Journal du Vatican / Le consistoire des six cardinaux – (site du Sandro Magister)
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Journal du Vatican / Le consistoire des six cardinaux
Parmi eux pas d’homme de la curie, pas d’Italien, pas de ressortissant d’autres pays européens. L’Américain Harvey va quitter son poste de préfet de la maison pontificale. Et, en la personne du Philippin Tagle, c’est un adepte de « l’école de Bologne » qui va recevoir la pourpre
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(site du Sandro Magister)
CITÉ DU VATICAN, le 24 octobre 2012 – Benoît XVI a provoqué la surprise en annonçant, ce matin, un consistoire au cours duquel seraient créés six nouveaux cardinaux.
On ne peut pas dire que ce nouveau consistoire soit inattendu. Déjà avant l’été, la création d’une nouvelle fournée de cardinaux au mois de novembre ou au plus tard en février 2013 était considérée dans les palais apostoliques comme hautement probable.
Ce qui a surpris, en revanche, c’est le fait que, parmi les nouveaux cardinaux, ne figurent ni Italiens, ni Européens, ni membres de la curie au sens strict. Cette exclusion a été voulue avec détermination par le pape, qui n’a pas accepté de faire des exceptions, même pour son compatriote, l’Allemand Gerhard Ludwig Müller, qu’il a placé à la tête de la première des congrégations vaticanes, celle de la doctrine de la foi.
En effet ceux qui recevront la pourpre le 24 novembre prochain sont un américain du nord (l’archevêque James M. Harvey, 63 ans, des États-Unis, préfet de la maison pontificale, fonction qui en elle-même n’est pas curiale), un latino-américain (Rubén Salazar Gómez, 70 ans, archevêque de Bogota), un africain (John Olorunfemi Onaiyekan, 68 ans, archevêque d’Abuja au Nigeria) et trois asiatiques (Bechara Rai, 72 ans, le patriarche maronite libanais ; Baselios Cleemis Thottunkal, 53 ans, l’archevêque majeur des syro-malankars en Inde ; et Luis Antonio Tagle, 55 ans, l’archevêque de Manille aux Philippines).
Il faut remonter jusqu’au pontificat de Pie XI pour trouver un autre consistoire sans création de nouveaux cardinaux italiens ou européens. C’est-à-dire au consistoire du 24 mars 1924, où le pape Achille Ratti fit cardinaux George Mundelein, archevêque de Chicago, et Patrick J. Hayes, archevêque de New-York. Et à celui du 19 décembre 1927, où il éleva à la pourpre deux Français, un Canadien, un Espagnol et un Hongrois.
Aux 33 consistoires suivants, célébrés en 85 ans par six pontifes, il y a toujours eu, à chaque fois, au moins un nouveau cardinal italien. Il en fut ainsi même lors de celui du 16 janvier 1960, où Jean XXIII, bien qu’il n’ait créé ce jour-là que quatre cardinaux, conféra la pourpre à l’Italien Giuseppe Ferretto.
En somme, Benoît XVI paraît avoir voulu compléter et équilibrer le consistoire de février dernier, qui avait été critiqué, y compris par des membres de la hiérarchie qui font autorité, comme étant trop marqué par des nominations d’Italiens, d’Européens et de membres de la curie.
Et, afin de rendre le signal encore plus clair, le pape Joseph Ratzinger s’est également abstenu d’allonger la liste des nouveaux cardinaux par adjonction d’un ou plusieurs prélats âgés de plus de 80 ans, possibilité qui avait aussi été prise en considération.
Voilà donc comment s’explique la décision, inhabituelle au cours des dernières décennies, de créer une nouvelle fournée de cardinaux quelques mois seulement après la précédente.
Il n’y a pas eu deux créations de cardinaux différentes dans une même année depuis 1929. Sous le pontificat de Jean XXIII, il y a eu deux consistoires à seulement trois mois et demi de distance, mais ils étaient répartis sur deux années solaires différentes, le premier ayant eu lieu le 14 décembre 1959 et le suivant le 28 mars 1960.
En dehors de la détermination de Benoît XVI à ne pas nommer d’Italiens, d’Européens ou de membres de la curie, les choix qui ont été faits en ce qui concerne les nouveaux cardinaux étaient donc plutôt prévisibles, à l’exception de celui de Harvey.
En Amérique latine, la Colombie était le seul grand pays à ne plus avoir aucun cardinal électeur, c’est-à-dire âgé de moins de 80 ans, alors que, il y a encore quelques années, il en avait jusqu’à trois. Sans compter que le pape a eu, cette année, l’occasion de connaître de près les problèmes de ce pays, lors de la visite « ad limina » de son épiscopat.
En ce qui concerne l’Asie, il est facile de comprendre que le choix du patriarche maronite a été fait dans le cadre du voyage au Liban et à la lumière de la dramatique situation en Syrie. Tandis que celui de l’archevêque majeur syro-malankar, en dépit de la jeunesse de celui-ci qui en fait le plus jeune membre du collège cardinalice, constitue une reconnaissance du grand dynamisme pastoral de cette communauté.
Par ailleurs il était naturel que les Philippines, seul grand pays d’Asie à majorité catholique, aient de nouveau au moins un cardinal électeur. Il fallait choisir entre deux diocèses : Cebu, le plus grand, ou Manille, celui de la capitale. C’est le second, dont Tagle est l’archevêque, qui a été retenu.
Un effet collatéral de ce dernier choix est que le collège cardinalice comptera donc aussi parmi ses membres l’un des auteurs de la très répandue et controversée « Histoire du concile Vatican II » de « l’école de Bologne », cette dernière défendant une herméneutique de la « rupture ».
Tagle en a en effet rédigé, étant alors un simple prêtre, un chapitre clé, intitulé “La tempête de novembre : la ‘semaine noire’”, du quatrième volume, publié en 1999. Ce chapitre a été défini par l’archevêque de curie Agostino Marchetto, dans un ouvrage où il critique sévèrement les travaux historiques de l’école de Bologne (« Le concile Vatican II. Contrepoint pour son histoire », publié par la Libreria Editrice Vaticana en 2005), comme « une étude certes riche et même approfondie, mais pas équilibrée », écrite en « langage journalistique » et ici ou là « dépourvue [de] cette dose d’objectivité que l’on attend du véritable historien ».
Les critiques de Marchetto n’ont en tout cas pas empêché Tagle, évêque d’Imus depuis 2001, de devenir d’abord archevêque de Manille en 2011 et aujourd’hui cardinal.
Pour en revenir à la liste des nouveaux cardinaux, on notera également que, en ce qui concerne le continent africain, le prélat choisi est l’archevêque de la capitale fédérale du Nigeria, pays qui compte déjà un cardinal en la personne de l’archevêque de Lagos. Dans ce cas aussi, la volonté de doubler le nombre de cardinaux dans le pays n’est pas une surprise, si l’on tient compte de l’attention et de l’implication avec lesquelles le Saint-Siège suit les informations relatives aux conflits ethnico-religieux entre musulmans et chrétiens qui ensanglantent ce grand pays africain.
En revanche la nomination au cardinalat de l’Américain Harvey reste surprenante par certains côtés. En effet les deux préfets de la maison pontificale précédents n’ont reçu la pourpre qu’en fin de carrière : Jacques Martin à 80 ans et Dino Monduzzi à 76 ans. Harvey, lui, a 63 ans et le fait que le pape, en lui accordant la pourpre, ait annoncé qu’il serait prochainement nommé archiprêtre de la basilique Saint-Paul-hors-les-Murs a un petit goût de promotion, bien que, ces derniers mois, son nom ait été mentionné parmi ceux des personnes qui, dans le passé, auraient favorisé la regrettable embauche de Paolo Gabriele comme majordome du pape.
Reste évidemment ouverte la question de savoir qui sera le nouveau préfet de la maison pontificale. Et il est facile de prévoir que ce sera une décision très personnelle du pape. Mais une décision qu’il ne prendra pas avant le consistoire du 24 novembre.
Enfin, on peut remarquer que, cette fois-ci, Benoît XVI n’a pas voulu dépasser le chiffre plafond de 120 cardinaux électeurs. C’est en effet le nombre de cardinaux ayant le droit de vote au conclave qu’il y aura à la date de la cérémonie.
Actuellement on compte 116 cardinaux électeurs, mais deux d’entre eux vont franchir la limite des 80 ans avant que le consistoire n’ait lieu : Francis Arinze le 1er novembre et Renato Raffaele Martino le 23.
Entre le 8 décembre 2012 et le 25 décembre 2013, onze autres cardinaux atteindront l’âge de 80 ans. Cela veut dire que, dans un an, il pourra y avoir un autre consistoire pour créer une douzaine de nouveaux cardinaux.
Mais, pour le moment, il est trop tôt pour faire des prévisions à ce sujet.
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POST-SCRIPTUM – Dans le bref discours qu’il a adressé aux pères synodaux, le matin du samedi 27 octobre, dernier jour du synode des évêques consacré à la nouvelle évangélisation, Benoît XVI a confirmé qu’il y avait un lien étroit entre le consistoire du 24 novembre prochain et celui qui a eu lieu au mois de février 2012.
Le pape a déclaré :
« J’ai voulu compléter, par ce petit consistoire, celui de février, précisément dans le contexte de la nouvelle évangélisation, en un geste concernant l’universalité de l’Église, pour montrer que l’Église est l’Église de tous les peuples, qu’elle parle toutes les langues, qu’elle est toujours l’Église de la Pentecôte ; non pas l’Église d’un continent, mais l’Église universelle. Mon intention était bien celle-là : exprimer ce contexte, cette universalité de l’Église ».
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Traduction française par Charles de Pechpeyrou.
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