Archive pour le 27 octobre, 2012
commentaires de Marie Noëlle Thabut – Premiere Lecture: Jérémie 31, 7-9
27 octobre, 2012http://www.eglise.catholique.fr/foi-et-vie-chretienne/commentaires-de-marie-noelle-thabut.html
Dimanche 28 octobre 2012 : commentaires de Marie Noëlle Thabut
PREMIERE LECTURE – Jérémie 31, 7-9
7 Ainsi parle le SEIGNEUR :
Poussez des cris de joie pour Jacob,
acclamez la première des nations !
Faites résonner vos louanges et criez tous :
« SEIGNEUR, sauve ton peuple,
le reste d’Israël ! »
8 Voici que je les fais revenir du pays du Nord,
et que je les rassemble des extrémités du monde.
Il y a même parmi eux l’aveugle et le boiteux,
la femme enceinte et la jeune accouchée ;
c’est une grande assemblée qui revient.
9 Ils étaient partis dans les larmes,
dans les consolations je les ramène ;
je vais les conduire aux eaux courantes
par un bon chemin où ils ne trébucheront pas.
Car je suis un père pour Israël,
Ephraïm est mon fils aîné.
Il faut croire que cela allait bien mal ! Il suffit d’entendre ce ton presque triomphal par avance pour deviner dans quel contexte épouvantable Jérémie a pris la parole ici. Car c’est une caractéristique des prophètes. Jérémie, comme tous les prophètes, tient deux langages : à l’heure de l’insouciance et de l’infidélité à la Loi, il a des paroles très sévères pour inviter ses compatriotes à la conversion. Il menace, il annonce la catastrophe imminente. A temps et à contre-temps, au risque de devenir insupportable et d’être persécuté, il met en garde, il invite à ouvrir les yeux, à revenir vers Dieu. Son message, c’est « vos bêtises vous mènent tout droit à la catastrophe ! » Mais, au contraire, à l’heure du malheur et de la déportation, il vient redonner l’espérance, il rappelle que Dieu n’abandonne jamais son peuple, quelles que soient ses bêtises.
Le ton du texte d’aujourd’hui le situe évidemment dans un contexte de malheur. C’est parce qu’on est au fin fond du désespoir que Jérémie ose dire « Poussez des cris de joie », c’est parce qu’on est au fin fond de l’humiliation que Jérémie appelle Jacob (c’est-à-dire le peuple d’Israël) « la première des nations ». Ce n’est pas par goût du paradoxe, c’est le cri de la foi ! C’est quand on est dans la nuit, qu’il faut à tout prix croire que la lumière reviendra. Le prophète, dans ces cas-là, c’est celui qui sait, le premier, discerner les lueurs de l’aube. On aura peut-être du mal à croire à ce message d’espoir puisque tout va mal, c’est pour cela que Jérémie prend la peine d’introduire son message par la formule solennelle : « Ainsi parle le SEIGNEUR ». Manière de dire : je ne parle pas de moi-même, ce que je vous dis, c’est Dieu lui-même qui vous le promet. [1]
De quel malheur s’agit-il ? Bien évidemment de l’exil à Babylone. Il ne peut pas s’agir des malheurs du royaume du Nord : on ne connaît pas exactement les dates de Jérémie, mais ce qui est sûr, c’est qu’il est né longtemps après la fin du royaume du Nord, lequel a été définitivement détruit par l’Assyrie (c’est-à-dire Ninive) en 721. Lui-même dit avoir entendu la parole du Seigneur pour la première fois pendant le règne de Josias qui a régné de 640 à 609. Le malheur dont il s’agit ne peut être que l’Exil à Babylone qui a duré de 587 à 538.
Une première vague de déportations a eu lieu en 597 puis une deuxième vague en 587 ; Jérémie, lui, n’a pas été déporté ; il a bien failli l’être, pourtant, il faisait partie de la file de déportés enchaînés ; mais le chef de la garde personnelle de Nabuchodonosor lui a laissé le choix, soit de partir à Babylone avec les déportés, soit de rester à Jérusalem et Jérémie a choisi de rester ; il a fort à faire à Jérusalem pour maintenir le moral de ceux qui sont restés au pays. Sur le plan politique, plusieurs partis s’opposent : faut-il rester sur place, subir cette tutelle babylonienne, et essayer de faire survivre le pays en attendant des jours meilleurs ? C’était la position de Jérémie ; faut-il au contraire s’exiler en Egypte ? Ou encore faut-il continuer la guerilla, quitte à supprimer ceux qui s’accommodent trop bien de la présence babylonienne ?
Le texte que nous venons d’entendre est donc écrit par Jérémie resté à Jérusalem, pour lutter contre le désespoir de ses compatriotes. Il annonce le grand retour des exilés « Voici que je les fais revenir du pays du Nord, que je les rassemble des extrémités du monde… C’est une grande assemblée qui revient. » Et il oppose les conditions du départ en exil dans l’humiliation au retour triomphal au pays : « Ils étaient partis dans les larmes, dans les consolations je les ramène. » Dans les convois de déportés, on sait bien d’avance qu’un certain nombre ne supportera pas la brutalité des conditions de détention et les difficultés de la route. Mais quand il s’agira de revenir, la marche sera douce, si douce que, même les plus faibles pourront l’entreprendre ! « Il y a parmi eux l’aveugle et le boiteux, la femme enceinte et la jeune accouchée. » C’est un peuple vaincu, affaibli, trébuchant qui a été emmené enchaîné, et, pour certains, les yeux crevés… C’est un peuple libre, assuré qui reviendra.
Ce qui est troublant, c’est que tous les noms (Jacob, Ephraïm, Israël) que Jérémie emploie pour parler du peuple sont des noms qui qualifiaient non pas le royaume du Sud (Jérusalem) mais le royaume du Nord avant sa destruction ; sachant qu’en aucun cas Jérémie ne peut avoir été contemporain du royaume du Nord, on peut penser qu’il annonce ici, tacitement, la réunification du peuple de Dieu. On sait également qu’une partie de la population du Nord s’était réfugiée à Jérusalem après la destruction de Samarie en 721 ; peut-être s’adresse-t-il à eux tout particulièrement ?
Dernière remarque, la paternité de Dieu est affirmée très clairement ici : « Je suis un père pour Israël, Ephraïm est mon fils aîné ». Cette manière de parler de Dieu est récente : c’est peut-être le prophète Osée qui en a parlé le premier, au huitième siècle, dans le royaume du Nord, en décrivant la sollicitude de Dieu pour son peuple « Quand Israël était jeune, je l’aimai, et d’Egypte, j’appelai mon fils… J’étais pour eux comme celui qui élève un nourrisson, tout contre sa joue. » (Os 11, 1. 4). Jusque-là, on hésitait à appeler Dieu Père, pour éviter toute ambiguïté ; car les autres peuples utilisaient volontiers ce même titre mais ils envisageaient la paternité divine à l’image de la paternité humaine, charnelle, biologique. En Israël, Dieu est le Tout-Autre, et sa paternité est d’un autre ordre. Mais Jérémie franchit le pas, il emploie le mot « Père » : « Je suis un père pour Israël, Ephraïm est mon fils aîné » ; encore une fois, c’est au creux même de la catastrophe que la foi d’Israël a fait un bond en avant.
Note
[1] – La traduction liturgique répète une formule analogue (« Parole du Seigneur ») à la fin de ce passage, mais elle ne figure pas dans le texte hébreu.
Homélie du 30e dimanche ordinaire B
27 octobre, 2012http://parolesdudimanche.blogs.lalibre.be/
Homélie du 30e dimanche ordinaire B
Jr 31, 7-9 ; He 5, 1-6 ; Mc 10, 46b-52
(Prononcée en 2003 en la cathédrale des SS. Michel et Gudule (Bruxelles), les événements cités sont de cette époque)
Thème : « Ils ont des yeux pour voir et ne voient pas » (Ez 12, 1)
Après avoir ruminé les textes bibliques, je me sens un peu comme un mal voyant qui doit s’adresser à d’autres handicapés de la vue. Suis-je, sommes-nous, conscients d’être tous atteints d’une certaine cécité spirituelle et morale ? Ce qui, en définitive, est pire encore que la cécité physique. « Ceux qui ne voient pas, ai-je lu dans la revue de l’Oeuvre Nationale des Aveugles, sont regardés comme les êtres les plus malheureux de la terre ! Une image démentie par les faits, puisque bon nombre de non voyants ont réussi à trouver le bonheur, et même un vrai bonheur ».
Il est vrai que la beauté, par exemple, peut se découvrir et s’apprécier, sans rien voir, par la musique, notamment. Ainsi, on a pu écrire de Mozart, notre invité d’honneur ce matin, qu’il a, durant toute sa vie semée d’épreuves, « célébré la beauté d’un monde où sa foi chrétienne ne voyait que le pâle reflet d’un au-delà lumineux « . (Liliane Léotard). Heureux donc, les artisans, les artistes du beau, du bon et du bien. Ils sont appelés messagers de Dieu. Ce sont des anges de lumière. Ils viennent tout transfigurer. Pour les aveugles aussi. Même si un grand poète, qui n’a cessé d’aspirer ardemment à la lumière, a écrit que « Tout Ange est terrible ». (Rayner Maria Rilke).
Les extraits bibliques de ce dimanche nous apprennent d’ailleurs que les prophètes utilisent constamment un langage à deux niveaux. Ainsi, ils se préoccupent toujours de leur peuple, et donc de ses faiblesses. Un peuple « aveugle quoiqu’il ait des yeux », disait Isaïe (Is 43, 8). « Ils ont des yeux pour voir et ne voient rien » , répétait Ezéchiel (12, 1). Ce que rappelle l’évangile de Luc, en citant Isaïe : « Le cœur de ces gens-là s’est épaissi. Leur oreille est durcie et leur regard terni. Ils ont peur de voir de leurs yeux, d’entendre de leurs oreilles, et de comprendre de leur esprit. Qu’ils changent donc leur cœur et je les guérirai, dit le Seigneur ». (Ac 28, 27-28).
Souvenez-vous des interpellations vigoureuses de Jésus aux « scribes et pharisiens hypocrites ». Il les accusait carrément d’être des « guides aveugles qui ont arrêté au filtre le moucheron et avalé le chameau » ! Ils avaient cependant le regard perçant pour déceler et dénoncer les moindres infractions aux 613 commandements de la Loi.
Voyez la première lecture. Elle nous a renvoyés à une époque où le royaume de Juda courait aveuglément à la catastrophe. Jérémie a donc invité ses concitoyens à ouvrir les yeux. « Vos insouciances, vos bêtises et vos infidélités, vous mènent tout droit au désastre ». Et de fait, ces aveuglements se traduiront en une succession de drames politiques, sociaux, religieux, militaires, et finalement par un demi siècle d’exil.
C’est dans ce contexte de malheur et de désespoir, que Jérémie a prêché l’espérance. Il a pressenti que si ses compatriotes tenaient bon dans la confiance et la foi, Dieu les délivrerait, comme il avait délivré leurs ancêtres de l’esclavage d’Egypte. D’où, la vision anticipée de ces milliers de déportés, enchaînés, épuisés, parfois même aux yeux crevés, qui retrouvent la lumière de la liberté. Même les aveugles verront !
Les textes évangéliques des dimanches précédents nous ont déjà montré Jésus dénonçant la cécité spirituelle de ses disciples et de l’élite des croyants. Généreux, les Douze appelés le sont. Leur foi semble ardente. Ils ont reçu leur formation de Jésus lui-même. Et cependant, ils restent encore enfermés dans les ténèbres de leurs vues personnelles trop étroites, égoïstes et intéressées.
Rappelons-nous ces mêmes disciples, stupéfaits, quand Jésus leur affirme que la richesse peut empêcher un croyant d’entrer dans le Royaume de Dieu… Et il prend comme exemple, à ne pas suivre, un fidèle observant de la Loi, séduit par le prophète de Nazareth. Et qui, malgré cela, restera figé sur le bord de la route, empêtré dans le filet de ses propriétés et de ses comptes en banque.
Aujourd’hui, Marc poursuit avec une leçon de catéchèse sur la foi. Il part d’un fait divers. Celui d’un mendiant aveugle. Un handicapé physique et social. Un exclu, perdu, face à une foule avide de voir le prophète-vedette. Cet homme éprouvé, qui vit dans les ténèbres, n’a aucune chance de pouvoir arriver au premier rang pour solliciter le guérisseur. Mais il ne manque pas de caractère. Son objectif ? demander la lumière. Il souhaite voir clair. Et il croit dur comme fer que Jésus peut lui rendre la vue.
En criant « Fils de David « , Bar-timée fait déjà un acte de foi remarquable. Car ce nom est précisément celui donné au Messie, annoncé depuis des siècles par les prophètes et attendu par le peuple d’Israël comme Roi Sauveur. L’aveugle reconnaît donc Jésus comme envoyé de Dieu. Non pas avec les yeux du corps, mais avec ceux de l’esprit. Son regard intérieur est déjà un regard clairvoyant… Et voilà que Jésus, brusquement, s’arrête. Contrairement à la foule et à ses proches collaborateurs, il a pris au sérieux les hurlements de ce casse-pieds que tout le monde rabroue et veut faire taire… tant il dérange. Aussitôt, la foule obséquieuse et versatile, comme toujours, change d’attitude et encourage cet invité surprise.
Remarquez que Jésus ne lui dit pas : « Sois guéri » ou « Je te guéris ». Mais bien : « Ta foi t’a sauvé ». Non pas la foi détaillée selon le catéchisme, mais bien une confiance totale en Jésus. Ce qui est la première condition, la première étincelle de la foi. C’est bien cette foi-là qui provoque le dessillement des yeux, celle qui libère et qui sauve. C’est elle qui donne accès à la lumière et le courage de prendre ses distances envers les richesses terrestres, les tentations du pouvoir et autres mirages trompeurs.. Guérir et sauver sont, chez Marc, pratiquement synonymes.
Bar-timée ne se contentera pas de dire merci, ni de profiter gloutonnement de sa guérison… Les yeux ouverts à la lumière, et le cœur à la Parole du Sauveur, il poussera la logique jusqu’à emboîter le pas à Jésus, pour conformer sa vie à la vision reçue. Il s’engage. Ce qui est l’attitude du « disciple ». Un disciple aux yeux et au cœur grands ouverts. Ce que Jésus n’avait pu obtenir d’un certain riche personnage en bonne santé, pieux pratiquant de la Loi depuis sa jeunesse, mais qui n’avait pas eu le courage de se joindre aux premiers disciples.
Nous voici donc, tous autant que nous sommes, interpellés directement. Car, dans ce petit récit savoureux, c’est bien chacun de nous qui est dans la foule, ou aux côtés du Maître, ou même sur le bord de la route et atteint plus ou moins gravement d’aveuglement spirituel ou moral. Nous ne sommes plus dans un lointain passé, mais dans le présent de ce jour. Ici, maintenant.
« Que désires-tu que je fasse pour toi ? », nous dit Jésus. Qu’allons-nous répondre ? Que tu m’accordes la santé ou la richesse, la réussite, la fin des soucis, une guérison miracle… ou peut-être plus essentiellement : Seigneur, arrache les écailles de mes yeux, de nos yeux. Augmente en nous la foi. Fais que je voie. Nous te croisons si souvent en chemin, dans le métro ou ailleurs, sans te reconnaître. Même à la Fraction du Pain. Alors que nous sommes trop facilement convaincus de notre clairvoyance. Apprends-nous à mieux voir pour mieux aimer et mieux servir.
P. Fabien Deleclos, franciscain (T)
1925 – 2008