PAUL LE CONVERTI. APÔTRE OU APOSTAT. UN UNIVERSITAIRE DE CONFESSION JUIVE S’INTÉRESSE À SAINT PAUL

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ESPRIT & VIE – REVUE CATHOLIQUE DE FORMATION PERMANENTE

PAUL BONY

PAUL LE CONVERTI. APÔTRE OU APOSTAT. UN UNIVERSITAIRE DE CONFESSION JUIVE S’INTÉRESSE À SAINT PAUL

Exceptionnellement, dans ce numéro et dans le prochain, nous publierons les analyses de deux livres importants dans notre rubrique Études bibliques. Nous débutons par le livre d’Alan Segal, Paul le converti. Apôtre ou apostat [1].
« Les chercheurs juifs contemporains, qui pourraient apporter aux chrétiens un éclairage nouveau sur Paul, lisent rarement ses écrits et presque jamais en tant qu’expérience religieuse ayant une valeur ; ils voient en lui un apostat. Ce jugement a une certaine raison d’être […] mais le terme « apostat » doit être discuté et nuancé avec soin » (p. 13). Ainsi s’exprime Alan Segal dans l’introduction de son ouvrage sur Paul, qui se signale à la fois par le sérieux de la recherche exégétique et par l’attitude d’ouverture d’un universitaire de confession juive. À son point de vue, la connaissance de Paul est précieuse pour l’histoire du christianisme mais aussi pour l’histoire juive : il est « l’un des deux seuls pharisiens à nous avoir laissé des écrits personnels » (voir Ph 3, 5 [2]). « En tant qu’unique juif du ier siècle à avoir rendu compte de son expérience mystique sous forme de confessions (2 Co 12, 1-10), il devrait être traité comme une source majeure pour l’étude du judaïsme à l’époque » (p. 7). Naturellement A. Segal ne peut adopter la foi chrétienne de Paul. Mais il se garde bien de minimiser la valeur de son expérience religieuse.
Il est donc fort intéressant de parcourir cette présentation de Paul en trois parties : Paul le juif, Paul le converti, Paul l’apôtre. L’exposé est nourri d’informations historiques sur les courants du judaïsme du ier siècle, il est bien au fait des études pauliniennes exégétiques les plus récentes, il exploite aussi les recherches contemporaines des sciences humaines sur la « conversion ». Nous en rendrons compte en identifiant cinq clés de lecture que propose notre auteur de manière constante à travers les trois parties de son ouvrage, et nous exprimerons brièvement notre point de vue au fur et à mesure.
1. Le langage de « conversion »
Conversion ?
C’est un terme auquel A. Segal tient beaucoup. D’autres chercheurs préfèrent parler de vocation prophétique. Ils mettent l’accent sur l’appel à l’apostolat. Et il est bien vrai que Paul n’emploie jamais à son sujet le terme de « conversion », comme il le fait quand il s’agit de désigner le mouvement des païens qui se convertissent au Dieu vivant et vrai en se détournant des idoles et de l’immoralité (1 Th 1, 9-10). Pourtant A. Segal estime légitime d’employer ce terme de « conversion » emprunté aux sciences sociales, pour caractériser le passage que fit Paul de son appartenance à la mouvance pharisienne à l’engagement dans une communauté judéo-chrétienne et, rapidement, à une communauté chrétienne de « Gentils », où les judéo-chrétiens étaient de plus en plus minoritaires, sinon même absents.
Qu’il s’agisse d’un processus subit ou d’un processus graduel, la « conversion », comme changement d’appartenance communautaire entraîne une réévaluation radicale de l’existence antérieure, il provoque aussi un engagement de prosélytisme intense pour communiquer, et, de ce fait, affermir chez le sujet lui-même, le bien-fondé de son adhésion. Les disciples galiléens de Jésus n’avaient pas fait l’expérience d’une conversion en ce sens ; mais Paul, oui. « Paul fut à la fois converti et appelé » (p. 21). Il faut parler de conversion parce qu’il y eut dans la vie de Paul un changement radical. Du point de vue de la mission, Paul est un militant engagé, mais quant à l’expérience religieuse, il est un converti » (p. 22). La confusion naît ici de ce que les anciens comme les modernes se servent du terme de « converti ». Mais il impliquait chez les juifs une notion de repentance que Paul ne juge pas appropriée à son cas. Ces réserves faites, je maintiens que Paul est et reste un converti au sens moderne du terme » (p. 42). L’indice le plus décisif que les sciences humaines donnent d’un processus de conversion est la « reconstruction biographique » (p. 50). Or, cette réécriture de son passé de juif pharisien, à la lumière de sa foi nouvelle, est particulièrement caractéristique de Paul (Ga 1 ; 1 Co 15 ; Ph 3).
Transformation
Paul utilise parfois un terme qui se rapproche de ce que les modernes mettent sous la conversion : la transformation, la métamorphose, le passage d’un état à un autre (Rm 12, 2). « Paul laisse entendre que la métamorphose est ce à quoi chaque croyant est promis à la fin des temps. Pour comprendre ce que Paul entend par conversion, il faut voir en lui l’un des tout premiers adeptes de la mystique apocalyptique de la métamorphose divine » (p. 43). Autrement dit, ce que Paul dit avoir expérimenté est une « transformation du moi », certes encore inachevée, mais déjà initiée ; elle n’est pas réservée à Paul, mais proposée à tous ceux qui seront comme lui des « convertis » à l’existence en Christ Jésus (2 Co 3, 15-18).
« Jamais nous ne connaîtrons l’expérience de Paul. Mais nous pouvons voir comment il la reconstruit. Rétrospectivement, Paul interprète sa première expérience de chrétien comme une conversion (extatique). Nous ne discuterons pas son opinion personnelle. La démonstration la plus limpide de la conversion de Paul consiste tout simplement à comparer celui-ci avec d’autres chrétiens qui, comme lui, venaient du judaïsme, mais dont l’entrée en christianisme ne modifia en rien leurs dispositions envers la Torah (voir Ac 15, 5), et qui en cela s’opposèrent à Paul. Il était possible de passer du judaïsme pharisaïque au christianisme sans une expérience de conversion comparable à celle de Paul. Il y a des chrétiens dont la foi dans le Christ ne fit que parachever leur croyance antérieure dans le judaïsme. Mais Paul n’est pas l’un de ces juifs. Il n’est en aucun cas le pharisien dont la foi dans le Christ confirme le judaïsme ; bien plutôt, sa conversion a sensiblement transformé sa conception du christianisme. Elle l’a amené à réévaluer la foi de ses ancêtres, et a ainsi créé chez lui une nouvelle compréhension de la mission de Jésus » (p. 111).
Inscription sociale
A. Segal pense que la conversion de Paul ne dut pas être aussi soudaine que Luc le dit en vue de faire de cette conversion un exemple de la puissance de l’Esprit, et cela, pour l’édification de ses lecteurs. Les sciences humaines relèvent l’influence de la communauté d’adhésion sur la manière de retranscrire l’événement de la conversion. Il doit en aller de même pour Paul. « Les déclarations de Paul concernant son passé sont donc très largement influencées par ses engagements présents. » « Paul est l’exemple du converti actif, qui reconstruit son univers. Mais plus important encore est l’effet qu’exerce l’environnement social de Paul » (p. 53).
On ne chicanera pas sur le métalangage de « conversion ». On s’accordera avec A. Segal sur le fait d’un changement radical survenu dans le cours de l’existence de Paul pharisien, comme lui-même l’atteste ; il ne s’agit ni de conversion morale, ni de « changement de religion », mais d’un déplacement du centre de toute une existence. On doit admettre aussi que l’expérience apostolique de Paul dans la mission parmi les Nations a coloré la manière dont il a rendu compte, vingt ans après, de l’événement de Damas. Mais on ne peut négliger l’insistance que Paul met sur la révélation personnelle qui lui a été faite et qui lui a donné une intelligence tout à fait originale de l’Évangile, quitte à ce que celle-ci se précise et se renforce au cours de son ministère apostolique comme au contact des autres courants du christianisme primitif.

[1] Alan A. Segal, Paul le converti. Apôtre ou apostat, Traduit de l’anglais par Anne Paumier, Patrice Ghirardi et Jean-François Séné, Paris, Éd. Bayard, 2003. Le titre original n’est pas indiqué. Le voici : Paul the Convert : the Apostolate and Apostasy of Saul the Pharisee, Yale, University Press, 1990. Le titre de la traduction française ne comporte curieusement pas le point d’interrogation que supposerait sa phraséologie.
[2] L’autre auteur juif est Flavius Josèphe, et encore celui-ci n’est-il pas vraiment pharisien.

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