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DIMANCHE 24 MARS : COMMENTAIRES DE MARIE NOËLLE THABUT – PREMIERE LECTURE – Isaïe 50, 4-7
22 mars, 2013http://www.eglise.catholique.fr/foi-et-vie-chretienne/commentaires-de-marie-noelle-thabut.html
DIMANCHE 24 MARS : COMMENTAIRES DE MARIE NOËLLE THABUT
PREMIERE LECTURE – Isaïe 50, 4-7
4 Dieu mon SEIGNEUR m’a donné le langage d’un homme
qui se laisse instruire,
pour que je sache à mon tour
réconforter celui qui n’en peut plus.
La Parole me réveille chaque matin,
chaque matin elle me réveille
pour que j’écoute comme celui qui se laisse instruire.
5 Le SEIGNEUR Dieu m’a ouvert l’oreille
et moi, je ne me suis pas révolté,
je ne me suis pas dérobé.
6 J’ai présenté mon dos à ceux qui me frappaient,
et mes joues à ceux qui m’arrachaient la barbe.
Je n’ai pas protégé mon visage des ourages et des crachats.
7 Le SEIGNEUR Dieu vient à mon secours :
c’est pourquoi je ne suis pas atteint par les outrages,
c’est pourquoi j’ai rendu mon visage dur comme pierre :
je sais que je ne serai pas confondu.
Depuis des années, nous avons lu et relu ces textes étonnants qui font partie du livre d’Isaïe et qu’on appelle les « Chants du Serviteur » ; ils nous intéressent tout particulièrement, nous Chrétiens, pour deux raisons : d’abord par le message qu’Isaïe lui-même voulait donner par là à ses contemporains ; ensuite, parce que les premiers Chrétiens les ont appliqués à Jésus-Christ.
Je commence par le message du prophète Isaïe à ses contemporains : une chose est sûre, Isaïe ne pensait évidemment pas à Jésus-Christ quand il a écrit ce texte, probablement au sixième siècle av.J.C., pendant l’Exil à Babylone. Parce que son peuple est en Exil, dans des conditions très dures et qu’il pourrait bien se laisser aller au découragement, Isaïe lui rappelle qu’il est toujours le serviteur de Dieu. Et que Dieu compte sur lui, son serviteur (son peuple) pour faire aboutir son projet de salut pour l’humanité. Car le peuple d’Israël est bien ce Serviteur de Dieu nourri chaque matin par la Parole, mais aussi persécuté en raison de sa foi justement et résistant malgré tout à toutes les épreuves.
Dans ce texte, Isaïe nous décrit bien la relation extraordinaire qui unit le Serviteur (Israël) à son Dieu. Sa principale caractéristique, c’est l’écoute de la Parole de Dieu, « l’oreille ouverte » comme dit Isaïe ; « Ecouter » la Parole, « se laisser instruire » par elle, cela veut dire vivre dans la confiance. « Dieu, mon SEIGNEUR m’a donné le langage d’un homme qui se laisse instruire »… « La Parole me réveille chaque matin »… « J’écoute comme celui qui se laisse instruire »… « Le SEIGNEUR Dieu m’a ouvert l’oreille ».
« Ecouter », c’est un mot qui a un sens bien particulier dans la Bible : cela veut dire faire confiance ; on a pris l’habitude d’opposer ces deux attitudes types entre lesquelles nos vies oscillent sans cesse : confiance à l’égard de Dieu, abandon serein à sa volonté parce qu’on sait d’expérience que sa volonté n’est que bonne… ou bien méfiance, soupçon porté sur les intentions de Dieu… et révolte devant les épreuves, révolte qui peut nous amener à croire qu’il nous a abandonnés ou pire qu’il pourrait trouver une satisfaction dans nos souffrances.
Les prophètes, les uns après les autres, redisent « Ecoute, Israël » ou bien « Aujourd’hui écouterez-vous la Parole de Dieu…? » Et, dans leur bouche, la recommandation « Ecoutez » veut toujours dire « faites confiance à Dieu quoi qu’il arrive » ; et Saint Paul dira pourquoi : parce que « Dieu fait tout concourir au bien de ceux qui l’aiment (c’est-à-dire qui lui font confiance). » (Rm 8, 28). De tout mal, de toute difficulté, de toute épreuve, il fait surgir du bien ; à toute haine, il oppose un amour plus fort encore ; dans toute persécution, il donne la force du pardon ; de toute mort il fait surgir la vie, la Résurrection.
C’est bien l’histoire d’une confiance réciproque. Dieu fait confiance à son Serviteur, il lui confie une mission ; en retour le Serviteur accepte la mission avec confiance. Et c’est cette confiance même qui lui donne la force nécessaire pour tenir bon jusque dans les oppositions qu’il rencontrera inévitablement. Ici la mission est celle de témoin : « pour que je sache à mon tour réconforter celui qui n’en peut plus ». En confiant cette mission, le Seigneur donne la force nécessaire : Il « donne » le langage nécessaire : « Dieu, mon SEIGNEUR m’a donné le langage d’un homme qui se laisse instruire »… Et, mieux, il nourrit lui-même cette confiance qui est la source de toutes les audaces au service des autres : « Le SEIGNEUR Dieu m’a ouvert l’oreille », ce qui veut dire que l’écoute (au sens biblique, la confiance) elle-même est don de Dieu. Tout est cadeau : la mission et aussi la force et aussi la confiance qui rend inébranlable. C’est justement la caractéristique du croyant de tout reconnaître comme don de Dieu.
Et celui qui vit dans ce don permanent de la force de Dieu peut tout affronter : « Je ne me suis pas révolté, je ne me suis pas dérobé… » La fidélité à la mission confiée implique inévitablement la persécution : les vrais prophètes, c’est-à-dire ceux qui parlent réellement au nom de Dieu sont rarement appréciés de leur vivant. Concrètement, Isaïe dit à ses contemporains : tenez bon, le Seigneur ne vous a pas abandonnés, au contraire, vous êtes en mission pour lui. Alors ne vous étonnez pas d’être maltraités.
Pourquoi ? Parce que le Serviteur qui « écoute » réellement la Parole de Dieu, c’est-à-dire qui la met en pratique, devient vite extrêmement dérangeant. Sa propre conversion appelle les autres à la conversion. Certains entendent l’appel à leur tour… d’autres le rejettent, et, au nom de leurs bonnes raisons, persécutent le Serviteur. Et chaque matin, le Serviteur doit se ressourcer auprès de Celui qui lui permet de tout affronter : « La Parole me réveille chaque matin, chaque matin elle me réveille… Le SEIGNEUR Dieu vient à mon secours : c’est pourquoi je ne suis pas atteint par les outrages… » Et là, Isaïe emploie une expression un peu curieuse en français mais habituelle en hébreu : « J’ai rendu mon visage dur comme pierre »1 : elle exprime la résolution et le courage ; en français, on dit quelquefois « avoir le visage défait », eh bien ici le Serviteur affirme « vous ne me verrez pas le visage défait, rien ne m’écrasera, je tiendrai bon quoi qu’il arrive » ; ce n’est pas de l’orgueil ou de la prétention, c’est la confiance pure : parce qu’il sait bien d’où lui vient sa force : « Le SEIGNEUR Dieu vient à mon secours : c’est pourquoi je ne suis pas atteint par les outrages. »
Je disais en commençant que le prophète Isaïe parlait pour son peuple persécuté, humilié, dans son Exil à Babylone ; mais, bien sûr, quand on relit la Passion du Christ, cela saute aux yeux : le Christ répond exactement à ce portrait du serviteur de Dieu. Ecoute de la Parole, confiance inaltérable et donc certitude de la victoire, au sein même de la persécution, tout cela caractérisait Jésus au moment précis où les acclamations de la foule des Rameaux signaient et précipitaient sa perte.
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* Luc a repris exactement cette expression en parlant de Jésus : il dit « Jésus durcit sa face pour prendre la route de Jérusalem » (Luc 9, 51 ; mais nos traductions disent « Jésus prit résolument la route de Jérusalem »)
HOMÉLIE DU DIMANCHE DES RAMEAUX ET DE LA PASSION DU SEIGNEUR, C
22 mars, 2013http://parolesdudimanche.blogs.lalibre.be/
HOMÉLIE DU DIMANCHE DES RAMEAUX ET DE LA PASSION DU SEIGNEUR, C
Lc 19, 28-40 ; Is 50, 4-7 ; Ph 2, 6-11 ; Lc 22, 14 – 23, 56 (bref 23, 1-49)
« Nous ne pouvons isoler la parole de Dieu de la réalité historique dans laquelle elle est dite. Elle ne serait plus alors parole de Dieu. Elle serait une histoire quelconque, un livre de piété, une Bible bien rangée dans notre bibliothèque. Or, elle est parole de Dieu, c’est-à-dire qu’elle inspire, éclaire, contrecarre, rejette, magnifie, ce qui se fait aujourd’hui dans notre société. »
Celui qui avait présenté ainsi le cœur même de sa réflexion théologique et pastorale avait atteint la plus haute charge ecclésiastique de son pays. Depuis peu, il s’était enfin rapproché des personnes, du peuple, et des réalités ordinaires de la vie quotidienne. C’est après avoir été longtemps en désaccord avec le clergé le plus « progressiste » de son pays et atteint l’ »âge du repos » qu’ « il s’est décidé à comprendre qu’il n’existe pas d’autre ascension que vers la terre. Et il a cheminé jusque-là… » (1). On le vit même, oh ! scandale ! « faire bon accueil aux pécheurs et manger avec eux ». Sa voix et son attitude prophétiques devinrent rapidement inacceptables pour le régime en place. Mgr Oscar Romero était devenu l’homme des pauvres, « la voix des sans voix ». Et cela « lui a valu d’être en conflit avec ses collègues évêques » durant le reste de sa vie. Il fut donc, avec bien d’autres, accusé comme le Christ « de semer le désordre dans la nation et de soulever le peuple en enseignant dans tout le pays ».
La parole, l’attitude, les gestes dérangeants de ce parfait disciple du Juste ne pouvaient plaire « en haut lieu ». Le 24 mars 1980, Mgr Romero était cloué d’une balle sur la table de l’amour partagé, sur l’autel même du sacrifice eucharistique. « Il a couronné par son sang son ministère en faveur des plus pauvres », dira plus tard Jean Paul II en saluant la mort de celui que les latino-américains nomment familièrement « saint Romero des Amériques ».
Ces grands témoins d’aujourd’hui nous rappellent et nous révèlent le Grand Témoin que fut et reste le charpentier de Nazareth, prêchant la Bonne Nouvelle aux pauvres, guérissant les malades, libérant les cœurs et les esprits.
Lui, qui s’est vu constamment critiquer par « quelques pharisiens pieux et méfiants », inquiets et agacés devant ses déclarations pertinentes mais critiques. D’autant plus que « le succès » de ce rénovateur renforçait leur aveuglement et excitait leur jalousie. Troublante réaction d’une élite croyante, informée, éduquée, cultivée et fervente. Ainsi, à l’époque de Jésus comme en d’autres temps, ceux qui prétendent posséder la vérité tout entière, qui « savent », enseignent, jugent et tranchent, ont peine à comprendre le message, à recevoir et analyser le témoignage inédit du Nazaréen. Cœurs durs et esprits incrédules, ils avaient cependant d’excellents yeux et ils n’ont point vu, des oreilles ultra sensibles et ils n’ont rien entendu. « Maître, arrête tes disciples ! ». Mais Jésus leur renvoie la balle : « S’ils se taisent, les pierres crieront ».
Ce Fils de Dieu, ce Juste, cet Innocent, chez qui Pilate ne trouvera aucun motif de condamnation, sera cependant condamné. Ce « prophète », crieront-ils, s’oppose systématiquement et publiquement à l’enseignement de Moïse et provoque la confusion. Nous l’avons même trouvé « en train de semer le désordre dans notre nation ». Il va jusqu’à empêcher « de payer l’impôt à l’empereur » et « soulève le peuple en enseignant dans tout le pays » (Lc 23, 2-5). L’éternel refrain !
Il faudra qu’il soit condamné, torturé et mis à mort, pour qu’un « païen » reconnaisse que « sûrement, cet homme était un juste ! ». Mais serons-nous comme ces gens, témoins de la crucifixion et qui « voyant ce qui était arrivé, s’en retournaient en se frappant la poitrine » ? N’étaient-ils pas un peu coupables de l’avoir mal compris et de ne pas l’avoir défendu ?
C’était hier, c’est encore vrai aujourd’hui.
(1) Maria Lopez Vigil, Eléments pour un portrait de Mgr Romero.
P. Fabien Deleclos, franciscain (T)