qu’il lui faut asservir ce maître cruel qu’est le corps.
Sur le silence et l’hésychia.
Le silence continuel et la garde de hésychia peuvent avoir trois causes : ou bien la gloire des hommes, ou bien la chaleur du zèle des vertus, ou bien la recherche en soi de l’union avec Dieu, l’intelligence étant attirée vers cette union. Si l’on n’est pas relié à l’une des deux dernières causes, on est donc nécessairement malade : on est tributaire de la première cause. La vertu n’est pas l’ostentation du nombre et de la diversité des actions que mène le corps. Elle est le cœur très sage en son espérance. Le juste but unit en effet le cœur aux œuvres divines. L’intelligence peut faire le bien sans nulle action du corps. Mais le corps, en dehors de la sagesse du cœur, quoi qu’il fasse, n’a rien à gagner. Cependant l’homme de Dieu, quand il a une occasion de faire le bien, ne supporte pas de ne pas exprimer son amour pour Dieu dans la peine de son œuvre. Le premier ordre – celui de l’intelligence – mène toujours au but. Le second – celui du corps – y mène souvent, mais parfois non. Ne pense pas que ce soit une petite chose de toujours s’éloigner des causes des passions. À notre Dieu soit la gloire dans les siècles. Amen.
Extrait de saint Isaac le Syrien,
Œuvres spirituelles (26e Discours)
Desclée de Brouwer.