SAMEDI SAINT (C)
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SAMEDI SAINT (C)
10 AVRIL 2004
PÈRE MICHEL FÉDOU, JÉSUITE.
Des générations de croyants se sont transmis les paroles que nous avons entendues ce soir. Bien avant la venue du Christ, en Israël, les pères racontaient à leurs fils comment le Seigneur avait libéré son peuple de la servitude : souvenir d’un événement passé, mais aussi promesse du jour où d’autres servitudes seraient abolies, où la mort même serait vaincue, où la création commencerait d’être renouvelée. Et voici qu’un événement nouveau s’est produit, cet événement même dont quelques femmes eurent la révélation au sortir de la nuit, de bon matin, et que toutes les générations chrétiennes ont depuis lors transmis jusqu’à nous : « Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ? Il n’est pas ici, il est ressuscité. »
L’événement s’est produit dans notre histoire, mais il est sans commune mesure avec tout autre événement de cette histoire. Jésus a fait le passage que nul n’avait accompli avant lui : lui qu’on avait connu sur les routes de Galilée, lui qu’on avait vu expirer sur la croix, voici qu’il est arraché aux ténèbres de la mort – non pas simplement réincarné dans un corps de nouveau voué à la mort, mais vivant à jamais et le premier à l’être (« Premier-né d’entre les morts, dira saint Paul).
Nouvelle inouïe : les femmes ne s’y attendaient pas, elles qui étaient venues auprès d’un tombeau, elles qui avaient apporté des aromates pour vénérer le corps d’un défunt, elles qui constatèrent d’abord une absence – l’absence de ce corps –, elles qui ne savaient que penser et qui, devant les deux hommes mystérieusement apparus, furent saisies de crainte et baissaient le visage vers le sol. Les apôtres s’y attendaient encore moins : les propos des femmes leur semblaient délirants, ils ne les croyaient pas. L’un d’eux, Pierre, voulut aller vérifier : il courut au tombeau. Mais lui-même ne fit que constater l’absence du corps, et nous dit l’évangile, s’en retourna tout étonné.
La Résurrection est bien advenue dans notre histoire, mas son annonce ne s’impose pas comme celle d’un message qu’on voudrait faire passer par propagande. Jésus lui-même, selon le récit de Luc, ne se montre pas aux femmes qui sont venues au tombeau : tout commence en réalité par une parole que ces femmes sont invitées à croire : « Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ? Il n’est pas ici, il est ressuscité. » L’annonce de la résurrection nous parvient par la parole que les femmes ont rapportée : nous sommes nous-mêmes invités à faire confiance à leur témoignage et à accueillir dans la foi cette parole qui nous a été transmise : alors le Vivant se révèlera à nous.
Mais déjà il s’est révélé à nous. Il s’est révélé à nous chaque fois que nous avons accepté de nous laisser surprendre par Lui : nous pouvions nous résigner à sa mort sur la Croix, il nous révèle que la vie en lui a triomphé de la mort. Il se révèle à nous en faisant de nous un corps, la communauté de ceux et celles qui du Nord au Sud et d’Orient en Occident célèbrent aujourd’hui sa victoire sur la mort. Il se révèle à nous chaque fois que nous avons éprouvé sa présence. La preuve du pain, a-t-on pu dire, c’est qu’il nourrit ; la preuve de la Résurrection, pourrait-on dire aussi, c’est qu’elle nous donne de vivre, qu’elle fait de nous des vivants – des vivants qui certes connaîtront un jour la Pâque ultime de leur propre mort mais qui ont désormais l’espérance d’être accueillis au-delà de la mort parce qu’ils sont précédés par Lui, le Vivant, le Premier-né d’entre les morts.
Le Ressuscité se révèle encore à nous chaque fois que nous faisons mémoire des Ecritures qui parlent de Lui. Les femmes étaient venues auprès d’un tombeau, d’un lieu où l’on se souvient des morts, or il leur fut demandé de se souvenir plutôt de ce que Jésus avait dit quand il était en Galilée : « Rappelez-vous… Il faut que le Fils de l’homme… soit crucifié et que, le troisième jour, il ressuscite ». Le Ressuscité se révèle à nous quand nous faisons mémoire de ces paroles, et aussi des paroles plus anciennes qui mystérieusement l’annonçaient : cette nuit de l’Exode qui était déjà celle d’une libération mais qui laissait attendre le franchissement d’une autre mer, les eaux de la mort ; ce jour où Abraham avait consenti à perdre son fils, son unique, mais où la vie de ce fils avait été finalement épargnée – promesse d’une descendance qui survivrait à la mort même – ; et plus lointainement encore ces jours et ces nuits de la genèse, ces temps où pour la première fois la lumière avait été séparée des ténèbres, cet instant où Dieu avait créé l’homme à son image – espérance de cette nouvelle création où la mort même serait vaincue.
L’histoire de nos vies continue, elle continuera au-delà de cette célébration, avec ses joies ou peut-être ses difficultés et ses épreuves. L’histoire de notre monde aussi continue, avec tout ce qui en fait la beauté et la grandeur, comme avec ses drames et ses violences. Mais pour nous, et pour toute la communauté des chrétiens qui célèbrent le Ressuscité en divers pays du monde, rien ne saurait être comme si les ténèbres de la nuit n’avaient pas été à jamais déchirées par l’événement de Pâques. La nouvelle de la Résurrection nous a été transmise par des générations de chrétiens, pour qu’à notre tour nous l’entendions et la croyons et la partagions. Elle nous est dite dans le creux de l’oreille, mais c’est une nouvelle pour le monde entier.
Marie Madeleine, Jeanne, Marie mère de Jacques, vous êtes venues ce matin-là auprès du tombeau avec vos aromates. Vous auriez pu dire comme l’épouse du Cantique : « la nuit, j’ai cherché celui que mon cœur aime. Je l’ai cherché, mais ne l’ai point trouvé ! » Mais vous êtes laissé surprendre par la voix jaillissant de l’aurore : « Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ? Il n’est pas ici, il est ressuscité. » Et bientôt vous pourrez dire, et vous nous dites en cette nuit de Pâques : « j’ai trouvé celui que mon cœur aime. Je l’ai saisi et ne le lâcherai point… » Voici le nouvel Adam, la parfaite Image de Dieu, le Vivant qui est à jamais avec vous et qui vous entraîne dans sa Pâques pour vous donner d’avoir part à sa vie. Christ était mort, il est ressuscité ! Alleluia.
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