SAINT DOROTHÉE DE GAZA : DES SAINTS JEÛNES
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SAINT DOROTHÉE DE GAZA : DES SAINTS JEÛNES
Dans la Loi, Dieu avait prescrit aux fils d’Israël chaque année la dîme de tous leurs biens (cf. Nb 18). Ce faisant, ils étaient bénis en toutes leurs oeuvres. Les saints Apôtres, qui le savaient, décidèrent, pour procurer à nos âmes un secours bienfaisant, de nous transmettre ce précepte sous une forme plus excellente et plus élevée, à savoir offrande de la dîme des jours mêmes de notre vie, autrement dit leur consécration à Dieu, afin d’être, nous aussi, bénis dans nos oeuvres et d’expier chaque année les fautes de l’année entière. Ayant fait le calcul, ils sanctifièrent pour nous, parmi les trois cent soixante-cinq jours de l’année, les sept semaines de jeûne. Car ils n’assignèrent au jeûne que sept semaines. Ce sont les Pères qui, par la suite, convinrent d’ajouter une autre semaine, à la fois pour exercer à l’avance et comme pour disposer ceux qui vont se livrer labeur du jeûne, et pour honorer Ces jeûnes par le chiffre de la sainte Quarantaine que Notre Seigneur passa lui-même dans le jeûne. [...] C’est pour ainsi dire la dîme de toute l’année que les saints Apôtres ont consacrée à la pénitence, pour purifier les fautes de l’année entière.
Heureux donc, frères celui qui en ces jours saints se garde bien, et comme il convient ; car s’il lui est arrivé comme homme de pécher par faiblesse ou par négligence, Dieu a précisément donné ces saints jours pour qu’en s’occupant soigneusement de son âme avec vigilance et en faisant pénitence pendant cette période, il soit purifié des péchés de toute l’année. Alors son âme est soulagée de son fardeau, il s’approche avec pureté du saint jour de la Résurrection, et, devenu un homme nouveau par la pénitence de ces saints jeûnes, il participe aux saints Mystères sans encourir de condamnation, il demeure dans la joie et l’allégresse spirituelle, célébrant avec Dieu toute la cinquantaine de la sainte Pâque, qui est, a-t-on dit, » la résurrection de l’âme » (Évagre le Pontique), et c’est pour le marquer que nous ne fléchissons pas le genou à l’église durant tout le temps pascal.
Quiconque veut être purifié des péchés de toute l’année au moyen de ces jours doit d’abord se garder de l’indiscrétion dans la nourriture, car, selon les Pères, l’indiscrétion dans la nourriture engendre tout mal en l’homme. Il doit aussi prendre soin de ne pas rompre le jeûne sans une grande nécessité, ni de rechercher les mets agréables, ni de s’alourdir d’un excès d’aliments ou de boissons. Il y a en effet deux sortes de gourmandise. On peut être tenté sur la délicatesse de la nourriture ; ne veut pas nécessairement manger beaucoup mais désire les mets savoureux. Quand un tel gourmand mange un aliment qui lui plaît, il est tellement dominé par son plaisir, qu’il le garde longtemps dans la bouche, le mâchant tant et plus et ne l’avalant qu’à contre coeur à cause de la volupté qu’il éprouve. C’est ce qu’on appelle la laimargie ou » friandise « . Un autre est tenté sur la quantité ; il ne désire pas les mets agréables et ne se préoccupe pas de leur saveur. Qu’ils soient bons ou mauvais, il n’a d’autre désir que de manger. Quels que soient les aliments, son unique souci est de se remplir le ventre. C’est ce qu’on appelle la gastrimargie ou gloutonnerie. Je vais vous dire la raison de ces noms. Margainein signifie chez les auteurs païens » être hors de soi » et l’insensé est appelé margos. Quand arrive à quelqu’un cette maladie et cette folie de vouloir se remplir le ventre on l’appelle gastrimargia, c’est-à-dire » folie du ventre « . Quand il s’agit seulement du plaisir de la bouche, on l’appelle laimargia, c’est-à-dire » folie de la bouche « .
Celui qui veut être purifié de ses pêches doit, en toute circonspection, fuir ces dérèglements, car ils ne viennent pas d’un besoin du corps, mais de la passion et ils deviennent pêche si on les tolère en soi. Dans 1’usage légitime du mariage et dans la fornication, l’acte est le même, c’est l’intention qui fait la différence : dans le premier cas, on s’unit pour avoir des enfants, dans le second, pour satisfaire sa volupté. De même, dans l’usage de la nourriture, c’est une même action de manger par besoin et de manger par plaisir, mais le péché est dans l’intention. Il mange par besoin celui qui, s’étant fixé une ration journalière, la diminue, si par l’alourdissement qu’elle lui cause, il se rend compte qu’il faut en retrancher quelque chose. Si au contraire cette ration, loin de l’alourdir, ne soutient pas son corps et doit être légèrement augmentée, il y ajoute un petit supplément. De cette manière, il évalue justement ses besoins et se conforme ensuite à ce qui a été fixé, non pour le plaisir, mais dans le but de maintenir la force de son corps. Cette nourriture, il faut aussi la prendre avec action de grâces, en se jugeant dans son coeur indigne d’un tel secours ; et si certains, par suite sans doute d’un besoin ou de quelque nécessité, sont l’objet de soins particuliers, on ne doit pas y prêter attention, ni rechercher soi-même du bien-être, ou seulement penser que le bien-être est inoffensif pour l’âme.
Lorsque j’étais au monastère (de l’abbé Séridos), j’allai voir un jour l’un des vieillards – car il y avait là beaucoup de grands vieillards. Je trouvai le frère chargé de le servir mangeant avec lui, et je lui dis à part : » Tu sais, frère, ces vieillards que tu vois manger et qui ont apparemment un peu de soulagement, sont comme des hommes qui ont acquis une bourse et n’ont cessé de travailler et de mettre (de l’argent) dans cette bourse, jusqu’à ce qu’elle fût pleine. Après l’avoir scellée, ils ont continué à travailler et se sont amassés encore mille autres pièces, pour avoir de quoi dépenser en cas de nécessité, tout en gardant ce qui se trouve dans la bourse. Ainsi ces vieillards n’ont pas cessé de travailler et de s’amasser des trésors. Après les avoir scellés, ils ont continué à gagner quelques ressources, dont ils pourront se défaire au moment de la maladie ou de la vieillesse, tout en gardant leurs trésors. Mais nous, nous n’avons même pas encore gagné la bourse ; comment ferons-nous donc nos dépenses ? » C’est pourquoi nous devons, je l’ai dit, même si nous prenons par besoin, nous juger indignes de tout soulagement, indignes même de la vie monastique, et prendre non sans crainte ce nécessaire. Et de la sorte, ce ne sera pas pour nous un motif de condamnation.
Voilà pour la tempérance du ventre. Mais nous ne devons pas seulement surveiller notre régime alimentaire, il faut éviter pareillement tout autre péché et jeûner aussi bien de la langue que du ventre, en nous abstenant de la médisance, du mensonge, du bavardage, des injures, de la colère, en un mot de toute faute qui se commet par la langue. Il nous faut également pratiquer le jeûne des yeux, en ne regardant pas de choses vaines, en évitant la parrhesia de la vue, en ne dévisageant personne impudemment. Il faut interdire de même aux mains et aux pieds toute action mauvaise. Pratiquant ainsi un jeûne agréable (à Dieu), comme dit saint Basile, en nous abstenant de tout le mal qui se commet par chacun de nos sens, nous approcherons du saint jour de la Résurrection, renouvelés, purifiés et dignes de participer aux saints Mystères, comme nous l’avons dit déjà. Nous sortirons d’abord à la rencontre de Notre Seigneur et nous l’accueillerons avec des palmes et des rameaux d’olivier, tandis qu’assis sur un ânon, il fera son entrée dans cité sainte (cf. Mc 11,1-8 et Jn 12,13).
» Assis sur un ânon « , qu’est-ce à dire? Le Seigneur s’assied sur un ânon, afin que l’âme devenue, selon le prophète (cf. Ps. 48, 21), stupide et semblable aux animaux sans raison, soit par lui, le Verbe de Dieu, convertie et soumise à sa divinité. Et que signifie » aller à sa rencontre avec des palmes et des rameaux d’oliviers ? » Lorsque quelqu’un est allé guerroyer contre son ennemi et revient victorieux, tous les siens vont à sa rencontre avec des palmes (pour l’accueillir) en vainqueur. La palme est en effet symbole de victoire. D’autre part, quand quelqu’un subit une injustice et veut avoir recours à qui peut le venger, il porte des branches d’olivier, en criant pour implorer miséricorde et assistance, car les oliviers sont un symbole de miséricorde. Nous irons donc, nous aussi, à 1a rencontre du Christ Notre Seigneur avec des palmes, comme au-devant d’un vainqueur, puisqu’il a vaincu l’ennemi pour nous, et avec des rameaux d’olivier pour implorer sa miséricorde, afin que, comme il a vaincu pour nous, nous soyons, nous aussi, victorieux par lui en l’implorant et que nous nous trouvions arborant ses emblèmes de victoire, en l’honneur non seulement de la victoire qu’il a remportée pour nous, mais aussi de celle que nous aurons remportée par lui, grâce aux prières de tous les saints. Amen.
Extrait des Instructions
de saint Dorothée de Gaza (VIe siècle),
éditées dans les Oeuvres spirituelles,
Éditions du Cerf (SC 92), 1963
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