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LA JOIE CHEZ LES PÈRES DE L’EGLISE…(ET QUELQUES AUTEURS CHRÉTIENS ULTÉRIEURS)
23 janvier, 2013http://peresdeleglise.free.fr/Joie/souffrance.htm
LA JOIE CHEZ LES PÈRES DE L’EGLISE…(ET QUELQUES AUTEURS CHRÉTIENS ULTÉRIEURS)
JOIE ET SOUFFRANCE
Pourquoi oser rassembler dans une formule apparemment paradoxale « joie » et « souffrance », alors que nous les vivons toujours comme opposées dans notre vie ?
Il s’agit certainement, comme nous le verrons, d’une propriété intrinsèque de la joie, que de véhiculer en ce monde la souffrance : souffrance des limites, souffrance de la séparation de Dieu…, souffrance parce que la joie n’est pas encore parfaite.
Mais aussi, de façon beaucoup plus mystérieuse, parce que Dieu, qui est toute joie, joie parfaite, a pu être aussi toute souffrance : lui seul a pu connaître l’infini souffrance de l’abandon, seul sur la Croix, sans ses disciples (Mt 26, 40 : « Ainsi, vous n’avez pas eu la force de veiller une heure avec moi ! »), abandonné par les siens, abandonné par l’homme, les hommes, à qui il a tout donné, et si loin de Dieu, son Père : « Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné » (le Christ en Croix reprend et s’attribue les paroles du Psaume 21). L’homme, d’une façon imparfaite certes, vit en sa chair « les souffrances du Christ » (2 Co 1, 5 : « Car, de même que les souffrances de Christ abondent en nous, de même notre consolation abonde par Christ. » Ou encore : Col 1, 24 : « Je me réjouis maintenant dans mes souffrances pour vous ; et ce qui manque aux souffrances de Christ, je l’achève en ma chair, pour son corps, qui est l’Eglise. »).
Certes Thomas d’Aquin nous parle de la béatitude de Dieu, joie parfaite que rien ne peut diminuer :
« La béatitude convient souverainement à Dieu. Car sous le nom de béatitude on ne signifie rien d’autre que la bonté parfaite de la nature intellectuelle, à qui il appartient de se connaître comblée par la bonté qui est sienne, à qui donc il appartient que ce qui lui arrive soit bon ou mauvais pour elle, et qui est maîtresse de ses actes. Or l’un et l’autre, être parfait et être intelligent, appartiennent excellemment à Dieu. Donc la béatitude lui convient au plus haut point. » (Ia pars Q 26, art. 1)
Et il précise :
« La somme de tous les biens n’est pas en Dieu par mode de composition mais par mode de simplicité ; car les perfections qui sont multipliées dans les créatures préexistent en Dieu dans la simplicité et l’unité, ainsi qu’on l’a expliqué précédemment. » (ibid. sol. 1)
Pourtant la lecture de la Bible, y compris d’ailleurs les récits évangéliques et surtout les lettres des disciples (ainsi Pierre, dans la première épître parle à maintes reprises de la souffrance du Christ), comme l’expérience mystique, nous invitent à rapprocher ces deux termes de joie et de souffrance et à nous demander si ce n’est pas d’ailleurs parce que l’homme est promis à la joie parfaite, dont il fait déjà l’expérience en ce monde, qu’il fait aussi l’expérience de la souffrance, car son expérience est marquée par les limites (souffrance), en attente encore de l’éternité.
Ceci peut être également rapproché de ce que St Thomas explique à propos de la coexistence du bien et du mal, car il est indéniable que la joie est bien et que la souffrance est mal. St Thomas dit bien que le mal ne peut détruire complètement le bien :
« Pour s’en convaincre, il faut observer qu’il y a trois sortes de bien. La première est totalement détruite par le mal ; c’est le bien opposé au mal : ainsi la lumière est totalement détruite par les ténèbres, et la vue par la cécité. La deuxième n’est ni totalement détruite par le mal, ni même affaiblie par lui : ainsi du fait des ténèbres, rien de la substance de l’air n’est diminué. Enfin, la troisième sorte de bien est diminuée par le mal, sans être complètement détruite : c’est l’aptitude du sujet à son acte. » (1ère Partie, Q.48, art. 4)
A transposer sans doute pour la joie : la joie, qui, en l’homme – à la différence de la joie en Dieu marquée par le principe de la simplicité et de l’unité -, est complexe ne peut être annulée entièrement par la souffrance.
I – L’EXPÉRIENCE DES LIMITES
Pour l’homme, a priori il y a deux temps : nous ne pouvons même pas concevoir qu’il puisse y avoir à la fois joie et souffrance, et donc généralement nous séparons : souffrances de cette terre et joie de l’Au-delà.
St Augustin souligne dans Les Confessions, au chapitre X, le paradoxe de cette joie et de cette souffrance que l’homme connaît en ce monde : « Mes joies, dont je devrais pleurer, sont encore en lutte avec mes tristesses, dont je devrais me réjouir. » [tout le passage est nécessaire] :
« Je t’ai aimée bien tard, Beauté si ancienne et si nouvelle, je t’ai aimée bien tard ! Mais voilà : tu étais au-dedans de moi quand j’étais au-dehors, et c’est dehors que je te cherchais ; dans ma laideur, je me précipitais sur la grâce de tes créatures. Tu étais avec moi, et je n’étais pas avec toi. Elles me retenaient loin de toi, ces choses qui n’existeraient pas, si elles n’existaient en toi. Tu m’as appelé, tu as crié, tu as vaincu ma surdité ; tu as brillé, tuas resplendi, et tu as dissipé mon aveuglement ; tu as répandu ton parfum, je l’ai respiré et je soupire maintenant pour toi ; je t’ai goûtée, et j’ai faim et soif de toi ; tu m’as touché et je me suis enflammé pour obtenir la paix qui est en toi. Lorsque je te serai uni par tout moi-même, il n’y aura plus pour moi de douleur ni de fatigue. Ma vie, toute pleine de toi, sera vivante. Celui que tu combles, tu l’allèges, car lorsque je ne suis pas comblé par toi, je me suis à charge à moi-même. Mes joies, dont je devrais pleurer, sont encore en lutte avec mes tristesses, dont je devrais me réjouir. De quel côté apparaîtra la victoire, je l’ignore… » (Confessions, X, xxvii, 38 – xxviii, 39)
Ce texte est essentiel pour commencer notre réflexion. Il servira en quelque sorte de fil directeur pour nous aider à comprendre beaucoup de choses :
il est impossible de concevoir, au nom même de la résurrection de la chair, de la communion des saints… de tout ce que nous affirmons dans la profession de foi, notre monde comme un monde de souffrance, l’au-delà comme un monde de joie, et ceci comme deux univers séparés (de façon somme toute assez « manichéenne »). La « perfection » qui est de Dieu n’est pas dans le pouvoir de l’homme par lui-même, mais en mettant précisément sa confiance (sa foi) en Dieu, il vit déjà, d’une certaine façon, la joie parfaite : mystère de Dieu…
l’homme fait à l’image de Dieu ne peut être étonné de connaître à la fois joie et souffrance ; la joie d’ailleurs n’est pas que désir et aspiration : elle se révèle une réalité dès ce monde, et donc une espérance au sens fort (non pas un « vœu pieu » comme on dit parfois, mais une réalité humaine qui doit être encore convertie au grand feu de l’Amour de Dieu). Nous devons devenir encore ce que profondément nous sommes : c’est-à-dire des êtres de joie.
l’union de la joie et de la souffrance dans la condition humaine alors que l’éternité n’est pas encore acquise (même si elle a été révélée et donnée) est une réalité, mais c’est cette condition que Dieu a épousé en s’incarnant dans le Christ, qui a connu lui la souffrance totale et la joie parfaite dans son existence terrestre, bien au-delà de tout ce que nous pouvons imaginer. C’est à l’image de Dieu que nous devons vivre cette réalité, sans en refuser l’une des faces (que ce soit la souffrance, inéluctable car liée à notre condition d’homme mortel, que ce soit la joie, car fondement de notre caractère déjà divin), jusqu’au jour où le Christ revenant « effacera toutes larmes de [nos] yeux » (Ap 21, 4).
L’homme, créature de Dieu, fils de Dieu par le salut qui lui a été donné, connaît déjà d’une certaine façon l’éternité dès cette vie ; ceci nous est répété par les Pères :
« La bonté divine, frères très chers, nous invite, pour le salut de nos âmes, aux joies de la béatitude éternelle, comme vous l’avez entendu dans la lecture qui nous occupe, où l’Apôtre disait : Réjouissez-vous toujours dans le Seigneur. Les joies du monde tendent à la tristesse ; mais les joies conformes à la volonté de Dieu attirent aux biens durables et éternels ceux qui y persévèrent. C’est pourquoi l’Apôtre ajoute : Je le répète, réjouissez-vous. » (Homélie ancienne sur la Lettre aux Philippiens, 4, 4 [attribuée à St Ambroise ?])
ET LE PRÉDICATEUR CONTINUE, COMMENTANT PAUL :
« Que votre sérénité soit connue de tous les hommes : c’est-à-dire que votre conduite sainte ne doit pas seulement apparaître devant Dieu, mais aussi devant les hommes, pour donner un exemple de sérénité et de réserve devant tous ceux qui demeurent avec vous sur la terre, ou encore pour laisser un bon souvenir devant Dieu et les hommes.
Le Seigneur est proche : ne soyez inquiets de rien : le Seigneur est toujours proche de ceux qui l’invoquent avec sincérité, avec une foi droite, une espérance ferme, une parfaite charité : car il sait de quoi vous avez besoin avant que vous le lui demandiez : Il est toujours près à secourir, dans n’importe lequel de leurs besoins, ceux qui le servent fidèlement. Aussi, lorsque nous voyons que le malheur est imminent, nous n’avons pas à nous faire de grand souci, puisque nous devons savoir que Dieu est pour nous un défenseur tout proche, selon cette parole : Le Seigneur est proche de ceux dont le cœur est angoissé, et il sauvera ceux dont l’esprit est abattu. Les angoisses sont nombreuses pour les justes mais de toutes le Seigneur les délivrera [Ps 34]. Si nous nous efforçons d’accomplir et de garder ce qu’il prescrit, il ne tardera pas à s’acquitter de ses promesses.
Mais, en toute circonstance, dans l’action de grâce priez et suppliez pour faire connaître à Dieu vos demandes : nous ne devons pas, si nous sommes accablés d’épreuves, les supporter avec récriminations et tristesse, loin de là, mais avec patience et bonne humeur, en rendant grâce à Dieu en tout temps et à propos de tout. ».
Pourtant devant la souffrance, la révolte est fréquente. Plusieurs attitudes sont classiquement proposées au croyant :
la prière (cf. ci-dessus : il faudra donc éclaircir la notion de prière de demande : devons-nous demander et que demandons-nous ?)
l’amour de l’autre (se tourner vers l’autre aide à oublier ses propres souffrances, dit-on souvent ; plus profondément, l’Amour vrai est le chemin de la joie)
l’abandon à la volonté de Dieu (mais Dieu ne veut pas le mal et s’abandonner à Dieu c’est vouloir le bien et le bonheur car de Lui ne vient que le bonheur).
On n’ose pas clairement proposer la « joie » comme antidote à la souffrance ! Et ce n’est d’ailleurs pas ce que je ferai ici. La souffrance de l’homme est une réalité qui comporte toujours sa part de mystère (certes), mais est une réalité terrible, et toutes les ressources proposées, y compris la force morale (qui peut aider, avec les conseils donnés ci-dessus), ne doit pas amener à nier la souffrance. Si Dieu ne veut pas la souffrance (Dieu ne veut pas la mort de celui qui meurt, Ez 18, 32), il la connaît tellement bien et en admet tellement bien la réalité qu’il a accepté de mener pour nous le combat contre la souffrance « pour que [notre] joie soit parfaite » (Jn, en particulier 15, 11).
C’est ainsi que les grands mystiques ont pu faire cette expérience : la joie qui vient de Dieu, que Dieu nous donne toujours, qui habite toujours celui qui a tout remis entre les mains de Dieu, n’est pas incompatible avec la souffrance, les souffrances bien réelles de notre vie terrestre.
C’est quand le vide est suffisamment grand que Dieu peut venir le combler ; c’est quand le cœur de l’homme a cessé d’être rempli de l’homme (celui qui s’est mis lui-même au cœur de tout), que Dieu peut venir combler l’homme. La douleur du vide est souvent le chemin de la joie : ascèse spirituelle.
II – LE MYSTÈRE DU DIEU SOUFFRANT
Dieu, qui est joie parfaite, a voulu se charger de la souffrance de l’homme et en son Fils fait homme, serviteur souffrant, se révèle l’expérience de « cet homme de douleur » qui connaît l’éloignement, le refus de l’homme, son manque d’amour… Souffrance qui, pour Dieu, est une et totale(1), souffrance portée par celui qui s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu. Pour ce Dieu d’amour, ce Dieu crucifié par amour pour l’homme, joie et souffrance ne sont pas incompatibles : ce sont les deux faces de cette même réalité qu’est son amour infini pour l’homme.
Ce qui est expérience de Dieu est toujours, à un degré ou à un autre, expérience de l’homme. Et certains Pères ont pu concevoir cette réalité divine (réalité divine et de ce fait présente en l’homme) : la possibilité pour l’homme de connaître la souffrance et la joie en même temps, un peu comme les deux faces d’une même vérité spirituelle(2). Dieu souffre pour l’homme, sanctifiant ainsi la souffrance de notre monde, comme Sa joie illumine et transforme notre monde.
C’est ainsi clairement l’expérience d’Elisabeth de la Trinité (1880-1906) qui voit dans la souffrance une occasion de rencontre plus intime avec Celui qu’elle adore, d’où la joie qui l’habite :
Je ne peux pas dire que j’aime la souffrance en elle-même, mais je l’aime parce qu’elle me rend conforme à Celui qui est mon Epoux et mon Amour. Oh, vois-tu, cela met dans l’âme une paix si douce, une joie si profonde, et on finit par mettre son bonheur dans tout ce qui est contrariant. Petite maman, essaie de mettre ta joie, non pas sensible, mais la joie de ta volonté, dans toute contrariété, tout sacrifice, et dis au Maître : « Je ne suis pas digne de souffrir cela pour vous, je ne mérite pas cette conformité avec vous. » Tu verras que ma recette est excellente, elle met une paix délicieuse au fond du cœur, elle rapproche du bon Dieu. (Lettre 317)
ou encore :
« Si Notre-Seigneur m’offrait le choix entre la mort dans une extase ou dans l’abandon du Calvaire, je la préférerais sous cette dernière forme, non pour le mérite, mais pour Le glorifier et Lui ressembler ! » (Souvenirs)
« O mon Dieu, vous savez que, si je souffre, si je désire surtout tant souffrir, ah ! ce n’est pas en pensant à mon éternité, mais seulement pour vous consoler, pour vous ramener des âmes, pour vous prouver que je vous aime. » (Journal)(3).
St Augustin explicite cette relation entre la souffrance du Christ et la souffrance de l’homme en ce monde parce que c’est le Christ total qui souffre, et non pas seulement la « tête ». Comment peut-on dire que l’homme porte aussi les souffrances du Christ ? Le Christ souffre aussi en son corps, dans les membres de son corps :
« Jésus Christ est un seul homme, avec sa tête et son corps. Le Sauveur du corps et les membres du corps sont deux en une même chair, en une même voix, en une même passion ; et, lorsque le temps du mal sera passé, en un même repos. C’est pourquoi les souffrances du Christ ne sont pas seulement chez le Christ ; et pourtant les souffrances du Christ ne sont que dans le Christ.
En effet, si, par le Christ, tu entends la tête et le corps, les souffrances du Christ sont seulement dans le Christ ; si, par le Christ, tu entends seulement la tête, les souffrances du Christ ne sont pas seulement dans le Christ. En effet, si les souffrances du Christ étaient seulement dans le Chirst, entendu de la tête seule, comment l’un de ses membres, l’Apôtre Paul, peut-il dire : Ce qu’il reste à souffrir des épreuves du Christ, je l’accomplis dans ma propre chair ?
Si donc tu fais partie des membres du Christ, qui que tu sois, qui entends ces paroles, ou qui ne les entends pas maintenant (pourtant, tu les entends, si tu fais partie des membres du Christ), tout ce que tu souffres par ceux qui ne sont pas de ses membres, cela restait à souffrir des épreuves du Christ.
C’est ajouté, parce que cela manquait ; tu remplis la mesure, tu ne la fais pas déborder ; tu souffres autant que tes souffrances devaient contribuer à la passion totale du Christ, qui a souffert dans notre tête et qui souffre dans ses membres, c’est-à-dire en nous-mêmes.
Au profit de cette sorte de cité que nous formons, nous payons notre dette, chacun dans ses limites, et nous portons à notre compte, selon l’abondance de nos ressources, copmme un impôt de souffrances. L’acquittement de toutes nos soufrances ne sera complet que lorsque le monde sera fini.
Ne croyez donc pas, mes frères, que tous les justes qui ont subi la persécution des méchants, même ceux qui ont été envoyés avant l’avènement du Seigneur pour annoncer celui-ci, ne faisaient pas partie des membres du Christ. Il est impossible qu’il ne fasse pas partie des membres du Christ, celui qui fait partie de la cité dont le Christ est roi.
C’est donc cette cité tout entière qui parle, depuis le sang d’Abel le juste jusqu’au sang de Zacharie. Ensuite, à partir du sang de Jean-Baptiste, par le sang des Apôtres, par le sang des martyrs, par le sang des fidèles du Christ, c’est une seule et même cité qui parle. » (Enarationes in Psalmos, 61, 4)
Nous garderons cette perspective en lisant les textes ci-dessous, et en rappelant – ce que nombre de mystiques ont pu affirmer : l’homme, configuré au Christ, porte avec lui sa Croix. C’est pourquoi, non seulement, membre du Corps du Christ, il connaît en sa chair la souffrance, mais il désire cette souffrance pour soulager le Christ, comme Simon de Cyrène qui a aidé Jésus à porter sa Croix.
SUITE
(1) : Rappelons-nous que St Thomas présente également la joie de Dieu, sa béatitude, comme une et totale.
(2) : En quittant un instant les Pères mais dans une perspective indéniablement spirituelle et donc profondément vraie humainement, on peut aussi citer à propos du lien entre « joie et tristesse », Khalil Gibran qui dans le Prophète écrit :
« Votre joie est votre tristesse sans masque,
Et ce même puits d’où monte votre rire a souvent été rempli de vos larmes.
Et comment en serait-il autrement ?
Plus la tristesse creusera profond dans votre être, plus vous pourrez contenir de joie… » (Livre de Poche, 1993, p. 47). Et il continue :
« Lorsque vous êtes joyeux, regardez au plus profond de votre cœur et vous découvrirez que c’est seulement ce qui vous a donné de la tristesse qui vous donne de la joie.
Lorsque vous serez envahi de tristesse, regardez de nouveau dans votre cœur, et vous verrez qu’en vérité vous pleurez pour ce qui avait fait vos délices.[…]
… je vous le dis, elles sont inséparables.
Elles viennent ensemble, et quand l’une est assise seule avec vous à votre table, n’oubliez pas que l’autre est endormie sur votre lit. » (pp. 47-48).
(3) : Toutes les citations d’Elisabeth de la Trinité sont extraites de Pensées II. Pour son amour j’ai tout perdu, Foi vivante 208, pp. 51-53.
PAPE BENOÎT: PREMIÈRE CATÉCHÈSE SUR LE CREDO: L’ANTICONFORMISME DU CHRÉTIEN
23 janvier, 2013http://www.zenit.org/article-33218?l=french
PREMIÈRE CATÉCHÈSE SUR LE CREDO: L’ANTICONFORMISME DU CHRÉTIEN
Pour Benoit XVI, une conséquence de la foi du baptême
Benoît XVI
ROME, Wednesday 23 January 2013 (Zenit.org).
« Dire « Je crois en Dieu » signifie fonder sur lui ma vie, laisser sa Parole l’orienter chaque jour, dans les choix concrets, sans avoir peur de perdre quelque chose de moi », explique Benoît XVI dans cette première catéchèse sur le Credo. Le baptême appelle les baptisés à l’anticonformisme!
Le pape a en effet tenu l’audience générale du mercredi, ce 23 janvier 2013, en la salle Paul VI du Vatican en présence de milliers de visiteurs.
Catéchèse de Benoît XVI en italien :
Chers frères et sœurs,
En cette Année de la foi, je voudrais aujourd’hui commencer à réfléchir avec vous sur le Credo, c’est-à-dire sur la profession solennelle de la foi qui accompagne notre vie de croyants.
Le Credo commence par ces mots : « Je crois en Dieu ». C’est une affirmation fondamentale, apparemment simple dans son caractère essentiel, mais qui ouvre au monde infini de la relation avec le Seigneur et avec son mystère. Croire en Dieu implique une adhésion à lui, l’accueil de sa Parole et une obéissance joyeuse à sa révélation.
Comme l’enseigne le Catéchisme de l’Eglise catholique, « La foi est un acte personnel : la réponse libre de l’homme à l’initiative de Dieu qui se révèle » (n.166). Pouvoir dire que l’on croit en Dieu est donc à la fois un don (– Dieu se révèle, il vient à notre rencontre –) et un engagement, une grâce divine et une responsabilité humaine, dans une expérience de dialogue avec Dieu qui, par amour, « parle aux hommes comme à des amis » (Dei Verbum 2), nous parle à nous, afin que, dans la foi et avec foi, nous puissions entrer en communion avec lui.
Où pouvons-nous écouter Dieu et sa parole ? L’Ecriture sainte est fondamentale ; la Parole de Dieu se rend audible pour nous et alimente notre vie d’« amis » de Dieu. Toute la Bible raconte comment Dieu s’est révélé à l’humanité ; toute la Bible parle de foi et nous enseigne la foi en racontant une histoire dans laquelle Dieu fait avancer son projet de rédemption et se fait proche de nous, les hommes, à travers les nombreuses figures de personnes, lumineuses, qui croient en lui et se confient en lui, jusqu’à la plénitude de la révélation dans le Seigneur Jésus.
A ce sujet, le chapitre 11 de la Lettre aux Hébreux (que nous venons d’entendre) est très belle : elle nous parle de la foi et met en lumière les grandes figures bibliques qui l’ont vécue, devenant ainsi des modèles pour tous les croyants. Voici ce que dit le texte au premier verset : « Or la foi est la garantie des biens que l’on espère, la preuve des réalités qu’on ne voit pas » (11,1). Les yeux de la foi sont donc capables de voir l’invisible et le cœur du croyant peut espérer contre toute espérance, précisément comme Abraham dont Paul dit dans la Lettre aux Romains qu’ « espérant contre toute espérance, il crut » (4, 18).
Et c’est justement sur Abraham que je voudrais que nous nous arrêtions et portions notre attention, parce que c’est lui la grande figure de référence pour parler de la foi en Dieu : Abraham, le grand patriarche, modèle exemplaire, père de tous les croyants (cf. Rm 4, 11-12). La lettre aux Hébreux le présente ainsi : « Par la foi, Abraham obéit à l’appel de partir vers un pays qu’il devait recevoir en héritage, et il partit ne sachant où il allait. Par la foi, il vint séjourner dans la Terre promise comme en un pays étranger, y vivant sous des tentes, ainsi qu’Isaac et Jacob, héritiers avec lui de la même promesse. C’est qu’il attendait la ville pourvue de fondations dont Dieu est l’architecte et le constructeur » (11, 8-10).
L’auteur de la Lettre aux Hébreux fait ici référence à l’appel d’Abraham, raconté dans le Livre de la Genèse, le premier livre de la Bible. Que demande Dieu à ce grand patriarche ? Il lui demande de partir en abandonnant sa terre pour aller vers un pays qu’il lui montrera : « Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, pour le pays que je t’indiquerai » (Gn 12,1). Et nous, comment aurions-nous répondu à une telle invitation ? Il s’agit, en effet, d’un départ dans l’obscurité, sans savoir où Dieu le conduira ; c’est un chemin qui demande une obéissance et une confiance radicales, auxquelles seule la foi fait accéder. Mais l’obscurité de l’inconnu (– là où Abraham doit aller –) est éclaircie par la lumière d’une promesse ; Dieu ajoute à son commandement une parole rassurante qui ouvre devant Abraham le futur d’une plénitude de vie : « Je ferai de toi un grand peuple, je te bénirai, je magnifierai ton nom… Par toi se béniront tous les clans de la terre » (Gn 12,2-3).
La bénédiction, dans l’Ecriture sainte, est liée principalement au don de la vie qui vient de Dieu, et se manifeste avant tout dans la fécondité, dans une vie qui se multiplie, passant de génération en génération. Et à la bénédiction est liée aussi l’expérience de posséder une terre, un lieu stable sur lequel vivre et croître dans la liberté et la sécurité, en craignant Dieu et en construisant une société d’hommes fidèles à l’Alliance, « un royaume de prêtres, une nation sainte » (cf. Ex 19,6).
C’est pourquoi Abraham, dans le projet divin, est destiné à devenir « père d’une multitude de peuples » (Gn 17,5 ; cf. Rm 4,17-18) et à entrer dans une nouvelle terre pour y habiter. Et pourtant Sarah, sa femme, est stérile et ne peut avoir d’enfants ; et le pays vers lequel Dieu le mène est loin de sa terre d’origine, déjà habité par d’autres peuples et il ne lui appartiendra jamais vraiment. Le narrateur de la Bible le souligne, mais avec une grande discrétion : quand Abraham arriva dans le lieu de la promesse de Dieu, « les Cananéens étaient alors dans le pays » (Gn 12,6).
La terre que Dieu donne à Abraham ne lui appartient pas, il est un étranger et le restera toujours, avec tout ce que cela comporte : ne pas avoir de projet de propriété, être toujours conscient de sa propre pauvreté, tout accueillir comme un don. Cette condition spirituelle est aussi celle de celui qui accepte de suivre le Christ, de celui qui décide de partir en accueillant sa vocation sous le signe de son invisible, mais puissante bénédiction. Et Abraham, « père des croyants », accepte cet appel, dans la foi. Saint Paul écrit dans la Lettre aux Romains : « Espérant contre toute espérance, il crut et devint ainsi père d’une multitude de peuples, selon qu’il fut dit : Telle sera ta descendance.C’est d’une foi sans défaillance qu’il considéra son corps déjà mort – il avait quelque cent ans – et le sein de Sara, mort également ; appuyé sur la promesse de Dieu, sans hésitation ni incrédulité, mais avec une foi puissante, il rendit gloire à Dieu, certain que tout ce que Dieu a promis, il est assez puissant ensuite pour l’accomplir » (Rm 4,18-21).
La foi amène Abraham à parcourir un chemin paradoxal. Il sera béni mais sans les signes visibles de la bénédiction : il reçoit la promesse de devenir un grand peuple, mais avec une vie marquée par la stérilité de sa femme, Sarah ; il est conduit dans une nouvelle patrie mais il devra y vivre toujours comme un étranger ; et l’unique terre qu’il lui sera permis de posséder sera un morceau de terrain pour ensevelir Sarah (cf. Gn 23,1-20). Abraham est béni parce que, dans la foi, il sait discerner la bénédiction divine en allant au-delà des apparences, confiant dans la présence de Dieu même lorsque ses voies lui semblent mystérieuses.
Qu’est-ce que cela signifie pour nous ? Quand nous affirmons « Je crois en Dieu », nous disons comme Abraham : « J’ai confiance en toi, je me remets à toi, Seigneur », mais non comme à quelqu’un à qui recourir uniquement dans les moments de difficultés, ou à qui consacrer un moment dans la journée ou dans la semaine. Dire « Je crois en Dieu » signifie fonder sur lui ma vie, laisser sa Parole l’orienter chaque jour, dans les choix concrets, sans avoir peur de perdre quelque chose de moi.
Quand, dans le rite du baptême, cette question est posée trois fois « Croyez-vous ? » en Dieu, en Jésus-Christ, en l’Esprit-Saint, en l’Eglise catholique et dans les autres vérités de la foi, la triple réponse est au singulier : « Je crois », parce que c’est mon existence personnelle qui doit assumer un tournant avec le don de la foi, c’est mon existence qui doit changer, se convertir. Chaque fois que nous participons à un baptême, nous devrions nous demander comment nous vivons, dans la vie quotidienne, le grand don de la foi.
Abraham, le croyant, nous enseigne la foi ; et, en tant qu’étranger sur la terre, il nous indique la véritable patrie. La foi fait de nous des pèlerins sur la terre, insérés dans le monde et dans l’histoire, mais en chemin vers la patrie céleste. Croire en Dieu fait donc de nous des porteurs de valeurs qui, souvent, ne coïncident pas avec les modes et les opinions en vogue ; cela nous demande d’adopter des critères et d’assumer des comportements qui n’appartiennent pas à la manière de penser générale.
Le chrétien ne doit pas avoir peur d’aller « à contre courant » pour vivre sa foi, en résistant à la tentation de « se conformer ». Dans beaucoup de nos sociétés, Dieu est devenu « le grand absent » et de nombreuses idoles ont pris sa place, la première étant le « je » autonome. Et même les progrès connus et positifs de la science et de la technique ont donné à l’homme une illusion de toute-puissance et d’autosuffisance, et un égocentrisme croissant a provoqué pas mal de déséquilibres au sein des rapports interpersonnels et des comportements sociaux.
Et pourtant, la soif de Dieu (cf. Ps 63,2) ne s’est pas éteinte et le message évangélique continue de résonner à travers les paroles et les œuvres de beaucoup d’hommes et de femmes de foi. Abraham, le père des croyants, continue d’être le père de nombreux enfants qui acceptent de marcher dans ses pas et qui se mettent en route, dans l’obéissance à la volonté divine, confiants dans la présence bienveillante du Seigneur et accueillant sa bénédiction pour devenir eux-mêmes bénédiction pour tous. C’est le monde béni de la foi auquel nous sommes tous appelés, pour avancer sans peur à la suite du Seigneur Jésus Christ. Et parfois, c’est un chemin difficile, qui passe aussi par l’épreuve et par la mort, mais qui ouvre à la vie, dans une transformation radicale de la réalité que seuls les yeux de la foi sont capables de voir et de goûter en plénitude.
Affirmer « Je crois en Dieu » nous pousse, alors, à partir, à sortir continuellement de nous-mêmes, précisément comme Abraham, pour apporter dans la réalité quotidienne dans laquelle nous vivons la certitude qui nous vient de la foi : la certitude de la présence de Dieu dans l’histoire, aujourd’hui encore ; une présence qui donne vie et salut, et nous ouvre à un avenir avec lui par une plénitude de vie qui ne connaîtra plus jamais de couchant. Merci.
Traduction de Zenit, Hélène Ginabat
Russian Icon of St. Luke the Evangelist
22 janvier, 2013LES CHRÉTIENS D’ORIENT, PAR LE CARDINAL JEAN-LOUIS TAURAN – ROME, 2 DÉCEMBRE 2011
22 janvier, 2013http://www.cardinalrating.com/cardinal_111__article_11019.htm
LES CHRÉTIENS D’ORIENT, PAR LE CARDINAL JEAN-LOUIS TAURAN
ROME, 2 DÉCEMBRE 2011
LES VISITER ET SOUTENIR LEURS INSTITUTIONS
ROME, lundi 5 décembre 2011 (ZENIT.org) – Le cardinal Jean-Louis Tauran, président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux appelle de ses voeux “une solution rapide du Moyen Orient” et souligne la responsabilité des chrétiens vis-à- vis de ceux du Moyen Orient.
Le cardinal français est intervenu au cours d’un colloque, organisé les jeudi 1er et vendredi 2 décembre à Rome par l’Institut français (cf. Zenit du 30 novembre 2011).
Evoquant la situation des chrétiens du Moyen Orient, le cardinal Tauran souligne la responsabilité de tous les chrétiens: “II faut les visiter, soutenir leurs institutions et travailler à la cause du rétablissement de la justice et de la paix pour qu’advienne une solution rapide du Moyen Orient
Texte intégral de l’intervention du cardinal Tauran
« Chrétiens d’Orient : chantiers de recherches et débats contemporains »
Colloque international
Ambassade de France près le Saint-Siège
École française de Rome
Centre Saint-Louis
Les chrétiens d’Orient dans le dialogue islamo-chrétien
Les chrétiens d’Orient, qui sont-ils ? Au sens large, ce sont tous les catholiques non-latins, les orthodoxes et les protestants du Proche et du Moyen Orient. On y inclut aussi les minorités d’Iran, d’Arménie, de Turquie, d’Inde, du Pakistan, d’Indonésie et d’Ethiopie. Les chrétiens d’Orient ne connaissent pas une organisation centralisée comme le christianisme occidental (je pense au catholicisme romain). La place de la culture, de la langue, la multiplicité des dénominations et des pratiques en font une mosaïque. Je ne vais pas parler de tous ces chrétiens, mais je voudrais limiter mon propos aux chrétiens du Moyen Orient pour des raisons évidentes : ce sont ceux qui nous sont le plus proches, en particulier ceux qui vivent en Terre Sainte, descendants de la première Eglise de Jérusalem.
Le Moyen Orient est massivement musulman, et son islam a connu des périodes fastes. Des villes comme Damas, Bagdad, Le Caire, Istanbul rappellent ce que furent les grandes réalisations de l’islam historique, avec les Omeyades (7e s.), les Abbassides (du 8e s. au 13e s.), les Mamelouks (du 13e s. au 16e s.) et les Ottomans (du 16e s. à 1924). Sans parler de la Mecque et de Médine,
Les chrétiens d’Orient y sont minoritaires et tendent à diminuer. Ils ne sont pas des convertis de l’islam. Ils sont, comme je le disais plus haut, les descendants de la première Eglise de Jérusalem, leurs ancêtres ont été les témoins vivants des événements du salut. Littéralement, ils entourent les Lieux saints de leur présence et leur donnent vie par leur prière et leur amour, empêchant qu’ils deviennent de simples musées. Mais ils ont une histoire, une langue et une culture communes avec les musulmans au milieu desquels ils vivent depuis des siècles. C’est pourquoi les relations entre les deux communautés sont traditionnellement bonnes au niveau du dialogue de la vie. Evidemment, ils ont aussi des rapports séculaires avec les communautes juives d’autant plus qu’avec les Juifs, les chrétiens sont spirituellement unis dans la lignée d’Abraham et reconnaissent les prémices de leur foi dans le Premier Testament.
II y a eu des périodes de cohabitation féconde entre chrétiens et musulmans: Istanbul, Alexandrie, Jérusalem ont longtemps accueilli tous les croyants. Mais quand les empires se sont effondres et que l’unité de mesure est devenue la nation, il y a eu moins de place pour la diversité, le califat se termine avec la chute de l’Empire ottoman et la naissance de la république d’Atatürk ; l’orthodoxie s’effrite en se soustrayant a l’hégémonie du patriarcat de Constantinople et en donnant naissance à de nouvelles églises nationales. De nouvelles identités s’affirment.
Depuis Le 16e siècle, le christianisme est devenu minoritaire en Orient, et l’islam, qui avait perdu de son prestige, a récupéré son identité a partir du moment où il a immigré vers l’Europe. S’il y a eu hier une cohabitation entre peuples divers, aujourd’hui encore, chrétiens et musulmans sont contraints par la géographie et par l’histoire à retrouver un mode de vivre ensemble. La Méditerranée, ce «lac des monothéismes » comme on l’a écrit, pourrait être un lieu de recomposition.
Evidemment, il faudrait parler d’autres facteurs qui ont complètement transformé le paysage politique, social, culturel et religieux du Moyen Orient: je pense évidemment au conflit israélo-palestinien non-résolu, et à la partition de Chypre, a la situation de l’Irak …. Comme on l’a remarqué, la situation des chrétiens dans cette partie du monde peut être évoquée comme suit: un pays ou il est interdit de construire des églises comme l’Arabie saoudite; des pays ou les chrétiens sont considérés comme non nationaux; le Koweït, les Etats du Golfe, Oman et les États du Maghreb; les pays ou les chrétiens sont autochtones et les Églises apostoliques: Égypte, Syrie, Irak, Jordanie, Palestine, Turquie; et enfin l’exception libanaise ou le Président de la République est, par un accord tacite, chrétien maronite. Tout en proclamant que l’islam est la religion de l’État (sauf en Syrie et au Liban), les constitutions de ces pays affirment que tous les citoyens sont égaux devant la loi, sans discrimination de race et de religion. Cela évidemment au niveau théorique. La pratique est le plus souvent bien différente.
On doit souligner qu’une collaboration confiante s’est développée entre musulmans et chrétiens au niveau de l’éducation, de la santé, de la culture, de l’économie et de la solidarité. Les écoles catholiques sont particulièrement appréciées par de nombreuses familles musulmanes. II y a des Parlements où les chrétiens sont représentés, bien qu’i1 leur soit difficile, sinon impossible, d’accéder aux postes de décision politique (sauf au Liban). Mais ceci dit, il faut rappeler que les conversions de musulmans au christianisme sont pratiquement impossibles. Et dans Le cas de mariage mixte, les enfants mineurs sont présumés suivre la religion de leur père. Si la liberté de culte est partout respectée, sauf en Arabie saoudite, et s’il est souvent possible de construire de nouvelles églises, cela n’est pas le cas en Égypte où reste en vigueur une disposition de l’empire ottoman de 1856 qui n’autorise une restauration d’église que sur décret présidentiel.
Si donc les chrétiens se sentent chez eux dans cette partie du monde, s’i1s vivent plus ou moins bien leur foi et leur culture, personnellement et communautairement, ils n’en éprouvent pas moins le sentiment d ‘une certaine précarité, le conflit non-résolu israélo-palestinien et les manifestations d’un islamisme agressif font que beaucoup de chrétiens choisissent l’émigration surtout lorsqu’ils pensent à l’avenir de leurs enfants.
Les chrétiens d’Orient se sentent toujours considérés comme des citoyens de seconde catégorie. Ils se référent souvent au statut de la « dhimmitude ». On comprend alors que ces chrétiens ne soient pas spontanément des enthousiastes du dialogue interreligieux !
Pourtant, si nous prenons en considération le christianisme, l’islam et le judaïsme, on peut relever que ces trois monothéismes favorisent une pédagogie de la rencontre. Certes nous sommes différents et nous devons nous accepter comme tels. Mais nous pouvons mettre à la disposition de la société des valeurs communes qui nous inspirent: respect de la vie, sens de la fraternité, dimension religieuse de l’existence.
Dans le fond, Juifs, chrétiens et musulmans, nous croyons que chacun de nous est unique. Alors, il me semble qu’il n’est pas impossible de sensibiliser éducateurs et législateurs à l’opportunité de proposer à ces peuples qui vivent depuis toujours ensemble des règles de conduite telles que:
- le respect des personnes qui cherchent à scruter l’énigme de la condition humaine à la lumière de leur religion;
- le sens critique qui permet de choisir la vie ou la mort, le vrai ou le faux;
- le souci de la liberté qui suppose une conscience droite, une foi éclairée ;
- l’acceptation de la pluralité qui nous incite à nous considérer différents, mais égaux en dignité, en refusant toutes les formes d’exclusion, en particulier celles invoquant une religion ou une conviction.
Si nous pouvions dire tout cela ensemble, il est sûr que nous aurions devant nous un avenir beaucoup plus serein. N’est-ce pas au fond ces convictions qui sont à l’origine de ce que l’on appelle le « printemps arabe »? Cette jeunesse de certains pays du Maghreb, consciente, cultivée, qui ne supporte plus la dictature, est plus « révoltée » que « révolutionnaire ». Elle est en quête de dignité et de liberté,
II est vrai que les chrétiens d’Orient ont beaucoup souffert depuis qu’ils existent. Souvent pour survivre, ils ont plus plié que résisté. Mais leur disparition serait une catastrophe, surtout pour les Lieux saints chrétiens, Que peut-on donc faire pour eux ?
D’abord, les aider à rester sur place. Dieu les a plantés dans cette partie du monde et c’est là qu’ils doivent fleurir. Malgré certains phénomènes de fondamentalisme, la présence chrétienne dans la société arabe joue un rôle positif de facilitateur entre les composantes de cette société et de catalyseur pour la convivialité.
Ils jouent aussi le rôle de pont entre l’Orient et l’Occident.
Or, pour être un pont, il faut être solidement ancré des deux côtés de la rive. Nos frères dans la foi sont ancrés dans l’Orient qui est leur milieu historique, linguistique, culturel et politique. Ils sont aussi ancrés en Occident par leur foi, leur patrimoine spirituel et leur ouverture intellectuelle.
II faut les visiter, soutenir leurs institutions et travailler à la cause du rétablissement de la justice et de la paix pour qu’advienne une solution rapide du Moyen Orient. Ce que le pape Jean XXIII affirmait dans l’encyclique Pacem in terris demeure toujours d’actualité : « Nous devons rétablir les rapports de la vie en société sur les bases de la vérité et de la justice, de l’amour et de la liberté » (n. 40).
Pratiquer le dialogue entre croyants, c’est être convaincu que nous formons tous une famille, qu’i1 existe une communauté humaine et un bien universel. Mais c’est aussi s’opposer à la xénophobie, à la fermeture des frontières, aux idéologies qui diffusent la haine. Le dialogue entre cultures et entre croyants n’a pas seulement pour but de mieux se connaître pour éviter les conflits, mais il a aussi pour but de nous aider à élaborer une culture qui permette à tous de vivre dans la dignité et la sécurité.
Comme certains d’entre vous le savent, j’ai été pendant quelques années en poste à la Nonciature au Liban, de 1975 à 1982. C’est là que j’ai participé pour la première fois à un groupe d’amitié islamo-chrétienne, guide par un jésuite français, Augustin Dupré Latour. Parlant de ces rencontres, il écrivait : « Croyants de deux religions, nous nous sommes retrouvés, non comme des « sédentaires » satisfaits de ce qu’ils possèdent, mais comme appartenant à la race des « nomades », vivant sous une « tente », des itinérants guides par l’Esprit de Dieu. Nous nous sommes reconnus tout spontanément, non pas comme possédant la vérité divine, mais comme possédés par cette vérité, qui guide, entraine, libère, chacun dans sa ligne propre, plus attaché à sa propre foi. »
Je souhaite que ces journées romaines montrent que, malgré tous les événements de nature à les opposer, chrétiens et musulmans (et juifs) sont capables de se rencontrer, de dialoguer, de refuser les amalgames ; que, contrairement à ce qui est souvent affirmé, les religions ne sont pas facteurs de conflit, mais les croyants sont des personnes de bonne volonté qui contribuent à développer la paix. Avec les chrétiens d’Orient, les Européens, qui eux aussi sont désormais « condamnés » au dialogue interreligieux dans des sociétés de plus en plus plurielles, il nous faut arriver à un réel sens de l’altérité, accepter nos différences, se réjouir de nombreux terrains de rencontre. Il ne s’agit pas de négocier ou de faire des concessions sur ce que nous croyons. Il ne s’agit pas de convertir l’autre, même si le dialogue interreligieux favorise souvent les conversions. II s’agit de se connaitre pour s’aimer et créer du bonheur autour de soi. Soyons nous-mêmes ! Non pour imposer nos convictions, mais pour les proposer. Pèlerins de la vérité au milieu des contradictions de l’histoire, en dépit de nos incohérences, soyons capables par notre générosité, notre douceur et notre persévérance de purifier notre mémoire et notre cœur pour faire en sorte que la sagesse humaine se rencontre avec la sagesse de Dieu.
Parce que nous distinguons le politique et le religieux, le temporel et le spirituel, nous chrétiens avons le devoir de susciter toutes initiatives qui prouvent à quel point les croyants sont une ressource pour la cité. Le pape Benoît XVI, l’a admirablement dit sur l’esplanade des mosquées à Jérusalem: « Ceux qui honorent le Dieu unique croient qu’il tiendra les êtres humains responsables de leurs actions. Les chrétiens affirment que les dons divins de la raison et de la liberté sont à la base de cette responsabilité, la raison ouvre l’esprit à la compréhension de la nature et de la destinée communes de la famille humaine, tandis que la liberté pousse les cœurs à accepter l’autre et à Le servir dans la charité, l’amour indivisible pour le Dieu unique et la charite envers le prochain deviennent ainsi le pivot autour duquel tout tourne. C’est pourquoi nous travaillons inlassablement pour préserver les cœurs humains de la haine, de la colère ou de la vengeance » (12 mai 2009).
Oui, il est salutaire de nous souvenir que notre Dieu est « dialogue » (Trinité) et que dialoguer n’est pas « céder », mais affirmer d’abord nos convictions, pour comprendre ensuite nos accords et nos désaccords et considérer enfin ce qu’ensemble nous pouvons faire pour Le bien commun de nos sociétés plurielles.
Je conclus mon propos. Pardonnez-moi si, dans ce temple de la culture française, j’ose vous laisser un message que j’emprunte à un poète anglais, William Blake: «J’ai cherché mon âme et je ne l’ai pas trouvée ; j’ai cherché Dieu, et je ne l’ai pas trouvé ; j’ai cherché mon frère et je les ai trouvés tous les trois ».
L’ENQUÊTE DE LUC OU COMMENT UN MÉDECIN PAÏEN SE TRANSFORMA EN HISTORIEN DE JÉSUS.
22 janvier, 2013http://www.spiritualite2000.com/page-95.php
AVENTURE SPIRITUELLE
MAI 2001
L’ENQUÊTE DE LUC OU COMMENT UN MÉDECIN PAÏEN SE TRANSFORMA EN HISTORIEN DE JÉSUS.
Luc suit la flamme vacillante de la lanterne à travers les entrelacs des rues de la ville. Les faibles lueurs jettent sur les murs de pisé clair les ombres Incertaines de ses deux guides. Luc est étreint par une émotion puissante, II ne se sent pas encore prêt pour la rencontre. Hier, quand Jean lui a dit qu’elle l’attendait, qu’elle acceptait de le recevoir, jamais il n’aurait pu imaginer une joie plus grande. Elle, qui ne voit plus personne, dont on dît qu’elle ne parle jamais, elle, qui vit recluse dans la maison de Jean, elle. Marie, la mère du Seigneur.
« La mère du Seigneur », ces quatre mots représentent tellement pour Luc que ses pensées se bousculent dans son esprit. Elle, qui a connu le Seigneur alors qu’il n’était qu’une vie fragile qui tressaillait dans ses entrailles ; elle, qui a porté celui qui porte tout ; elle, qui a tenu dans ses bras le Salut du monde ; elle, qui a nourri de son lait celui qui allait s’offrir en nourriture à l’humanité ; elle, qui a appris les premiers mots humains à la Parole de Dieu ; elle, qui a recueilli le dernier mot du Christ en croix, du Verbe fait chair ; elle, qui a reçu dans ses bras le cadavre de celui qui est la Vie…
Luc demande à ses guides de ralentir le pas, il ne se sent pas prêt encore. Pourtant, II a tant désiré cette rencontre, lui qui consacre sa vie à recueillir les témoignages de ceux qui l’ont vu, qui l’ont connu, ce Jésus, le Christ, le Fils de Dieu venu dans le monde.
Dès qu’il avait rencontré Paul à Troas, Luc avait été subjugué par la puissance de sa foi et la force de son enseignement. Depuis, II est devenu son compagnon dans ses pérégrinations missionnaires. À l’annonce de l’Evangile de Dieu, de plus en plus de païens comme lui entraient dans la Vie. Tous ces néophytes étaient avides d’en savoir plus sur Jésus, devenu leur Seigneur. Le témoignage des apôtres et leurs lettres n’y suffisaient plus. Des écrits commençaient à circuler, qui racontaient les grands moments de la vie du SauveUr du monde, et qui rappelaient certaines ses paroles. De son premier séjour à Jérusalem, Luc avait ramené les nombreuses notes rédigées par l’Apôtre Matthieu, et en faisait faire des copies.
Son ami Marc lui avait remis la rédaction qu’il avait des confidences de l’Apôtre Pierre. Mais lui, Luc, pensait que ces premiers textes inestimables étaient trop marqués par la culture juive pour être reçus sans explications par les chrétiens d’origine païenne. Leur forme ne leur permettait pas de toucher les hommes cultivés de culture grecque. Un autre phénomène préoccupait Luc : des gens, sans en avoir reçu mission des Apôtres, sans compétence et sans avoir fait des enquêtes sérieuses, s’autorisaient à écrire des vies de Jésus. Ces écrits apocryphes risquaient de porter un grand tort à l’annonce de la Vérité. Déjà des légendes absurdes circulaient dans les communautés chrétiennes et nourrissaient des fausses doctrines.
Fin lettré et féru d’histoire, Luc s’était inquiété de cette situation auprès de Paul. Il lui avait confié son dessein d’écrire une biographie de Jésus, suivie d’une histoire des premières communautés, en un mot de publier de vraies « Antiquités chrétiennes », sur le modèle des Antiquités romaines du célèbre historiographe Denys d’Halicarnasse. Paul, convaincu par ses arguments, avait encouragé Luc et lui avait donné une lettre de recommandation, afin qu’il pût mener les investigations appropriées auprès des témoins crédibles encore de ce monde. Alors Luc avait quitté Rome, laissant Paul dans sa prison, et était parti pour la Palestine.
Luc avait commencé son enquête à Nazareth. Les anciens se souvenaient de Jésus, le fils de Joseph le charpentier et de Marie. Alors qu’il avait trente ans, il avait quitté l’atelier familial. Il s’était éloigné quelque temps du village, certains disaient qu’Il avait rejoint un certain Jean qu’on prétendait être son cousin et qui baptisait dans le Jourdain. Quand il était revenu, ce n’était plus le jeune homme qu’ils avaient connu, il pariait avec autorité. Il avait fait scandale à la synagogue en lisant la prophétie d’Isaïe : « L’esprit du Seigneur est sur moi… » II avait osé proclamer que ce passage de l’Ecriture s’accomplissait maintenant, que lui-même était cet envoyé de Dieu. Il avait été chassé, et c’était miracle qu’il n’ait pas été précipité au bas d’un escarpement qui surplombe la ville. Les anciens disaient qu’ensuite il était allé à Capharnaüm et y avait fait de nombreux miracles, encore qu’à Nazareth, on n’en eût vu aucun.
Luc était donc parti pour Capharnaüm. Là, les choses avaient été plus simples. Capharnaüm était la ville de Pierre. Luc savait que c’était là que le chef des Apôtres, André, Jacques et Jean avaient été appelés par Jésus alors qu’ils étaient pécheurs sur le lac. Ils avaient suivi cet homme qui remplissait miraculeusement leurs filets et promettait de faire d’eux des pécheurs d’hommes. Avec lui, ils avaient parcouru la région. Jésus enseignait et guérissait de nombreux malades. Un jour, on lui avait présenté un paralytique, et Jésus avait déclaré à l’homme : « Tes péchés sont pardonnés. » De nouveau, le scandale était advenu. Des pharisiens s’étaient émus : « Seul Dieu peut pardonner les péchés ! »
Et Jésus, en quelque sorte, avait relevé le défi. Pour montrer l’efficacité de sa parole, il avait ordonné à l’homme de marcher, et celui-ci aussitôt s’était levé, et avait ramassé sa civière. À partir de cet instant, le comportement de Jésus n’avait plus cessé de heurter les convenances. Il avait appelé Lévi à le suivre, un collecteur d’impôt méprisé de tous. II avait même guéri un homme le jour du sabbat dans la synagogue. Qui était-il donc pour se prétendre le maître du sabbat ? Là encore, les pharisiens avaient récriminé, et dès lors, le discours de Jésus s’était fait plus âpre. Aux foules qui le suivaient, il prêchait un amour total, sans réticences, sans limites, qui allait jusqu’à l’amour des ennemis.
Luc avait rencontré des témoins de cet amour, le serviteur d’un centurion romain qui avait été guéri sur la supplique de son maître – un païen, il l’avait souligné -, le fils d’une veuve de Naïm qui était revenu à la vie et avait été rendu à sa mère dont le chagrin avait ému Jésus, et surtout, cette femme, maintenant âgée, qui avait dû être très belle. Elle avait imploré le pardon du maître et avait répandu sur les pieds de Jésus un parfum coûteux qu’elle avait essuyé avec ses cheveux. Ce jour-là, elle avait versé sur elle-même et sa vie de péché des pleurs amers, et le pardon du Seigneur lui avait rendu sa dignité et sa vie. C’est avec des larmes de joie qu’elle avait répété à Luc les mots par lesquels Jésus l’avait relevée : « Ta foi t’a sauvée ; va en paix. »
Des témoignages comme celui-là, Luc en avait recueilli tant et tant qu’il avait dû en éliminer bon nombre dans son livre, ne conservant que ce qui mettaient le plus évidemment en lumière le Salut gratuit et universel que Jésus le Christ offre aux hommes. Il avait ainsi retenu le démoniaque géranésien dont les démons avaient péri avec un troupeau de porcs, la fille de Jaïre qui était revenue à la vie, l’aveugle de Jéricho, et le très riche Zachée, qui était trop petit pour voir le Seigneur, et chez qui Jésus s’était invité après l’avoir aperçu juché dans un arbre. Le vieux Zachée n’en revenait pas encore , d’avoir été jugé digne et répétait: « Ce jour-là, le Salut est entré dans ma maison. » Luc a retenu encore l’histoire de ce lépreux étranger. Guéri par Jésus, il fut le seul à revenir se jeter à ses pieds pour s’entendre dire : « Relève-toi, ta foi t’a sauvé. »
Chaque rencontre, chaque témoignage lui avait permis d’affiner son portrait de Jésus: un homme libre devant le péché,, le mal, la loi qui emprisonne les esprits et stérilise les coeurs, un homme doux et humble, débordant d’amour et de miséricorde pour les petits, les pauvres, les exclus, les estropiés de la vie, sans tenir compte ni de la race, ni de la religion, ni du sexe. C’était aussi un homme doué d’une puissance et d’une autorité inconnues, comme l’atteste cet épisode qu’on lui a raconté dix fois, celui de la tempête, apaisée sur le lac. Alors que la barque des disciples tanguait et prenait l’eau, tandis que Jésus dormait, les disciples avaient pris peur, mais Jésus avait arrêté le tumulte des flots et fustigé leur manque de foi. Tous les témoignages recueillis recoupaient ceux que les Apôtres avaient laissés. Cependant, Luc avait eu plus de difficultés à reconstituer les paraboles, ces histoires que Jésus inventait pour rendre son message plus accessible. Chaque auditeur en avait compris le sens à sa manière.
Parfois, les témoins étaient encore marqués par des paroles du Maître très dures à entendre, et pas seulement pour les pharisiens. Cet homme riche, par exemple, qui jeune homme avait demandé conseil à Jésus. Le Seigneur l’avait invité à vendre tous ses biens et à le suivre. Il avait préféré conserver ses richesses, mais, avait-il confessé à Luc, depuis ce jour, il ne trouvait plus le repos. Jésus prononçait aussi des paroles étranges que nul ne comprenait, qui échappaient à toute logique humaine. C’était celles dont les gens se souvenaient le mieux. Depuis des années, ils les retournaient dans leur tête pour en percer le sens.
Certains qui faisaient partie des disciples qui suivaient Jésus se rappelaient que les Apôtres se posaient beaucoup de questions. Ils avaient préféré Jésus à leurs métiers, à leurs épouses, à leurs enfants, que fallait-il qu’ils donnent encore ? Petit à petit, ils comprirent qu’il s’agissait de vie et de mort. Jésus annonçait une grande épreuve et, en même temps, il faisait la promesse d’un royaume, le royaume de son Père, le royaume de Dieu, un royaume qui appartient à ceux qui ne savent pas compter. C’est ce que lui avait expliqué un disciple collecteur d’impôts qui savait faire les comptes. Dans ce royaume, on paie les ouvriers qui ont travaillé une heure comme ceux qui ont peiné tout le jour, on glorifie le berger qui laisse cent brebis pour en retrouver une, le fils qui revient après avoir dilapidé l’héritage avec des filles, le semeur qui répand la semence à tous les vents, le maître du banquet qui invite tous les gueux et tous les loqueteux du pays, l’étranger qui laisse son argent pour qu’on prenne soin d’un inconnu détroussé et battu par des bandits, un royaume où les enfants, les pauvres, les pécheurs, les prostituées et les païens sont les premiers.
Luc avait noté des témoignage plus étonnants encore, comme celui de cet homme qui, encore enfant, avait suivi Jésus au milieu d’une grande foule, cinq mille hommes au moins prétendait-il. Ce jour-là, lorsque le soir était venu, Jésus avait regardé cette foule harassée et affamée, il avait été pris de pitié. Pouvait-on les renvoyer sans nourriture ? L’enfant avait entendu les proches du Maître protester : « Renvoie la foule, qu’ils aillent dans les villages et les fermes alentour, pour trouver abri et subsistance, ici, nous sommes dans un endroit désert. » Jésus avait rétorqué : « Donnez-leur vous-mêmes à manger. » Les Apôtres avaient l’air bien ennuyés. L’enfant leur avait alors apporté discrètement les cinq pains et les deux poissons dont l’avaient muni ses parents. C’était peu, mais il n’allait tout de même pas les manger tout seul dans son coin ! Les Apôtres les avaient déposé devant Jésus qui les avaient bénis et partagés, et toute la foule avait eu à manger en abondance, au point que les restes avaient rempli plusieurs grands paniers.
En dehors de ceux qu’on nomme les Apôtres, et des autres disciples, de nombreuses femmes suivaient Jésus: Marie, Jeanne, Suzanne, et bien d’autres. Luc a même rencontré à Béthanie une certaine Marthe, qui était amie de Jésus comme sa sueur, Marie, et leur frère Lazare. Elle racontait comment le Seigneur avait ramené Lazare à la vie. Un drôle de caractère, cette Marthe, et Luc avait bien senti combien elle aimait le Seigneur. Pourtant, Jésus n’avait pas toujours été amène à son égard.
Elle se souvenait qu’un jour où sa sueur Marie était tranquillement assise à ses pieds à l’écouter, elle, Marthe, préparait seule le repas, sans que Jésus ne s’en offusquât. Comme elle avait protesté, Jésus lui avait même reproché de s’agiter inutilement; il avait pris le parti de Marie. Depuis, elle avait compris que la meilleure place était bien auprès du Seigneur, mais sur l’instant, elle avait cru qu’il avait une préférence pour Marie. Enfin, avait-elle conclu avec un brin d’humour, cela prouvait peut-être que pour le Seigneur les femmes n’avaient pas seulement à être de bonnes ménagères. Désormais, elle prenait le temps de s’arrêter pour écouter Dieu dans le silence de son coeur. D’ailleurs, avait-elle ajouté, Jésus lui-même montrait l’exemple : souvent, il laissait tout tomber et se retirait à l’écart pour prier son Père.
À Jérusalem, grâce au grand nombre de témoins encore présents. Luc avait vérifié les détails de ce que la communauté des croyants confessait depuis ce glorieux jour de la Pentecôte, où l’Esprit Saint promis par Jésus avait ouvert les esprits, les coeurs et les bouches : Jésus avait été crucifié et était mort, mais Dieu l’avait ressuscité. Luc avait pu décrire précisément le procès, la condamnation, l’exécution. Il avait pu suivre le chemin même qu’avait emprunté le Seigneur, du mont des Oliviers au Calvaire. Il avait le coeur serré en y repensant: la trahison de Judas (celui-là, personne ne voulait lui en parler), le reniement de Pierre, le vieil Apôtre tant aimé et si respecté, l’agonie du Seigneur, ce témoignage insoutenable de son obéissance à son Père. Il n’avait rien caché, pour être cru et « pour que le monde croie ». Enfin, il avait voulu bien mettre en évidence ce témoignage sur un centurion – encore un païen – qui le premier, après que le Seigneur eut expiré dans un grand cri, avait glorifié Dieu en s’exclamant : « Vraiment, cet homme était le Fils de Dieu !
Le fils de Joseph d’Arimathie se souque pour le Seigneur les femmes venait mot à mot de ce que lui racontait son père, et comment celui-ci avait réclamé à Pilate le corps du Seigneur et l’avait déposé dans un tombeau taillé dans le roc au soir de ce jour terrible, tandis que les disciples et les Apôtres étaient terrés ou en fuite. Seules les femmes étaient là, avaitil tenu à préciser. Plus tard, elles avaient observé en silence, dans les larmes, la lourde pierre qu’on roulait devant le sépulcre. Enfin, elles étaient parties pour ne pas être surprises en chemin par le début du sabbat.
Ensuite, Luc avait tenté de rendre compte de l’inconcevable, de raconter comment, au matin du premier jour de la semaine, ces mêmes femmes avaient trouvé le tombeau ouvert et vide. Il y avait Marie de Magdala, lui avait-on dit, et Jeanne, et Marie, la mère de Jacques. Elles avaient couru le dire aux Apôtres, mais ils avaient cru que les pauvres femmes radotaient. Luc avait recueilli une foule de témoignages attestant la résurrection du Seigneur. On disait que Marie de Magdala avait été la première à le voir vivant. Mais Luc avait décidé de rester sobre, tout cela resterait incompréhensible à ceux qui n’accueilleraient pas le don de la foi. C’était le sens qui comptait, pas l’accumulation des preuves. Ce jour-là, le soleil qui se levait sur le monde était celui d’un jour nouveau qui commençait, un jour qui ne connaîtrait pas de crépuscule. Aussi, Luc s’était il décidé à ramasser sur le seul premier jour de la semaine, le jour du Seigneur, le dimanche de la résurrection qui désormais embrasse toute l’histoire du monde, les quelques témoignages qu’il avait retenus.
Dans sa rédaction, il avait choisi de bien mettre en avant le récit de deux disciples que le Seigneur ressuscité avait rejoints sur la route du village d’Emmaüs. Aucun des deux ne l’avait reconnu, mais leurs coeurs brûlaient quand il leur parlait sur la route. Quand il avait rompu le pain à l’auberge, ils avaient su que c’était le Seigneur.
Bien sûr, Luc avait raconté comment Jésus était apparu à tous ses Apôtres et avait montré la trace des clous dans ses mains et celle de la lance à son côté. Oui, cela, ils en avaient tous témoigné c’était bien le Seigneur qu’ils avaient vu, et il était bien vivant. Ce n’était pas un fantôme, il avait même mangé un morceau de poisson sous leurs yeux. Puis, il leur avait promis de leur envoyer une force, un conseiller, l’Esprit Saint.
Il lui reste encore à écrire la deuxième partie de son livre pour raconter, à partir de l’élévation de Jésus au Ciel, l’oeuvre de l’Esprit, son travail au coeur des Apôtres, et tous les actes de la première communauté des croyants. Cela, il peut d’autant plus aisément le faire que c’est déjà son histoire à lui.
Depuis qu’il est entré dans la communauté chrétienne, il a vu les croyants être un seul coeur et un seul esprit dans le Christ, il a écouté l’enseignement des Apôtres, il a partagé avec eux le pain qui est la chair du Seigneur pour le Salut du monde, il a prié avec eux, il a connu l’hostilité des juifs qui refusent de croire que le Seigneur est le Christ, le Fils de Dieu annoncé par les prophètes, et qui ont tué Étienne pour qu’il se taise. Il a vu les païens accueillir la Bonne Nouvelle que Paul leur apportait. Oui, cette deuxième partie sera plus facile à écrire. Mais il lui faut encore finir la première, par où elle commence, c’est-à-dire par la naissance et l’enfance de Jésus. Il ne serait pas un bon historiographe s’il faisait l’impasse sur la genèse de l’histoire. Mais, sur cette période de la vie de Jésus, il ne dispose d’aucun témoignage fiable. Maintenant peut-être, il va savoir…
Luc presse le pas et rattrape ses guides. Ils sont arrivés au seuil de la maison où ils sont attendus. L’un des hommes frappe légèrement à la porte qui s’entrebâille.
- Voici Luc que Jean t’a annoncé.
Une jeune femme s’efface en silence pour le laisser entrer.
Elle se tient dans la chambre haute, elle ne parle plus, ne s’alimente plus, elle semble ne pas nous voir, ni nous entendre.
- Vous êtes médecins n’est-ce pas ?
Luc acquiesce.
- Vous saurez quoi faire.
Luc en doute ; néanmoins, il suit la jeune femme jusqu’à la chambre haute. Il entre. C’est elle, elle est là, la mère du Seigneur, assise, les yeux grands ouverts, dans une parfaite immobilité. Une petite lampe éclaire faiblement la pièce. Il la distingue à peine, il voit seulement son regard, infiniment jeune, si beau, si pur, et devant tant de grâce, il ose à peine respirer. Il approche très lentement. Il découvre enfin ses traits ridés éclairés par une joie parfaite. Toute la lumière de la pièce semble être totalement concentrée dans son visage. En un instant, Luc comprend. Elle voit ou, plutôt, elle contemple ce que depuis si longtemps elle conserve précieusement dans son coeur. Ce qui était obscur est devenu une immense lumière. Elle est la perfection de la contemplation, au point que tout son être y est comme absorbé.
Elle est tout à celui qu’elle aime depuis toujours et à jamais, et elle est le reflet parfait de cet amour donné et rendu dans un coeur à coeur absolu. Luc se sent si pesant, si maladroit devant cette miraculeuse transparence. Un sourire s’esquisse sur ce visage radieux, et une voix légère comme un souffle murmure: « C’est le plus bel enfant du monde, le plus beau des enfants des hommes. »
Nul ne sait ce que Marie dit à Luc. À l’aube, Luc étala le lourd rouleau de parchemin et il écrivit : « Le sixième mois, l’ange Gabriel fut envoyé par Dieu dans une ville de Galilée appelée Nazareth à une vierge fiancée à un homme du nom de Joseph de la maison de David et le nom de la vierge était Marie. Et Luc ajoute d’une seule traite deux nouveaux chapitres au début de son livre, qui jusque-là commençait par la prédication de Jean-Baptiste.
Sources : Nouveau Testament. P.M. Beaude, Jésus de Nazareth, Paris, 1983. C. Perrot, Jésus et l’histoire, Paris, 1979. I. de la Potterie, Marie dans le mystère de la nouvelle alliance, Paris, 1988.
Extrait du Livre des merveilles, Mame-Plon, 1999
The blessed Virgin
21 janvier, 2013TRAVAILLER SOUS LE SOLEIl (Qohélet)
21 janvier, 2013http://www.bible-service.net/site/211.html
TRAVAILLER SOUS LE SOLEIl
Qohélet, désabusé, dit qu’il y a un temps pour tout, qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil et qu’il faut donc jouir de la vie.
Il n’est jamais cité dans les évangiles. Cependant une parabole de Jésus rapportée par St Luc semble prendre à rebours son enseignement.
MANGER, BOIRE ET APRÈS ?
L’évangile de Luc accorde une grande place aux choses de la vie comme l’argent, les récoltes, les repas. S’y vérifient concrètement les valeurs auxquelles nous sommes attachés :
Jésus dit une parabole à ses disciples : « Il y avait un homme riche dont la terre avait bien rapporté. Et il se demandait : ‘Que vais-je faire ? car je n’ai pas où rassembler ma récolte.’ Puis il se dit : ‘Voici ce que je vais faire : je vais démolir mes greniers, j’en bâtirai de plus grands et j’y rassemblerai tout mon blé et mes biens.’ Et je me dirai à moi-même : ‘Te voilà avec quantité de biens en réserve pour de longues années ; repose-toi, mange, bois, fais bombance.’ Mais Dieu lui dit : ‘Insensé, cette nuit même on te redemande ta vie, et ce que tu as préparé, qui donc l’aura ?’ […] Voilà pourquoi je vous dis : ‘Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps de quoi vous le vêtirez. […] Ne cherchez pas ce que vous mangerez ni ce que vous boirez, et ne vous tourmentez pas. Tout cela, les païens de ce monde le recherchent sans répit, mais vous, votre Père sait que vous en avez besoin. Cherchez plutôt son Royaume, et cela vous sera donné par surcroît. » (Luc 12, 16…31)
Jésus avertit ses disciples : cet homme riche qui travaille et décide de jouir des plaisirs de la table a fait un choix insensé. On pourrait lui répliquer que cela rejoint pourtant les conseils de Qohélet : » Tout homme qui mange et boit et goûte au bonheur en tout son travail, cela, c’est un don de Dieu… » (Qo 3,13). Cette contradiction entre l’Ancien et le Nouveau Testament est d’autant plus étonnante que, par ailleurs, il n’est pas trop difficile de rapprocher Jésus et Qohélet.
LA FIN DES ILLUSIONS
Entre Qohélet et Jésus, il y a des rapprochements de style d’abord et d’attitude ensuite. Concernant le style, paradoxes, énigmes, images, formules-choc ponctuent leurs discours habituels. L’un dit : « un chien vivant vaut mieux qu’un lion mort » et l’autre : « soyez rusés comme des serpents et candides comme des colombes ». Les béatitudes (quelles que soient les différences entre les textes de Matthieu 5 et de Luc 6) sont tout autant rythmées et musicales – mais d’une autre musique – que le couplet de Qohélet sur le temps. Concernant l’attitude devant la vie, Jésus et Qohélet partagent un même réalisme. Tous deux regardent les choses en face et font tomber les illusions : rien n’échappe à la mort et les calculs du riche cultivateur ne lui ont pas donné un jour de plus à vivre. Commentaire de Jésus rapporté par Luc : « Qui d’entre vous peut par son inquiétude prolonger tant soit peu son existence ? » (Luc 12,25)
Quelle est l’erreur de ce cultivateur ? De travailler, de s’être donné du mal, de vouloir prendre du bon temps ? Non. Alors ? Risquons une hypothèse : il n’a pas vu que ses efforts s’inscrivent dans des limites repérées par des gens comme Qohélet. Il plante, il arrache (plus précisément, il récolte), il démolit, il bâtit et mais il oublie le temps de mourir. Et tous ses efforts n’ont qu’un but : son ventre. Tout s’y engloutit ! Dans son réalisme, Qohélet, lui, voit beaucoup plus large : avant le temps de mourir, il y a celui d’enfanter. Ici, pas d’épouse, pas d’enfants, pas d’héritiers, personne avec qui faire la guerre ou la paix. Cet homme est solitaire. Il se veut solitaire. Là est sa folie.
ADAM ET SALOMON
Qohélet aime à répéter dans son livre que « sous le soleil, il n’y a rien de nouveau ». Et le propriétaire insensé a d’illustres prédécesseurs. À sa manière il répète la folie première, celle d’Adam (Gn 2-3). Souvenons-nous. Dieu a donné à Adam une occupation : cultiver et garder le jardin de l’Éden. Il y a là une multitude d’arbres comme autant de cadeaux pour le plaisir du corps. Mais un homme qui ne fait que manger n’est pas encore humain. Alors Dieu met une limite, un arbre à ne pas toucher, invitant Adam à décider, à poser des actes responsables. Aux dons de la nourriture et de la décision libre, Dieu ajoute enfin celui d’une compagne. Comme les jardiniers de l’Éden trompés par le serpent, le riche cultivateur oublie tout cela pour ne voir que des produits à consommer. Il ne s’inscrit plus dans le temps de naître et de mourir, ne respecte plus les limites, néglige tout rapport avec Dieu ou les autres et ne discerne plus, dans le goût du bonheur, les effets de la Loi divine.
« Sous le soleil, il n’y a rien de nouveau », ainsi en est-il de la nourriture, la liberté, l’amour, la vie et le bonheur qui existent dès les débuts du monde. Il y a une manière de s’y rapporter qui les transforme en biens de consommation : c’est le cas du propriétaire insensé réitérant la faute d’Adam. Jésus ouvre une autre piste : « chercher le Royaume de Dieu ». Où ? Très précisément au cœur de l’ordinaire. Jésus, en Luc 12,22 à 28, prend comme exemples les repas et les vêtements. D’une part ils sont le résultat d’une série d’actions complexes qui demandent du temps et causent du souci : semer, moissonner, engranger ou filer et tisser. Mais d’autre part, le premier qui se met en peine reste Dieu, lui qui est Père, nourrit les oiseaux et habille les fleurs des prés. Chercher le Royaume de Dieu, c’est remonter à l’origine par delà la surface visible des choses. Qui pourrait croire, à première vue, qu’un lys des champs est mieux habillé que Salomon (Luc 12,27) ? Regard de foi. Source de joie.
Gérard BILLON, Les dossiers de la Bible, n° 85, p. 22-23.
FRESQUE LA VIGNE DE NOE – ST SAVIN SUR GART FRANCE
19 janvier, 2013SANG DE LA VIGNE DANS L’ANCIEN TESTAMENT
19 janvier, 2013http://www.musee-virtuel-vin.fr/pages/Vinetreligion.aspx
(très belles photos sur le site)
SANG DE LA VIGNE DANS L’ANCIEN TESTAMENT
LE VIN ET LA RELIGION DANS L’ANCIEN TESTAMENT
Les principales références au vin et à la vigne vont, dans l’Ancien Testament, de l’ivresse et la nudité de Noé à la célébration du vin dans le Cantique des cantiques, en passant par la grappe gigantesque rapportée du pays de Canan, le double inceste de Loth ennivré par ses filles et le festin du roi Balthazar. Si, dès la Genèse (XLI, 11), le vin est salué comme le « le sang de la vigne », il n’en reste pas moins un breuvage redoutable. Le Livre des Proverbes est là pour rappeler : « Le vin bu modérément est la joie du cœur et de l’âme », « Le vin bu jusqu’à l’ivresse découvre le cœur des superbes », « Le vin bu avec sobriété est une seconde vie », « Le vin bu avec excès est l’amertume de l’âme ».
LE VIN ET LA RELIGION DANS LE NOUVEAU TESTAMENT
Cliquez sur les oeuvres avec le signe pour les agrandir. Celles avec également le signe sont commentées. Pour la plupart des thèmes – dans le cas présent, des épisode de l’Ancien Testament -, plusieurs oeuvres sont disponibles : il est alors possible d’accéder à l’ensemble d’entre elles rassemblées dans une galerie spécifique. Les artiste dont le nom est suivi du signe sont des grands maîtres de la peinture reconnus de nos comme tels par les historiens d’art.
L’ivresse et la nudité de Noé – Accès aux oeuvres
L’IVRESSE ET LA NUDITÉ DE NOÉ
L’ivresse de Noé lui fit découvrir sa nudité devant ses fils : « Noé commença à cultiver la terre, et planta de la vigne.Il but du vin, s’enivra, et se découvrit au milieu de sa tente. Cham, père de Canaan, vit la nudité de son père, et il le rapporta dehors à ses deux frères. Alors Sem et Japhet prirent le manteau, le mirent sur leurs épaules, marchèrent à reculons, et couvrirent la nudité de leur père; comme leur visage était détourné, ils ne virent point la nudité de leur père. Lorsque Noé se réveilla de son vin, il apprit ce que lui avait fait son fils cadet. Et il dit: Maudit soit Canaan! qu’il soit l’esclave des esclaves de ses frères ! » (Genèse IX, 20-25).
Quelques textes apocryphes expliquent que la chute du patriarche a été due à l’intervention de Lucifer, l’ange déchu. Fort naïvement, Noé aurait accepté l’aide du diable pour planter sa vigne après le Déluge. Celui-ci, selon la tradition, commença par faire un sacrifice en immolant un mouton, un lion, un singe et un cochon. Tout se gâta quand il en aspergea le plantier. Face à la surprise du patriarche, Satan expliqua alors : « Au premier verre de vin, l’homme deviendra doux et humble comme un mouton, au second, il se sentira fort comme un lion et ne cessera de s’en vanter, au troisième il imitera le singe, dansant tout en disant des sottises, au quatrième, il se vautrera tel un cochon dans la fange et les immondices ».
Pour les chrétiens, il faudra la venue du Christ pour effacer la soûlerie du premier patriarche de l’humanité. Jésus de Nazareth se présenta en disant à ses disciples : « Je suis la vraie vigne et mon Père est le vigneron » et il poursuivit « Je suis la vigne et vous êtes les sarments » (Jean, XV, 1-5).
LE DOUBLE INCESTE DE LOTH ENIVRÉ PAR SES FILLES
« Lorsque Dieu détruisit les villes de la plaine (NDLR. Sodome et Gomorrhe), il se souvint d’Abraham; et il fit échapper Lot du milieu du désastre, par lequel il bouleversa les villes où Lot avait établi sa demeure. Lot quitta Tsoar pour la hauteur, et se fixa sur la montagne, avec ses deux filles, car il craignait de rester à Tsoar. Il habita dans une caverne, lui et ses deux filles. L’aînée dit à la plus jeune: Notre père est vieux; et il n’y a point d’homme dans la contrée, pour venir vers nous, selon l’usage de tous les pays. Viens, faisons boire du vin à notre père, et couchons avec lui, afin que nous conservions la race de notre père. Elles firent donc boire du vin à leur père cette nuit-là; et l’aînée alla coucher avec son père: il ne s’aperçut ni quand elle se coucha, ni quand elle se leva. Le lendemain, l’aînée dit à la plus jeune: Voici, j’ai couché la nuit dernière avec mon père; faisons-lui boire du vin encore cette nuit, et va coucher avec lui, afin que nous conservions la race de notre père. Elles firent boire du vin à leur père encore cette nuit-là; et la cadette alla coucher avec lui: il ne s’aperçut ni quand elle se coucha, ni quand elle se leva. Les deux filles de Lot devinrent enceintes de leur père. L’aînée enfanta un fils, qu’elle appela du nom de Moab: c’est le père des Moabites, jusqu’à ce jour. La plus jeune enfanta aussi un fils, qu’elle appela du nom de Ben Ammi: c’est le père des Ammonites, jusqu’à ce jour » (Genèse XIX, 29-38).
LA GRAPPE DE CANAAN
« L’Éternel parla à Moïse, et dit: Envoie des hommes pour explorer le pays de Canaan, que je donne aux enfants d’Israël. Tu enverras un homme de chacune des tribus de leurs pères; tous seront des principaux d’entre eux » (Nombres, XIII, 1-2)… « Moïse les envoya pour explorer le pays de Canaan. Il leur dit: Montez ici, par le midi; et vous monterez sur la montagne. Vous verrez le pays, ce qu’il est, et le peuple qui l’habite, s’il est fort ou faible, s’il est en petit ou en grand nombre ; ce qu’est le pays où il habite, s’il est bon ou mauvais; ce que sont les villes où il habite, si elles sont ouvertes ou fortifiées ; ce qu’est le terrain, s’il est gras ou maigre, s’il y a des arbres ou s’il n’y en a point. Ayez bon courage, et prenez des fruits du pays. C’était le temps des premiers raisins. Ils montèrent, et ils explorèrent le pays, depuis le désert de Tsin jusqu’à Rehob, sur le chemin de Hamath. Ils montèrent, par le midi, et ils allèrent jusqu’à Hébron, où étaient Ahiman, Schéschaï et Talmaï, enfants d’Anak. Hébron avait été bâtie sept ans avant Tsoan en Égypte. Ils arrivèrent jusqu’à la vallée d’Eschcol, où ils coupèrent une branche de vigne avec une grappe de raisin, qu’ils portèrent à deux au moyen d’une perche; ils prirent aussi des grenades et des figues. On donna à ce lieu le nom de vallée d’Eschcol, à cause de la grappe que les enfants d’Israël y coupèrent. Ils furent de retour de l’exploration du pays au bout de quarante jours. A leur arrivée, ils se rendirent auprès de Moïse et d’Aaron, et de toute l’assemblée des enfants d’Israël, à Kadès dans le désert de Paran. Ils leur firent un rapport, ainsi qu’à toute l’assemblée, et ils leur montrèrent les fruits du pays. Voici ce qu’ils racontèrent à Moïse: Nous sommes allés dans le pays où tu nous as envoyés. A la vérité, c’est un pays où coulent le lait et le miel, et en voici les fruits » (17-27).
LE FESTIN DE BALTHAZAR
« Le roi Belschatsar donna un grand festin à ses grands au nombre de mille, et il but du vin en leur présence. Belschatsar, quand il eut goûté au vin, fit apporter les vases d’or et d’argent que son père Nebucadnetsar avait enlevés du temple de Jérusalem, afin que le roi et ses grands, ses femmes et ses concubines, s’en servissent pour boire. Alors on apporta les vases d’or qui avaient été enlevés du temple, de la maison de Dieu à Jérusalem; et le roi et ses grands, ses femmes et ses concubines, s’en servirent pour boire. Ils burent du vin, et ils louèrent les dieux d’or, d’argent, d’airain, de fer, de bois et de pierre. En ce moment, apparurent les doigts d’une main d’homme, et ils écrivirent, en face du chandelier, sur la chaux de la muraille du palais royal. Le roi vit cette extrémité de main qui écrivait. Alors le roi changea de couleur, et ses pensées le troublèrent; les jointures de ses reins se relâchèrent, et ses genoux se heurtèrent l’un contre l’autre. Le roi cria avec force qu’on fît venir les astrologues, les Chaldéens et les devins; et le roi prit la parole et dit aux sages de Babylone: Quiconque lira cette écriture et m’en donnera l’explication sera revêtu de pourpre, portera un collier d’or à son cou, et aura la troisième place dans le gouvernement du royaume. Tous les sages du roi entrèrent; mais ils ne purent pas lire l’écriture et en donner au roi l’explication. Sur quoi le roi Belschatsar, fut très effrayé, il changea de couleur, et ses grands furent consternés. La reine, à cause des paroles du roi et de ses grands, entra dans la salle du festin, et prit ainsi la parole: O roi, vis éternellement! Que tes pensées ne te troublent pas, et que ton visage ne change pas de couleur ! Il y a dans ton royaume un homme qui a en lui l’esprit des dieux saints; et du temps de ton père, on trouva chez lui des lumières, de l’intelligence, et une sagesse semblable à la sagesse des dieux. Aussi le roi Nebucadnetsar, ton père, le roi, ton père, l’établit chef des magiciens, des astrologues, des Chaldéens, des devins, parce qu’on trouva chez lui, chez Daniel, nommé par le roi Beltschatsar, un esprit supérieur, de la science et de l’intelligence, la faculté d’interpréter les songes, d’expliquer les énigmes, et de résoudre les questions difficiles. Que Daniel soit donc appelé, et il donnera l’explication. Alors Daniel fut introduit devant le roi. Le roi prit la parole et dit à Daniel: Es-tu ce Daniel, l’un des captifs de Juda, que le roi, mon père, a amenés de Juda ? J’ai appris sur ton compte que tu as en toi l’esprit des dieux, et qu’on trouve chez toi des lumières, de l’intelligence, et une sagesse extraordinaire. On vient d’amener devant moi les sages et les astrologues, afin qu’ils lussent cette écriture et m’en donnassent l’explication; mais ils n’ont pas pu donner l’explication des mots. J’ai appris que tu peux donner des explications et résoudre des questions difficiles; maintenant, si tu peux lire cette écriture et m’en donner l’explication, tu seras revêtu de pourpre, tu porteras un collier d’or à ton cou, et tu auras la troisième place dans le gouvernement du royaume. Daniel répondit en présence du roi: Garde tes dons, et accorde à un autre tes présents; je lirai néanmoins l’écriture au roi, et je lui en donnerai l’explication. O roi, le Dieu suprême avait donné à Nebucadnetsar, ton père, l’empire, la grandeur, la gloire et la magnificence ; et à cause de la grandeur qu’il lui avait donnée, tous les peuples, les nations, les hommes de toutes langues étaient dans la crainte et tremblaient devant lui. Le roi faisait mourir ceux qu’il voulait, et il laissait la vie à ceux qu’il voulait; il élevait ceux qu’il voulait, et il abaissait ceux qu’il voulait. Mais lorsque son coeur s’éleva et que son esprit s’endurcit jusqu’à l’arrogance, il fut précipité de son trône royal et dépouillé de sa gloire ; il fut chassé du milieu des enfants des hommes, son coeur devint semblable à celui des bêtes, et sa demeure fut avec les ânes sauvages; on lui donna comme aux boeufs de l’herbe à manger, et son corps fut trempé de la rosée du ciel, jusqu’à ce qu’il reconnût que le Dieu suprême domine sur le règne des hommes et qu’il le donne à qui il lui plaît. Et toi, Belschatsar, son fils, tu n’as pas humilié ton coeur, quoique tu susses toutes ces choses. Tu t’es élevé contre le Seigneur des cieux; les vases de sa maison ont été apportés devant toi, et vous vous en êtes servis pour boire du vin, toi et tes grands, tes femmes et tes concubines; tu as loué les dieux d’argent, d’or, d’airain, de fer, de bois et de pierre, qui ne voient point, qui n’entendent point, et qui ne savent rien, et tu n’as pas glorifié le Dieu qui a dans sa main ton souffle et toutes tes voies. C’est pourquoi il a envoyé cette extrémité de main qui a tracé cette écriture. Voici l’écriture qui a été tracée: Compté, compté, pesé, et divisé. Et voici l’explication de ces mots. Compté: Dieu a compté ton règne, et y a mis fin. Pesé: Tu as été pesé dans la balance, et tu as été trouvé léger. Divisé: Ton royaume sera divisé, et donné aux Mèdes et aux Perses. Aussitôt Belschatsar donna des ordres, et l’on revêtit Daniel de pourpre, on lui mit au cou un collier d’or, et on publia qu’il aurait la troisième place dans le gouvernement du royaume. Cette même nuit, Belschatsar, roi des Chaldéens, fut tué. Et Darius, le Mède, s’empara du royaume, étant âgé de soixante-deux ans » (Daniel V, 1-31).
LE CANTIQUE DES CANTIQUES
« Qu’il me baise des baisers de sa bouche! Car ton amour vaut mieux que le vin, Tes parfums ont une odeur suave; Ton nom est un parfum qui se répand; C’est pourquoi les jeunes filles t’aiment. Entraîne-moi après toi! Nous courrons! Le roi m’introduit dans ses appartements… Nous nous égaierons, nous nous réjouirons à cause de toi; Nous célébrerons ton amour plus que le vin. C’est avec raison que l’on t’aime » (Cantique, I, 2-4)… « Il m’a fait entrer dans la maison du vin; Et la bannière qu’il déploie sur moi, c’est l’amour » (II, 4)… « Que de charmes dans ton amour, ma soeur, ma fiancée ! Comme ton amour vaut mieux que le vin, Et combien tes parfums sont plus suaves que tous les aromates ! (IV, 10)… « J’entre dans mon jardin, ma soeur, ma fiancée; Je cueille ma myrrhe avec mes aromates, Je mange mon rayon de miel avec mon miel, Je bois mon vin avec mon lait… -Mangez, amis, buvez, enivrez-vous d’amour ! - » (V, 1)… « Ton sein est une coupe arrondie, Où le vin parfumé ne manque pas; Ton corps est un tas de froment, Entouré de lis » (VII, 2)… « Ta taille ressemble au palmier, Et tes seins à des grappes. Je me dis: Je monterai sur le palmier, J’en saisirai les rameaux! Que tes seins soient comme les grappes de la vigne, Le parfum de ton souffle comme celui des pommes, Et ta bouche comme un vin excellent,… Qui coule aisément pour mon bien-aimé, Et glisse sur les lèvres de ceux qui s’endorment ! (VII, 7-10).