LA VIGILE PASCALE COMME LIEU-SOURCE DES SACREMENTS : APPROCHE HISTORIQUE ET THÉOLOGIQUE

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ESPRIT & VIE

FRANCESCO PLATANIA

LA VIGILE PASCALE COMME LIEU-SOURCE DES SACREMENTS : APPROCHE HISTORIQUE ET THÉOLOGIQUE

Existe-t-il un lieu et un temps spécifique pour la célébration de l’initiation chrétienne ? La recherche historique et la réflexion théologique nous proposent simultanément la Vigile pascale comme le sein matriciel de toute liturgie et la célébration par excellence qui résume l’œuvre du salut. Une synthèse rapide de cette approche historique nous permettra d’évoquer l’enjeu dégagé par la réforme de ce rituel.

AUX ORIGINES
La Vigile pascale célèbre la mort et la résurrection du Seigneur, le passage du Ressuscité de la mort à la vie. Cette vérité, de l’ordre de la foi, est proclamée solennellement jusqu’à nos jours dans l’une des préfaces du Missel romain : « [Christ] est l’Agneau véritable qui a enlevé le péché du monde : en mourant, il a détruit notre mort ; en ressuscitant, il nous a rendu la vie [1]. »
Depuis le ive siècle, l’œuvre du salut dans sa totalité fut répartie le long des liturgies de la Semaine sainte et du carême, avec des expressions rituelles diverses. Les contenus de la Vigile pascale ont toujours gardé avec force l’idée du salut accompli par la mort et la résurrection du Christ. Le mot utilisé pour indiquer l’action du Christ et la célébration liturgique de cette action est Pâque [2]. Ce mot est présent dans l’Epistula Apostolorum (130-140 ap. J.-C.), qui constitue le plus ancien témoignage d’une fête chrétienne annuelle de Pâque [3].
Dès lors, Pâque reste le nom propre de la Vigile, le cœur de toute la célébration. Le jeûne, le rassemblement de la communauté, les prières, les lectures de l’Ancien et du Nouveau Testament et l’eucharistie suivie d’une agape fraternelle dans la joie du Ressuscité constituent les éléments fondamentaux typiques de la célébration de la Vigile qui se termine au chant du coq [4]. Dès l’époque de Tertullien, la nuit de Pâque devient déjà la grande nuit de l’initiation chrétienne ; cette pratique se généralise aux environs du ive siècle. Les anciens Ordines monastiques prennent en compte la situation réelle de l’absence de catéchumènes et renoncent à tout ce qui, dans la liturgie, concernait les sacrements de l’initiation. À partir du xiiie siècle, face à la disparition généralisée de candidats au baptême pendant la Vigile, les livres liturgiques romains, puis le Missel de saint Pie V, gardent les rites baptismaux et font de la bénédiction de l’eau le sommet de cette liturgie.
La célébration pascale, mémoire du salut offert par Dieu à l’homme, est la fête par excellence, la fête des fêtes et l’expression cultuelle du christianisme en ce qu’il garde d’essentiel. Autrement dit, la Pâque n’est que la fête du Christ car « Christ est notre Pâque  ». Les changements survenus au cours des siècles conduisirent à célébrer les événements de la rédemption d’une façon plus historique, tout en gardant la conception primitive.
En Orient comme en Occident, la sainte nuit de Pâque garde son caractère central : elle est le but de toute l’année et de toutes les fêtes de la liturgie de l’Église universelle. En effet, la célébration hebdomadaire de l’eucharistie lui permet de ne pas être seulement anniversaire, souvenir du passé, mais mémorial  : accueil et réalisation du salut de Dieu hic et nunc pro nobis ; jour du Seigneur, Pâque hebdomadaire, à la fois premier et huitième jour de la semaine.
Au cours du iiie siècle à Jérusalem, les pèlerins souhaitaient vivre les événements du salut dans les lieux et à l’heure où ils s’étaient passés [5]. Témoin privilégié de ces usages, le Journal de voyage d’Égérie [6]. Ces liturgies de Jérusalem gardent un rôle décisif dans l’organisation des célébrations du Triduum pascal : les chapitres 35 et 36 du Journal de voyage d’Égérie décrivent tout ce qui se passe dans les trois jours mémoriaux de la passion, de la mort et de la résurrection du Seigneur. De telles liturgies restent fondées sur l’unité du mystère pascal, chaque jour rappelant le précédent et s’ouvrant sur le suivant, la Pâque célébrée en trois jours. À la mémoire de la résurrection du Christ, furent unis la mémoire de sa Passion et de sa mort, le Triduum du Christ « crucifié, enseveli et ressuscité » [7]. Aujourd’hui, le Triduum commence par la Missa in Cena Domini, le soir du Jeudi saint, il continue par l’action liturgique de la passion du Seigneur, le soir du Vendredi saint pour trouver son sommet dans la Vigile pascale, au soir du Samedi saint, et s’achever par les vêpres du dimanche de Pâque.
La réforme de la Vigile pascale et de la Semaine sainte (1951 et 1955)
La décision du pape Pie XII fut un acte courageux dans la mesure où il recentrait la chrétienté sur le mystère pascal, pivot de la vie de l’Église et de la vie liturgique. En effet, la restauration de la Vigile pascale, par le décret Dominicæ resurrectionis vigiliam du 9 février 1951, et de la liturgie de la Semaine sainte, par le décret Maxima redemptionis nostra mysteria du 16 novembre 1955, provoquèrent une explosion de joie dans toute l’Église et furent le signal qu’enfin, la liturgie quittait l’aspect d’obligation rubriciste, tant les rites de la Semaine sainte étaient restés figés depuis 1570. Le Triduum sacrum, dans la conscience ecclésiale, représente le centre le plus précieux de toute l’année liturgique par son ancienneté et sa richesse. Nous pouvons donc affirmer que ces décrets de 1951 et de 1955 représentent un pas important dans l’histoire liturgique depuis saint Pie V et avant le concile Vatican II.
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[1] Missel romain : 1978, 482 ; première préface de Pâques.
[2] Après des recherches dans des dictionnaires linguistiques, nous choisissons d’utiliser ici le nom féminin singulier Pâque, issu du latin chrétien pascha, substantif neutre, traité comme un féminin, qui désigne dans son origine la Pâque juive, et par métonymie indique l’agneau pascal et aussi la fête chrétienne. Le mot est emprunté au nom grec neutre de même sens paskha et celui-ci, par l’intermédiaire de l’araméen pashã, à l’hébreu biblique pèsah, que l’on croit dérivé du verbe pãsah : « passer outre, épargner ».
[3] Voir O. Casel, La fête de Pâques dans l’Église des Pères, Paris, Éd. du Cerf, coll. « Lex Orandi », n° 37, 1963, p. 19 s.
[4] Un témoignage de cette habitude est déjà présent dans la Epistula Apostolorum 15, la Didascalia 21 et les Constitutiones Apostolorum 5, 18, 1. En 260, Denis d’Alexandrie témoigne de cet usage dans la Epistula ad Basilidem  : voir P.G. 10, 1272.
[5] P. Jounel, « Le dimanche et la semaine », dans A.-G. Martimort, L’Église en prière, IV, « La liturgie et le temps », Paris, Éd. Desclée De Brouwer, 1983, p. 21-41.
[6] P. Maraval, Égérie. Journal de voyage, Paris, Éd. du Cerf, coll. « Sources chrétiennes », n° 296, 1982.
[7] Ces expressions sont déjà présentes vers la fin du ive siècle, utilisées par Ambroise de Milan et Augustin d’Hippone. Voir A. Nocent, « La Semaine sainte dans la liturgie romaine », dans A. G. Kollamparampil (dir.), Hebdomadæ sanctæ celebratio. Conspectus historicus comparativus, Bibliotheca Ephemerides Liturgicæ, Subsidia, 93, C.L.V., Rome, Éd. Liturgiche, 1997, p. 278-310.

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