Archive pour le 27 mars, 2013
LES MÉDITATIONS DE FRÈRE ALOIS DE TAIZÉ – VENDREDI SAINT : LA CROIX N’EST PAS LE DERNIER MOT
27 mars, 2013http://www.paroissefrancaisedemilan.com/page-1224.html
LES MÉDITATIONS DE FRÈRE ALOIS DE TAIZÉ
VENDREDI SAINT : LA CROIX N’EST PAS LE DERNIER MOT
LA CROIX DE TAIZÉ
A Noël nous avons célébré un Dieu proche, qui par amour se fait homme et partage notre existence. Aujourd’hui nous nous rappelons que Jésus va jusqu’au bout sur ce chemin : il est trahi, arrêté, condamné, torturé, il meurt comme le dernier des derniers.
Jésus se met du côté des faibles et des pauvres. A première vue c’est un scandale ou une pure folie. En donnant sa vie sur la croix, il choisit la dernière place, il accepte la honte de l’échec. Il prend sur lui le poids de la souffrance, de la haine et de la mort, pour nous en libérer. Par là, il inscrit le oui de Dieu au plus profond de la condition humaine. Même malmené par les hommes, Jésus ne retire pas ce oui à l’être humain. C’est sa mission, il l’accomplit et il en paie le prix.
Sur la croix, Jésus ouvre les bras pour rassembler toute l’humanité et toute la création dans l’amour de Dieu. Il est la manifestation de la bonté de Dieu pour chaque être humain. Pour réconcilier l’humanité avec Dieu, « Jésus s’anéantit lui-même, prenant condition d’esclave et devenant semblable aux hommes… obéissant jusqu’à la mort, et la mort sur une croix. » (Phil 2, 5-11)
Jésus inaugure ainsi la nouvelle Alliance, une nouvelle communion avec Dieu. Celle-ci est comme un échange : il prend sur lui ce qui sépare l’humanité de Dieu, il assume la destinée de chaque personne ; et en échange il nous communique sa vie. La descente de Dieu dans le Christ par l’incarnation et l’humiliation extrême de la croix seront à jamais source d’étonnement et de vie nouvelle. Déjà au deuxième siècle, Irénée de Lyon a été jusqu’à dire : « A cause de son amour infini, le Christ est devenu ce que nous sommes, afin de faire de nous pleinement ce qu’il est. »
A cette heure où Jésus porte sur ses épaules l’ensemble de l’humanité, il n’oublie pas pour autant la douleur de ses tout proches. Il voit près de lui Marie, sa mère, et il demande à Jean, le disciple qu’il aime tout particulièrement, de prendre désormais soin d’elle. (Jean 19.26-27) Ainsi, très humblement, sous la croix nait l’Eglise.
Il voit aussi autour de lui ceux qui le persécutent. Arrivé à ce moment décisif, il demande à Dieu de leur donner le pardon : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font. » (Luc 23. 34) Le pardon de Dieu est sans limite, il restera à jamais une source jaillissante.
Sur la croix, le Christ partage tout avec nous, même le silence de Dieu : à sa souffrance ne répond qu’un grand silence, il éprouve ce que signifie se sentir loin de Dieu, délaissé. Pourtant, au cœur de cet abandon, il emprunte les paroles du psalmiste et s’écrie : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Matthew 27.46) Ainsi, même cet abandon s’insère dans le dialogue d’amour entre lui et son Père.
Et alors son cri de détresse se transforme. Il y a une seule réalité que personne n’est en mesure de lui enlever : c’est la confiance qu’il est aimé de Dieu, et qu’en donnant sa vie il transmet cet amour. Alors ses lèvres peuvent murmurer : « Père, entre tes mains, je remets mon esprit. » (Luc 23.46) Et son dernier souffle, dans la plus grande douleur, est en même temps l’effusion de l’amour de Dieu.
L’apôtre Pierre aimait Jésus, mais il a eu du mal à l’accepter comme un messie pauvre. Etre disciple d’un messie humilié lui est devenu tellement insupportable que, après l’arrestation de Jésus, il a fini par le renier. Alors Jésus, aux mains des soldats, le regarda avec amour et lui montra qu’il ne lui retirait pas sa confiance. (Luc 22.61) Au contraire, il lui confiera par la suite la petite Eglise naissante. Et Pierre pourra témoigner, avec les autres disciples, que, non, la croix n’est pas le dernier mot.
L’événement de la croix dépasse notre compréhension, mais en le célébrant nous saisissons de plus en plus l’espérance inouïe qu’il nous ouvre. Cette espérance n’est pas un optimisme vague. Mettre notre confiance dans le Christ mort et ressuscité ouvre nos cœurs pour faire face aux situations difficiles avec lucidité. Dans une communion personnelle avec lui, le Christ nous communique un élan nouveau.
Je pense à un jeune que je rencontre quelquefois à Taizé. Il a une maladie incurable qui progresse. Il en souffre terriblement. Déjà beaucoup de possibilités d’une vie épanouie ont disparu. Et pourtant son regard et tout son comportement restent étonnamment ouverts. Il m’a dit un jour : « Maintenant je sais ce que la confiance signifie. Autrefois je n’en avais pas besoin, mais maintenant, oui. » Ce jeune transmet comme un reflet, très humble mais réel, du mystère de la croix. S’il pouvait savoir combien par son attitude il communique une espérance à beaucoup d’autres.
A Taizé, non seulement le jour du Vendredi Saint, mais aussi chaque vendredi soir de toute l’année, à la fin de la prière, nous plaçons au sol l’icône de la croix qui est reproduite ici. Tous ceux qui le veulent peuvent s’en approcher, poser leur front sur le bois de la croix et, par ce geste, remettre au Christ leurs fardeaux et les fardeaux de ceux qui leur sont confiés.
Cette prière du vendredi soir permet d’unir au chemin de croix du Christ tous ceux qui portent une lourde croix dans leur existence : ceux qui souffrent dans leur âme ou dans leur corps, les malades, ceux qui ont dû quitter leur pays, les victimes des injustices de toutes sortes.
Dieu comprend toutes les langues de nos intercessions, le français, l’allemand, l’anglais, le coréen, le swahili… Mais il comprend aussi la langue de notre corps. Si nous n’arrivons pas à formuler une prière avec des paroles, nous pouvons exprimer une confiance en nous approchant de la croix. Osons ce geste de tout confier au Christ, nous-mêmes et les autres !
Il est précieux de pouvoir nous rassembler ainsi autour de la croix pour que le mystère pascal devienne de plus en plus le mystère fondamental de notre vie. Et le Christ porte ce qui est trop lourd pour nous. Il nous le dit dans l’Évangile : « Venez à moi, vous qui peinez sous le fardeau et je vous soulagerai. » (Matthieu 11. 28)
LES MÉDITATIONS DE FRÈRE ALOIS DE TAIZÉ – JEUDI SAINT : « JE VOUS AI AIMÉS
27 mars, 2013http://www.paroissefrancaisedemilan.com/page-1224.html
LES MÉDITATIONS DE FRÈRE ALOIS DE TAIZÉ
JEUDI SAINT : « JE VOUS AI AIMÉS »
JÉSUS LAVE LES PIEDS DE SES DISCIPLES, PEINTURE DE FRÈRE SYLVAIN, DE TAIZÉ
« Je vous ai aimés » : cette parole revient à plusieurs reprises dans le récit que l’Évangile de Saint Jean fait de la dernière soirée de Jésus parmi ses disciples (Jean 13, 34 et 15, 9 et 12). Elle est comme une clé qui donne le sens de toute la narration.
Pour évoquer cette dernière soirée, Jean raconte comment Jésus a commencé par laver les pieds de ses disciples. Les trois autres Evangiles rappellent que ce soir-là Jésus a institué l’Eucharistie. Il est heureux que nous soyons invités à commémorer le même jour l’institution de l’Eucharistie et le lavement des pieds. Un lien étroit unit ces deux gestes : dans une simplicité extrême tout le mystère de la personne de Jésus est exprimé. Autrement que par des paroles, peut-être mieux que par des paroles, Jésus montre ce qui est au centre de l’Evangile : « Je vous ai aimés jusqu’au bout. »
Tant pour l’Eucharistie que pour le lavement des pieds, le contraste est saisissant entre le geste et le contenu qu’il signifie. C’est la pauvreté et la simplicité de ces deux signes qui les rendent accessibles à tous.
L’Eucharistie résume toute notre foi, et nous ne pouvons la recevoir que dans une attitude d’adoration, dans un esprit d’enfance. C’est en célébrant ce mystère que nous le comprenons toujours davantage.
« Ceci est mon corps » : ces paroles nous dépassent. Personne n’avait encore parlé ainsi, personne ne parlera jamais plus de cette manière. Ce sont des paroles uniques dans toute l’histoire des religions, elles ne trouvent leur justification qu’en elles-mêmes. Gardons-nous de chercher une explication qui enfermerait le mystère dans notre seul entendement. Cela a été une tentation constante dans l’Église.
En célébrant l’Eucharistie nous faisons confiance aux paroles du Christ transmises par les premiers chrétiens : « Ceci est mon corps, donné pour vous. » L’Église communique de génération en génération ce mystère qui est actualisé par le Saint Esprit.
Par l’Eucharistie nous accueillons dans notre vie le Christ qui est allé jusqu’à l’extrême de l’amour en se donnant lui-même. Et le don de sa vie porte du fruit en ses disciples. « Je suis le cep, vous être les sarments… C’est la gloire de mon Père que vous portiez beaucoup de fruit. » (Jean 15, 5.8).
Le lavement des pieds, dont il y a ci-contre une image toute simple, nous donne de contempler l’humilité de Jésus. Celle-ci nous étonnera toujours. Cette profonde humilité contient une force d’amour qui renouvelle toute la création.
La Toute-puissance de Dieu est celle de l’amour. Jésus a « vaincu le monde » (Jean 16.33), non pas en étant plus fort que lui, mais en introduisant dans l’humanité une force différente, absolument nouvelle. Le soir du Jeudi Saint, nous la chantons longuement : « Ubi caritas et amor, Deus ibi est. » (Là où est la charité et l’amour, Dieu est présent)
La puissance de Dieu est une énergie d’amour qui agit de l’intérieur et en douceur. Elle peut transformer les réalités les plus dures, même la mort.
Sommes-nous assez conscients qu’en célébrant l’Eucharistie nous ouvrons les portes au Christ afin que sa force d’amour puisse irriguer notre vie et le monde d’aujourd’hui ?
Sommes-nous assez conscients qu’à travers un service aussi simple que le lavement des pieds, nous permettons que sa présence de Ressuscité agisse dans le monde ? Notre engagement est souvent de l’ordre du signe, comme d’ailleurs toute la vie de Jésus l’a été. Nous ne faisons peut-être rien de plus que de laver les pieds de ceux qui nous sont confiés. Mais nos actes de solidarité sont des signes qui peuvent frayer un passage au Christ et transfigurer l’humanité.
Sommes-nous assez conscients que l’Eucharistie et le lavement des pieds sont des anticipations du Royaume ? Elles ouvrent au cœur du monde un horizon d’espérance.
A Taizé, il nous a été donné de faire une expérience très forte du lien entre l’Eucharistie et le lavement des pieds par la vie de quelques-uns d’entre nous pendant huit ans dans l’un des bidonvilles les plus pauvres d’Afrique. C’était à Mathare Valley, à Nairobi, au Kenya. Frère Roger y avait séjourné lui-même un certain temps, puis un petit groupe de frères avait continué. Sans grands moyens pour modifier d’innombrables situations de détresse, quel sens pouvait avoir une telle présence ?
Comment tenir ? A l’exemple des Petites Sœurs de Jésus, frère Roger demanda à l’archevêque si, dans la pauvre baraque où ils habitaient, les frères pouvaient garder la présence eucharistique. L’archevêque donna son accord et vint lui-même célébrer l’eucharistie dans le bidonville. Plus tard un des frères écrivit : « Sans une prière quotidienne devant le don eucharistique, je n’aurais pas pu tenir. » C’était comme une source de vie qui permettait aux frères de continuer, par leur simple présence, à « laver les pieds » des gens du quartier. Et peu à peu sont nées de petites initiatives de solidarité.
Bien sûr, réaliser une présence aussi gratuite que celle de mes frères ne dispense pas les chrétiens de prendre des engagements en vue de changer les structures d’injustice. Mais sans vivre tout proches des plus petits, nous ne pouvons pas reconnaître leur dignité ni permettre qu’elle soit respectée. L’appel de l’Évangile à laver les pieds des pauvres nous pousse à dépasser un esprit d’assistance ou de paternalisme, et à découvrir tout ce qu’ils ont à nous donner et que nous pouvons recevoir d’eux.