Homélie de l’Epiphanie du Seigneur
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Homélie de l’Epiphanie du Seigneur
Is 60, 1-6 ; Ep 3, 2-3a, 5-6 ; Mt 2, 1-12
Il y a quelques années, un journaliste français catholique, Jacques Duquesne, publiait un ouvrage titré « Jésus ». L’intention de l’auteur était de présenter à un large public, mais cultivé, l’état actuel des recherches de l’exégèse biblique et les questions qu’elle soulève, sans pour autant être résolues. Ce livre a fait couler beaucoup d’encre et autant de salive. Il a éclairé un grand nombre de lecteurs. Il en a choqué ou troublé beaucoup d’autres. Ce qui n’a rien d’étonnant, compte tenu de la complexité de ces questions délicates. Mais il est vrai que « Nous sommes tentés d’interpréter les Ecritures de manière simpliste, c’est-à-dire littéraliste ou fantaisiste » (Commission Biblique Pontificale, 1993).
… Un peu comme cette jeune dame qui, lors d’une conférence tenue par J. Duquesne, interpella l’orateur, en lui déclarant : « Je ne lirai jamais votre livre. » – « Et pourquoi ? » – « Parce que vous ne respectez rien. Vous prétendez même que Jésus n’est pas né un 25 décembre ! » Un exemple extrême, qui, prête à sourire, car le 25 décembre est une date symbolique, transposition chrétienne d’une fête païenne de la lumière nouvelle. Et qu’aurait dit cette jeune chrétienne, en apprenant du très orthodoxe Urs von Balthasar, commentant le récit des rois mages : « L’événement est symbolique » ? Et j’ajoute, pour ceux qui voudraient être rassurés, que cet ami de Jean Paul II a reçu de lui l’équivalent d’un prix Nobel de théologie et le cardinalat.
Le vrai problème est donc de bien comprendre ce qu’a voulu enseigner Matthieu dans ce récit que l’on peut qualifier de « construction catéchétique imagée », destiné à des Juifs devenus chrétiens ou désireux de le devenir. De plus, puisque la Parole de Dieu est toujours « contemporaine de chaque époque », nous devons savoir quelle leçon en tirer pour notre vie chrétienne aujourd’hui.
Pour Matthieu, il s’agissait de montrer que le message de Jésus et son héritage spirituel n’étaient pas réservés au seul peuple d’Israël, mais qu’ils s’adressaient tout autant à ces étrangers païens qu’ils détestaient. Il fallait aussi justifier cette nouvelle tout à fait révolutionnaire, en prouvant qu’elle correspondait parfaitement aux annonces faites par les prophètes d’Israël. Leur faire comprendre également que, si la naissance de Jésus a pratiquement été ignorée de l’actualité publique du temps, il n’en est pas moins le Messie annoncé par les prophètes : « De Jacob se lèvera un astre, d’Israël surgira un homme ». Il lui f allait aussi expliquer pourquoi les mieux informés, les plus pieux et les plus pratiquants des Juifs, y compris le grand prêtre et son conseil sacerdotal, qui tous connaissaient la Bible et attendaient le Messie avec foi et ferveur, non seulement ne l’ont pas reconnu, mais l’ont plus tard combattu et même dénoncé comme blasphémateur.
Il faut donc lire ce texte à partir du centre du récit, qui est Jésus, plutôt que de s’accrocher aux rois mages, au risque de passer à côté de ce que vise le texte.
Les mages, mi-savants, mi-magiciens, et donc païens, la Bible ne les aime pas, d’autant plus que la magie était totalement bannie d’Israël. Par contre, selon la tradition chaldéenne de Babylone, les mages qui obéissent aux astres et parfois même les considèrent comme des dieux, y découvrent habituellement l’annonce de la naissance de grands personnages, qu’ils vont ensuite honorer. Ce fut le cas pour Néron, peut-être même pour César et Alexandre le Grand.
Chez les Juifs, il y a aussi une étoile, mais elle est dans la Bible et non pas au firmament. Aux abords de notre ère, le lien entre l’astre biblique de Jacob et l’avènement du Messie était solidement établi. De même, Isaïe avait annoncé que des païens découvriraient la vraie lumière au Temple de Jérusalem et viendraient à dos de chameau apporter de l’or et de l’encens pour louer le Seigneur… (1e lecture). Voilà en bref les ingrédients de la composition catéchétique.
Sans entrer dans plus de détails, venons-en aux leçons pour aujourd’hui.
Nous ne sommes pas les propriétaires de la vérité et l’on ne possède pas la foi à la manière d’un compte en banque. Elle est un chemin d’amour et non pas « un point de vue arrêté, complet, établi une fois pour toutes » (Mgr Huard, Tournai). Elle est vie et donc croissance. Ce récit évangélique veut aussi nous dire que les chrétiens ne constituent pas un peuple de privilégiés, détenteurs des grâces divines., tandis que les autres en seraient privés. Et nous risquons parfois, comme les gens de Jérusalem, de camper fermement sur nos certitudes définitives, au point de ne pas voir une lumière qui vient d’ailleurs et de ne pas accueillir les surprises de l’Esprit qui souffle où il veut et quand il veut.
Par contre, il peut y avoir des étrangers à notre foi qui désirent la lumière, qui la cherchent et qui peuvent trouver, même dans les rites de leur religion païenne, un message authentique de Dieu. Il peut nous arriver de mettre un masque sur le visage du Messie et de ne plus le reconnaître, alors qu’il est tout proche.
On peut également être prince, chef des prêtres, brillant théologien, chrétien engagé, et avoir une frousse bleue d’être dérangé dans ses traditions et ses habitudes croyantes. Tandis que d’autres restent en quête de vérité, avides de connaître, disponibles à la nouveauté, toujours à l’affût d’un signe du ciel, d’une lumière évangélique. Les mages cherchaient un roi, et ils ne trouvent qu’un enfant pauvre, encore incapable de parler, ce qui veut dire que Dieu se laisse reconnaître sous des traits inattendus. Encore aujourd’hui.
Les mages sont des hommes de savoir et des chercheurs en quête de vérité et de lumière. Ils se laissent interpeller par les évènements de leur vie quotidienne. Ils acceptent de sortir de leur train-train journalier et même de prendre la route de l’aventure, au risque de dangers et de grosses surprises.
Tout au contraire, à Jérusalem, les croyants n’ont pas bougé, ils n’ont pas pris au sérieux les Ecritures. Ils ont eu peur d’être bousculés dans la quiétude et l’assurance de leurs certitudes. Ce qui a fait écrire à Urs von Balthasar : « Ainsi, souvent, l’Eglise quand, par un saint, un message inattendu la dérange ». Ce qui vaut également pour chacun d’entre nous. Voyez les croyants de Jérusalem. Ils sont restés assis, sûrs d’eux-mêmes et ont raté leur rendez-vous avec le Messie. Mais il n’est pas rare, dans l’Histoire sainte, de rencontrer Dieu déçu par ceux qui se disent ses fidèles.
P. Fabien Deleclos, franciscain (T)
1925 – 2008
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