LA VIERGE MARIE, MÈRE DE DIEU ET NOTRE MÈRE – UN TITRE AUDACIEUX – Jean Galot s.j.
http://www.moscati.it/Francais2/Fr_Galot_Maria2.html
LA VIERGE MARIE, MÈRE DE DIEU ET NOTRE MÈRE – II
MÈRE DE DIEU
Jean Galot s.j. – [Traduction par Françoise Matera]
UN TITRE AUDACIEUX
Quand l’ange s’était adressé à Marie pou lui révéler le dessein du Père et lui demander son consentement pour la venue au monde du Sauveur, il l’avait appelée « comblée de grâce ». Il reconnaissait en elle une dignité singulière, sublime, qu’aucune autre créature n’aurait pu posséder. En un premier temps, il ne l’appelait pas par son nom parce que son vrai nom était la grâce exceptionnelle qu’elle avait reçue et qui, aux yeux de Dieu et de tout le ciel, la distinguait de toutes les autres personnes humaines.
Quand nous reprenons dans notre prière l’expression formulée par l’ange qui a appelé Marie « comblée de grâce », nous levons notre regard vers une femme qui a développé la plénitude de la grâce. L’Esprit Saint a poussé à l’extrême la puissance sanctificatrice de Marie et a fait naître au plus profond de son âme un amour pur et parfait. En découvrant en elle ce chef d’œuvre de grâce, nous pouvons entrer plus facilement dans le vaste univers de la grâce et participer au développement de l’amour le plus véritable
Cependant, le summum que constitue Marie dans l’univers spirituel est encore plus haut. Ce summum, nous l’atteignons quand nous appelons Marie « Mère de Dieu « . Le titre est très audacieux , parce que si Dieu désigne l’Etre suprême, qui jouit d’une autorité souveraine sur tous les êtres, comment admettre qu’il puisse avoir une mère ? Attribuer à une femme la dignité de Mère de Dieu, semble placer une créature au-dessus du Créateur, reconnaître une certaine supériorité à une femme sur Dieu lui-même.
On comprend qu’un titre aussi audacieux n’ait pas été accepté facilement de tous. Au début il ne fut pas utilisé par la religion chrétienne ni dans le langage de ceux qui, au premier siècle, se consacrèrent à la diffusion de la bonne nouvelle. Dans l’Ecriture et plus précisément dans les textes évangéliques, il n’y figure pas. Il est donc ignoré, les premiers temps, par l’Eglise. Ceci semble donc démontrer que ce titre n’était pas nécessaire pour l’expression de la doctrine chrétienne.
Le titre le plus nécessaire aurait été « Mère de Jésus » ou « Mère du Christ ». Il était affirmé sans séparation dans le mystère de l’Incarnation. Pour affirmer que le Fils de Dieu est venu sur terre pour vivre comme un homme et avec les hommes, on doit reconnaître qu’il est né de la Vierge Marie et qu’une femme est la mère de ce Fils. L’intervention d’une femme a été nécessaire pour une naissance réellement humaine ; la maternité de cette femme appartient au mystère de l’Incarnation.
Jésus est un homme, du sexe masculin, mais uni par un lien indissoluble au sexe féminin parce qu’une femme l’a enfanté et parce que cette femme a rempli totalement son rôle de mère envers lui.
Saint Paul a souligné la portée de ce mystère, en rappelant le grand geste du Père qui a fait don de son fils à l’humanité : « Mais, quand l’accomplissement du temps est venu, Dieu a envoyé son Fils, né d’une femme… » (Galates 4,4). Le nom de Marie n’est pas prononcé mais l’importance essentielle de la contribution de la femme est mise en lumière. Sans cette femme , le Père n’aurait pas pu donner son Fils comme il l’a fait par la naissance de Jésus. « Né d’une femme » est une caractéristique de l’identité du Sauveur, qui fait découvrir, dans un homme, avec la faiblesse de la chair, la personnalité de celui qui avant, dans l’éternité, était né du Père.
Dans cette naissance « d’une femme », Paul discerne l’humilité de la venue du Fils qui a accepté les conditions habituelles de la naissance humaine. Il ne considère pas explicitement la grandeur de la femme qui intervient dans une naissance au caractère extraordinaire. Mais il fait comprendre que cette femme a été associée par sa maternité, au projet divin de communication de la filiation divine à tous les hommes : le Fils est né d’une femme « afin qu’on fasse de nous des fils adoptifs ».
Ainsi, la maternité de Marie est élevée à un niveau divin, quant à son orientation fondamentale. La dignité de Marie comme mère apparaît plus clairement : le Fils que la femme a enfanté est destiné à partager sa filiation divine personnelle avec tous les hommes. Le Père qui, en envoyant son Fils sur terre, est à l’origine de cette maternité exceptionnelle, s’en sert pour répandre dans l’humanité sa propre paternité qui fait naître des fils adoptifs. Jamais une maternité n’aurait pu revendiquer une efficacité aussi grande et universelle.
Ce niveau divin attribué à la maternité de Marie n’exprime pas encore la suprématie de sa dignité. Seul le titre « Mère de dieu » peut définir cette suprématie. Saint Paul n’a jamais fait usage de ce titre parce que son attention ne se portait pas sur la dignité propre à Marie dans la naissance du Christ, mais sur l’abaissement de Dieu qui manifestait ainsi un amour infini envers les hommes.
Un pas en avant était nécessaire si la communauté chrétienne voulait parvenir à la plénitude de la signification du titre « Mère de dieu ». Le titre exprime une vérité énoncée dans la révélation évangélique : si Jésus qui est le Fils de Dieu, est Dieu lui-même, nous devons affirmer que ce Dieu est né de Marie et en conséquence Marie est mère de Dieu. Marie n’est pas mère de Dieu le Père ; elle est mère du Fils de Dieu. Bien que ce soit évident aux yeux de la foi chrétienne, l’attribution du titre a demandé un certain temps parce que ce titre, en lui-même, apparaît très audacieux. Une réflexion s’est avérée nécessaire sur cette révélation pour en justifier l’usage.
D’une certaine façon, le titre semble attribuer à Marie une certaine supériorité sur Dieu lui-même. nous avons déjà noté que ce ne pouvait être une supériorité sur Dieu le Père parce que Marie n’est pas sa mère. La supériorité doit être également exclue en ce qui concerne le Fils, s’il est considéré dans sa nature divine, identique à celle du Père. Le Fils est seulement fils de Marie dans sa nature humaine. Dans cette nature « il était soumis » à Marie et Joseph, comme le dit l’évangile (Luc 2,51).
La maternité de Marie est souvent appelée « maternité divine », parce qu’il s’agit d’une maternité en relation avec la personne divine du Fils; mais en réalité, c’est une maternité humaine qui s’est produite et développée dans la nature humaine de la Vierge de Nazareth. Cette maternité est riche de sentiments humains: le cœur maternel de Marie est un cœur humain, très sensible à tous les événements qui touchaient ou frappaient son propre Fils. Le caractère virginal de sa maternité n’a rien enlevé à la tendresse de son affection maternelle ; il l’a même rendu plus ardente, plus pure, plus parfaite.
L’expression « Mère de Dieu » met en lumière la relation merveilleuse d’une personne humaine avec Dieu. La maternité est une relation de personne à personne. Une mère est la mère de la personne de son fils ; étant donné que dans le cas de Jésus, la personne est divine dans une nature humaine, Marie est mère d’une personne divine, personne qui, fruit de sa génération humaine virginale, est son Fils.
Sur l’origine de l’attribution du titre « Mère de Dieu » à Marie dans la prière chrétienne et dans le culte chrétien, nous avons peu d’informations. C’est cependant significatif que la plus antique prière mariale que nous connaisson s’adresse à la Mère de Dieu. La prière a été découverte sur un papyrus égyptien daté du troisième siècle ; le papyrus était très abîmé mais il portait clairement l’invocation Theotokos: « Sous ta protection nous cherchons refuge, Sainte Mère de Dieu… ».
La prière, ressemblant aux autres prières adressées à Dieu, demande l’aide de Marie , en présence de dangers. Elle est la preuve qu’en Egypte, au troisième siècle, le titre de « Mère de Dieu » était utilisé dans certains milieux chrétiens.
Cette utilisation est confirmée dans un domaine plus doctrinal : nous savons que dans son commentaire de la lettre aux Romains, le grand théologien Origène (253-255) avait donné une longue explication du terme Theotokos. Nous ne possédons pas le texte de ce commentaire mais ceci est la preuve qu’en Egypte, au troisième siècle, le titre était utilisé dans l’exposé de la doctrine.
Les historiens ont cherché à déterminer les motifs pour lesquels le titre s’est répandu particulièrement en Egypte. Il semble en effet que l’Egypte est le lieu d’origine de l’utilisation du titre. Dans la religion païenne, le culte de la déesse Isis existait. Cette déesse était vénérée sous le titre de « mère du dieu » parce qu’elle était considérée mère du dieu Oro. Clément d’Alexandrie utilise à ce propos l’expression « mère des dieux ». les chrétiens d’Egypte voyaient dans le langage des païens un hommage à la « mère du dieu ». Comment n’auraient-ils pas pu réagir en pensant qu’ils connaissaient, eux, l’unique Mère de Dieu, qui n’était pas une déesse mais une femme ? nous pouvons supposer que sous l’influence du culte païen, ils ont affirmé leur propre culte de vénération de la Mère de Dieu. La religion païenne, dans laquelle l’Esprit Saint exerçait son action, avait préparé les Egyptiens à la venue du christianisme et au culte de la vraie « Mère de Dieu ».
Le pas en avant qui a été fait pour s’adresser à Marie en l’appelant « Mère de Dieu » n’est pas l’effet d’un raisonnement doctrinal. Il est né d’un besoin populaire de reconnaître en une femme, d’après la révélation, la vraie mère de Dieu, mère du Fils incarné, qui ouvrait les portes à toutes les espérances. La valeur du rôle de Marie a été compris et accueilli par le peuple chrétien qui, en invoquant la mère de Dieu, pouvait attendre la meilleure réponse possible à ses problèmes et de l’aide dans les dangers.
OBJECTION ET RÉPONSE
Quand, en l’an 428, Nestorius devint Patriarche de Constantinople, la querelle à propos du titre de « Mère de Dieu » avait déjà éclaté. Diverses opinions étaient émises ; certains voulaient reconnaître Marie comme la mère de l’homme Jésus et non comme la mère de Dieu. Nestorius se limitait au titre : « Mère du Christ ». il n’admettait pas le titre « Mère de Dieu » parce qu’il pensait que Marie ne pouvait pas être la mère d’une personne divine.
Nous avons fait remarquer que le titre est audacieux et qu’il a fallu faire un pas avant, au troisième siècle, pour introduire l’invocation dans la prière chrétienne. Nestorius n’a pas voulu faire ce pas en avant, il n’a pas accepté un titre qui s’était répandu largement dans le langage de l’Eglise et qui constituait un progrès dans l’expression de la foi. En effet, il ne reconnaissait pas la valeur de la tradition acquise pour invoquer Marie sous le nom de « Mère de Dieu ».
En refusant ce titre, il reconnaissait dans le Christ une division entre l’homme engendré par Marie et le sujet divin qu’était le Fils ; cette division aurait impliqué l’existence de deux personnes dans le Christ, c’est-à-dire un dualisme qui ne pouvait pas être compatible avec l’unité du Christ selon la vérité révélée dans l’évangile.
L’Eglise avait toujours cru que l’homme Jésus était Dieu, selon la preuve que Jésus lui-même avait apportée de sa propre identité. Dans l’Evangile, il n’y a pas deux personnages, l’un qui serait homme et l’autre qui serait le Fils de Dieu. La merveille de l’Incarnation consiste dans le fait que le Fils de Dieu s’est fait homme, en naissant d’une femme.
Au moment de l’Incarnation, ce fils ne s’est pas divisé en deux personnes. Tout en restant une personne divine, il s’est fait homme, prenant la nature humaine qui n’est pas une personne humaine. Son unique personne est la personne divine, personne qui existe depuis l’éternité et ne peut changer dans son être éternel. Ceci explique que Marie, en devenant mère de Jésus, est mère de la personne divine du Fils et donc Mère de Dieu.
La Vierge Marie « Theotokos »,
c’est-à-dire « Mère de Dieu »,
comme l’a proclamée
le concile d’Ephèse.
Ainsi l’affirmation de Marie comme Mère de Dieu est la garantie de l’affirmation de la personne divine du Christ. Le problème posé par la crise nestorienne n’était pas seulement mariologique ; il était plus fondamentalement christologique. La vérité contestée était l’unité du Christ.
Cette unité fut reconnue par le concile d’Ephèse, qui condamna Nestorius. Sur la base de la seconde lettre de Cyrille d’Alexandrie à Nestorius, qui fut approuvée par le concile, le Fils éternel du Père est celui qui, à la suite de l’engendrement charnel, est né de la Vierge Marie. De cette vérité sur le Christ, dérivait la conséquence suivante pour Marie: « « Pour cette raison, Marie est légitimement appelée Theotokos, Mère de Dieu ».
Après la proclamation de cette doctrine, les Pères du concile furent accueillis avec enthousiasme par la population d’Ephèse. Le peuple chrétien se réjouissait de l’honneur rendu à la Mère de Dieu.
Quatre siècles auparavant, la ville païenne d’Ephèse avait manifesté son attachement à la déesse Artémis. Les Actes de Apôtres nous relatent l’épisode dans lequel Paul avait rencontré à Ephèse une forte hostilité de la foule qui l’accusait d’avoir voulu mettre fin au culte de la déesse. Les cris « Grande est l’Artémis des Ephésiens ! » (Actes 19,28) démontraient la puissance d’un culte qui a poussé Paul à quitter la ville. Mais leur souvenir fait aussi comprendre la préparation utilisée par l’Esprit Saint pour la proclamation d’une femme en tant que Mère de Dieu. Le culte à la déesse Artémis était un moyen pour mettre finalement en lumière le visage de la Mère de Dieu.
En quatre siècles, le culte rendu à une déesse païenne s’était transformé en culte rendu à Marie. Dans la religion païenne, le besoin fondamental des hommes d’avoir une femme vraiment idéale pour ouvrir la voie du salut s’était révélé. Dans le christianisme, cette femme idéale a été reconnue dans toute sa perfection à un niveau très supérieur, et c’est celle qui méritait le nom de Mère de Dieu.
PREUVE DE L’AMOUR INFINI DE DIEU
Le titre qui depuis le troisième siècle a été prononcé par la piété chrétienne dans le culte marial porte en soi la preuve de l’amour infini de Dieu. Marie est Mère de Dieu parce que Dieu a voulu une mère. Le Dieu qui l’a voulu est d’abord le Père : son intention était d’exprimer, par cette maternité, dans un visage humain, sa propre paternité divine. Le Fils de Dieu l’a aussi voulu parce qu’il voulait être un homme totalement semblable aux autres hommes, naître d’une mère et grandir avec l’aide et les soins d’une mère.
Le mot grec utilisé pour désigner la maternité de Marie a un sens qui, d’après son origine, est assez limité. « Theotokos » veut dire « celle qui a engendré Dieu ». L’acte d’engendrement a une valeur essentielle pour la maternité mais c’est seulement un début. La mère a le devoir de contribuer à la croissance de son fils et à son éducation en vue de sa vie future d’adulte. Marie a été occupée à cette tâche, avec cet aspect merveilleux de sa maternité qui consistait à faire l’éducation de celui qui était Dieu.
Eduquer Dieu semble une tâche paradoxale. Nous devons préciser qu’il s’agit du Fils de Dieu dans sa nature humaine : c’est l’homme appelé Jésus que Marie a élevé, en l’aidant à grandir et à se développer. Mais comme cet homme était dieu, avec une personne divine, l’éducation qui concernait tous les aspects humains de son existence était une éducation de Dieu,d’un Dieu qui s’était fait homme.
Celle qui avait été la génératrice de Dieu était aussi, à dire vrai, l’éducatrice de Dieu. Cette tâche permet de mieux comprendre la grandeur singulière de la maternité de Marie.
Nous devons noter que Marie partageait avec Joseph la responsabilité de l’éducation. L’évangéliste Luc le rappelle quand il dit, pour décrire la vie de Jésus à Nazareth : « il leur était soumis » (2,51). Jésus grandissait sous la double autorité de Joseph et de Marie. Leur union contribuait à l’efficacité de l’éducation de celui qui plus tard aurait enseigné la valeur de l’amour mutuel.
Nous connaissons un fruit de l’éducation donnée par Joseph. Jésus qui était « fils du charpentier » (Mathieu 13,55) est devenu « le charpentier » (Marc 6,3) de Nazareth parce que Joseph lui avait appris ce métier. Les fruits de l’éducation donnée par Marie ne sont pas aussi évidents parce que nous ne connaissons pas les humbles secrets de la vie de Jésus à Nazareth.
Au cours de sa tâche d’éducation, Marie a eu de nombreux contacts intimes avec Jésus, lesquels ont contribué au développement de toutes ses qualités humaines. Nous recevons, en effet, dans les récits évangéliques, les fruits de cette éducation cachée, donnée par celle qui fut l’éducatrice la plus parfaite qui soit et qui prépara le Sauveur à l’accomplissement de sa mission.
La femme qui, étant Mère de Dieu, a éduqué le Fils de Dieu, exerce encore une influence sur la vie spirituelle de l’humanité grâce aux fruits de son éducation maternelle mûris dans le Christ.
Laisser un commentaire
Vous devez être connecté pour rédiger un commentaire.