commentaires de Marie Noëlle Thabut – Premiere Lecture: Jérémie 31, 7-9
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Dimanche 28 octobre 2012 : commentaires de Marie Noëlle Thabut
PREMIERE LECTURE – Jérémie 31, 7-9
7 Ainsi parle le SEIGNEUR :
Poussez des cris de joie pour Jacob,
acclamez la première des nations !
Faites résonner vos louanges et criez tous :
« SEIGNEUR, sauve ton peuple,
le reste d’Israël ! »
8 Voici que je les fais revenir du pays du Nord,
et que je les rassemble des extrémités du monde.
Il y a même parmi eux l’aveugle et le boiteux,
la femme enceinte et la jeune accouchée ;
c’est une grande assemblée qui revient.
9 Ils étaient partis dans les larmes,
dans les consolations je les ramène ;
je vais les conduire aux eaux courantes
par un bon chemin où ils ne trébucheront pas.
Car je suis un père pour Israël,
Ephraïm est mon fils aîné.
Il faut croire que cela allait bien mal ! Il suffit d’entendre ce ton presque triomphal par avance pour deviner dans quel contexte épouvantable Jérémie a pris la parole ici. Car c’est une caractéristique des prophètes. Jérémie, comme tous les prophètes, tient deux langages : à l’heure de l’insouciance et de l’infidélité à la Loi, il a des paroles très sévères pour inviter ses compatriotes à la conversion. Il menace, il annonce la catastrophe imminente. A temps et à contre-temps, au risque de devenir insupportable et d’être persécuté, il met en garde, il invite à ouvrir les yeux, à revenir vers Dieu. Son message, c’est « vos bêtises vous mènent tout droit à la catastrophe ! » Mais, au contraire, à l’heure du malheur et de la déportation, il vient redonner l’espérance, il rappelle que Dieu n’abandonne jamais son peuple, quelles que soient ses bêtises.
Le ton du texte d’aujourd’hui le situe évidemment dans un contexte de malheur. C’est parce qu’on est au fin fond du désespoir que Jérémie ose dire « Poussez des cris de joie », c’est parce qu’on est au fin fond de l’humiliation que Jérémie appelle Jacob (c’est-à-dire le peuple d’Israël) « la première des nations ». Ce n’est pas par goût du paradoxe, c’est le cri de la foi ! C’est quand on est dans la nuit, qu’il faut à tout prix croire que la lumière reviendra. Le prophète, dans ces cas-là, c’est celui qui sait, le premier, discerner les lueurs de l’aube. On aura peut-être du mal à croire à ce message d’espoir puisque tout va mal, c’est pour cela que Jérémie prend la peine d’introduire son message par la formule solennelle : « Ainsi parle le SEIGNEUR ». Manière de dire : je ne parle pas de moi-même, ce que je vous dis, c’est Dieu lui-même qui vous le promet. [1]
De quel malheur s’agit-il ? Bien évidemment de l’exil à Babylone. Il ne peut pas s’agir des malheurs du royaume du Nord : on ne connaît pas exactement les dates de Jérémie, mais ce qui est sûr, c’est qu’il est né longtemps après la fin du royaume du Nord, lequel a été définitivement détruit par l’Assyrie (c’est-à-dire Ninive) en 721. Lui-même dit avoir entendu la parole du Seigneur pour la première fois pendant le règne de Josias qui a régné de 640 à 609. Le malheur dont il s’agit ne peut être que l’Exil à Babylone qui a duré de 587 à 538.
Une première vague de déportations a eu lieu en 597 puis une deuxième vague en 587 ; Jérémie, lui, n’a pas été déporté ; il a bien failli l’être, pourtant, il faisait partie de la file de déportés enchaînés ; mais le chef de la garde personnelle de Nabuchodonosor lui a laissé le choix, soit de partir à Babylone avec les déportés, soit de rester à Jérusalem et Jérémie a choisi de rester ; il a fort à faire à Jérusalem pour maintenir le moral de ceux qui sont restés au pays. Sur le plan politique, plusieurs partis s’opposent : faut-il rester sur place, subir cette tutelle babylonienne, et essayer de faire survivre le pays en attendant des jours meilleurs ? C’était la position de Jérémie ; faut-il au contraire s’exiler en Egypte ? Ou encore faut-il continuer la guerilla, quitte à supprimer ceux qui s’accommodent trop bien de la présence babylonienne ?
Le texte que nous venons d’entendre est donc écrit par Jérémie resté à Jérusalem, pour lutter contre le désespoir de ses compatriotes. Il annonce le grand retour des exilés « Voici que je les fais revenir du pays du Nord, que je les rassemble des extrémités du monde… C’est une grande assemblée qui revient. » Et il oppose les conditions du départ en exil dans l’humiliation au retour triomphal au pays : « Ils étaient partis dans les larmes, dans les consolations je les ramène. » Dans les convois de déportés, on sait bien d’avance qu’un certain nombre ne supportera pas la brutalité des conditions de détention et les difficultés de la route. Mais quand il s’agira de revenir, la marche sera douce, si douce que, même les plus faibles pourront l’entreprendre ! « Il y a parmi eux l’aveugle et le boiteux, la femme enceinte et la jeune accouchée. » C’est un peuple vaincu, affaibli, trébuchant qui a été emmené enchaîné, et, pour certains, les yeux crevés… C’est un peuple libre, assuré qui reviendra.
Ce qui est troublant, c’est que tous les noms (Jacob, Ephraïm, Israël) que Jérémie emploie pour parler du peuple sont des noms qui qualifiaient non pas le royaume du Sud (Jérusalem) mais le royaume du Nord avant sa destruction ; sachant qu’en aucun cas Jérémie ne peut avoir été contemporain du royaume du Nord, on peut penser qu’il annonce ici, tacitement, la réunification du peuple de Dieu. On sait également qu’une partie de la population du Nord s’était réfugiée à Jérusalem après la destruction de Samarie en 721 ; peut-être s’adresse-t-il à eux tout particulièrement ?
Dernière remarque, la paternité de Dieu est affirmée très clairement ici : « Je suis un père pour Israël, Ephraïm est mon fils aîné ». Cette manière de parler de Dieu est récente : c’est peut-être le prophète Osée qui en a parlé le premier, au huitième siècle, dans le royaume du Nord, en décrivant la sollicitude de Dieu pour son peuple « Quand Israël était jeune, je l’aimai, et d’Egypte, j’appelai mon fils… J’étais pour eux comme celui qui élève un nourrisson, tout contre sa joue. » (Os 11, 1. 4). Jusque-là, on hésitait à appeler Dieu Père, pour éviter toute ambiguïté ; car les autres peuples utilisaient volontiers ce même titre mais ils envisageaient la paternité divine à l’image de la paternité humaine, charnelle, biologique. En Israël, Dieu est le Tout-Autre, et sa paternité est d’un autre ordre. Mais Jérémie franchit le pas, il emploie le mot « Père » : « Je suis un père pour Israël, Ephraïm est mon fils aîné » ; encore une fois, c’est au creux même de la catastrophe que la foi d’Israël a fait un bond en avant.
Note
[1] – La traduction liturgique répète une formule analogue (« Parole du Seigneur ») à la fin de ce passage, mais elle ne figure pas dans le texte hébreu.
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