UNE ÉGLISE EN NAISSANCE. MISES EN PERSPECTIVE ET QUESTIONNEMENTS (II) [1]

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Marie-Thérèse Desouche & Jean-François Chiron

UNE ÉGLISE EN NAISSANCE. MISES EN PERSPECTIVE ET QUESTIONNEMENTS (II) [1]

LA SACRAMENTALITÉ DE L’ÉGLISE

À la suite du dernier Concile, on aime voir dans l’Église le sacrement de l’unité entre Dieu et les hommes (Lumen gentium, n° 1) ou le sacrement du salut (n° 48). Ce thème théologique peut sans difficulté être rapproché des situations qui sont aujourd’hui celles de l’Église.
Il y a deux façons de rendre compte de la mission de l’Église. L’Église peut être considérée comme destinée à rassembler tous les peuples ; on peut aussi l’envisager comme appelée à les représenter. Sans doute les deux perspectives doivent-elles être tenues simultanément. S’agissant de la première, on rappelle que, eschatologiquement, l’Église a vocation à rassembler l’humanité tout entière. De fait, pendant des siècles, le salut a été conçu uniquement sous mode d’appartenance à l’Église, seule arche du salut. La découverte de ce que l’Église ne regroupait qu’une partie de l’humanité a conduit à admettre explicitement un salut pour les non-baptisés de bonne foi. Le thème de l’Église sacrement du salut permet d’énoncer que l’Église peut être signe, mais aussi instrument de salut pour ceux qui ne lui appartiennent pas. Le salut peut ainsi être envisagé aujourd’hui sous le mode d’une relation à l’Église, autant que d’une appartenance (la première phrase de LG, n° 16 évoque une « ordination » au peuple de Dieu de ceux qui n’ont pas encore reçu l’Évangile).
Une identité ouverte : représenter le monde
On considérera donc que, si l’Église est destinée à rassembler tous les peuples, elle doit d’abord les représenter. On peut parler de fonction sacerdotale : la mission du peuple de Dieu, un peuple minoritaire, est une fonction d’intercession pour le grand nombre, pour ceux de l’extérieur, pour le monde. Fonction de médiation : il revient au petit nombre d’assumer, devant Dieu, un rôle de représentation, qui est aussi un rôle de mise en relation, et même de réconciliation : il s’agit de réconcilier le monde avec Dieu. Rôle qui est celui du Christ (« sacrement » premier) ; qui est donc, à son rang, celui de l’Église : être le sacrement de la mission du Christ, la représenter. Celui qui est sans péché, l’Unique, meurt pour le péché de tous. Il intercède pour tous. Ainsi l’Église intercède pour tous, et d’abord pour les pécheurs. Elle représente le grand nombre auprès de Dieu, elle qui est le petit nombre. Il lui faut vivre pour ce monde, pour présenter ce monde, avec le Fils, en lui, au Père. Cela, elle le fait avant tout dans son eucharistie, célébrée « pour la gloire de Dieu et le salut du monde » (qu’a fait le Christ Jésus, sinon vivre et mourir « pour la gloire de Dieu et le salut du monde » ?).
C’est cela qui doit induire l’ » être au monde » de nos communautés, y compris de la façon la plus concrète qui soit : représenter le monde, intercéder pour lui. Un « être pour le monde », à la suite de celui qui a été envoyé « pour sauver les hommes ». Donc tenir une ouverture au monde, à ce monde, à cette société, sans perdre pour autant son être propre et sans cesser d’exercer une fonction critique par rapport à ce monde.
Dans la représentation ainsi comprise, l’Église pourra trouver le fondement théologique d’une culture de la minorité qui ne soit pas sectaire : une identité qui ne soit pas identitaire, une identité ouverte. Nos communautés devront continuer à honorer le statut de minorités humainement et évangéliquement positives : non pas repliées, ni agressives, cultivant le ressentiment ou la nostalgie ; mais des minorités témoins, au sens sacramentel.
Parler de l’Église comme sacrement, c’est comprendre la centralité de l’Esprit Saint. C’est dans cette ligne qu’il faut entendre l’usage que fait le concile Vatican II du mot sacrement à propos de l’Église. De son utilisation analogique du mot sacrement, ressort « le rapport de l’Église avec la puissance de l’Esprit Saint, celui qui seul donne la vie : l’Église est le signe et l’instrument de la présence et de l’action de l’Esprit vivifiant [2] ». L’Église saisit ici son identité sacramentelle épiclétique, dont l’expression la plus complète est l’eucharistie : dans l’eucharistie, l’Église se met sous l’alliance du Père en Jésus-Christ livrant son Esprit sur le monde. Elle annonce que Dieu est Dieu, qu’il sauve gratuitement, en son Fils Jésus-Christ, présent et agissant par la puissance de son Esprit. L’Église est « l’instrument » de ce mystère de vie pour l’humanité. Elle est l’espace de la rencontre entre Dieu et l’humanité.
[L'Église] œuvre pour rétablir et renforcer l’unité du genre humain à ses racines mêmes, dans le rapport de communion entre l’homme et Dieu, son Créateur, son Seigneur, et son Rédempteur [3].
Se nourrir de la Parole de Dieu
Il ne faudrait pas oublier dans cette réflexion sur l’Église comme sacrement la deuxième Table, celle de la Parole de Dieu, comme le précise le concile Vatican II, dans la Constitution dogmatique Dei Verbum (n° 21) [4] : « L’Église a toujours vénéré les divines Écritures, comme elle l’a toujours fait pour le Corps même du Seigneur, elle qui ne cesse pas de prendre le pain de vie sur la Table de la Parole de Dieu et sur celle du Corps du Christ. » L’exhortation apostolique Verbum Domini, qui fait suite au Synode sur la Parole de Dieu dans la vie et la mission de l’Église en octobre 2008, parle explicitement des deux Tables [5] et approfondit la dimension sacramentelle de la Sainte Écriture en la fondant sur l’Incarnation du Christ et sur l’inspiration de l’Écriture, de façon plus développée que ne le faisait Dei Verbum.
Le corps eucharistique du Seigneur et son corps scripturaire sont Parole de Dieu et elles sont Pain pour le Corps de l’Église, qui est le Corps du Christ. Les diocèses l’ont bien compris, qui développent les possibilités de formations bibliques, de maisons de l’Évangile, d’écoles de la Parole, de partage de la Parole de Dieu, de lectio divina, etc. : la Parole de Dieu devient la nourriture vivante du peuple de Dieu.
La vision sacramentelle de l’Église invite à prendre en compte dans la vie quotidienne de cette Église les médiations, à commencer par les médiations institutionnelles. C’est à ce niveau notamment que la grâce doit assumer la nature et non pas l’ignorer. Il n’y a pas de vie en Église qui ne passe par les médiations fondamentales que sont l’Écriture, la communauté, les ministères, les sacrements, la liturgie, etc. Bref, ces réalités tangibles par lesquelles, à des titres divers, le salut vient à nous. Mais ne comptent pas moins, sur un plan humain, des réalités comme la parole, le pouvoir, l’argent, l’affectivité, etc. Toutes réalités sans lesquelles il n’y a ni communauté chrétienne, ni existence humaine  ; réalités qui font, selon la façon dont les croyants s’y confrontent, que leurs communautés peuvent devenir, ou non, lieux d’évangélisation et d’humanisation.
On rappellera simplement, à titre d’exemple, l’importance de ces lieux que sont les conseils, notamment presbytéraux et pastoraux (à l’échelle des diocèses ou des paroisses) : le droit canon, appuyé sur la Tradition catholique, donne le dernier mot à l’évêque ou au curé, la décision ultime, celle qui relève du ministre ordonné, peut aller contre la majorité des voix ; le tout est de savoir comment elle a été prise. Il doit être manifeste que, même dans une situation conflictuelle, tous les partenaires du débat ont été traités en personnes majeures. Cela exige, de la part du ministre ordonné (curé, aumônier… comme pour l’évêque) quelques qualités humaines de base (comme celles que rappelle PO, n° 3 – voir encadré). Il est vital, pour la bonne santé des corps que sont un presbyterium diocésain ou une communauté paroissiale, qu’un dialogue en vérité soit possible sur les questions pastorales essentielles.
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[1] Suite de l’article paru dans Esprit & Vie n° 239, p. 2-8.
[2] Jean-Paul II, encyclique Dominum et Vivificantem (1986), n° 64.
[3] Ibidem.
[4] Voir aussi Presbyterorum Ordinis n° 18.
[5] Benoît XVI, exhortation apostolique Verbum Domini, n° 68 : « Le sens théologique des deux tables de la Parole et de l’eucharistie », avec l’expression latine geminae mensae, qui présente les tables de la Parole et de l’eucharistie comme des tables jumelles.

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