LES JUDÉO-CHRÉTIENS : DES TÉMOINS OUBLIÉS
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135 – LES JUDÉO-CHRÉTIENS : DES TÉMOINS OUBLIÉS
NOTE HISTORIQUE
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Ils se voulaient Juifs et chrétiens… Une page oubliée de l’histoire de l’Église pour relire le Nouveau Testament.
Ils se voulaient Juifs et chrétiens, mais » ils ne sont ni Juifs ni Chrétiens ! « . C’est du moins l’opinion, pour une fois partagée, d’Augustin et de Jérôme.
Nous sommes au Ve siècle et les gens ainsi jugés allaient disparaître après avoir été poussés aux marges de l’Histoire. Qui étaient-ils ? Ici, on les appelle » ébionites « , là » nazôréens « . De ces sobriquets donnés par leurs adversaires, ils ont tiré fierté. » Ébion « , en hébreu, signifie » pauvre « . Origène – parmi d’autres – se moque de leur pauvreté intellectuelle ? Eux se placent dans la lignée des » pauvres d’Israël » ! Par ailleurs, qui ne serait honoré de porter le titre de » nazôréen « , exactement comme Jésus lui-même ?
Dans le Dossier, Jean-Pierre Lémonon présente les résultats d’une enquête historique dont l’intérêt ne se limite pas à exhumer une page du passé. Qu’est-ce que la » grande Église » à dominante grecque et latine a fait des communautés proche-orientales de culture sémitique ? Pourquoi ce malaise devant ceux et celles qui pensaient pouvoir confesser Jésus le Christ et pratiquer les commandements de Moise ? Doit-on les rapprocher des » faux frères » dénoncés par Paul dans sa lettre aux Galates ? Quel a été, à l’aube du christianisme, le poids de l’Église de Jérusalem souvent citée à ce propos et, chez elle, de Jacques le frère du Seigneur ? Il nous faut relire, avec ces questions, les lettres de Paul, mais aussi l’œuvre johannique et le récit des Actes des Apôtres.
L’enquête historique croise bien des questions actuelles, comme la judéité de Jésus, I’élaboration progressive de la christologie ou les rapports – continuité, accomplissement, rupture – du Premier et du Nouveau Testament. Dans la vie quotidienne, sur quels critères se définissent donc la valeur d’une pratique et la vérité d’un discours ?
La partie « Actualités » donne, avant les habituelles recensions d’ouvrages récents, la fin d’une étude de François-Xavier Amherdt sur Paul Ricœur. Le philosophe récemment disparu a affronté la question de la vérité du discours biblique. Il a remarqué en particulier, concernant l’interprétation de la résurrection de Jésus, que les textes évangéliques, de Marc à Jean, comportaient un » espace de variation » remarquable.
Les judéo-chrétiens, à leur manière, témoignent de la richesse et des tensions de cet espace initial où se sont élaborés les mots de la foi chrétienne.
Cahier Évangile n°135
64 pages, SBEV/Éd. du Cerf, mars 2006
DOSSIER : » Les judéo-chrétiens : des témoins oubliés ”
par Jean-Pierre Lémonon
p. 03 Au sein du christianisme primitif, certaines tendances ont fini par sortir de l’histoire. Parmi elles, se trouve le courant dénommé » judéo-chrétien « , expression à la fois pratique et imprécise. Pratique, elle désigne des disciples de Jésus qui voulurent continuer à observer les commandements mosaïques. Imprécise, elle regroupe des communautés très diverses. À partir de notations disséminées surtout chez les Pères de l’Église, du IIe au Ve s., émergent les ébionites et les nazoréens. Qui étaient-ils ? Quelle était leur foi ? Pourquoi ont-ils disparu ? Quels liens peut-on établir avec les premières communautés chrétiennes, en particulier l’Église de Jérusalem ?
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CARACTÉRISTIQUES DES JUDÉO-CHRÉTIENS
NOTE HISTORIQUE
Approfondir
Dans leur ensemble les judéo-chrétiens sont d’origine juive…
Dans leur ensemble les judéo-chrétiens sont d’origine juive, mais il n’est pas impensable que certains chrétiens provenant des nations se soient laissés entraîner dans un désir de double appartenance. Sans négliger la foi au Dieu Un et la certitude de l’élection d’Israël, le judaïsme se caractérise par une pratique dont les traits essentiels sont la circoncision, la célébration du sabbat et des fêtes, ainsi que le respect des règles alimentaires. Les judéo-chrétiens vont donc se distinguer par la volonté de mettre en uvre des observances spécifiques qui expriment le rattachement étroit de leur foi nouvelle à la tradition d’Israël. Certes, tous les disciples de Jésus ont eu le souci de rattacher leur foi à la tradition d’Israël, mais les judéo-chrétiens expriment ce lien par la mise en uvre des commandements de la Loi mosaïque.
Pratique des commandements
Préciser le contenu concret de ces commandements n’est pas des plus faciles. En effet, le judaïsme du Ier s. était divers, et tous les groupes juifs n’avaient pas la même compréhension des commandements. Or, dans la communauté des disciples rentrent des Juifs de diverses origines : lévites, prêtres, pharisiens (Ac 4, 36 ; 6, 7 ; 15, 5), baptistes (Jn 1, 35), habitants de Jérusalem de langue juive et d’autres de langue grecque (Ac 6, 1). Chaque groupe avait sa propre idée sur la mise en uvre des commandements issus de la Loi mosaïque. De plus, les bouleversements provoqués par la destruction du Temple en 70, puis par le décret d’Hadrien en 135 interdisant aux Juifs de résider à Jérusalem, ont considérablement modifié le champ des commandements. Il est donc très difficile de préciser les commandements suivis par les groupes dits » judéo-chrétiens » car, entre les uns et les autres, il pouvait y avoir des différences importantes. Il n’en demeure pas moins que tous, par la pratique des commandements mosaïques, pensaient se rattacher étroitement à la tradition d’Israël.
Selon Marcel Simon, un des pionniers dans le renouveau des études sur les judéo-chrétiens, on pourrait parler de » judéo-chrétiens » quand, tout en se proclamant disciples de Jésus, des personnes mettent en uvre des commandements mosaïques qui dépassent les obligations s’appliquant à tout croyant. Ces dernières sont mentionnées à la suite de l’assemblée de Jérusalem : abstention » des souillures de l’idolâtrie, de l’immoralité, de la viande étouffée et du sang » (Ac 15, 20). M. Simon formule ainsi son point de vue : » sera judéo-chrétien celui qui ira au-delà de ce minimum indispensable et se pliera à d’autres prescriptions de la Loi rituelle juive ». On peut discuter sur le point de départ proposé, il n’en demeure pas moins que l’intérêt du propos est de mettre en valeur l’observance des pratiques juives pour la définition des judéo-chrétiens. Mais la signification attachée à ces pratiques doit également être évaluée, car certains judéo-chrétiens en font une condition de salut tandis que d’autres les considèrent comme une simple affirmation de la continuité de l’histoire de l’Alliance.
Réserve vis-à-vis de Paul
Un parcours même rapide à travers l’ensemble des textes qui évoquent directement ou non ces hommes et ces femmes qui veulent être et juifs et chrétiens oblige à ajouter à la pratique des commandements un autre trait : toute une sensibilité manifeste de la réserve ou montre de l’hostilité vis-à-vis de l’apôtre Paul. Cependant ce dernier trait ne s’applique pas à tous les judéo-chrétiens.
Regards divers sur Jésus de Nazareth
L’attachement aux rites juifs ne suffit cependant pas à rendre compte de la diversité des groupes judéo-chrétiens, car ces communautés portent aussi un regard différent sur l’identité de Jésus. Certains le considèrent comme un maître ; d’autres reconnaissent en lui le Messie d’Israël sans confesser pourtant sa divinité, refusant notamment l’idée d’une naissance virginale ; d’autres enfin ont une confession christologique que ne renieraient pas les Pères de l’Église.
Aussi pour faire droit aux différentes sensibilités des groupes dits » judéo-chrétiens » et préserver, autant que faire se peut, la spécificité de chacun d’entre eux il est préférable de conserver les noms qu’ils reçoivent chez les Pères de l’Église, tout en sachant qu’il est fort vraisemblable qu’à l’origine ces noms leur furent donnés par leurs adversaires (voir Épiphane, »Panarion » 29,1,3 ; 6,2).
Dans la littérature patristique les judéo-chrétiens apparaissent essentiellement sous trois noms : ébionites, nazôréens et elkasaïtes. Nous suivrons ici l’histoire des deux premiers groupes, nous réservant de parler des elkasaïtes en un long Appendice. En certains cas, en particulier à propos de la littérature rabbinique, nous serons cependant obligés de parler de » judéo-chrétiens » en général.
Jean-Pierre Lémonon, SBEV / Éd. du Cerf, Cahier Évangile n° 135 (mars 2006) « Les judéo-chrétiens : des témoins oubliés », p. 7-9.
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