LES MÉDITATIONS DE FRÈRE ALOIS DE TAIZÉ – VENDREDI SAINT : LA CROIX N’EST PAS LE DERNIER MOT
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LES MÉDITATIONS DE FRÈRE ALOIS DE TAIZÉ
VENDREDI SAINT : LA CROIX N’EST PAS LE DERNIER MOT
LA CROIX DE TAIZÉ
A Noël nous avons célébré un Dieu proche, qui par amour se fait homme et partage notre existence. Aujourd’hui nous nous rappelons que Jésus va jusqu’au bout sur ce chemin : il est trahi, arrêté, condamné, torturé, il meurt comme le dernier des derniers.
Jésus se met du côté des faibles et des pauvres. A première vue c’est un scandale ou une pure folie. En donnant sa vie sur la croix, il choisit la dernière place, il accepte la honte de l’échec. Il prend sur lui le poids de la souffrance, de la haine et de la mort, pour nous en libérer. Par là, il inscrit le oui de Dieu au plus profond de la condition humaine. Même malmené par les hommes, Jésus ne retire pas ce oui à l’être humain. C’est sa mission, il l’accomplit et il en paie le prix.
Sur la croix, Jésus ouvre les bras pour rassembler toute l’humanité et toute la création dans l’amour de Dieu. Il est la manifestation de la bonté de Dieu pour chaque être humain. Pour réconcilier l’humanité avec Dieu, « Jésus s’anéantit lui-même, prenant condition d’esclave et devenant semblable aux hommes… obéissant jusqu’à la mort, et la mort sur une croix. » (Phil 2, 5-11)
Jésus inaugure ainsi la nouvelle Alliance, une nouvelle communion avec Dieu. Celle-ci est comme un échange : il prend sur lui ce qui sépare l’humanité de Dieu, il assume la destinée de chaque personne ; et en échange il nous communique sa vie. La descente de Dieu dans le Christ par l’incarnation et l’humiliation extrême de la croix seront à jamais source d’étonnement et de vie nouvelle. Déjà au deuxième siècle, Irénée de Lyon a été jusqu’à dire : « A cause de son amour infini, le Christ est devenu ce que nous sommes, afin de faire de nous pleinement ce qu’il est. »
A cette heure où Jésus porte sur ses épaules l’ensemble de l’humanité, il n’oublie pas pour autant la douleur de ses tout proches. Il voit près de lui Marie, sa mère, et il demande à Jean, le disciple qu’il aime tout particulièrement, de prendre désormais soin d’elle. (Jean 19.26-27) Ainsi, très humblement, sous la croix nait l’Eglise.
Il voit aussi autour de lui ceux qui le persécutent. Arrivé à ce moment décisif, il demande à Dieu de leur donner le pardon : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font. » (Luc 23. 34) Le pardon de Dieu est sans limite, il restera à jamais une source jaillissante.
Sur la croix, le Christ partage tout avec nous, même le silence de Dieu : à sa souffrance ne répond qu’un grand silence, il éprouve ce que signifie se sentir loin de Dieu, délaissé. Pourtant, au cœur de cet abandon, il emprunte les paroles du psalmiste et s’écrie : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Matthew 27.46) Ainsi, même cet abandon s’insère dans le dialogue d’amour entre lui et son Père.
Et alors son cri de détresse se transforme. Il y a une seule réalité que personne n’est en mesure de lui enlever : c’est la confiance qu’il est aimé de Dieu, et qu’en donnant sa vie il transmet cet amour. Alors ses lèvres peuvent murmurer : « Père, entre tes mains, je remets mon esprit. » (Luc 23.46) Et son dernier souffle, dans la plus grande douleur, est en même temps l’effusion de l’amour de Dieu.
L’apôtre Pierre aimait Jésus, mais il a eu du mal à l’accepter comme un messie pauvre. Etre disciple d’un messie humilié lui est devenu tellement insupportable que, après l’arrestation de Jésus, il a fini par le renier. Alors Jésus, aux mains des soldats, le regarda avec amour et lui montra qu’il ne lui retirait pas sa confiance. (Luc 22.61) Au contraire, il lui confiera par la suite la petite Eglise naissante. Et Pierre pourra témoigner, avec les autres disciples, que, non, la croix n’est pas le dernier mot.
L’événement de la croix dépasse notre compréhension, mais en le célébrant nous saisissons de plus en plus l’espérance inouïe qu’il nous ouvre. Cette espérance n’est pas un optimisme vague. Mettre notre confiance dans le Christ mort et ressuscité ouvre nos cœurs pour faire face aux situations difficiles avec lucidité. Dans une communion personnelle avec lui, le Christ nous communique un élan nouveau.
Je pense à un jeune que je rencontre quelquefois à Taizé. Il a une maladie incurable qui progresse. Il en souffre terriblement. Déjà beaucoup de possibilités d’une vie épanouie ont disparu. Et pourtant son regard et tout son comportement restent étonnamment ouverts. Il m’a dit un jour : « Maintenant je sais ce que la confiance signifie. Autrefois je n’en avais pas besoin, mais maintenant, oui. » Ce jeune transmet comme un reflet, très humble mais réel, du mystère de la croix. S’il pouvait savoir combien par son attitude il communique une espérance à beaucoup d’autres.
A Taizé, non seulement le jour du Vendredi Saint, mais aussi chaque vendredi soir de toute l’année, à la fin de la prière, nous plaçons au sol l’icône de la croix qui est reproduite ici. Tous ceux qui le veulent peuvent s’en approcher, poser leur front sur le bois de la croix et, par ce geste, remettre au Christ leurs fardeaux et les fardeaux de ceux qui leur sont confiés.
Cette prière du vendredi soir permet d’unir au chemin de croix du Christ tous ceux qui portent une lourde croix dans leur existence : ceux qui souffrent dans leur âme ou dans leur corps, les malades, ceux qui ont dû quitter leur pays, les victimes des injustices de toutes sortes.
Dieu comprend toutes les langues de nos intercessions, le français, l’allemand, l’anglais, le coréen, le swahili… Mais il comprend aussi la langue de notre corps. Si nous n’arrivons pas à formuler une prière avec des paroles, nous pouvons exprimer une confiance en nous approchant de la croix. Osons ce geste de tout confier au Christ, nous-mêmes et les autres !
Il est précieux de pouvoir nous rassembler ainsi autour de la croix pour que le mystère pascal devienne de plus en plus le mystère fondamental de notre vie. Et le Christ porte ce qui est trop lourd pour nous. Il nous le dit dans l’Évangile : « Venez à moi, vous qui peinez sous le fardeau et je vous soulagerai. » (Matthieu 11. 28)
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