LE 14 JUILLET : SS. CYRILLE ET MÉTHODE
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LE 14 JUILLET : SS. CYRILLE ET MÉTHODE
ÉVÊQUES ET CONFESSEURS.
DOM GUÉRANGER, L’ANNÉE LITURGIQUE
Il convenait que l’Octave des Princes des Apôtres ne s’éloignât point, sans qu’apparussent au Cycle sacré quelques-uns des satellites glorieux qui empruntent d’eux leur lumière à travers les siècles. Deux astres jumeaux se lèvent au ciel de la sainte Église, illuminant des feux de leur apostolat d’immenses contrées. Partis de Byzance, on croirait tout d’abord que leur évolution va s’accomplir indépendante des lois que l’ancienne Rome a puissance de dicter aux mouvements des cieux, dont il est dit qu’ils racontent la gloire de Dieu et les œuvres de ses mains [9]. Mais saint Clément Ier, dont les reliques sont tirées par eux d’une obscurité de huit siècles, incline leur marche vers la cité maîtresse ; et bientôt on les voit graviter avec un éclat incomparable dans l’orbite de Pierre, manifestant une fois de plus au monde que toute vraie lumière, dans l’ordre du salut, rayonne uniquement du Vicaire de l’Homme-Dieu. Alors aussi, une fois de plus, se réalise magnifiquement la parole du Psaume, que tout idiome et toute langue entendra la voix des messagers de la lumière [10].
Au subit et splendide épanouissement de la Bonne Nouvelle qui marqua le premier siècle de notre ère, avait succédé le labeur du second apostolat, chargé par l’Esprit-Saint d’amener au Fils de Dieu les races nouvelles appelées par la divine Sagesse à remplacer l’ancien monde. Déjà, sous l’influence mystérieuse de la Ville éternelle s’assimilant par un triomphe nouveau ceux qui l’avaient vaincue, une autre race latine s’était formée des barbares mêmes dont l’invasion, comme un déluge, semblait avoir pour jamais submergé l’Empire. L’accession des Francs au baptême, la conversion des Goths ariens et de leurs nombreux frères d’armes achevaient à peine cette transformation merveilleuse, que les Anglo-Saxons, puis les Germains, suivis bientôt des Scandinaves, venaient, sous la conduite des moines Augustin, Boniface et Anschaire, frapper eux-mêmes aux portes de l’Église. A la voix créatrice des apôtres nouveaux, l’Europe apparaissait, sortant des eaux de la fontaine sacrée.
Cependant, le mouvement continu de la grande émigration des peuples avait amené sur les rives du Danube une famille dont le nom commençait, au IXe siècle, à fixer l’attention du monde. Entre l’Orient et l’Occident, les Slaves, mettant à profit la faiblesse des descendants de Charlemagne et les révolutions de la cour de Byzance, tendaient à ériger leurs tribus en principautés indépendantes de l’un et l’autre empire. C’était l’heure que la Providence avait choisie, pour conquérir au christianisme et à la civilisation une race jusque-là sans histoire. L’Esprit de la Pentecôte se reposait sur les deux saints frères que nous fêtons en ce jour. Préparés par la vie monastique à tous les dévouements, à toutes les souffrances, ils apportaient à ces peuples qui cherchaient à sortir de leur obscurité passée, les premiers éléments des lettres et la connaissance des nobles destinées auxquelles le Dieu Sauveur conviait les hommes et les nations. Ainsi la race Slave devenait digne de compléter la grande famille européenne, et Dieu, dans cette Europe objet des éternelles prédilections, lui concédait l’espace plus largement qu’il ne l’avait fait pour ses devancières.
Heureuse, si toujours elle s’était tenue attachée à cette Rome qui, dans les rivalités dont ses origines eurent à subir l’assaut, l’avait si grandement aidée ! Rien, en effet, ne seconda plus ses aspirations à l’indépendance que la faveur d’une langue spéciale dans les rites sacrés, obtenue pour elle du Siège de Pierre par ses deux apôtres. Les réclamations de ceux qui prétendaient la garder sous leurs lois montrèrent assez, dès lors, la portée politique d’une concession aussi insolite qu’elle était décisive pour consacrer dans ces régions l’existence d’un peuple nouveau, distinct à la fois des Germains et des Grecs.
L’avenir le devait mieux prouver encore. Si aujourd’hui, des Balkans à l’Oural, des rivages grecs aux bords glacés de l’Océan du Nord, la race Slave s’étend, toujours forte, irréductible aux invasions, maintenant, au sein des empires qui ont pu la terrasser un jour, ce dualisme que le peuple vainqueur doit se résigner à porter en ses flancs comme une menace toujours vivante à travers les siècles : un tel phénomène, qui ne se retrouve point ailleurs en pareille mesure, est le produit de la démarcation puissante opérée il y a mille ans, entre cette race et le reste du monde, par l’introduction dans la Liturgie de sa langue nationale. Devenu sacré par cet usage, le Slavon primitif ne connut point les variations inhérentes aux idiomes des autres nations ; tout en donnant naissance aux dialectes variés de divers peuples issus de la souche commune, il resta le même, suivant les moindres tribus slaves dans les péripéties de leur histoire et continuant, pour le plus grand nombre, de les grouper à part de toutes autres au pied des autels. Belle unité, gloire de l’Église, si le désir, si l’espérance des deux Saints qui l’avaient établie sur le roc immuable, avaient pu l’y maintenir ! Arme terrible au service de la tyrannie, si jamais Satan la faisait tomber parle schisme entre les mains de quelqu’un des suppôts de l’enfer. Mais ces considérations nous entraîneraient trop loin.
En inscrivant la solennité des saints Cyrille et Méthodius au calendrier universel, le Souverain Pontife Léon XIII a voulu donner lui-même leur expression aux hommages et prières de l’Église, dans les deux Hymnes de la fête (voir plus haut à l’Office).
A cet auguste hommage nous joignons nos vœux, ô saints frères. Avec le Pontife suprême, nous osons chanter vos louanges, et vous recommander l’immense portion de l’héritage du Christ où vos sueurs firent germer, à la place des ronces, les fleurs de la sainteté. Préparés dans la solitude à toute œuvre bonne et utile au Seigneur [11], vous ne craignîtes point d’aborder les premiers ces régions inconnues, l’effroi du vieux monde, ces terres de l’aquilon où les Prophètes avaient signalé le trône de Satan [12], la source intarissable des maux ravageant l’univers [13]. L’appel de l’Esprit-Saint vous faisait apôtres, et les Apôtres ayant reçu ordre d’enseigner toutes les nations [14] vous alliez, dans la simplicité de votre obéissance, à celles qui n’étaient pas encore évangélisées. Cette obéissance, Rome, c’était son devoir, voulut l’éprouver, et reconnut qu’elle était sans alliage. Satan aussi le reconnut, à sa défaite ; car l’Écriture avait dit : « L’homme obéissant racontera ses victoires » [15]. Autre puissance qui fut la vôtre, et que nous révèle encore l’Écriture, disant : « Le frère aidé par le frère est comme une ville forte, et leurs conseils sont comme les barres des portes des villes » [16]. Chassé par plus fort que lui, le fort armé vit donc avec rage passer au Christ le domaine qu’il croyait posséder la paix [17], et ses dernières dépouilles, les peuples de l’aquilon, devenir comme ceux du midi l’ornement de l’Épouse [18]. Louez le Seigneur, toutes les nations ; louez-le, tous les peuples [19] : toute langue confesse le Seigneur Jésus-Christ [20] ! Comme monument de la victoire, le septénaire des langues sacrées se complète en ce jour [21]. Mais, ô Méthodius, ô Cyrille, au milieu même des Hymnes saintes que vous dédiait le Pontife souverain, un cri d’alarme a retenti : « Gardez à Dieu les peuples Slaves ! Il est urgent à vous de protéger vos dons. » Levez vos yeux, pourrions-nous en effet dire avec le prophète ; considérez, vous qui venez de l’aquilon : où est le troupeau qui vous fut donné, ce troupeau magnifique ? Quoi donc ! Est-ce contre vous que vous l’avez instruit ? L’avez-vous armé pour votre perte [22] ? Profondeurs de Satan [23] ! le prince de l’aquilon a trop su réparer sa défaite ; et vos bienfaits, et la condescendance de Pierre, sont devenus par ses soins une arme de mort pour ces peuples auxquels vous aviez donné la vie. Détournée de sa voie, l’unité sainte que vous aviez fondée s’est traduite de nos jours, en caractères de sang, dans la formule d’un hideux panslavisme. Entre Byzance déjà de vos temps travaillée par le schisme, et l’Occident latin que l’hérésie devait lui-même plus tard affaiblir et démembrer, elle pouvait être, à son heure, un appui pour l’Église, un espoir de salut pour le monde. Perspectives séduisantes, que votre cœur sans doute avait rêvées, et qui, hélas ! ont abouti à ces atroces persécutions, scandale de nos temps, opprobre de la terre.
Réconfortez les exilés, soutenez les martyrs, gardez les restes d’un peuple de héros ; écartez de quelques autres la fatale illusion qui les solliciterait à courir d’eux-mêmes au-devant de la tyrannie ; pour tous que luise enfin le jour des justices du Seigneur, mais bien plutôt s’il se peut, tout est possible à Dieu, celui de sa miséricorde, assez puissante pour changer les bourreaux sans frustrer leurs victimes. Serait-il donc arrêté que le poids des crimes d’un grand empire a trop fait pencher la balance du côté de la condamnation, pour que ses chefs ouvrent maintenant les yeux, et comprennent quel rôle pourrait être le leur en l’état présent du monde, si Pierre, qui leur tend les bras, voyait revenir à lui l’immense troupeau que paralyse le schisme ? Apôtres des Slaves, et en même temps citoyens de cette Rome où reposent près de celles de Clément vos reliques saintes, aidez les efforts du Pontife suprême cherchant à replacer sur la base où vous l’aviez établi l’édifice qui fut votre gloire.
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