DE L’AVANTAGE DE LAISSER VIEILLIR LE VIN

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DE L’AVANTAGE DE LAISSER VIEILLIR LE VIN

cesse de ne boire que de l’eau.
prends un peu de vin à cause de ton estomac
et de tes fréquents malaises (1tm, 5, 23) »

• LES NOCES DE CANA

Jn 2.1 – Le troisième jour, il y eut des noces à Cana de Galilée, et la mère de Jésus y était. 2.2 – Jésus aussi fut invité à ces noces, ainsi que ses disciples. 2.3 – Or il n’y avait plus de vin, car le vin des noces était épuisé. La mère de Jésus lui dit:  » Ils n’ont pas de vin.  » 2.4 – Jésus lui dit:  » Que me veux-tu, femme? Mon heure n’est pas encore arrivée. 2.5 – Sa mère dit aux servants: Tout ce qu’il vous dira, faites-le. 2.6 – Or il y avait six jarres de pierre, destinées aux purifications des Juifs, et contenant chacune deux ou trois mesures. 2.7 – Jésus leur dit:  » Remplissez d’eau ces jarres.  » Ils les remplirent jusqu’au bord. 2.8 – Il leur dit:  » Puisez maintenant et portez-en au maître du repas.  » Ils lui en portèrent. 2.9 – Lorsque le maître du repas eut goûté l’eau changée en vin – et il ne savait pas d’où il venait, tandis que les servants le savaient, eux qui avaient puisé l’eau – le maître du repas appelle le marié 2.10 – et lui dit:  » Tout homme sert d’abord le bon vin et, quand les gens sont ivres, le moins bon. Toi, tu as gardé le bon vin jusqu’à présent!  » 2.11 – Tel fut le premier des signes de Jésus, il l’accomplit à Cana de Galilée et il manifesta sa gloire et ses disciples crurent en lui.

Les Noces de Cana sont une péricope difficile qui résiste semble-t-il à l’interprétation. Les sources patristiques ne nous sont pas ici d’un grand secours. Par exemple Augustin compare le miracle de l’eau changé en vin à celui que Dieu fait tous les jours. Dieu en effet donne la pluie et celle-ci fait pousser la vigne. On n’y avait pas pensé. Puisque personne ne nous aidera, il faut donc s’attendre à ce que cette péricope reste encore longtemps une énigme, ce qui n’empêche pas d’essayer l’hypothèse midrashique. Que signifie par exemple le fait que Jésus refasse à Cana les gestes d’Elie à Sarepta ?
Les Noces de Cana se déroulent un troisième jour. Nous savons maintenant que Jean est un prolongement du midrash juif sur la Genèse, sur l’œuvre du commencement. Or dans ce maassé bereshit, le troisième jour est celui du travail sur l’eau, melakhat ha-mayim (GnR 4,6). Le Midrash Rabba se demande par exemple pourquoi après le second jour il n’est pas dit « ki tov » comme c’est le cas pour les  autres jours (Dieu vit que c’était bon). Réponse : car ce second jour fut créé la Géhenne. Comment le sait-on, demande le midrash ? A cause du verset Is 30, 33. En revanche, le troisième jour, il est dit deux fois « ki tov ». Une fois pour la fin du travail de l’eau (la séparation des deux types d’eaux: il y a donc l’eau/loi d’en bas et l’eau/loi d’en haut) et l’autre pour la création des fruits et donc aussi d’un fruit un peu particulier : la vigne. En ce troisième jour le miqvé hamayim est appelé mer. D’où l’eau des purifications des Noces. Le miqvé est en effet le bain rituel. Le terme miqvé ressemble au mot tiqva qui est l’espérance spécifiquement messianique puisque tiqva possède la valence messianique. Le messie commencera donc sa mission par un bain. (noter que l’expression מבדיל בין מים למים vaut 358 valeur messianique).
Nous avons vu dans l’article relatif à Nathanaël que certaines choses existaient avant même la création du monde, les unes « effectivement » (la Tora, le Trône divin,…) alors que d’autres existaient de toute éternité mais en « pensée » seulement (en « projet »: les Patriarches, le Nom du messie). Le messie avait de toute éternité été caché. Dieu lui-même ne peut donc plus revenir sur l’existence du messie. Comme le messie a été engendré (puisque non créé) il est donc, par midrash, le « fils de Dieu ». Dieu ne peut donc manquer un jour de l’envoyer.
Le traité talmudique Sanhédrin 99a fait une distinction entre les jours du messie et le monde à venir.  Rabbi Hiya fils de Abba a dit, au nom de Rabbi YoHanan: Tous les prophètes n’ont prophétisé que pour les jours du Messie, mais pour ce qui est du monde à venir, aucun œil, ô Dieu, n’a vu, excepté toi, ce qu’il accomplira pour celui qui l’attend. Rabbi Yehoshu’a ben Lévi dit: (ce qui n’est pas donné à voir) c’est le vin préservé dans les grappes des six jours de la création.
(Notons en passant les noms des personnages qui interviennent ici: Hiyya « fils du père », un R. YoHanan suivi d’un R. Yéhoshu’a…A rapprocher de l’hypothèse suivante: le midrash chrétien élabore jusqu’au nom des rabbins qui transmettent  les dits midrashiques. Par exemple, dans Ruth Rabba c’est un R. Shim’on qui transmet le dit sur Rahab, la pécheresse pardonnée se trouvera donc dans la maison d’un dénommé Simon)
Il existe dans le champ du midrash un festin très particulier: le festin eschatologique. Cette festivité aura lieu à la fin des temps. À cette époque, Dieu fêtera son union avec l’humanité par un immense banquet (hébreu: simHa, joie ou mishté) auquel toutes les nations afflueront. Le Midrash Rabba est plein de ces paraboles dans lesquelles un roi organise un banquet. Par exemple en Esther 1, 5
Ce temps écoulé (bimleot yamim= à la fin des temps) ce fut alors toute la population de la citadelle de Suse, du plus grand au plus petit, qui se vit offrir par le roi un banquet de sept jours, sur l’esplanade du jardin du palais royal.
Nous retrouvons donc ce type de banquet (mishté) dans le Nouveau Testament. Dans les midrashim, la question est de savoir qui est invité à ces banquets, qui y est « appelé », comment s’y comporter et qui possède les moyens d’y faire bonne figure. Le vin offert au banquet figure la Tora, la Loi. Le Banquet est le moment de la donation de la Loi.  Nous rapprochons ici la péricope de Nathanaël de celle des Noces de Cana et de celle des Outres. En effet les deux dernières péricopes traitent de la conservation du vin, de plus Nathanaël est de Cana. Les Noces de Cana traitent d’un événement important: le vin en vient à être affecté du signe moins. Il faut écouter les assonances du syriaque de la peshitta: Hasra ha Hamra wa Amra ima l-yeshua Hamra leit lehon…La difficulté provient d’une distinction qui est faite ici, entre le bon vin et le moins bon vin. L’araméen de la peshitta nous fournit une piste: le maître du repas est  rosh ha-mesekh. Cette racine mesekh se retrouve en Pr 9, 5
Venez, mangez de mon pain, buvez du vin que j’ai tempéré!
verset souvent cité par le Midrash Rabba. On a ici l’idée de tempérance, de vin adouci, préparé, cuisiné. Le bon vin est un vin doux, léger, facile à boire. La bonne Loi est donc comme le bon vin: légère, douce, facile à accomplir. Le “signe” accompli par Jésus consiste en ce que, grâce à la venue du messie, qui est le miracle ici midrashiquement accompli, on glorifie le Hatan, (l’époux, Dieu) d’avoir gardé (prévu) une Loi légère pour la fin des Temps. Nous sommes en effet à la fin des temps. A Cana Jésus refait et parfait midrashiquement la création. Il change l’eau en vin. Il n’y a donc plus de distinction entre l’eau-loi d’en haut (le vin, la loi bonne et légère gardée pour la fin des temps) et l’eau lourde d’en bas. Séparation qui avait été faite le second jour dans la Genèse. Dieu est loué par le rav hamekhes: tu as gardé le bon vin jusqu’à ce jour. A Cana, il n’est pas question de Vin Nouveau. Au contraire, c’est d’un vin vieux comme le monde dont il est question. Ce vin nouveau apparaît dans la péricope des vieilles outres. Que signifie ce vin nouveau? Les commentaires sur ce passage comprennent, en général, que le vin nouveau est la parole de Jésus. “Le vin nouveau qu’offre Jésus… ” lit-on un peu partout. Jésus représente forcément quelque chose de neuf. Il faut ensuite quelques contorsions pour expliquer Lc 5, 39.
Personne, après avoir bu du vin vieux, n’en veut du nouveau.
Il est pourtant possible de soutenir la position inverse: Jésus propose de revenir au vieux vin et condamne le vin nouveau. Le vin vieux, le bon vin, agréable au goût, est, on le sait, la loi facile à appliquer. Et pourtant, ce bon vin serait l’ancienne loi. Ancienne, car c’est, soit la loi noachide, soit même la loi biblique, mais en tout cas pas la loi rabbinique. Le vin nouveau, serait la loi difficile, rabbinique. Elle ne convient pas aux outres vieilles, qu’elle fait « enfler » et risque de faire “périr” (abad). Après avoir connu la vieille loi biblique et légère, personne ne veut de la loi nouvelle, lourde, complexe, en un mot: rabbinique. Du coup, notre question initiale trouve une réponse. Le jeûne fréquent est un exemple de loi lourde et de l’enflure (inutile donc de jeûner pour espérer dégonfler). Le messie vient alléger la loi. Ses disciples sont donc dispensés de jeûner. S’il devait s’en aller, la loi lourde s’imposerait de nouveau.

• VOCABULAIRE DES OUTRES.
Mt 9,14 – Alors les disciples de Jean s’approchent de lui en disant: » Pourquoi nous et les Pharisiens jeûnons-nous, et tes disciples ne jeûnent-ils pas?  » 9,15 – Et Jésus leur dit:  » Les compagnons de l’époux peuvent-ils mener le deuil tant que l’époux est avec eux? Mais viendront des jours où l’époux leur sera enlevé; et alors ils jeûneront. 9,16 – Personne ne rajoute une pièce de drap non foulé à un vieux vêtement; car le morceau rapporté tire sur le vêtement et la déchirure s’aggrave. 9, 17 – On ne met pas non plus du vin nouveau dans des outres vieilles; autrement, les outres éclatent, le vin se répand et les outres sont perdues. Mais on met du vin nouveau dans des outres neuves, et l’un et l’autre se conservent.
Quel rapport, dans ce texte de Matthieu, entre les premiers versets, qui parlent de jeûne, et les derniers versets, qui parlent de vieilles outres, de conservation du vin et de vieux vêtements?  La co-présence des thèmes de l’époux et du vin incite à penser que notre péricope est proche de celle des Noces de Cana.
Le vocabulaire de la péricope des outres, tourne autour d’une opposition entre le lourd et le léger, le grave et la pécadille, le majeur et le mineur. Ce jeu d’oppositions n’apparaît ni en grec, ni même en hébreu biblique, mais dans le registre d’hébreu propre au midrash que nous appelons, pour faire court, hébreu tardif, qui passe  souvent à l’Araméen sans prévenir et dont la peshitta nous a gardé la trace. Hamra c’est le vin; qal signifie léger. Dans le syriaque de la peshitta Cana s’écrit qaTna. C’est nous dit le CAL la racine de la petitesse et aussi de la légèreté et de la subtilité. On est dans une discussion sur le léger et le grave, ce qui se dit en hébreu qal va-Homer. C’est le nom d’un raisonnement bien connu dans le midrash, le raisonnement a fortiori  ou, pour les nostalgiques du latin a minore ad majus. Homer est à la fois la sévérité rituelle, et une allégorie, un symbole. Homarta en hébreu tardif est une pierre, tout comme qela. Ce jeu d’oppositions entre léger et lourd, parcourt l’ensemble des Evangiles. Il produit du texte, des épisodes comme la marche sur les eaux. Jésus montre une halakha (marche/loi) devenue si légère qu’elle flotte. Ce qui est lourd deviendra léger. Le mot qal, signifie aussi  simple. Les éloges à propos des simples, seraient-ils, eux aussi, à double entente? Hamira est en hébreu tardif à la fois le levain (Dictionnaire Jastrow p. 477) et ce qui est chargé, grave, lourd, strict. Ce qui expliquerait l’appel à se méfier du “levain des Pharisiens”, c’est-à-dire leur tendance à alourdir et compliquer la Loi. (Hamar: empiler, entasser). Corollaire: le pain azyme serait un symbole de la loi légère.

Hamra : vin
Hamira: rigorisme
Hamar: âne
Himer: obliger une bête à marcher, aiguilloner

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