Archive pour janvier, 2013

« L’AMOUR FAIT DES MIRACLES: L’EAU TRANSFORMÉE EN VIN À CANA »

19 janvier, 2013

http://www.zenit.org/article-33169?l=french

« L’AMOUR FAIT DES MIRACLES: L’EAU TRANSFORMÉE EN VIN À CANA »

« Le vin transformé en sang à Jérusalem »

Mgr Francesco Follo
PARIS, Friday 18 January 2013 (Zenit.org).
« L’amour fait des miracles: l’eau transformée en vin à Cana, le vin transformé en sang à Jérusalem » : l’Observateur permanent du Saint-Siège à l’UNESCO à Paris, Mgr Francesco Follo, offre cette méditation sur les lectures du dimanche 20 janvier aux lecteurs de Zenit, ainsi qu’aux Vierges consacrées qui trouvent dans cette lectio de quoi nourrir leur spiritualité.
IIe Dimanche du Temps ordinaire – Année C – 20 janvier 2013
Rite romain
Is 62,1-5; Ps 95; 1Co 12,4-11; Jn 2,1-12
        1) Un miracle pour la joie de vivre.
        Le fait que le premier miracle de Jésus soit dû à l’intercession de Sa Mère n’est pas un hasard.  Ce premier miracle a le but de prolonger la joie des deux nouveaux époux, le jour où ils consacrent leur amour mutuel en présence de Jésus-Christ.
        Ce récit est très connu. Jésus est invité, avec ses disciples, à un mariage dans une petite ville non loin de Nazareth : Cana de Galilée. Nous savons que  la Vierge Mère, co-protagoniste de l’évènement était présente. En effet, vers la fin du repas nuptial, lorsque le vin vient à manquer, la Vierge est la première à s’en apercevoir. Avec courtoisie mais fermement, elle demande à son Fils d’intervenir pour résoudre cet inconvénient.
        Il peut sembler curieux que Marie se préoccupe de quelque chose que le soi-disant bon sens considèrerait si non superflu, du moins comme étant de peu d’importance. Cela semble excessif  de faire appel à la toute-puissance de Dieu pour remédier au manque de vin, surtout lorsque la fête touche à sa fin. Mais la Vierge Mère est une femme sensible et concrète et elle sait l’importance des « petites » joies de la vie.
        Le premier message de l’Evangile d’aujourd’hui est celui-ci : le premier miracle de Jésus, par l’intercession de Sa Mère, est un miracle de joie afin que la sérénité de la vie ne vienne pas à manquer, parce que cette vie se déroule sous les yeux du Père qui pourvoit, qui a créé le ciel et la terre et la multitude des choses et des êtres qu’ils contiennent : Dieu est d’une générosité étonnante. Il transforme en un vin de grande qualité l’eau contenue dans six amphores de 100 litres chacune.  Six cents litres de très bon vin pour une fin de repas sont réellement un signe remarquable de la générosité du cœur de Dieu.
        Mais il ne faut pas oublier que la première réponse de Jésus à la sollicitude de sa Mère semble un peu dure : « Que me veux-tu, Femme ? » – Cette appellation, « Femme », n’indique pas une prise de distance par rapport à sa Mère.  Ce même « titre » sera utilisé par le Christ sur la Croix, quand il dira à sa Mère : « Femme, voici ton fils » pour lui confier l’apôtre Jean (et nous tous avec lui) – . Jésus ajoutera aussitôt : « Mon heure n’est pas encore arrivée ». Par son intercession pleine de tendresse, Marie, qui n’est pas indifférente à ce qui arrive aux  jeunes époux, anticipe cette heure, l’Heure de la Passion. La Mère dit donc aux serviteurs : « Tout ce qu’il vous dira, faites-le ». Ce sont les dernières paroles de Marie que les Evangiles nous livrent. Ces dernières paroles, comme les premières (celles prononcées au moment de l’Annonciation et de sa visite à sa cousine Elisabeth) sont des paroles que la Vierge, Notre Mère, nous offre pour nous montrer le rapport juste et correct avec le Christ.
        Qui sait si Marie a pressenti que cette référence à l’« Heure » caractérisait l’évènement de Cana comme un tableau festif avec, en arrière-plan, la Passion du Fils de Dieu ? A Cana l’eau est transformée en vin et, à Jérusalem, quand l’Heure sera arrivée, le vin sera « transformé » en  sang.
        Les noces de Cana sont le signe d’une autre alliance, la nouvelle alliance, qui sera scellée par la Croix et Marie deviendra la Femme de cette Alliance scellée par la croix.
        Marie, dont la foi est un modèle pour nous, est amenée par son Fils à une foi plus adulte. Si  la demande d’un miracle pouvait être la solution à l’embarras des époux et de leurs familles, le miracle accompli par Jésus est aussi une révélation plus grande.  Il révèle qu’il est venu pour  redonner à l’homme et à la femme la capacité d’être une famille vraie et joyeuse, une famille sainte.  Il en est le fondement, le goût, la joie ; Il est comme le vin nouveau, conservé jusqu’à la fin. Pour cette raison, en ayant fait le miracle de l’eau transformé en vin, Jean dit que Jésus « manifesta sa gloire », parce que la « gloire de Dieu est l’homme vivant et la vie de l’homme est la vision de Dieu » (St Irénée) dans la joie immense et éternelle.
        2) Une réponse positive grâce à Marie. ?
        Saint Louis-Marie Grignon de Montfort affirmait: « Dieu a réuni toutes les eaux et les a appelées mer ; il a réuni toutes les grâces et les a appelées Marie ». Il n’est pas imaginable que la Mère de toutes les grâces puisse recevoir une réponse négative de la part de son Fils. La Vierge Mère n’a pas eu la moindre hésitation en disant aux serviteurs « Tout ce qu’il vous dira, faites-le ». Elle sait très bien que la confiance totale en Jésus ne peut pas décevoir. Elle est l’évangile vivant, elle est l’experte de Dieu. Les mystères de la Rédemption  lui ont été confiés. Humble servante de Dieu et librement docile à la Volonté de Dieu, Marie a écouté la Parole divine. Elle l’a accueillie dans son cœur et sous son cœur, et elle a porté du fruit. Elle a d’abord écouté Jésus. Elle a fait sa volonté. Maintenant Jésus l’écoute et fait sa volonté, opérant un miracle extraordinaire avant même que son heure ne soit arrivée.
      Nous aussi, nous devons, avant tout, écouter le Seigneur, L’accueillir dans notre vie et porter du fruit. Nous  devons être des évangélisateurs à travers les merveilles, dont nous sommes les témoins et les bénéficiaires.?L’Evangile d’aujourd’hui ne nous livre pas seulement un récit de noces. L’apôtre Jean dit que, ce jour-là, Jésus « manifesta sa gloire et ses disciples crurent en Lui ».
        La gloire indique l’être profond du Christ qui se révèle dans sa splendeur. Jésus commence à  manifester qui Il est vraiment. Il est celui qui donne le meilleur vin. Il est l’Epoux qui doit venir, le Messie. Les noces de Cana rappellent les noces de Dieu avec son peuple, selon ce que les prophètes ont annoncé.
        3) Un miracle dans l’autre.
        Je ne pense pas m’éloigner d’une interprétation correcte de l’Evangile d’aujourd’hui si j’affirme que le miracle principal consiste dans la présence du Christ à Cana pour ces noces, où Il purifie, élève et sanctifie l’amour naturel entre un homme et une femme et l’enracine dans Son Amour. Le miracle de l’eau transformée en vin est un signe miraculeux, simple et stupéfiant de l’amour terrien transformé en amour céleste.
        Le mystère (mot qui signifie aussi sacrement et lieu de rencontre avec Dieu) de Cana, premier des miracles chrétiens, doit nous pousser, comme les disciples, à croire pleinement en Jésus. En même temps, il doit nous donner une confiance filiale en Marie et nous encourager à L’imiter.
        Comment imiter Marie? Comment parvenir à avoir la même confiance qu’elle dans le Christ ?
        En étant, comme elle, conscient d’appartenir à Dieu et en vivant de foi, comme elle.
Avec  et par foi[1], Marie a dit « oui » à l’Ange et a cru à l’annonce qu’elle serait la Mère de Dieu.
Avec et par foi amoureuse, elle est allée chez sa cousine Elisabeth, et a élevé son chant de louange au Très-Haut pour les merveilles réalisées en elle et en ceux qui s’abandonnent à Dieu avec confiance et espoir.
Avec et par  foi joyeuse et trépidante, elle a donné naissance à son Fils unique.
Avec et par foi, elle a eu pleine confiance en Joseph son époux et a emmené Jésus en Egypte pour le sauver de la persécution d’Hérode.
Avec et par cette même foi, elle a accepté la vie publique de son Fils et l’a suivi jusqu’au Calvaire où elle est restée au pied de la Croix.
Avec et par foi, elle nous a accueillis comme ses enfants dans le Fils, nous qui étions coupables de la mort de son fils crucifié.
Imitons la Vierge Marie dans sa vie de foi, où prière et action sont intimement unies.
        Marie est modèle de foi parce qu’elle est modèle de  contemplation, d’amour priant. Alors, comme elle, nous aussi, contemplons Jésus. Avec amour qui se fait prière contemplative, regardons le Verbe fait chair lorsqu’il vagit, joue, travaille, prêche, meurt sur la croix et tue la mort par sa Résurrection resplendissante.
        A l’exemple de la Vierge Mère, demandons des grâces « visibles » par les yeux du corps, comme celle de l’eau transformée en vin, et la Grâce « visible »  par  les yeux de la foi : Jésus Christ.
            En cela, que  les Vierges Consacrées soient notre soutien. Leur tâche principale est d’attirer tous les chrétiens à la contemplation et de leur enseigner la prière amoureuse : hommes et femmes, petits et grands.
        C’est une grande tâche, pour les Vierges Consacrées, de cultiver la contemplation du Christ, Vérité vivante, et de la faire découvrir aux autres. Ainsi, le primat de la contemplation sur l’action, de l’être sur l’avoir sera de plus en plus reconnu.
        En effet, la consécration des Vierges se situe essentiellement sur le plan de l’être et non pas du faire. Le ministère des Vierges Consacrées est surtout un « ministère contemplatif », « un ministère de la personne qui prie (Orante) à l’écoute de la Parole et un ministère de l’amour » (Liminaire du Rituel de la Consécration des Vierges, n° 1 et 2). En effet, les Vierges consacrées qui vivent dans le monde, sont signe et  témoignage prophétique au sein du Peuple de Dieu. Pour partager la Grâce du Christ, elles se nourrissent du Corps du Christ, et alimentent leur vie par la méditation de la Parole et la prière assidue.

Les noces de Cana

18 janvier, 2013

Les noces de Cana dans images sacrée wedding-at-cana
http://gurdjieffbooks.wordpress.com/2008/08/25/ouspensky-on-st-johns-gospel/

DIMANCHE 20 JANVIER: COMMENTAIRES DE MARIE NOËLLE THABUT – PREMIERE ET DEUXIEME LECTURE

18 janvier, 2013

http://www.eglise.catholique.fr/foi-et-vie-chretienne/commentaires-de-marie-noelle-thabut.html

DIMANCHE 20 JANVIER: COMMENTAIRES DE MARIE NOËLLE THABUT

PREMIERE LECTURE – Isaïe 62, 1-5

1 Pour la cause de Jérusalem je ne me tairai pas,
 pour Sion je ne prendrai pas de repos, 
 avant que sa justice ne se lève comme l’aurore 
 et que son salut ne flamboie comme une torche.
 2 Les nations verront ta justice, 
 tous les rois verront ta gloire. 
 On t’appellera d’un nom nouveau, 
 donné par le SEIGNEUR lui-même.
3 Tu seras une couronne resplendissante entre les doigts du SEIGNEUR, 
 un diadème royal dans la main de ton Dieu.
4 On ne t’appellera plus « la délaissée », 
 on n’appellera plus ta contrée « terre déserte », 
 mais on te nommera « ma préférée », 
 on nommera ta contrée « mon épouse », 
 car le SEIGNEUR met en toi sa préférence 
 et ta contrée aura un époux.
5 Comme un jeune homme épouse une jeune fille, 
 celui qui t’a construite t’épousera. 
 Comme la jeune mariée est la joie de son mari, 
 ainsi tu seras la joie de ton Dieu.

Le prophète Isaïe ne manquait pas d’audace ! A deux reprises, dans ces quelques versets, il a employé le mot « désir » (au sens de désir amoureux) pour traduire les sentiments de Dieu à l’égard de son peuple. Les mots « ma préférée » et « préférence » sont trop faibles ; il faudrait traduire : On ne t’appellera plus « la délaissée », on n’appellera plus ta contrée « terre déserte », mais on te nommera « ma désirée » (littéralement mon désir est en toi), on nommera ta contrée « mon épouse », car le SEIGNEUR met en toi son désir et ta contrée aura un époux.
 Car ce que nous avons entendu ici est une véritable déclaration d’amour ! Un fiancé n’en dirait pas plus à sa bien-aimée. Tu seras ma préférée, mon épouse… Tu seras belle comme une couronne, comme un diadème d’or entre mes mains… tu seras ma joie… Et pour cette déclaration, vous avez remarqué la beauté du vocabulaire, la poésie qui émane de ce texte. On y retrouve le parallélisme des phrases, si caractéristique des psaumes. « Pour la cause de Jérusalem je ne me tairai pas / pour Sion je ne prendrai pas de repos… Tu seras une couronne resplendissante entre les doigts du SEIGNEUR / (tu seras) un diadème royal dans la main de ton Dieu… on te nommera « ma préférée » / on nommera ta contrée « mon épouse ».
 Cinq siècles avant Jésus-Christ, déjà, le prophète Isaïe allait donc jusque-là ! Car on pourrait vraiment appeler ce texte le « poème d’amour de Dieu ». Et Isaïe n’est pas le premier à avoir cette audace.
 Il est vrai qu’au tout début de la Révélation biblique, les premiers textes de l’Ancien Testament n’emploient pas du tout ce langage. Pourtant, si Dieu aime l’humanité d’un tel amour, c’était déjà vrai dès l’origine. Mais c’était l’humanité qui n’était pas prête à entendre. La Révélation de Dieu comme Epoux, tout comme celle de Dieu-Père n’a pu se faire qu’après des siècles d’histoire biblique ; au début de l’Alliance entre Dieu et son peuple, cette notion aurait été trop ambiguë. Les autres peuples ne concevaient que trop facilement leurs dieux à l’image des hommes et de leurs histoires de famille ; dans une première étape de la Révélation, il fallait donc déjà découvrir le Dieu tout-Autre que l’homme et entrer dans son Alliance.
 C’est le prophète Osée, au huitième siècle av.J.C., qui, le premier, a comparé le peuple d’Israël à une épouse ; et il traitait d’adultères les infidélités du peuple, c’est-à-dire ses retombées dans l’idolâtrie. A sa suite Jérémie, Ezéchiel, le deuxième Isaïe et le troisième Isaïe (celui que nous lisons aujourd’hui) ont développé ce thème des noces entre Dieu et son peuple ; et on retrouve chez eux tout le vocabulaire des fiançailles et des noces : les noms tendres, la robe nuptiale, la couronne de mariée, la fidélité, mais aussi la jalousie, l’adultère, les retrouvailles. En voici quelques extraits, par exemple chez Osée : « tu m’appelleras mon mari… je te fiancerai à moi pour toujours… dans l’amour, la tendresse, la fidélité. » (Os 2,18.21). Et chez le deuxième Isaïe « Ton époux sera ton Créateur… Répudie-t-on la femme de sa jeunesse ?… dans mon amour éternel, j’ai pitié de toi . » (Is 54, 5…8). Le texte le plus impressionnant sur ce sujet, c’est évidemment le Cantique des Cantiques : il se présente comme un long dialogue amoureux, composé de sept poèmes ; pour être franc, nulle part les deux amoureux ne sont identifiés ; mais les Juifs le comprennent comme une parabole de l’amour de Dieu pour l’humanité ; la preuve, c’est qu’ils le lisent tout spécialement pendant la célébration de la Pâque, qui est pour eux la grande fête de l’Alliance de Dieu avec son peuple.
 Pour revenir au texte d’aujourd’hui, l’un des passe-temps préférés, apparemment, du bien-aimé est de donner des noms nouveaux à sa bien-aimée. Vous savez l’importance du Nom dans les relations humaines : quelqu’un ou quelque chose que je ne sais pas nommer n’existe pas pour moi… Savoir nommer quelqu’un, c’est déjà le connaître ; et quand notre relation avec une personne s’approfondit, il n’est pas rare que nous éprouvions le besoin de lui donner un surnom, parfois connu de nous seuls. Dans la vie des couples, ou des familles, les diminutifs et les surnoms tiennent une grande place. Quand nous choisissons le prénom d’un enfant, par exemple, c’est très révélateur : nous faisons porter sur lui beaucoup d’espoirs ; souvent même, si on y regarde bien, c’est tout un programme.
 La Bible traduit cette expérience fondamentale de la vie humaine ; et le nom y a une très grande importance ; il dit le mystère de la personne, son être profond, sa vocation, sa mission : très souvent, on nous indique le sens du nom des personnages principaux. Par exemple, l’ange annonçant la naissance de Jésus précise aussitôt que ce nom veut dire : « Dieu sauve » ; c’est-à-dire que cet enfant qui porte ce nom-là sauvera l’humanité au nom de Dieu. Et parfois Dieu donne un nom nouveau à quelqu’un en même temps qu’il lui confie une mission nouvelle : Abram devient Abraham, Saraï devient Sara, Jacob devient Israël et Simon devient Pierre.
 Ici donc, c’est Dieu qui donne des noms nouveaux à Jérusalem : la « délaissée » devient la « Préférée », la « terre déserte » devient « mon épouse » ; effectivement, le peuple juif pouvait avoir l’impression d’être délaissé par Dieu. Ce chapitre 62 d’Isaïe a été écrit dans le contexte du retour d’Exil. On est rentré de l’Exil (à Babylone) en 538 et le Temple n’a commencé à être reconstruit qu’en 521 : c’est dans ce délai que la morosité s’installe et l’impression de délaissement. Si Dieu s’occupait de nous, pense-t-on, les choses iraient mieux et plus vite (il nous arrive bien de dire exactement la même chose : « s’il y avait un Bon Dieu, ces choses-là n’arriveraient pas » …). C’est pour combattre cette désespérance qu’Isaïe, inspiré par Dieu, ose ce texte magnifique : non, Dieu n’a pas oublié son peuple et sa ville de prédilection ; et dans peu de temps cela se saura ! « Comme un jeune homme épouse une jeune fille, celui qui t’a construite t’épousera. Comme la jeune mariée est la joie de son mari, ainsi tu seras la joie de ton Dieu. »

 DEUXIEME LECTURE – 1 Corinthiens 12, 4 – 11

Frères,
4 les dons de la grâce sont variés,
 mais c’est toujours le même Esprit.
5 Les fonctions dans l’Eglise sont variées,
 mais c’est toujours le même Seigneur.
 6 Les activités sont variées,
 mais c’est partout le même Dieu
 qui agit en tous.
7 Chacun reçoit le don de manifester l’Esprit
 en vue du bien de tous :
8 à celui-ci est donné, grâce à l’Esprit,
 le langage de la sagesse de Dieu ;
 à un autre, toujours par l’Esprit,
 le langage de la connaissance de Dieu ;
9 un autre reçoit, dans l’Esprit,
 le don de la foi ;
 un autre encore, des pouvoirs de guérison
 dans l’unique Esprit ;
10 un autre peut faire des miracles,
 un autre est un prophète,
 un autre sait reconnaître ce qui vient vraiment de l’Esprit ;
 l’un reçoit le don de dire toutes sortes de paroles mystérieuses,
 l’autre le don de les interpréter.
11 Mais celui qui agit en tout cela, c’est le même et unique Esprit :
 il distribue ses dons à chacun,
 selon sa volonté.

La lettre aux Corinthiens date de vingt siècles et elle n’a pas pris une ride ! Au contraire, elle est complètement d’actualité : comment faire pour rester Chrétiens dans un monde qui a des valeurs tout autres ? Comment trier, dans les idées qui circulent, celles qui sont compatibles avec la foi chrétienne ? Comment cohabiter avec des non-Chrétiens sans manquer à la charité ? Mais aussi sans y perdre notre âme, comme on dit ? Le monde tout autour parle de sexe et d’argent… Comment l’évangéliser ? C’étaient les questions des Chrétiens de Corinthe convertis de fraîche date dans un monde majoritairement païen ; ce sont les nôtres, aujourd’hui, Chrétiens de souche ou non, mais dans une société qui ne privilégie plus les valeurs chrétiennes.
 Les réponses de Paul nous concernent donc presque toutes. Il parle des divisions dans la communauté, des problèmes de la vie conjugale, notamment quand les deux époux ne partagent pas la même foi, du cap à tenir au milieu de tous les marchands d’idées nouvelles : sur tous ces points, il remet les choses à leur place. Mais comme toujours, quand il parle de choses très concrètes, il rappelle d’abord le fondement des choses, qui est notre Baptême : comme disait Jean-Baptiste, par le Baptême, nous avons été plongés dans le feu de l’Esprit (Mt 3, 11), et désormais c’est l’Esprit qui se réfracte à travers nous selon nos propres diversités. Paul ne dit pas autre chose : « Celui qui agit en tout cela, c’est le même et unique Esprit : il distribue ses dons à chacun, selon sa volonté. »
 A Corinthe, comme dans tout le monde hellénistique, on adorait l’intelligence, on rêvait de découvrir la sagesse, on parlait partout de philosophie. A ces gens qui rêvaient de découvrir la sagesse par eux-mêmes et par la rigueur de leurs raisonnements, Paul répond : la vraie sagesse, la seule connaissance qui compte, n’est pas au bout de nos discours : elle est un don de Dieu. « A celui-ci est donné, grâce à l’Esprit, le langage de la sagesse de Dieu ; à un autre, toujours par l’Esprit, le langage de la connaissance de Dieu. » Il n’y a pas de quoi s’enorgueillir, tout est cadeau. Le mot « don » revient sept fois ! Dans la Bible, ce n’est pas nouveau ! Ici, Paul ne fait que reprendre en termes chrétiens ce que son peuple avait découvert depuis longtemps, à savoir que seul Dieu connaît et peut faire découvrir la vraie sagesse. La nouveauté du discours de Paul est ailleurs : elle consiste à parler de l’Esprit comme d’une Personne.
 Plus profondément, Paul se démarque totalement par rapport aux recherches philosophiques des uns et des autres : il ne propose pas une nouvelle école de philosophie, une de plus… Il annonce Quelqu’un. Car les dons qui sont ainsi distribués aux membres de la communauté chrétienne ne sont pas de l’ordre du pouvoir ni du savoir, ils sont une présence intérieure : le nom de l’Esprit est cité huit fois dans ce passage. Finalement, ce texte est adressé aux Corinthiens, mais il ne parle pas d’eux, il parle exclusivement de l’Esprit à l’oeuvre dans la communauté chrétienne ; et qui, patiemment, inlassablement, nous tourne vers notre Père (il nous souffle de dire « Abba » – Père) et il nous tourne vers nos frères.
 Pour que les choses soient bien claires, Paul précise : « Chacun reçoit le don de manifester l’Esprit en vue du bien de tous ». On sait que les Corinthiens étaient avides de phénomènes spirituels extraordinaires, mais Saint Paul leur rappelle l’unique objectif : c’est le bien de tous. Car l’objectif de l’Esprit, ce n’est rien d’autre puisqu’il est l’Amour personnifié. Et alors, dans ses mains, si j’ose dire, nous devenons des instruments d’une infinie variété par la grâce de celui qui est le Dieu Un : « Les dons de la grâce sont variés, mais c’est toujours le même Esprit. Les fonctions dans l’Eglise sont variées, mais c’est toujours le même Seigneur. Les activités sont variées, mais c’est partout le même Dieu qui agit en tous. »
 Telle est la merveille de nos diversités : elles nous rendent capables, chacun à sa façon, de manifester l’Amour de Dieu. Une des leçons de ce texte de Saint Paul est certainement d’apprendre à nous réjouir de nos différences. Elles sont les multiples facettes de ce que l’Amour nous rend capables de faire selon l’originalité de chacun. Réjouissons-nous donc de la variété des races, des couleurs, des langues, des dons, des arts, des inventions… C’est ce qui fait la richesse de l’Eglise et du monde à condition de les vivre dans l’amour.
 C’est comme un orchestre : une même inspiration… des expressions différentes et complémentaires, des instruments différents et voilà une symphonie… une symphonie à condition de jouer tous dans la même tonalité… c’est quand nous ne jouons pas tous dans le même ton qu’il y a une cacophonie ! La symphonie dont il est question ici c’est le chant d’amour que l’Eglise est chargée de chanter au monde : disons « l’hymne à l’Amour » comme on dit « l’hymne à la joie » de Beethoven. Notre complémentarité dans l’Eglise n’est pas une affaire de rôles, de fonctions, pour que l’Eglise vive avec un organigramme bien en place… C’est beaucoup plus grave et plus beau que cela : il s’agit de la mission confiée à l’Eglise de révéler l’Amour de Dieu : c’est notre seule raison d’être.

HOMÉLIE DU 2E DIMANCHE ORDINAIRE, C

18 janvier, 2013

http://parolesdudimanche.blogs.lalibre.be/

HOMÉLIE DU 2E DIMANCHE ORDINAIRE, C

Is 62, 1-5 ; 1 Co 12, 4-11 ; Jn 2, 1-11

Il y a quelques années, je me souviens avoir été surpris par une phrase d’un petit article paru dans l’une des lettres des Equipes Notre-Dame, en Belgique : « Voyage de noces au travers des Ecritures Saintes ». Ce qui, dans un certain sens, pourrait très bien convenir pour les textes de l’Ecriture présentés dans la liturgie de ce dimanche. Il est question, en effet, d’épousailles et de noces, de fêtes, de cadeau et de bon vin. Il est vrai que dans ce que nous appelons l’ »Histoire du Salut », on découvre un Dieu littéralement passionné pour les êtres humains. Et, comme le rappelle Simon Faivre dans son ouvrage intitulé : « Au fil des dimanches, à l’école des Ecritures » (1), « Dieu cherche inlassablement à rencontrer l’humain, à lui parler, à faire Alliance avec lui. C’est toute la Bible qui est une longue histoire d’Amour, qui prépare le jour des Noces. Des Noces éternelles ».
La première lecture nous a mis de plein pied dans cette symbolique nuptiale. L’amoureux transi, c’est le Seigneur lui-même. Quant à la bien-aimée, objet de ses rêves, c’est la belle Jérusalem, qui symbolise tout le peuple d’Israël. Et au-delà de lui, l’humanité tout entière, celle de tous les temps. Et donc, celle d’aujourd’hui, dont nous sommes.
Dans un premier temps, l’alliance a été conclue, mais le contrat n’a pas été très bien respecté. Les infidélités se sont multipliées et aggravées, jusqu’au divorce. Et cependant, des retrouvailles sont toujours possibles. Le pardon n’est pas une utopie, et la conversion non plus. Car Dieu est toujours follement amoureux de son peuple. Que sa fiancée revienne à lui et il l’épousera. Ce qui vaut pour le peuple d’Israël, pour l’Eglise et pour chacun de nous.
Même symbolique avec la communauté des chrétiens de Corinthe, c’est-à-dire une Eglise en qui le Seigneur met sa préférence, sa fiancée, son épouse ! C’est du moins l’idéal présenté par Paul aux baptisés qui ont fait alliance avec le Christ par la foi. Mais les paroissiens de Paul lui donnent du fil à retordre. L’unité et la communion des membres pour faire corps est déjà menacée. On constate une sorte de concurrence entre les différents charismes, des jalousies et des disputes à propos de certaines manifestations spirituelles et responsabilités confiées aux uns et aux autres.
Que les dons soient très diversifiés, que les fonctions et les services soient variés, c’est normal et même nécessaire. Ceux et celles qui sont doués pour le chant, ne le sont pas nécessairement pour l’enseignement ou la prédication. Et l’inverse est tout aussi vrai. Cependant, à la source, c’est le même Esprit. Tout doit contribuer au bien commun, à l’unité, à l’harmonie, à l’édification du corps, d’une famille. Un seul corps. Or, un corps a de nombreux organes qui ont des fonctions très diverses. Mais toutes sont utiles et nécessaires à l’ensemble. C’est précisément le critère d’authenticité : cela sert-il au bien commun ?
Avec Jean, nous entrons dans l’évangile des signes, où l’enseignement à communiquer est traduit en images et en symboles. Symboles, qui servent de support à une autre réalité qui ne se révèle qu’au regard de la foi Le récit de Cana, raconté 50 ans après la mort et la résurrection de Jésus, n’est donc pas du tout un reportage filmé au cours d’une noce villageoise de l’époque. Mais bien l’occasion d’une catéchèse imagée qui, au-delà de l’anecdote, nous livre une signification cachée, mais fondamentale.
Jésus est venu en quelque sorte inaugurer la religion de l’Esprit. Très vite, il s’est heurté à des chefs religieux et à de nombreux fidèles, prisonniers d’une religion de la lettre. Ce qui n’a pas tout à fait disparu à l’époque de Jean. Il s’agit donc de redresser la barre, corriger des déviations, reconnaître les erreurs et les fautes, pour en revenir à l’authenticité de la source. Autrement dit, retrouver la fidélité à l’esprit d’amour qui est celui de l’Alliance. Celle des noces entre Dieu et son peuple. Pour cela, il ne suffit pas d’obéir littéralement à des lois juridiques, rituelles ou dévotionnelles. Par contre, il s’agit de vivre un amour partagé. C’est pourquoi Dieu, en Jésus, devient même l’un d’entre nous. Il faut donc faire place aux joies de la noce et au vin nouveau de l’Esprit. Ce qui s’exprime, se nourrit, s’entretient par le repas de la Parole et du Pain. C’est-à-dire l’eucharistie.
Au-delà du signe sacramentel, ce renouveau dans l’Esprit vient bouleverser des habitudes et dénoncer des conformismes. Le temps est donc venu d’abandonner les vieilles outres. C’est-à-dire tout ce qui est désormais périmé. Ce qui est symbolisé par les jarres dont le chiffre 6 souligne l’imperfection. Quant à l’eau qu’elles contiennent, c’est un liquide inodore, incolore et sans saveur, qui peut représenter l’eau de nos vies. Mais elle va être transformée en bon vin par la Bonne Nouvelle de l’Evangile. La joie doit donc l’emporter sur les inquiétudes, les peurs et les étroitesses. L’Esprit de Jésus entraîne une transformation profonde de l’ensemble de l’existence humaine. Nous entrons dans le régime du don gratuit. On peut dire également que les jarres vides évoquent les responsables religieux imprévoyants. Par conséquent, le maître du repas peut être l’image d’Israël, celle aussi de notre communauté de foi, ou tout simplement la nôtre, quand nous nous révélons incapables d’accueillir l’Esprit de Jésus et le renouvellement qu’il apporte dans le temps présent.
Marie, elle, avait bien compris. Elle s’en remet au Christ en toute confiance et suggère à tout le monde de lui obéir : « Faites tout ce qu’il vous dira ». Ce qui est d’ailleurs la conclusion de Jean lui-même : « Ses disciples crurent en lui ». Un éloge de la foi.
C’est ainsi que l’eucharistie nous permet, à l’écoute de la Parole, de clarifier et renouveler nos engagements, c’est-à-dire notre alliance de foi, dans un climat de fête. L’eucharistie est comme une célébration des noces entre Jésus et son peuple. Un peuple dont nous sommes.

(1) Ed. Soceval,2000

P. Fabien Deleclos, franciscain (T)

1925 – 2008

Bread from heaven (Manna) promised

17 janvier, 2013

Bread from heaven (Manna) promised  dans images sacrée manna

http://www.bibleexplained.com/moses/Exod/ex16.htm

 

UNE ÉGLISE EN NAISSANCE. MISES EN PERSPECTIVE ET QUESTIONNEMENTS (II) [1]

17 janvier, 2013

http://www.esprit-et-vie.com/breve.php3?id_breve=747#nb1

Marie-Thérèse Desouche & Jean-François Chiron

UNE ÉGLISE EN NAISSANCE. MISES EN PERSPECTIVE ET QUESTIONNEMENTS (II) [1]

LA SACRAMENTALITÉ DE L’ÉGLISE

À la suite du dernier Concile, on aime voir dans l’Église le sacrement de l’unité entre Dieu et les hommes (Lumen gentium, n° 1) ou le sacrement du salut (n° 48). Ce thème théologique peut sans difficulté être rapproché des situations qui sont aujourd’hui celles de l’Église.
Il y a deux façons de rendre compte de la mission de l’Église. L’Église peut être considérée comme destinée à rassembler tous les peuples ; on peut aussi l’envisager comme appelée à les représenter. Sans doute les deux perspectives doivent-elles être tenues simultanément. S’agissant de la première, on rappelle que, eschatologiquement, l’Église a vocation à rassembler l’humanité tout entière. De fait, pendant des siècles, le salut a été conçu uniquement sous mode d’appartenance à l’Église, seule arche du salut. La découverte de ce que l’Église ne regroupait qu’une partie de l’humanité a conduit à admettre explicitement un salut pour les non-baptisés de bonne foi. Le thème de l’Église sacrement du salut permet d’énoncer que l’Église peut être signe, mais aussi instrument de salut pour ceux qui ne lui appartiennent pas. Le salut peut ainsi être envisagé aujourd’hui sous le mode d’une relation à l’Église, autant que d’une appartenance (la première phrase de LG, n° 16 évoque une « ordination » au peuple de Dieu de ceux qui n’ont pas encore reçu l’Évangile).
Une identité ouverte : représenter le monde
On considérera donc que, si l’Église est destinée à rassembler tous les peuples, elle doit d’abord les représenter. On peut parler de fonction sacerdotale : la mission du peuple de Dieu, un peuple minoritaire, est une fonction d’intercession pour le grand nombre, pour ceux de l’extérieur, pour le monde. Fonction de médiation : il revient au petit nombre d’assumer, devant Dieu, un rôle de représentation, qui est aussi un rôle de mise en relation, et même de réconciliation : il s’agit de réconcilier le monde avec Dieu. Rôle qui est celui du Christ (« sacrement » premier) ; qui est donc, à son rang, celui de l’Église : être le sacrement de la mission du Christ, la représenter. Celui qui est sans péché, l’Unique, meurt pour le péché de tous. Il intercède pour tous. Ainsi l’Église intercède pour tous, et d’abord pour les pécheurs. Elle représente le grand nombre auprès de Dieu, elle qui est le petit nombre. Il lui faut vivre pour ce monde, pour présenter ce monde, avec le Fils, en lui, au Père. Cela, elle le fait avant tout dans son eucharistie, célébrée « pour la gloire de Dieu et le salut du monde » (qu’a fait le Christ Jésus, sinon vivre et mourir « pour la gloire de Dieu et le salut du monde » ?).
C’est cela qui doit induire l’ » être au monde » de nos communautés, y compris de la façon la plus concrète qui soit : représenter le monde, intercéder pour lui. Un « être pour le monde », à la suite de celui qui a été envoyé « pour sauver les hommes ». Donc tenir une ouverture au monde, à ce monde, à cette société, sans perdre pour autant son être propre et sans cesser d’exercer une fonction critique par rapport à ce monde.
Dans la représentation ainsi comprise, l’Église pourra trouver le fondement théologique d’une culture de la minorité qui ne soit pas sectaire : une identité qui ne soit pas identitaire, une identité ouverte. Nos communautés devront continuer à honorer le statut de minorités humainement et évangéliquement positives : non pas repliées, ni agressives, cultivant le ressentiment ou la nostalgie ; mais des minorités témoins, au sens sacramentel.
Parler de l’Église comme sacrement, c’est comprendre la centralité de l’Esprit Saint. C’est dans cette ligne qu’il faut entendre l’usage que fait le concile Vatican II du mot sacrement à propos de l’Église. De son utilisation analogique du mot sacrement, ressort « le rapport de l’Église avec la puissance de l’Esprit Saint, celui qui seul donne la vie : l’Église est le signe et l’instrument de la présence et de l’action de l’Esprit vivifiant [2] ». L’Église saisit ici son identité sacramentelle épiclétique, dont l’expression la plus complète est l’eucharistie : dans l’eucharistie, l’Église se met sous l’alliance du Père en Jésus-Christ livrant son Esprit sur le monde. Elle annonce que Dieu est Dieu, qu’il sauve gratuitement, en son Fils Jésus-Christ, présent et agissant par la puissance de son Esprit. L’Église est « l’instrument » de ce mystère de vie pour l’humanité. Elle est l’espace de la rencontre entre Dieu et l’humanité.
[L'Église] œuvre pour rétablir et renforcer l’unité du genre humain à ses racines mêmes, dans le rapport de communion entre l’homme et Dieu, son Créateur, son Seigneur, et son Rédempteur [3].
Se nourrir de la Parole de Dieu
Il ne faudrait pas oublier dans cette réflexion sur l’Église comme sacrement la deuxième Table, celle de la Parole de Dieu, comme le précise le concile Vatican II, dans la Constitution dogmatique Dei Verbum (n° 21) [4] : « L’Église a toujours vénéré les divines Écritures, comme elle l’a toujours fait pour le Corps même du Seigneur, elle qui ne cesse pas de prendre le pain de vie sur la Table de la Parole de Dieu et sur celle du Corps du Christ. » L’exhortation apostolique Verbum Domini, qui fait suite au Synode sur la Parole de Dieu dans la vie et la mission de l’Église en octobre 2008, parle explicitement des deux Tables [5] et approfondit la dimension sacramentelle de la Sainte Écriture en la fondant sur l’Incarnation du Christ et sur l’inspiration de l’Écriture, de façon plus développée que ne le faisait Dei Verbum.
Le corps eucharistique du Seigneur et son corps scripturaire sont Parole de Dieu et elles sont Pain pour le Corps de l’Église, qui est le Corps du Christ. Les diocèses l’ont bien compris, qui développent les possibilités de formations bibliques, de maisons de l’Évangile, d’écoles de la Parole, de partage de la Parole de Dieu, de lectio divina, etc. : la Parole de Dieu devient la nourriture vivante du peuple de Dieu.
La vision sacramentelle de l’Église invite à prendre en compte dans la vie quotidienne de cette Église les médiations, à commencer par les médiations institutionnelles. C’est à ce niveau notamment que la grâce doit assumer la nature et non pas l’ignorer. Il n’y a pas de vie en Église qui ne passe par les médiations fondamentales que sont l’Écriture, la communauté, les ministères, les sacrements, la liturgie, etc. Bref, ces réalités tangibles par lesquelles, à des titres divers, le salut vient à nous. Mais ne comptent pas moins, sur un plan humain, des réalités comme la parole, le pouvoir, l’argent, l’affectivité, etc. Toutes réalités sans lesquelles il n’y a ni communauté chrétienne, ni existence humaine  ; réalités qui font, selon la façon dont les croyants s’y confrontent, que leurs communautés peuvent devenir, ou non, lieux d’évangélisation et d’humanisation.
On rappellera simplement, à titre d’exemple, l’importance de ces lieux que sont les conseils, notamment presbytéraux et pastoraux (à l’échelle des diocèses ou des paroisses) : le droit canon, appuyé sur la Tradition catholique, donne le dernier mot à l’évêque ou au curé, la décision ultime, celle qui relève du ministre ordonné, peut aller contre la majorité des voix ; le tout est de savoir comment elle a été prise. Il doit être manifeste que, même dans une situation conflictuelle, tous les partenaires du débat ont été traités en personnes majeures. Cela exige, de la part du ministre ordonné (curé, aumônier… comme pour l’évêque) quelques qualités humaines de base (comme celles que rappelle PO, n° 3 – voir encadré). Il est vital, pour la bonne santé des corps que sont un presbyterium diocésain ou une communauté paroissiale, qu’un dialogue en vérité soit possible sur les questions pastorales essentielles.
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[1] Suite de l’article paru dans Esprit & Vie n° 239, p. 2-8.
[2] Jean-Paul II, encyclique Dominum et Vivificantem (1986), n° 64.
[3] Ibidem.
[4] Voir aussi Presbyterorum Ordinis n° 18.
[5] Benoît XVI, exhortation apostolique Verbum Domini, n° 68 : « Le sens théologique des deux tables de la Parole et de l’eucharistie », avec l’expression latine geminae mensae, qui présente les tables de la Parole et de l’eucharistie comme des tables jumelles.

Messie fils de Joseph et Messie fils de David (judaisme, etude)

17 janvier, 2013

http://ghansel.free.fr/messie.html

Messie fils de Joseph et Messie fils de David

selon le Rav Kook

Théodore Herzl meurt en 1904 et à son décès le Rav Kook publie un article remarquable de quelques pages intitulé Hamisped bierouchalaïm, Lamentation funèbre à Jérusalem. A cette occasion, en même temps qu’il explique un texte talmudique fort énigmatique, le Rav Kook s’élève au dessus de la contingence de l’événement et développe le sens et l’avenir de l’entreprise sioniste considérée dans sa plus grande généralité. L’objet de cette étude est de présenter ces idées du Rav Kook en me tenant au plus près de sa méthododologie.
L’énigme commence avec une prophétie de Zacharie dont voici la traduction selon la Bible du rabbinat1:
En ce jour, l’Éternel étendra sa protection sur les habitants de Jérusalem, et alors le plus vacillant parmi eux sera comme David, et ceux de la maison de David paraîtront à leurs yeux comme des êtres divins, comme des anges de l’Éternel. En ce jour, je m’appliquerai à détruire toutes les nations venues contre Jérusalem. Mais sur la maison de David et sur les habitants de Jérusalem je répandrai un esprit de bienveillance et de pitié, et ils porteront les regards vers moi à cause de celui qui aura été percé de leurs coups, ils le regretteront comme on regrette un [fils] unique, et le pleureront amèrement comme on pleure un premier-né. En ce jour, il y aura grand deuil à Jérusalem, comme fut le deuil de Hadadrimon dans la vallée de Meghiddon2. Et le pays sera en deuil, chaque famille à part, la famille de la maison de David à part et leurs femmes à part, la famille de la maison de Nathan à part et leurs femmes à part, la famille de la maison de Lévi à part et leurs femmes à part, la famille de Sémé! à part et leurs femmes à part; de même toutes les familles restantes, chaque famille à part et leurs femmes à part.
Ce texte est notoirement obscur, au point que Jonathan Ben Ouziel, qui a traduit la Bible en araméen, a estimé qu’il devait lui donner un sens plus explicite. Voici la « traduction » qu’il donne du verset 11 :
En ce temps là, il y aura à Jérusalem un grand deuil comme celui de Achab fils d’Amri qu’a tué Hadrimon fils de Tabrimon et comme le deuil de Josias fils d’Amon qu’a tué Pharaon le boîteux dans la vallée de Meguidon.
Jonathan Ben Ouziel a donc remplacé le deuil inconnu de Hadrimon dans la vallée de Meguidon par la référence à deux deuils bien connus : celui d’Achab, un roi d’Israël tué par Hadrimon et celui de Josias, un roi de Juda, tué par Pharaon dans la vallée de Meguidon.
Le Talmud, dans le traité Meguila, a remarqué cette substitution et a redoublé le caractère étrange de toute cette affaire avec le texte suivant3:
Lorsque Jonathan Ben Ouziel a traduit les prophètes, la terre d’Israël a tremblé sur une surface de 400 parses sur 400 parses. Une « fille de la voix » est sortie et a dit : « Qui est celui qui a révélé mes secrets aux hommes ? » Jonathan Ben Ouziel s’est dressé et a dit : « C’est moi qui ai révélé tes secrets aux hommes. Il est dévoilé et connu devant toi que je ne l’ai fait ni pour ma propre gloire ni pour celle de la maison de mon père mais pour que ne se multiplient pas les controverses en Israël »4… [En effet] les textes des prophètes contiennent des choses claires et des choses cachées telles que ce verset : Ce jour là il y aura un grand deuil à Jérusalem comme celui de Hadrimon dans la vallée de Meguidon. Rav Yossef a dit : « Sans la traduction de ce verset, je ne saurais pas ce qu’il veut dire ».
Le Rav Kook pose alors quelques questions : en quoi consiste l’importance du secret recelé dans ce verset ? Pourquoi ici spécialement une explicitation est-elle nécessaire pour éviter des controverses ? Cela paraît absurde, tant nous sommes habitués à ce que le moindre verset de la Torah ou de la Bible est l’objet de nombreuses interprétations. Enfin pourquoi ce secret est-il particulièrement un secret divin ? Mais, avant même toutes ces questions, de quoi parle Zacharie ? Quel est donc ce grand deuil à Jérusalem qu’il annonce en le comparant à des deuils du passé ?
A cette dernière question, le Talmud a répondu dans le traité Soucca5:
Rabbi Dossa et les autres savants en discutaient. Les uns disaient : il s’agit du Messie fils de Joseph qui est tué. Les autres disaient : il s’agit du penchant au mal qui est tué…
Dans le Midrach, le Messie fils de Joseph est un premier messie de la lignée de Joseph qui précède la venue du Messie fils de David. Le Messie fils de Joseph gagnera les guerres de la fin des temps, les guerres dites de Gog et Magog, mais il sera tué au cours de ces événements.
Le Rav Kook se demande alors : pourquoi faut-il donc qu’il y ait deux messies, alors que le but visé est qu’il n’y ait qu’un seul pouvoir qui règne sur les deux branches du peuple, la tribu de Joseph et ceux qui s’y rattachent d’un côté, la tribu Juda et ceux qui s’y rattachent de l’autre. Telle est en effet la prophétie d’Ezéchiel6:
Ainsi parle le seigneur Dieu : Voici je vais prendre l’arbre de Joseph qui est dans la main d’Ephraïm et les tiges d’Israël ses associées ; je les lui adjoindrai avec l’arbre de Juda, et j’en ferai un arbre unique… Voici, je vais prendre les enfants d’Israël d’entre les nations où ils sont allés,… Je les constituerai en une nation unie dans le pays, sur les montagnes d’Israël ; un seul roi sera le roi d’eux tous ; ils ne formeront plus deux nations, ils ne seront plus jamais fractionnés en deux royaumes.
En quoi consiste cette dualité qu’il faut réunir sous une même direction ? Pourquoi le peuple se divise-t-il en deux branches, celle de Joseph d’un côté, celle de Juda de l’autre ? Il y a visiblement là un problème sous-jacent qui traverse de part en part l’histoire du peuple juif et ne trouve sa solution que dans la perspective de la fin des temps. Par exemple nous constatons qu’aux temps hébraïques, après la mort de Salomon, le peuple hébreu s’est partagé en deux États, en deux royaumes, le Royaume d’Israël encore appelé Royaume d’Ephraïm7 et le Royaume de Juda. Pendant 250 ans, il n’y avait pas un État juif, il y en avait deux et qui parfois même se faisaient la guerre. Quelle chance qu’il n’y ait actuellement qu’un seul État juif ! Il nous faut élucider le sens de cette dualité, comprendre en quoi ce n’est pas un simple accident contingent de l’histoire.
Cette dualité trouve en fait sa source dans la réalité humaine au sens le plus fondamental. Schématiquement parlant, un homme est la synthèse d’un corps et d’un âme. Peu importe ici la philosophie précise à laquelle on se rattache quant à la manière dont doit être comprise cette dualité. Il y a présence d’une dualité dans la constitution de toute personne et, par voie de conséquence, d’une double direction dans ses efforts, dans son action, dans ses réalisations. D’un côté, il faut maintenir et développer une constitution physique, une vitalité, des forces, un équilibre biologique et psychique. Ces nécessités sont communes à tous les individus, elles sont un souci commun, un horizon commun, même s’il existe des différences entre les complexions personnelles. Mais d’un autre coté, l’homme a une âme, c’est-à-dire accède à des idées abstraites, à des perceptions esthétiques raffinées, à une culture ; il se construit un système de valeurs et une conception du monde, il se choisit un idéal et donne un sens à sa vie. Et en couronnement de tout apparaît l’éthique, avec ses diverses modalités de recherche de perfection et de responsabilité à l’égard d’autrui. C’est surtout dans cette deuxième direction, du côté de l’âme, que les différences personnelles apparaissent, que chaque individu découvre et construit son unicité, son irréductibilité.
Ce qui est vrai au niveau individuel le reste si l’on porte son regard sur un peuple et notamment le peuple juif. D’un côté, il doit assurer son existence, développer sa force politique, économique, militaire, se doter d’institutions solides, d’une administration efficace, d’un ordre social stable. En cela, le peuple juif est semblable aux autres peuples. Il est soumis aux mêmes impératifs matériels et cela constitue le fondement d’un langage commun, d’un tissu d’influences réciproques. Certes, son histoire est différente, elle est même exceptionnelle, mais cela reste l’histoire d’un peuple au sein de la famille des peuples. Pour l’indiquer, le Rav Kook met en valeur un verset de Samuel où David dit8:
Y a-t-il comme ton peuple Israël, une seule nation sur la terre (goï ehad baaretz), que des dieux soient allés délivrer pour en faire leur peuple, pour lui assurer un renom, en opérant des choses grandes et imposantes comme celles que tu as effectuées pour ta terre et pour ton peuple en le libérant de l’Égypte, de nations et de leurs divinités.
Le peuple juif est défini comme une nation parmi les autres, goï ehad baaretz, une nation sur la terre. Il y a donc un côté commun et par là-même un langage commun qui lie le peuple juif et le reste de l’humanité. C’est sur ce fondement que l’on peut comprendre que le peuple juif puisse jouer un rôle, puisse avoir une influence sur le monde extérieur, du moins en tant que vision d’avenir. Le Rav Kook cite à cet égard le prophète Isaïe. Ce que le prophète dit du Messie, le Rav Kook l’applique au peuple dans son ensemble9:
Ainsi parle le Dieu, l’Éternel qui a créé les cieux et les a déployés, qui a étendu la terre avec ses productions, qui donne la vie à la foule qui l’habite et le souffle à ce qui s’y déplace. Moi l’Éternel, je t’ai appelé pour la justice ; je te tiendrai par la main pour établir le peuple de mon alliance et être la lumière des nations.
C’est seulement sur la base d’une existence matérielle solidement établie qu’un rôle universel du peuple juif peut se concevoir. Mais il existe une deuxième perspective qui, elle, lui est complètement spécifique. Le peuple juif est aussi le véhicule de ce que le Rav Kook appelle une sainteté supérieure, une qedoucha eliona, qui l’isole de la communauté des peuples. Cette sainteté, issue de la révélation, a pour résultat que d’une certaine façon, on ne peut plus compter Israël comme élément d’un ensemble, comme appartenant à la famille des nations. La chira, le poème qui se trouve à la fin du Pentateuque et qui résume à sa manière le destin d’Israël, énonce10:
Car ce peuple est la part du Seigneur, Jacob est le lot de son héritage,… l’Éternel le conduit seul, il n’y a pas avec lui de puissance étrangère.
Cette situation exceptionnelle est reconnue par l’un des pires ennemis d’Israël, par le prophète Bileam, dans les malédictions qu’il voulait proférer et qui se sont transformées malgré lui en bénédictions11:
Comment maudirais-je celui que Dieu n’a pas maudit,… je le vois de la cime des rochers, je l’observe du haut des collines : ce peuple réside solitaire, il n’est pas compté parmi les nations (bagoïm lo ithachav).
Il convient de donner tout son sens à cette dualité, de maintenir fermement ses deux aspects, de ne pas gommer l’un au profit de l’autre. Elle ne se réduit pas à un discours convenu sur la double face particulariste et universaliste de la tradition d’Israël. En réalité, particularisme et universalisme sont tous deux encore relatifs à Israël en tant que membre de la famille des nations. Véhicule d’aspirations morales universelles, le peuple juif a également ses coutumes propres et un destin qui, du simple point de vue historique, est très particulier. Mais cela ne concerne pas encore Israël considéré comme support de sainteté supérieure, horizon en vertu duquel il échappe à l’histoire. Pour prendre une comparaison, le blanc est une couleur bien particulière au sein de la famille des couleurs. Elle est obtenue par combinaison de toutes les autres, mais c’est encore une couleur. Le blanc n’est pas encore la transparence, laquelle transcende la notion même de couleur. Il en est de même de l’exceptionnalité d’Israël : elle ne se confond pas avec un particularisme au sein de l’histoire, aussi éminent soit-il, mais elle signifie une échappée hors des catégories de l’histoire, même si elle se traduit en permanence dans l’histoire. En effet le dualisme dans la nature et la vocation d’Israël n’est pas seulement de nature théorique. Il est une constante inscrite dans son destin et l’impossibilité de concilier ses deux aspects est à l’origine de divisions tranchées dans le peuple et éventuellement même de catastrophes nationales.
Avant de le préciser, voyons avec le Rav Kook, comment c’est dès l’origine, dès l’histoire des patriarches, que la dissociation apparaît. Selon une formule du Midrach, maasé abot siman labanim, les événements de l’histoires des pères, des patriarches, sont un signe [annonciateur] pour les fils, pour les descendants. Les structures qui vont marquer l’histoire d’Israël sont déjà présentes à l’origine et les récits historiques de la Torah nous les explicitent.
D’emblée il y a conflit entre Joseph d’un côté et ses frères de l’autre dirigés par Juda. Et plus tard, c’est encore de la tribu de Joseph (ou plus spécialement d’Ephraïm) et de la tribu de Juda que seront issues les dynasties royales qui vont gouverner le peuple hébreu, le royaume d’Israël d’un côté, le royaume de Juda, de l’autre. Le destin de Joseph est d’un bout à l’autre marqué du sceau de la proximité avec le monde extérieur, avec le monde non juif. Joseph devient dirigeant politique en Égypte, c’est un économiste avisé, c’est lui qui va assurer la subsistance de sa famille pendant les années de famine.
Le Midrach insiste sur cette place de Joseph dans l’histoire universelle. Joseph est12 nivla bein haoumot, littéralement avalé parmi les peuples, il connaît les 70 langues (que lui a appris l’archange Gabriel) et Pharaon reconnaît en lui les caractéristiques d’un roi. Le Midrach Rabba dit encore13:
Lorsque Joseph est né, est né le satan d’Esaü et c’est alors que Jacob a dit à Laban : « laisse-moi partir pour que j’aille à mon propre lieu et à ma propre terre ». Rabbi Pinhas a dit: c’est une tradition que Esaü ne tombe que sous la main des fils de Rachel (Joseph et Benjamin)… Ce sont eux que le prophète Jérémie appelle les jeunes du troupeau (tseiré hatson), les plus jeunes des fils.
Toutefois Joseph lui-même conserve son identité juive en tant qu’éthique ; il est Iossef hatsadik, Joseph le juste. Joseph est donc le Juif engagé dans la vie politique et économique, au contact des non-Juifs ; sa présence est nécessaire à la subsistance du reste de la famille. Joseph a toutes les apparences du Juif assimilé, même s’il ne l’est pas réellement. Il est le point de contact entre le monde juif et celui de l’universel humain.
En revanche, Juda conduit le reste de la famille, il est le chef d’une communauté qui se tient dans sa sainteté en retrait du monde extérieur. Comme le dit le psaume14:
Quand Israël sortit de l’Égypte, la maison de Jacob d’un peuple à la langue barbare, Juda devint [pour Dieu] le lieu de sa sainteté, Israël le domaine de son empire.
La tension que la Torah décrit entre Juda et Joseph est autre chose qu’une simple querelle de famille. Elle résulte de l’affrontement entre deux modalités également indispensables de l’être juif.
Quelle solution peut-on apporter à cette contradiction, comment éviter qu’elle ne dégénère en affrontement irréductible entre les composantes du peuple ? Le Rav Kook décrit deux possibilités qui, historiquement, ont toutes les deux échoué. La première est celle du roi David. Il s’agit d’unifier les deux composantes sous une même souveraineté de sorte qu’elles coopèrent au sein d’une même structure et se fortifient l’une l’autre. Constituer un état puissant mais qui ne perde rien de ce qui fait la spécificité d’Israël, toutes les valeurs de sainteté qui doivent caractériser ce peuple en tant que tel et qui à l’extérieur ne se retrouvent qu’à l’état dispersé chez des personnes d’élite. Le Midrach va définir nettement quel est l’instrument qui permet cette unité. Esaü était roux et David aussi, mais, nous dit le texte, David avait de beaux yeux15:
[Esaü est né] roux ; Rabbi Aba bar Kahana a dit : comme quelqu’un qui verse le sang. Lorsque Samuel a vu que David [qu'il devait consacrer roi] était roux, il a eu peur. Il s’est dit: lui aussi va verser le sang comme Esaü. Le Saint Béni Soit-Il lui a dit : il est roux avec de beaux yeux. Esaü, c’est de son propre chef qu’il tue ; mais celui-là, c’est avec l’accord du Sanhédrin qu’il tue.
David est bien un roi, un chef politique, mais il agit sous le contrôle du Sanhédrin. Il exerce la violence mais sans arbitraire, une violence conforme au droit le plus exigeant. Avec David, la violence inévitable que doit mettre en œuvre le pouvoir politique reste au service de la justice. C’est cela, pour le Midrach, avoir de beaux yeux.
Je me permets d’introduire ici un parenthèse et d’insister sur l’enseignement que nous délivre ici le Midrach. Quel est le lieu où peuvent se retrouver les diverses composantes qui partagent notre peuple, le point d’intersection où les nécessités de la vie sociale d’un côté, les valeurs de l’esprit de l’autre, doivent se rencontrer ? Réponse : c’est le droit. C’est la constitution du droit qui est le lieu privilégié où ceux dont le souci primordial est la construction sociale et ceux qui veillent avant tout à la transmission des idéaux du judaïsme peuvent et doivent coopérer. Depuis l’Émancipation, la construction du droit juif s’est interrompue et le judaïsme s’est replié sur ses aspects cultuels. La synagogue a remplacé le tribunal comme centre de la vie juive. Là se trouve la cause première de nos divisions. L’avenir spirituel de notre peuple restera bouché tant que le fil de la construction du droit juif ne sera pas rétabli.
Je reviens maintenant au développement principal. La tentative unitaire de David a échoué. A la mort de Salomon, le royaume s’est scindé en deux États. le premier, le royaume de Juda, est resté fidèle à la dynastie de David, alors que le second, le royaume d’Israël, a fait scission, réunissant dix tribus sur douze entraînées par la tribu d’Ephraïm. Jéroboam, choisi pour sa prestance et son adresse pratique, a fondé une nouvelle dynastie qui s’est maintenue pendant plus de 200 ans. Les deux royaumes ont connu des développements séparés chacun selon sa vocation propre.
Le royaume d’Israël a laissé se développer tout ce qui rend semblable Israël aux autres peuples, notamment en organisant à Samarie une forme d’idolâtrie, un nouveau culte rival de celui de Jérusalem. Les rois d’Israël agissaient de façon arbitraire, étaient des débauchés, et les assassinats étaient monnaie courante. Ils ne restaient d’ailleurs pas longtemps sur le trône. Le prophète Osée décrit cette situation de dégénérescence et annonce16: Ephraïm s’assimile aux peuples (baamim hou itbolel), c’est un gâteau que l’on n’a pas retourné. Cette prophétie s’est réalisée. En 722, Samarie fut conquise par les Assyriens. Le royaume d’Israël disparut et les dix tribus furent dispersées dans la région environnante et s’assimilèrent. C’est l’une des plus grandes catastrophes nationales qu’a connu le peuple juif.
D’un autre côté, le royaume de Juda, avec des hauts et des bas, est plutôt resté fidèle aux valeurs juives. Mais, nous dit le Rav Kook, séparé de la force politique du royaume d’Israël avec lequel il était même parfois en conflit, cela n’a pas suffi. Pour compenser le manque de base matérielle, il aurait fallu un développement spirituel beaucoup plus vigoureux. Cela n’a pas été le cas et le royaume de Juda aussi, un siècle et demi plus tard, en 587, a été démantelé. Là encore le prophète synthétise cette situation17:
Je connais bien Ephraïm et Israël ne peut se cacher de moi ; oui vraiment tu t’es prostitué, Ephraïm, Israël s’est rendu impur. Leurs actions ne leur donnent pas la possibilité de revenir à leur Dieu, car un esprit de prostitution est présent en leur sein, et ils ne connaissent plus l’Éternel. La prétention d’Israël sera humiliée, Israël et Ephraïm trébucheront par leurs fautes, Juda trébuchera également avec eux.
L’analyse du Rav Kook ne s’arrête pas là. En dépit de la division en deux royaumes, une solution aurait pu être envisagée, fondée non plus sur l’unité d’un royaume mais néanmoins sur la coopération des deux royaumes. Que chaque partie développe sa caractéristique propre, sa tendance propre, avec toutefois des échanges laissant place à une influence réciproque. Que Juda apprenne d’Ephraïm les voies du renforcement national, tout ce qui est nécessaire au perfectionnement d’une société humaine en général. Et qu’inversement Ephraïm reçoive de Juda la force supérieure propre au peuple juif dans le domaine du sacré et notamment manifeste en ce temps là avec la présence permanente de la prophétie.
Cependant cela ne s’est pas réalisé. Il y a en effet un obstacle de taille à la mise en œuvre d’une telle coopération. Le Rav Kook, à la suite du Talmud, l’explicite. Par principe, on ne peut considérer que les deux orientations se situent au même niveau. Elles sont toutes deux indispensables mais la voie qui consiste à développer les valeurs propres à Israël doit obligatoirement avoir la primauté. C’est elle qui détermine le sens ultime de l’existence juive. Ce sens ultime ne saurait se trouver dans une normalisation politique et économique sans autre finalité. Le renforcement politique est nécessaire, il a une place totalement légitime, mais ce ne peut être lui qui fixe l’impulsion directrice. De même qu’à l’échelon individuel, c’est l’âme qui doit diriger le corps, de même à l’échelon collectif, l’idéal directeur ne peut et ne doit venir que de la Torah, de la prophétie, de ce qui constitue l’excellence et la spécificité d’Israël. Or le royaume d’Israël ne pouvait accepter une telle soumission. D’où l’échec irrémédiable qui s’en est suivi. La problématique que je viens de décrire apparaît clairement dans le midrach talmudique suivant18:
Il est écrit (I Rois, 13): Après ces choses là, Jéroboam n’est pas revenu de sa mauvaise voie. Après quoi ? Rabbi Aba a expliqué : Le Saint Béni-Soit-il a saisi Jéroboam par son vêtement. Il lui a dit : reviens sur ce que tu as fait et alors Moi, toi et le fils d’Ichaï (David), nous nous promènerons ensemble dans le jardin d’Eden. Jéroboam a répondu : [oui, mais] qui marchera devant ? [Dieu lui dit :] Le fils d’Ichaï marchera devant. [Alors Jéroboam dit :] S’il en est ainsi, je ne veux pas.
Toute l’histoire juive est marquée par cette opposition Juda-Joseph, cause d’une chaîne ininterrompue de difficultés ou de déchirements. Parfois l’exigence du renforcement de la puissance nationale et de l’universel humain occupe le devant de la scène, parfois au contraire, on assiste au réveil et au fleurissement des valeurs proprement juives, de ce qui se rattache à l’étude de la Torah et à ses idéaux. Mais la force unificatrice supérieure manque, la force englobante qui permettrait de donner leur juste place à chacune de ces tendances et à leurs représentants. Au lieu d’une nécessaire influence réciproque, chaque force tend à se développer séparément et dans l’affrontement avec sa voisine. Cette dispersion des forces, source d’incohérence, c’est cela que l’on appelle les havlei machiah, les traumatismes du Messie, des deux Messies, ajoute le Rav Kook.
Notamment, l’action du Messie fils de Joseph est frappée d’une contradiction interne. D’un côté elle est indispensable et de l’autre, réduite à sa nature propre, elle ne peut réussir, elle est vouée à l’échec. Un peuple juif ayant perdu sa spécificité, coupé des valeurs qui sont sa vocation, est tout aussi impensable qu’un monde qui aurait perdu un de ses points cardinaux, un monde qui aurait perdu le Nord. L’action du Messie fils de Joseph est nécessaire, mais réduite à elle-même, elle ne peut se maintenir. Tel est le sens de ce grand deuil qui va désoler Jérusalem, la mort du Messie fils de Joseph, préfiguration par le prophète Zacharie de catastrophes historiques.
Mais allons plus loin. Qu’est-ce que ce deuil collectif identifié par le prophète à celui que l’on prend pour un premier-né, que signifie cette insistance sur le fait que ce deuil frappe chaque famille à part ? Le premier-né, nous dit le Rav Kook, est l’enfant que les parents ont eu quand ils étaient encore jeunes, encore inexpérimentés. Ils ne savaient lui donner tous les soins nécessaires, et c’est pourquoi il est tombé malade et est décédé. Le deuil n’est pas seulement expression de tristesse. Il est également ici prise de conscience. Le peuple dans son ensemble doit prendre conscience que sa division est destructrice, qu’elle résulte d’une immaturité pouvant conduire à la catastrophe. Chacun des groupes, chacune des familles de pensée partie prenante au destin d’Israël, doit effectuer sa propre prise de conscience. Le drame de la mort du Messie fils de Joseph doit donner l’impulsion nécessaire pour établir une nouvelle situation. Il faut que ceux dont le souci principal est la reconstruction politique du peuple et ceux qui ont les yeux tournés vers ses valeurs idéales trouvent le moyen d’agir de concert. Si chacun peut et doit rester fidèle à sa vocation propre, il faut aussi qu’il y ait place pour une influence réciproque.
Mais pourquoi le prophète Zacharie évoque-t-il à mots couverts le deuil des rois Achab et Josias en corrélation avec celui du Messie fils de Joseph ? Commençons par Achab. La description qu’en fait la Bible n’est guère flatteuse, mais le Talmud en donne une image beaucoup plus contrastée. Il lui reconnaît des qualités éminentes. Achab aime Israël ; pour employer un terme moderne, c’est un patriote. Achab a suivi la voie tracée par son père Omri. Pourquoi Omri, malgré toutes ses fautes, a-t-il mérité de devenir roi d’Israël ? Parce qu’il a construit une nouvelle ville en terre d’Israël, la ville de Samarie. Achab, comme son père, est un bâtisseur.
Egalement Achab est un guerrier courageux. En raison de ses fautes, le prophète lui a annoncé qu’il doit périr dans la guerre contre Aram. Il est blessé par une flèche mais il se tient debout jusqu’à son dernier souffle pour ne pas décourager les troupes.
Plus étonnant encore. Bien qu’il laisse Jézabel exterminer les vrais prophètes, lui, par esprit national, respecte la Torah vis-à-vis du monde extérieur. Cet épisode inventé par le Talmud mérite d’être raconté19:
Ben-Hadad, roi de Syrie, rassembla toute son armée, assisté de 32 rois, avec chars et cavalerie, il alla assiéger Samarie… Il envoya des messagers à Achab, roi d’Israël, pour lui dire : A moi ton argent et ton or, à moi aussi tes femmes et tes fils, les meilleurs. Le roi d’Israël répondit : Comme tu l’as dit, seigneur roi, je suis à toi et tout ce qui m’appartient.
Des messagers revinrent [à nouveau] et dirent : Ainsi a parlé Ben-Haddad :… demain j’enverrai mes serviteurs chez toi ; ils fouilleront ta maison et emporteront ce que tu as de plus précieux.
Le roi manda les Anciens du pays et leur dit : cet homme a de mauvais desseins, car il m’a fait réclamer mes femmes et mes fils, mon argent et mon or, et je ne les lui ai pas refusés. Tous les anciens et tout le peuple lui dirent : Ne l’écoute pas et ne consens point.
Achab fit alors répondre par les envoyés de Ben-Haddad : Tout ce que tu as fait dire en premier lieu à ton serviteur, je le ferai ; mais cela, je ne peux le faire.
Qu’est-ce que Ben-Haddad a demandé en plus la seconde fois ? Le Talmud répond : il voulait s’emparer du Sepher Torah. C’est cela qui est le plus précieux et Achab, en garant intransigeant de la fierté nationale, a refusé. Achab honorait la Torah, non pas en tant que telle, mais comme élément du patrimoine d’Israël.
En revanche, sur le plan personnel, Achab a accumulé les errements et les vices. Développement sans précédent des cultes idolâtres, élimination des vrais prophètes, prostitution. Et le comble, ce pour quoi il devra périr, la mise à mort de Nabot à l’issue d’un procès truqué monté par Jézabel, la femme d’Achab. Cela afin de s’emparer de la vigne que Nabot avait refusé de lui céder.
Le roi Josias est l’antithèse d’Achab. La Bible décrit longuement le retour à la Torah institué par lui. Après avoir fait détruire les hauts lieux consacrés à diverses idoles bâtis aussi bien par des rois de Juda que par des rois d’Israël, Josias rétablit le respect des lois de la Torah20:
Le roi donna à tout le peuple l’ordre suivant : « Célébrez la Pâque en l’honneur de l’Éternel, votre Dieu, telle qu’elle est prescrite dans le livre de l’alliance ». De fait, on n’avait pas célébré une telle Pâque depuis l’époque des Juges qui avaient gouverné Israël, pendant toute la période des rois d’Israël et des rois de Juda… Nul roi n’était, autant que lui, revenu à l’Éternel de tout son cœur, de toute son âme et de tout son pouvoir, selon la doctrine entière de Moïse.
Mais comme on va le voir, il y a un revers à la médaille. Josias respecte les commandements mais est un mauvais politique. Il va être tué par Pharaon qu’il a eu le tort de vouloir combattre21:
Pharaon Nekho, roi d’Égypte, fit une expédition contre le roi d’Assyrie, vers l’Euphrate. Le roi Josias s’avança pour combattre Nekho et celui-ci le tua à Meghiddo dès qu’il l’eut aperçu.
Pharaon n’avait aucune intention belliqueuse envers Josias. Il voulait seulement traverser Israël pour aller faire la guerre à la Syrie. Josias refuse car, dit le Rav Kook, conformément à sa manière d’être, il ne veut pas de contact avec le monde extérieur. Son horizon est celui d’un peuple juif uniquement centré sur ses propres valeurs. Josias vit dans un monde idéal coupé de la réalité historique. Le Talmud l’explicite à sa manière22:
Rabbi Samuel fils de Nahmani a dit au nom de Rabbi Jonathan : Pourquoi Josias a-t-il été puni ? C’est parce qu’il aurait dû prendre l’avis de Jérémie et qu’il ne l’a pas fait. Voilà quel était son raisonnement : Il est annoncé [pour l'avenir] dans la Torah (Lévitique, ch. 26) : l’épée ne passera pas dans votre terre. S’il s’agit d’une épée belliqueuse, c’est inutile de le dire car il est écrit par ailleurs : Je mettrai la paix dans la terre. C’est donc pour dire que même une épée de paix [ne passera pas]. [Il s'est trompé car] il n’avait pas réalisé que la génération n’était pas à la hauteur. [Radak : des cultes idolâtres continuaient à être effectués clandestinement].
Josias se place dans la ligne d’un judaïsme pur et dur, d’une volonté de perfection idéale qui oublie les nécessités relatives à l’universel humain dans sa réalité concrète. On ne peut diriger un peuple avec des exigences de pureté trop éloignées de la situation historique.
Achab descendant de Joseph et Josias descendant Juda réactualisent ainsi la division apparue dès l’origine dans l’histoire des patriarches. Les voies qu’ils choisissent comportent chacune un noyau rigoureusement nécessaire à la construction d’un Israël complet mais la divergence dans laquelle ces voies sont empruntées ne peut conduire qu’à des échecs. Le grand deuil à la mort du Messie fils de Joseph est équivalent au double deuil d’Achab et de Josias. Il est la prise de conscience des désastres produits par l’unité manquée, de l’échec aussi bien de la voie d’Achab que de celle de Josias.
Mais pourquoi fallait-il le cacher ? Pourquoi Zacharie ne le dit-il qu’à mots couverts ? Peut-être nous aussi devrions nous abstenir d’en parler ? C’est qu’il y a ici un réel danger. La division peut entraîner des échecs, mais l’unité peut être encore plus néfaste. Le risque est qu’au lieu de s’influencer réciproquement mais en gardant leur vigueur, les voies de Juda et de Joseph se dissolvent dans une unité sans relief. Pour prendre une comparaison banale, la situation est analogue à celle d’une démocratie pour laquelle l’alternance peut être préférable à un gouvernement d’union nationale condamné à l’immobilisme. Si l’unité du peuple juif signifie l’établissement d’un traditionalisme sans aspérité, sans idéal radical, alors, à tout prendre, la controverse et la division sont préférables, en dépit des échecs qu’elles entraînent.
C’est pourquoi Zacharie a camouflé l’exigence ultime d’unité entre les bâtisseurs du collectif avec ses contraintes pratiques et ceux qui recherchent la perfection idéale. Mais de son côté, Jonathan Ben Ouziel a fait confiance à la raison. Il a pris courageusement sur lui de révéler le secret, non pas pour sa gloire personnelle, mais pour que ne se multiplient pas les divisions d’Israël. Quels que soient les vices personnels d’Achab, il ne faut pas oublier qu’il est un bâtisseur, un patriote qui aime son peuple jusqu’au sacrifice de soi. Et de l’autre côté, en dépit de ses outrances et de son irréalisme, l’exigence de perfection de Josias doit être reconnue comme structure indissociable de l’être d’Israël. Il faut faire confiance à la raison pour découvrir la voie d’une unité dans laquelle ces directions dissemblables conservent leur radicalité.
Et voilà, dit le Rav Kook23, qu’en notre génération, en 1900, en tant que trace du Messie fils de Joseph, est apparue la vision sioniste. Elle se définit essentiellement comme réalisation d’une tendance commune à tous les peuples. Le sionisme est encore frappé d’une imperfection qui empêche l’unité des forces qui le composent. Il ne saisit pas que le réveil d’Israël en tant que peuple vivant avec tous ses besoins matériels n’a de sens que comme fondement pour la réalisation de ses idéaux spécifiques. Le sionisme n’a pas encore trouvé le moyen de s’associer les élites du monde de la Torah et de bénéficier de leur influence.
Cette situation, ainsi que l’absence jusqu’à présent de résultats tangibles, a conduit à des dissensions extrêmes au sein du mouvement, conflits idéologiques ou brouille de frères. Elles sont devenues tellement dangereuses que le leader principal en est mort d’accablement et tristesse. Aussi nous devons prêter attention et mettre en œuvre l’aspiration à l’unification de l’arbre de Joseph et de l’arbre de Juda. Il faut nous réjouir du réveil du désir d’une vie saine et matérielle qui résonne dans l’ensemble du peuple et en même temps savoir que là n’est pas la finalité d’Israël. Ce réveil doit s’amplifier selon sa voie propre mais il doit s’orienter ultimement vers la soumission et l’aspiration aux idéaux l’esprit. Sinon il n’aurait pas plus de valeur que le royaume d’Ephraïm devenu gâteau que l’on n’a pas retourné, qui a abandonné la source d’eau vive, qui, comme le dit le prophète Osée, tantôt en appellent à l’Égypte, tantôt se rendent en Assyrie.
L’amertume nous saisit à juste titre à la mort de celui que l’on peut considérer comme trace du Messie fils de Joseph en raison de l’impulsion qu’il a donné au désir collectif de renaissance du peuple au sens matériel et au sein de l’universel humain. Mais cette amertume doit être productive et il nous faut supprimer les causes de l’abandon dans lequel cette impulsion s’est trouvée. La techouva, la réparation doit venir de nous et elle ne peut être véritable que si toutes les forces présentes et potentielles du peuple se développent avec vigueur mais en même temps se tournent en direction du Bien. Alors nous serons prêts pour que se réalise la volonté supérieure24: Et tu seras une couronne glorieuse aux mains de l’Éternel et un diadème royal dans la paume de ton Dieu.
Avec le début de la réalisation sioniste, la pensée du Rav Kook a connu un infléchissement. Les dissensions ont persisté mais elles commencent à prendre un tour moins aigu. Trente ans plus tard, en 1933, le Rav Kook en traite à nouveau dans un article intitulé Les pérégrinations des camps. Le Rav Kook parle désormais de la division entre religieux et laïcs et décrète qu’il s’agit là d’une pseudo-division, d’une division imaginaire manifestement gonflée par des abus de langage. Voici in extenso le texte de cet article25:

LES PERIGRINATIONS DES CAMPS
Alors que nous sommes à l’orée de la nouvelle année, – puisse-t-elle nous être favorable, ainsi qu’à tout le peuple d’Israël -, nous allons dire avec espoir et du fond du cœur : Que disparaisse l’année et ses malheurs et que débute l’année et ses bonheurs. Nous dirons cette prière avec d’autant plus d’ardeur que l’année qui s’achève fut accablante pour nous. Il nous faudra en plus l’accompagner d’un examen de nos actes passés et nous rapprocher du chemin de la techouva, le chemin du retour, seul capable, comme l’indique le traité talmudique Yoma, d’amener la guérison et la délivrance au monde. C’est notre devoir d’emprunter ce chemin, mais il nous faut en préciser le tracé, compte-tenu de notre situation dans le monde en général et dans notre pays en particulier.
Nous nous imaginons que notre peuple est scindé en deux camps, car nous entendons constamment tinter à nos oreilles le son de deux vocables, « religieux » (haredim), « laïcs » (hofchim), supposés, à tort, définir notre société. Or ce sont deux termes tout à fait nouveaux, n’ayant jamais jusqu’ici eu cours dans notre culture.
Nous savions que les êtres humains se situent à des niveaux différents, spécialement en ce qui concerne la vie de l’esprit, fondement de l’existence même. Mais que des termes décrivant cette différence puissent devenir des dénominations de clans ou de partis, cela, nous l’ignorions. Il apparaît à l’évidence que de ce point de vue, notre passé fut meilleur que notre présent. Si seulement nous pouvions faire disparaître complètement ces deux mots, obstacle sur le chemin de l’existence vigoureuse et pure que nous devons retrouver, éclairée de la lumière divine.
La mise en exergue de ces deux mots et le consensus imaginaire censé relier les individus, chacun proclamant avec satisfaction son appartenance à tel ou tel camp, constituent des deux côtés un obstacle à toute correction et à tout perfectionnement.
Le religieux, c’est-à-dire celui qui se pense appartenir au camp des religieux, regarde de haut en bas l’autre camp, celui des laïcs. Relativement à toute idée d’amendement, d’examen critique de ses actes et de retour au droit chemin, il porte d’emblée ses regards sur le camp d’en face, dénué de connaissance de la Torah et écarté de la pratique des commandements ; il considère que c’est là que la techouva dans la plénitude de son sens est nécessaire ; cela les regarde eux, « eux et pas lui ». Inversement, le laïc, c’est-à-dire celui appartenant à ce camp qui s’enorgueillit de son appellation moderne de laïc, pense bien évidemment que toute notion de techouva est par définition « religieuse » et ne le concerne en aucune manière. Nous sommes ainsi pris en tenailles de deux côtés. D’où viendrait alors le remède aux souffrances de notre âme ?
Tel est le premier handicap. Mais il y en un autre qui n’est pas moins grave : une sorte de rideau de fer est tiré entre les deux camps. Cela nous réduit au rang d’aveugles tâtonnant dans l’obscurité, car l’éclairage émanant de l’unité divine ne peut se poser que sur le peuple d’Israël dans sa globalité et donc se dérobe à nos yeux.
Nous n’avons donc d’autre choix que de nous débarasser de ces vocables fétiches. En vérité, nous sommes, depuis toujours, constitués non pas de deux camps, mais bel et bien de trois. En effet, c’est d’une tradition ancienne que nous apprenons que le terme hébraïque tsibour, communauté, est formé des initiales des mots justes, ordinaires et méchants, mais ces adjectifs ne peuvent s’appliquer qu’à des individus. Et pour ce qui est de chacun en particulier, il doit obéir au principe : même si le monde entier te dit « tu es juste », tu dois te considérer comme un méchant. Il est donc excellent que chacun fasse pour lui-même un bilan approfondi, examine ses défauts personnels, mais porte un regard bienveillant sur autrui dans la conscience de qui il pourrait bien découvrir un trésor de bien caché.
Nous devons décider, une fois pour toutes, qu’un dynamisme poussant à la marche vers le bien existe dans chaque camp et chaque personne de notre peuple et tout particulièrement chez ceux qui attachent du prix au destin collectif d’Israël et à ses aspirations, sous quelque modalité que ce soit.
Présentons-nous l’un à l’autre par notre nom commun, Israël, et non pas par nos noms partisans. Sachons que chaque camp a beaucoup à corriger et beaucoup de lumière à recevoir de son voisin d’en face. Alors apparaîtra pour nous la clarté supérieure et universelle grâce à laquelle nous obtiendrons un salut définitif et par laquelle s’accomplira cette prière, la plus sainte qui soit, que nous allons prononcer avec tant d’émotion : que tous constituent une même gerbe pour réaliser ta volonté avec un cœur parfait.
Ici s’arrête ma présentation des idées du Rav Kook. Sans aucunement les contredire et sans tomber dans le ridicule de prétendre les « améliorer », je souhaite toutefois les prolonger et mettre en évidence une nouvelle perspective. Comme on peut le constater, l’article du Rav Kook est encore d’actualité. Cependant, si on accepte de s’abstraire de l’effervescence médiatique qui hypostasie en permanence tel ou tel événement marginal de l’actualité immédiate, on doit conclure que l’état des choses s’est profondément modifié, et cela dans le bon sens.
La légitimité de l’existence de l’État d’Israël n’est pratiquement plus contestée par personne, ce qui n’était pas le cas auparavant. Pratiquement tous les courants de pensée sont partie prenante au jeu démocratique et, pour l’essentiel, en acceptent les règles. Au sein du monde politique, dans l’économie, dans les universités, et même de plus en plus au sein de l’armée, des représentants de toutes les tendances se rencontrent, coopèrent et dialoguent. Bref, à l’échelle des générations, les fossés irréductibles sont remplacés par des controverses normales. On observera en particulier que la violence physique n’apparaît que de façon tout à fait marginale, en tout cas sans aucune commune mesure avec ce que l’on observe dans les autres pays, même dans les pays appelés civilisés.
Toutefois le processus de reconstruction et d’unification en cours n’a pas encore atteint un état satisfaisant. Même si le fossé s’amenuise et est pour une large part imaginaire, il reste encore grand et, en tout cas, il est le plus souvent comme perçu comme tel. La raison en est que l’une des structures collectives fondamentales du peuple juif attend encore son rétablissement. Cette structure est le Droit. Le Droit est un élément essentiel de l’héritage culturel du peuple juif et il est commun à toutes les tendances, qu’elles se dénomment « religieuses » ou « laïques ». Le fil de la construction du droit juif s’est interrompu avec l’Émancipation et depuis, tout se passe comme si le peuple juif n’avait plus un héritage culturel commun.
Le peuple juif a retrouvé sa terre, sa langue, son État, son armée, sa capitale. Il n’a pas encore retrouvé son droit. Le système juridique de l’État d’Israël est un bric à brac de droit anglais, de droit musulman, de droit ottoman et seulement accessoirement de droit juif. Or c’est précisément la construction du Droit qui a vocation à être le lieu privilégié de la coopération entre les autorités du monde de la Torah et les représentants de la collectivité. Le rôle des autorités traditionnelles ne consiste ni à se cantonner à la sphère religieuse et morale, ni à se compromettre dans une participation politique au jour le jour pour laquelle ils n’ont pas de compétence particulière. Les autorités traditionnelles doivent retrouver le rôle social qui fait partie de leur vocation, c’est-à-dire la construction et la mise en œuvre du droit, en collaboration avec les représentants légitimes de la société civile. C’est dans cette construction et cette mise en œuvre que doit se réaliser la rencontre entre les nécessités inhérentes du développement social et les idéaux de justice issus de la révélation, entre le peuple juif selon Joseph et le peuple juif selon Juda. Tel est le sens de la royauté de David qui ressemble à Esaü mais qui a de beaux yeux. Le droit juif est le lieu même de l’unité du peuple juif. Il doit être rétabli et il le sera. C’est exactement ce qu’annonce le prophète Isaïe26: Je rétablirai tes juges comme à l’origine et tes guides comme au début et alors on t’appellera la Ville de la Justice.

Notes: sur le site

Roi Salomon

16 janvier, 2013

Roi Salomon dans images sacrée 348064712.2

http://davidgonzalez.blogspirit.com/archive/2010/05/10/73cfb2773867656770a0454709c2b152.html

LA MISÉRICORDE DANS LA BIBLE: L’ANCIEN TESTAMENT – par S. MARIA FAUSTYNA CIBOROWSKA ZMBM

16 janvier, 2013

http://www.wacom2011.pl/misericorde_dans_la_bible.htm

LA MISÉRICORDE DANS LA BIBLE: L’ANCIEN TESTAMENT

 S. MARIA FAUSTYNA CIBOROWSKA ZMBM

traduction: beata hrehorowicz

Nous ne pouvons découvrir le mystère de la miséricorde divine que grâce au fait que Dieu Lui-même l’a révélé, et qu’il a été noté par les auteurs inspirés dans les saints livres de l’Ancien et du Nouveau Testament. Dans l’histoire du monde et dans la vie des différents personnages bibliques ainsi que dans l’histoire du peuple élu, Dieu a révélé son amour miséricordieux qui non seulement fait sortir l’homme du péché, mais qui pallie également toutes faiblesses et défaillances humaines et gratifie l’homme du bienfait de l’existence. Ainsi la miséricorde se révèle-t-elle dans chaque œuvre de Dieu orientée vers l’extérieur : aussi bien créatrice que salvatrice. Tout ce que Dieu fait pour l’homme est une expression de Son amour miséricordieux.
Afin de décrire la réalité richissime de la miséricorde de Dieu Un et Trine, l’Ancien Testament recourt à un grand nombre de termes dont chacun souligne un aspect de ce grand mystère de notre foi. C’est le mot hébreu hesed qui est employé le plus souvent pour designer la miséricorde (plus de deux cents fois). Il est présent dans le Pentateuque, dans les livres historiques, sapientiaux et particulièrement dans les Psaumes et chez les prophètes, notamment dans le contexte de l’Alliance que Dieu a conclue avec le peuple élu. Ce terme désigne un cœur fidèle qui fait toujours preuve de bonté et de grâce. Hesed souligne les suivantes caractéristiques de la miséricorde de Dieu : la fidélité à Lui-même et la responsabilité en l’amour. Nous rencontrons plus de 30 fois l’expression hesed weemet, soit la grâce et la fidélité, dans les pages de la Bible hébraïque.
Les auteurs inspirés employèrent aussi très souvent le mot rahamim (dérivé de rehem – le sein maternel) qui accentue certains traits propres de l’amour de femme et mère. Il est porteur d’émotions intenses des plus tendres. Il désigne l’engagement total de l’homme dans l’aide témoignée aux autres, allant jusqu’aux larmes de compassion. Il signifie un amour gratuit, non mérité, qui découle en quelque sorte de la « contrainte » du cœur et qui se caractérise par : la bonté, la tendresse, la patience, la compréhension et la disposition à pardonner. Cette idée est exprimée le plus profondément par les paroles du livre d’Osée 11, 8 qui sont un aveu d’amour de Dieu à l’égard de l’infidèle Éphraïm.
Le mystère de la miséricorde divine est aussi exprimé par d’autres mots : hanan qui définit la constance, la bienveillance, la clémence et la générosité. Le mot hamal (littéralement : faire grâce à l’ennemi vaincu) exprime ce trait de la miséricorde qui correspond à la pitié, la compassion, le pardon et la rémission des fautes. Le mot hus qui exprime la pitié et la compassion comme sentiments, a donc une acception ressemblante. Nous rencontrons parfois le mot hen qui veut dire la bonté et une attitude bienveillante à l’égard des autres, en particulier envers ceux de nos frères dont la situation est devenue difficile.

Qui pourra mesurer la puissance de sa majesté et qui pourra détailler ses miséricordes ? (Si 18, 5). Grand jusqu’aux cieux ton amour, jusqu’aux nues, ta vérité (Ps 57, 11). Ces mots, puisés dans les pages de la Saint Écriture témoignent que le peuple élu fit l’expérience de Dieu essentiellement de par Sa miséricorde. Mais la bonté de Dieu qu’est-elle? De quelle manière Dieu révèle-t-Il Son amour miséricordieux?
La miséricorde signifie dans le langage biblique tout geste d’amour de Dieu à l’égard de la créature. La bonté de Dieu ne se limite pas seulement aux actes de pardonner à l’homme, bien que ces derniers en révèlent la profondeur le plus nettement. Mais l’œuvre de création est déjà un acte de miséricorde en elle-même. Le Psalmiste en parle clairement lorsqu’il loue Dieu pour Son hesed, soit la bonté, le désir de communiquer Son amour, Sa grâce (cf. Ps 136). Comme le dit l’Auteur de ce psaume : car éternel est son hesed – c’est la miséricorde de Dieu qui est la cause notamment de l’existence du soleil, de la lune, des étoiles (cf. Ps 136, 5-9). Le psaume 145, 9 signale qu’il est bon, Yahvé, envers tous, et ses tendresses pour toutes ses œuvres. Dieu aime les êtres qu’Il a créés et Il prend pitié de tous (gr. eleeo), ce dont parle le Livre de la Sagesse (cf. Sg 11, 23-24). C’est à la faveur de cet amour gracieux que le monde est né et continue d’exister. La Bible Hébraïque montre que la miséricorde de Dieu est toujours actuelle. L’on peut dire que l’amour miséricordieux de Dieu est l’oxygène qui maintient la vie du monde et de l’homme.
La miséricorde Yahvé s’avère être un attribut qui distingue le Dieu des Israélites des dieux des peuples païens (cf. Mi 7, 18). Le livre de Michée enseigne que Dieu prend plaisir à la miséricorde (Mi 7, 18). Elle est de toujours, comme le dit le Psalmiste (25, 6). Son immensité est telle que voulant en exprimer la grandeur, l’homme rencontre des difficultés de langage. C’est pourquoi c’est à maintes reprises que les Auteurs des livres de l’Ancien Testament emploient – pour définir la bonté de Dieu – des mots qui expriment la grandeur de cet attribut (p. ex. Ne 13, 22 ; Tb 8, 16 ; Ps 69, 17 ; Is 63, 7). Ils apposent souvent des termes qui désignent la miséricorde, par exemple dans l’Exode 34, 6-7, nous trouvons cette formule de la miséricorde : Dieu de tendresse et de pitié, lent à la colère, riche en grâce et fidélité ; qui garde sa grâce à des milliers… Six autres textes emploient aussi des constructions similaires : Ne 9, 17 ; Ps 86, 15 ; 103, 8 ; 145, 8 ; Jl 2, 13 ; Jon 4, 2. L’Auteur du livre de la Sagesse appellera Dieu directement Seigneur de miséricorde (9, 1).
Mais d’où vient, chez le peuple élu, cette contemplation et cet enchantement de la miséricorde divine ? D’où vient cette multitude de termes pour définir la bonté de Dieu ? Or, déjà le fait que Dieu ait été motivé pour choisir un peuple et en faire Sa propriété exclusive est imprégné de Son amour. Nous lisons dans le Deutéronome 7,7 et suiv. qu’en choisissant son peuple, le Seigneur n’était mu par aucun autre motif, mais Il l’a fait par amour (cf. Dt 7, 8) et pour garder le serment juré à Abraham (cf. Dt 7, 8). Il est révélateur que c’est dans un contexte motivant le choix des descendants d’Abraham pour en faire le peuple élu que nous sommes instruits que Dieu est fidèle, qu’Il garde Son alliance et Son amour pour mille générations. Par conséquent, la fidélité de Dieu à la parole donnée constituait pour le peuple élu le sens fondamental de la miséricorde. C’est donc du hesed – amour fidèle – que le peuple élu tire ses racines. Ainsi la miséricorde a-t-elle été révélée avant tout dans le dialogue de Dieu avec l’homme et dans l’alliance conclue avec Lui. Le peuple élu se rendait compte que la bonté de Dieu était la condition de son existence et que c’est d’abord l’amour miséricordieux de Dieu (hébr. rahamim), soit le désir que Dieu a de l’homme, qui est la source de toute vie conçue, l’avenir du peuple (cf. 13, 18).
L’œuvre de la libération du peuple de la captivité d’Égypte découle aussi du hesed. Même si le terme miséricorde n’apparaît pas directement dans la description de cet événement, l’exode est néanmoins présenté comme un acte de miséricorde divine. Dieu qui voit, en effet, la misère du peuple, ses larmes et ses souffrances, est descendu pour le délivrer (cf. Ex 3, 7 et suiv.). L’Auteur du Psaume 136 loue Dieu en poésie pour Sa miséricorde (hesed) révélée par le miracle de la délivrance du peuple élu du joug de Pharaon (versets 10-24). La miséricorde divine s’avère être une force libératrice, une puissance prenant la défense des opprimés injustement. Toutes les œuvres accomplies par Dieu avant et pendant le voyage vers la Terre Promise ont leur source en la bonté fidèle de Dieu. D’ailleurs le Psaume 136 est un immense Te Deum à l’éloge à la miséricorde divine que le peuple a pu connaître grâce à l’œuvre de la libération de la captivité égyptienne. L’Auteur du livre de Néhémie 9, 19 souligne à son tour la tendre présence de Dieu qui n’abandonne pas le peuple pendant son cheminement à travers le désert de jour et de nuit. Le don de la nourriture, de l’eau, enfin la promesse accomplie du don de la terre sont issus de la grâce divine. La gratitude pour cet événement, abondant en bonté divine, résonne notamment dans les paroles suivantes de la Haggadah (récit de la sortie des Juifs de la captivité égyptienne, lu durant le Seder pendant la fête de Pessah) : Aussi, combien plus devons-nous être reconnaissants envers l’Omniprésent pour la bonté doublée et redoublée qu’Il a placée sur nous.
Mais la miséricorde divine a révélé sa beauté la plus éblouissante en confrontation avec la réalité de l’infidélité humaine. Le peuple élu a commis maintes infidélités envers Dieu dès la traversée du désert, par exemple en fabriquant un dieu : le veau d’or (Ex 32, 4) ou en manquant de foi en la providence divine. Le péché équivalait à la rupture des conditions de l’Alliance. Partant, Dieu n’était plus obligé de témoigner la miséricorde ni de bénir son peuple. Le voyant transgresser Ses commandements, Dieu avait le droit d’anéantir le peuple qu’Il avait choisi. Cependant, Il se montre surtout fidèle à Lui-même, à Son amour de l’homme, dans le bien et dans le mal, plus fort que la trahison. Le livre de Néhémie 9, 17-19 résume cette réalité quand il constate que le peuple refusait d’obéir, commettait des blasphèmes, oubliait les interventions miraculeuses de Dieu. Malgré tout cela, Il leur a pardonné en Son immense miséricorde.
À la lumière de ces considérations, la question se pose de savoir quel est le sens du châtiment. D’une façon générale, y a-t-il de la place pour la punition au sein de la miséricorde divine ? Il s’avère que la sollicitude de Dieu à l’égard de l’homme se manifeste notamment par le châtiment. Nous lisons dans le livre du Siracide 16, 11 que pitié et colère appartiennent au Seigneur puissant dans le pardon, répandant la colère. Le passage de l’Exode 34, 7 fait une comparaison entre l’importance de la punition et celle de la miséricorde. Le pardon de Dieu ne connaît pas de limites (« à des milliers »), le châtiment ne dure pas longtemps. Yahvé est lent à la colère et peu empressé à châtier l’homme. Le livre d’Osée 11, 8 et suiv. montre d’une façon imagée que l’idée de punir l’homme Lui fait frémir les entrailles, son cœur est bouleversé. Il le fait pourtant par miséricorde, afin d’amener l’homme à la conversion, car Il désire son bonheur. Ainsi Dieu vient-Il au secours de l’homme dès qu’Il a vu chez lui l’amélioration et la contrition. Il est donc significatif que les termes de miséricorde et de salut apparaissent à maintes reprises l’un à côté de l’autre dans les pages de l’Ancien Testament (p. ex. Ps 6, 5 ; 17, 7 ; Si 2, 11 ; Ba 4, 22).
La miséricorde ne s’étend pourtant pas qu’au peuple élu. L’Auteur du livre du Siracide 18, 13 dira : La pitié du Seigneur est pour toute chair. L’universalisme de la miséricorde est notamment dépeint le mieux dans le livre de Jonas. À voir l’immensité du péché des habitants de Ninive, Dieu leur envoie le prophète dont la mission vise à leur conversion. Jonas souhaite pourtant une punition sévère pour les ennemis cruels d’Israël. Il décide de se soustraire à l’ordre de Yahvé parce qu’il sait qu’Il est un Dieu de pitié et de tendresse, lent à la colère, riche en grâce et te repentant du mal (Jon 4, 2), ainsi peut-Il accorder le pardon à Ninive. C’est ce qui advient. Dans le contexte de ce récit, nous découvrons la condition du pardon de Dieu. C’est le regret pour les péchés. Mais le regret n’est pas seulement un sentiment, il s’agit de se détourner catégoriquement du mal et de se repentir, comme les habitants de Ninive l’ont fait. Les livres de l’Ancien Testament présentent fréquemment la nécessité de se corriger et d’avouer sa faiblesse comme conditions de rémission des péchés par Dieu (cf. 2 Ch 30, 9 ; Ps 79, 8). Le Psaume 51 est peut-être le plus beau texte biblique qui dépeigne la relation : le regret du pécheur – le pardon de Dieu. Déjà les premières paroles de la prière implorent par trois fois la miséricorde divine : Pitié pour moi, Dieu, en ta bonté, en ta grande tendresse efface mon péché (vers 3), car mon péché, moi, je le connais… (vers 5a). L’auteur du livre du Siracide exprimera cette vérité par l’étonnement : Qu’elle est grande la miséricorde du Seigneur, son indulgence pour ceux qui se tournent vers lui ! (17, 29).
Ce sont les livres prophétiques qui chantent particulièrement le don de l’amour, plus fort que le péché humain, de Dieu capable de pardonner à maintes reprises. Parmi ces textes, il faut évoquer cette citation majeure du livre d’Isaïe 54, 10 : Car les montagnes peuvent s’écarter et les collines chanceler, mon amour Ne s’écartera pas de toi, mon alliance de paix ne chancellera pas, dit Yahvé qui te console. Ces mots du livre de Jérémie 31, 3 : D’un amour éternel je t’ai aimée, aussi t’ai-je maintenu ma faveur sont un aveu spécifique d’amour divin abondant en pardon. Dieu ne se contente pourtant pas de produire les preuves de sa bonté, Il désire la miséricorde de l’homme ! Il lui demande d’être fidèle, ce que nous pouvons lire dans le livre d’Osée : C’est l’amour (hesed) qui me plaît et non les sacrifices (6, 6).
Les prophètes dévoilent en quelque sorte le cœur de Dieu et montrent nettement Son amour ardent qui fait tout pour que Son Élue soit heureuse. L’Ancien Testament présente souvent l’expérience de la miséricorde divine comme une source de joie (Ps 13, 6; Ba 4, 22) et de gratitude. Le Psaume 107, qui chante la bonté de Dieu pour avoir délivré le peuple de la captivité et des malheurs, en est un exemple éloquent. Ce psaume répète jusqu’à quatre fois un refrain qui appelle à la gratitude pour la miséricorde de Yahvé (vers 8. 15. 21. 31), puisque à chaque cri de détresse adressé à Dieu, les Israélites ont été écoutés (vers 6. 13. 19. 28).
Ainsi les livres de l’Ancien Testament montrent-ils la miséricorde divine dans l’œuvre de la création, mais tout particulièrement dans le contexte des péchés et des infidélités qui ont été pardonnés à l’homme. L’expérience du pardon devient une source de joie et confère un sens à la vie. Il existe une seule condition de l’obtenir : la volonté authentique de revenir à Dieu. Toute créature est maintenue en son existence par l’amour de Dieu qui se penche sur ce qui est petit, faible et ce qui a besoin d’être soutenu. Le fait même que les textes vétérotestamentaires relatifs à la bonté divine soient innombrables, prouve qu’elle accompagne l’homme constamment et témoigne de la nature illimitée et de la puissance infinie de cet attribut [...] le plus grand en Dieu, comme l’a dit sainte Sœur Faustine.

LES 4 PRINCIPES DE LA LIBERTÉ DE L’EGLISE

16 janvier, 2013

http://www.zenit.org/article-33130?l=french

LES 4 PRINCIPES DE LA LIBERTÉ DE L’EGLISE

Note du Saint-Siège sur l’autonomie institutionnelle de l’Eglise

ROME, Wednesday 16 January 2013 (Zenit.org).
La doctrine de l’Eglise catholique relative aux aspects de la liberté religieuse affectés par les deux affaires susmentionnées peut être présentée, en synthèse, comme fondée sur les quatre principes suivants : la distinction entre l’Eglise et la communauté politique, la liberté à l’égard de l’Etat, la liberté au sein de l’Eglise, le respect de l’ordre public juste.
C’est ce qu’explique une note de la Représentation permanente du Saint-Siège auprès du Conseil de l’Europe, publiée ce 16 janvier 2013, dans le cadre de deux affaires portées devant la Cour européenne des droits de l’homme (cf. Zenit du 16 mai 2012).
Note sur la liberté et l’autonomie institutionnelle de l’Eglise catholique
à l’occasion de l’examen des affaires
Sindicatul ‘Pastorul cel Bun’ contre la Roumanie (n° 2330/09)
et Fernandez-Martinez contre l’Espagne (n° 56030/07)
par la Cour européenne des droits de l’homme.
La doctrine de l’Eglise catholique relative aux aspects de la liberté religieuse affectés par les deux affaires susmentionnées peut être présentée, en synthèse, comme fondée sur les quatre principes suivants : 1) la distinction entre l’Eglise et la communauté politique, 2) la liberté à l’égard de l’Etat, 3) la liberté au sein de l’Eglise, 4) le respect de l’ordre public juste.
1. La distinction entre l’Eglise et la communauté politique
L’Eglise reconnait la distinction entre l’Eglise et la communauté politique qui ont, l’une et l’autre, des finalités distinctes ; l’Eglise ne se confond d’aucune manière avec la communauté politique et n’est liée à aucun système politique. La communauté politique doit veiller au bien commun et faire en sorte que, sur cette terre, les citoyens puissent mener une « vie calme et paisible ». L’Eglise reconnaît que c’est dans la communauté politique que l’on trouve la réalisation la plus complète du bien commun (cf. Catéchisme de l’Eglise Catholique, n. 1910), entendu comme « l’ensemble des conditions sociales qui permettent tant aux groupes qu’à chacun de leurs membres d’atteindre leur perfection d’une façon plus totale et plus aisée » (ibid., n. 1906). Il revient à l’Etat de le défendre et d’assurer la cohésion, l’unité et l’organisation de la société de sorte que le bien commun soit réalisé avec la contribution de tous les citoyens, et rende accessibles à chacun les biens nécessaires – matériels, culturels, moraux et spirituels – à une existence vraiment humaine. Quant à l’Eglise, elle a été fondée pour conduire ses fidèles, par sa doctrine, ses sacrements, sa prière et ses lois, à leur fin éternelle.
Cette distinction repose sur les paroles du Christ : « Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu » (Mt 22, 21). Sur le terrain qui leur est propre, la communauté politique et l’Église sont indépendantes l’une de l’autre et autonomes. S’agissant des domaines dont la finalité est à la fois spirituelle et temporelle, comme le mariage ou l’éducation des enfants, l’Eglise considère que le pouvoir civil doit exercer son autorité en veillant à ne pas nuire au bien spirituel des fidèles. L’Église et la communauté politique ne peuvent pas cependant s’ignorer l’une l’autre ; à des titres divers, elles sont au service des mêmes hommes. Elles exercent d’autant plus efficacement ce service pour le bien de tous qu’elles rechercheront davantage entre elles une saine coopération, selon l’expression du Concile Vatican II (cf. Gaudium et spes, n. 76).
La distinction entre l’Eglise et la communauté politique est assurée par le respect de leur autonomie réciproque, laquelle conditionne leur liberté mutuelle. Les limites de cette liberté sont, pour l’Etat, de s’abstenir de prendre des mesures susceptibles de nuire au salut éternel des fidèles, et, pour l’Eglise, de respecter l’ordre public.
2. La liberté à l’égard de l’Etat
L’Eglise ne revendique pas de privilège, mais le plein respect et la protection de sa liberté d’accomplir sa mission au sein d’une société pluraliste. Cette mission et cette liberté, l’Eglise les a reçues ensemble de Jésus-Christ et non pas de l’Etat. Le pouvoir civil doit ainsi respecter et protéger la liberté et l’autonomie de l’Eglise et ne l’empêcher en aucune manière de s’acquitter intégralement de sa mission qui consiste à conduire ses fidèles, par sa doctrine, ses sacrements, sa prière et ses lois, à leur fin éternelle.
La liberté de l’Eglise doit être reconnue par le pouvoir civil en tout ce qui concerne sa mission, tant s’agissant de l’organisation institutionnelle de l’Eglise (choix et formation des collaborateurs et des clercs, élection des évêques, communication interne entre le Saint-Siège, les évêques et les fidèles, fondation et gouvernement d’instituts de vie religieuse, publication et diffusion d’écrits, possession et administration de biens temporels …), que de l’accomplissement de sa mission auprès des fidèles (notamment par l’exercice de son magistère, la célébration du culte, l’administration des sacrements et le soin pastoral).
La religion catholique existe dans et par l’Eglise qui est le corps mystique du Christ. Dans la considération de la liberté de l’Eglise, une attention première doit donc être accordée à sa dimension collective : l’Eglise est autonome dans son fonctionnement institutionnel, son ordre juridique et son administration interne. Les impératifs de l’ordre public juste restant saufs, cette autonomie doit être respectée par les autorités civiles ; c’est une condition de la liberté religieuse et de la distinction entre l’Eglise et l’Etat. Les autorités civiles ne peuvent pas, sans commettre d’abus de pouvoir, interférer dans ce domaine religieux, par exemple en prétendant réformer une décision de l’Evêque relative à une nomination à une fonction.
3. La liberté au sein de l’Eglise
L’Eglise n’ignore pas que certaines religions et idéologies peuvent opprimer la liberté de leurs fidèles ; quant à elle cependant, l’Eglise reconnaît la valeur fondamentale de la liberté humaine. L’Eglise voit en toute personne une créature douée d’intelligence et de volonté libre. L’Eglise se conçoit comme un espace de liberté et elle prescrit des normes destinées à garantir le respect de cette liberté. Ainsi, tous les actes religieux, pour être valides, exigent la liberté de leur auteur. Pris dans leur ensemble et au-delà de leur signification propre, ces actes accomplis librement visent à faire accéder à la « liberté des enfants de Dieu ». Les relations mutuelles au sein de l’Eglise (par exemple le mariage et les vœux religieux prononcés devant Dieu) sont gouvernées par cette liberté.
Cette liberté est en dépendance à l’égard de la vérité (« la vérité vous rendra libre », Jn 8,32) : il en résulte qu’elle ne peut pas être invoquée pour justifier une atteinte à la vérité. Ainsi, un fidèle laïc ou religieux ne peut pas, à l’égard de l’Eglise, invoquer sa liberté pour contester la foi (par exemple en prenant des positions publiques contre le Magistère) ou pour porter atteinte à l’Eglise (par exemple en créant un syndicat civil de prêtres contre la volonté de l’Eglise). Il est vrai que toute personne dispose de la faculté de contester le Magistère ou les prescriptions et les normes de l’Eglise. En cas de désaccord, toute personne peut exercer les recours prévus par le droit canonique et même rompre ses relations avec l’Eglise. Les relations au sein de l’Eglise étant toutefois de nature essentiellement spirituelle, il n’appartient pas à l’Etat d’entrer dans cette sphère et de trancher de telles controverses.
4. Le respect de l’ordre public juste
L’Eglise ne demande pas que les communautés religieuses soient des zones de « non-droit » dans lesquelles les lois de l’Etat cesseraient de s’appliquer. L’Eglise reconnaît la compétence légitime des autorités et juridictions civiles pour assurer le maintien de l’ordre public ; cet ordre public devant respecter la justice. Ainsi, l’Etat doit assurer le respect par les communautés religieuses de la morale et de l’ordre public juste. Il veille en particulier à ce que les personnes ne soient pas soumises à des traitements inhumains ou dégradants, ainsi qu’au respect de leur intégrité physique et morale, y compris à leur capacité de quitter librement leur communauté religieuse. C’est là la limite de l’autonomie des diverses communautés religieuses, permettant de garantir la liberté religieuse tant individuelle que collective et institutionnelle, dans le respect du bien commun et de la cohésion des sociétés pluralistes. En dehors de ces cas, il appartient aux autorités civiles de respecter l’autonomie des communautés religieuses, en vertu de laquelle celles-ci doivent être libres de fonctionner et de s’organiser selon leurs propres règles.
A cet égard, il doit être rappelé que la foi catholique est totalement respectueuse de la raison. Les chrétiens reconnaissent la distinction entre la raison et la religion, entre les ordres naturel et surnaturel, et ils estiment que « la grâce ne détruit pas la nature », c’est-à-dire que la foi et les autres dons de Dieu ne rendent pas inutiles ni ignorent la nature humaine et l’usage de la raison humaine, mais au contraire encouragent cet usage. Le christianisme, à la différence d’autres religions, ne comporte pas de prescriptions religieuses formelles (alimentaires, vestimentaires, mutilations, etc.) susceptibles le cas échéant de heurter la morale naturelle et d’entrer en conflit avec le droit d’un État religieusement neutre. D’ailleurs, le Christ a enseigné à dépasser de telles prescriptions religieuses purement formelles et les a remplacées par la loi vivante de la charité, une loi qui, dans l’ordre naturel, reconnaît à la conscience le soin de distinguer le bien du mal. Ainsi, l’Eglise catholique ne saurait imposer aucune prescription contraire aux justes exigences de l’ordre public.

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