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PREMIERE LECTURE – Isaïe 53, 10 – 11 – commentair
19 octobre, 2012http://www.eglise.catholique.fr/foi-et-vie-chretienne/commentaires-de-marie-noelle-thabut.html
PREMIERE LECTURE – Isaïe 53, 10 – 11
10 Broyé par la souffrance, le Serviteur a plu au SEIGNEUR.
Mais s’il fait de sa vie un sacrifice d’expiation,
il verra sa descendance, il prolongera ses jours :
par lui s’accomplira la volonté du SEIGNEUR.
11 A cause de ses souffrances,
il verra la lumière, il sera comblé.
Parce qu’il a connu la souffrance,
le juste, mon serviteur, justifiera les multitudes,
il se chargera de leurs péchés.
Essayons d’abord de lire ce texte sans penser tout de suite à Jésus-Christ : le prophète Isaïe qui écrivait au sixième siècle av.J.C. parlait d’abord pour ses contemporains ; bien sûr, par la suite, on relit et on médite ses écrits et on y découvre de nouveaux sens, de nouvelles applications ; mais il y a un message adressé à ses contemporains pour leur vie présente ; s’il n’y en avait pas, qui l’écouterait ? Un prédicateur qui, aujourd’hui, nous parlerait pour l’an 3000 n’aurait guère d’auditeurs ! Il faut donc chercher ce qu’Isaïe voulait dire à ses contemporains, en quoi son message pouvait les stimuler. D’autre part, Isaïe, comme tous les prophètes, parle à partir de ce qu’il voit, à partir d’événements bien concrets ; il fait très souvent référence au passé, mais c’est pour éclairer le présent ; il parle aussi de l’avenir, mais pas pour l’annoncer (parce que l’avenir n’est pas programmé d’avance) ; il parle de l’avenir parce qu’il se joue dans le présent.
La seule chose évidente dans les quelques lignes que nous lisons ici, c’est qu’on est dans un contexte de persécution : un « Serviteur » est « broyé par la souffrance » ; puisque ce passage est inséré dans le livre du deuxième Isaïe (c’est-à-dire les chapitres 40 à 55 d’Isaïe), on peut penser qu’il s’agit de l’Exil à Babylone. La souffrance est là pour ce peuple qui a tout perdu et qui peut aller jusqu’à se sentir abandonné de Dieu. Alors le prophète vient redonner des raisons de vivre et d’espérer, des raisons de tenir le coup, malgré tout. Il vient dire : votre souffrance n’est pas inutile, elle a un sens, vous pouvez lui donner un sens.
Il cite l’exemple d’un Serviteur, mais sans le désigner précisément ; qui est ce « Serviteur » ? Ce même titre revient avec insistance dans les quatre textes qu’on appelle justement « les chants du Serviteur » chez le deuxième Isaïe. Il s’agit probablement du peuple lui-même exilé, ou ce qu’il en reste : le petit noyau qui essaie coûte que coûte de rester un serviteur de Dieu.
Le message d’Isaïe tient en trois points : premièrement, dans votre souffrance, Dieu est à côté de vous ; deuxièmement, vous pouvez donner un sens à cette souffrance ; troisièmement, vous pouvez contribuer à l’œuvre de Dieu.
Premièrement, dans votre souffrance, Dieu est à côté de vous : c’est l’un des sens de la première phrase, « Broyé par la souffrance, le Serviteur a plu au SEIGNEUR. » Elle est peut-être la plus difficile de ce texte : l’horrible contresens à ne pas faire, ce serait de croire une seule seconde que Dieu peut prendre un quelconque plaisir à la souffrance d’un homme ; comment concilier cette manière de voir avec tout ce que nous savons par ailleurs, à savoir que Dieu est Amour… Même nous, qui ne sommes pas très bons, nous ne nous réjouissons pas des souffrances des autres ! Donc, ne faisons pas dire à ce texte ce qu’il ne dit pas !… Nulle part, il n’est dit que c’est Dieu qui s’est complu à broyer son Serviteur dans la souffrance… mais que lorsque son Serviteur est broyé par la souffrance, Dieu se penche sur lui avec un amour de prédilection.
Curieusement, nous avons du mal à accepter cette vérité qui est pourtant dans la Bible depuis bien longtemps : le Dieu Père se penche sur toute souffrance. Déjà Moïse, dans l’épisode du buisson ardent, avait compris que Dieu entend le cri de ceux qui souffrent, qui sont opprimés. Pour Moïse, il s’agissait de l’esclavage en Egypte ; pour Isaïe, sept cents ans plus tard, il s’agit de l’Exil à Babylone ; mais Isaïe ne dit pas autre chose que Moïse ; bien au contraire, en sept cents ans, la foi au Dieu qui libère, qui veut sauver l’humanité de tous ses esclavages de toute sorte, n’a fait que s’approfondir. Ce qu’Isaïe dit ici c’est « Dans la souffrance qui le broyait, le Serviteur est l’objet de la prédilection du SEIGNEUR » : c’est bien le sens de notre mot français « miséricorde », un coeur attiré par la misère. Le message qu’Isaïe adresse aux exilés, c’est donc « dans votre souffrance, Dieu n’est pas contre vous, il n’est pas du côté de ceux qui vous humilient, il est près de vous, il se penche sur vous avec un amour de prédilection. » Sous-entendu, c’est en lui, dans la prière, dans la foi que vous trouverez la force de tenir le coup ; cherchez la force où elle se trouve.
Deuxièmement, vous pouvez donner un sens à cette souffrance : on n’a pas ici une explication du mystère de la souffrance ; elle reste un Mystère ; mais ce qui nous est dit ici, c’est que au sein même de la souffrance il y a un chemin de lumière : « à cause de ses souffrances, il verra la lumière » ; derrière l’expression « broyé par la souffrance », il y a l’image du « coeur brisé » d’Ezékiel ou du psaume 50/51: un coeur de pierre qui devient coeur de chair… dans la souffrance, et spécialement celle infligée par les hommes, la persécution, on peut réagir par le durcissement (haine pour haine), ou par l’amour et le pardon.
Encore aujourd’hui, que ce soit dans des contextes de maladie, ou de violence, nous voyons des hommes, des femmes, des enfants qui savent faire de leur souffrance un chemin de lumière. On pourrait appeler cela le miracle du retournement ! De tout mal, Dieu peut nous aider à faire sortir un bien ! Voilà la merveille, la puissance de l’amour de Dieu.
Troisièmement, vous pouvez contribuer à l’œuvre de Dieu : vous pouvez en faire un « sacrifice d’expiation ». Malheureusement, ici, nous sommes gênés par la dérive du vocabulaire au cours des siècles, et toujours tentés d’imaginer un marchandage. Or, il n’est pas question de marchandage avec Dieu. Initialement, dans le livre du Lévitique, d’où nous vient cette expression, le « sacrifice d’expiation » a un sens très particulier. Comme tout sacrifice, c’est un geste accompli pour entrer en contact avec Dieu. L’expiation, c’est l’acte de Dieu (et non de l’homme) : c’est tout simplement son absolution. Lorsqu’on accomplissait un sacrifice d’expiation, on se savait pardonnés et on pouvait changer de vie.
Isaïe dit donc à ses contemporains : Cette souffrance que les hommes vous ont infligée, vous pouvez en faire un moyen de salut pour eux ; Dieu accepte, agrée votre attitude intérieure d’offrande comme un sacrifice et il pardonne à tous, y compris vos bourreaux. Le verbe « plaire » employé dans la première phrase (Broyé par la souffrance, le Serviteur a plu au SEIGNEUR ; verset 10) a plusieurs sens, dont celui-là. On peut traduire « Dieu l’a agréé ». Alors, si vous vivez la persécution dans un esprit d’offrande, d’amour et de confiance en Dieu, elle deviendra un moyen de salut, car Dieu agrée votre attitude comme un sacrifice d’expiation. Il est vrai que vous n’êtes pas en train d’accomplir un sacrifice au Temple de Jérusalem selon les rites traditionnels, mais, dans sa miséricorde pour tous les hommes, Dieu accueille votre attitude intérieure d’offrande et de pardon comme un sacrifice d’expiation.
C’est bien ce qui est dit ici par Isaïe au sujet du Serviteur : broyé par la haine des hommes, le Juste a répondu par le silence et le pardon. Dieu a permis que ce pardon soit le salut des bourreaux…! Que ce pardon convertisse le coeur des bourreaux parce qu’ils se sont ouverts à l’absolution offerte par Dieu.
Alors Isaïe délivre le message le plus important de sa prophétie : « Par lui (par le serviteur), s’accomplira la volonté du Seigneur » ; c’est la phrase centrale de ce texte ; cette volonté de Dieu, Isaïe le sait bien, comme déjà Moïse le savait avant lui, c’est de sauver l’humanité, de la libérer de toutes ses chaînes ; et la pire de nos chaînes, c’est la haine, la violence, la jalousie qui rongent notre coeur. Cette volonté de Dieu, c’est donc tout simplement que l’humanité redécouvre la paix ; or cela peut se réaliser grâce aux serviteurs de Dieu. C’est ce que dit Isaïe ; « Si le Serviteur fait de sa vie un sacrifice d’expiation… par lui s’accomplira la volonté du Seigneur ». A partir de ce pardon accordé par Dieu, tous les pécheurs, délivrés de leur culpabilité, peuvent entamer une nouvelle vie. Devant l’attitude du Serviteur, le cœur des bourreaux s’attendrira. « Parce qu’il a connu la souffrance, le juste, mon serviteur, justifiera les multitudes, il se chargera de leurs péchés. » Ce qu’Isaïe dit ici, c’est que le salut des bourreaux est dans les mains de leurs victimes. Car seul le pardon accordé par la victime peut convertir son bourreau.
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Complément
Quelques siècles plus tard, le prophète Zacharie s’inscrivait dans la même ligne : « Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé… Ce jour-là, une source jaillira pour la maison de David et les habitants de Jérusalem en remède au péché et à la souillure. » (Za 12, 10 ; 13, 1).
Homélie du 29e dimanche ordinaire B
19 octobre, 2012http://parolesdudimanche.blogs.lalibre.be/
Homélie du 29e dimanche ordinaire B
Is 53, 10-11 ; He 4, 14-16 ; Mc 10, 35-45
On se croirait en pleine campagne électorale, à la veille même du scrutin. Les grosses pointures veulent déjà se partager les meilleures places dans le futur gouvernement. Or, ce que Jésus leur a promis, ce n’est pas du tout une prise de pouvoir d’ordre politique. Jésus n’est pas venu pour établir un nouveau royaume terrestre, dont il serait le monarque. Le Royaume, qu’il vient inaugurer et qu’il s’agira de bâtir, ne vient pas de ce monde, mais il est pleinement dans le monde. Totalement incarné. Ses sujets sont ceux et celles qui l’accueillent, c’est-à-dire qui se mettent à l’écoute de la Parole de révélation. Et cependant, malgré leur intimité avec le jeune prophète, les disciples tombent dans le piège de l’ambition du pouvoir. On peut dire que les futures premières colonnes de l’Eglise ont commencé par rêver de triomphes et bénéfices, de sièges à pourvoir, de portefeuilles à partager, de titres et d’honneurs à collectionner. Ils l’ont raconté eux-mêmes.
Il est vrai que l’accès au pouvoir, si petit soit-il, monte vite à la tête et entraîne un certain nombre de tentations, qui peuvent conduire peu à peu à la dérive autoritaire. Ces tentations n’épargnent personne, ni le politicien ministrable, ni la mère abbesse dans son cloître, ni les ministres du culte, le patron d’une P.M.E., ou la présidente d’un conseil paroissial.
La tentation du pouvoir et l’abus d’autorité peuvent se rencontrer aussi dans les écoles, les Eglises et même au sein des familles. Il y a des épouses et des enfants opprimés et même battus, il y a des maris et des gosses terrorisés.
Si l’on parcourt l’évangile, on voit ainsi régulièrement Jésus mettre le doigt sur tous ces petits signes de la vie quotidienne qui révèlent des désirs de puissance. S’accrocher au titre de maître ou de docteur, vouloir occuper les premières places dans les dîners, se gonfler et se pavaner dans des vêtements d’apparat, se vanter de ses pratiques religieuses et de ses générosités envers les pauvres. Les chefs, ou ceux qui se croient grands, font sentir leur pouvoir, rappelait Jésus à ses disciples. Et bien, parmi vous, ajoutait-il, il ne doit pas en être ainsi. Ne vous trompez pas d’ambition. La grandeur, la noblesse, est dans le service. C’est ce que Jésus a dit, répété et vécu, au risque de nombreux ennuis, oppositions et humiliations. Et jusqu’au risque même de sa vie.
C’est ainsi qu’il a payé, comme d’autres prophètes après lui et encore aujourd’hui, le prix fort de l’incompréhension, de l’opposition, de l’excommunication et de la condamnation à mort. Ce qui veut dire que pour ceux et celles qui se réclament du Christ, la priorité n’est pas au succès, à la gloire, ni au prestige, mais au service. Le service gratuit. Un service à risques.
C’est ce qui explique que les premières générations chrétiennes ont très vite considéré le mystérieux Serviteur présenté par Isaïe comme la figure prophétique de Jésus de Nazareth.
Mais que représente actuellement cette figure de Jésus serviteur ? Est-elle encore parlante ? Globalement, on dit qu’aujourd’hui l’idéal du service est à la fois exalté et décrié. Voyez la publicité. Elle vante constamment les innombrables services offerts à la clientèle : stations-services, libre service, service après vente… Mais il ne s’agit pas de service gratuit. La juste rémunération de toute prestation de service, même parfois en famille, est devenue un principe intangible. L’idéal du pur service n’a plus la cote. Il est même décrié. Nul ne veut plus être, dit-on, le serviteur ou le domestique d’autrui (sous-entendu : l’esclave d’un autre), taillable et corvéable à merci. Sauf rémunération assurée.
Et, c’est précisément le terme « esclave » qu’utilise Jésus. Alors que ses disciples rêvent de supériorité et de domination, le maître parle de ceux qui sont au dernier rang de la société. Une image frappante pour expliquer qu’il n’est pas un chef autoritaire, mais bien l’humble serviteur de tous. Il faut donc apprendre à donner plutôt qu’à dominer.
Or, il y a des services très périlleux. Par exemple, militer et donc protester contre l’hypocrisie, l’oppression, l’exploitation de l’homme par l’homme, et autres services à grands risques, qui peuvent même conduire au martyre.
Plus modestement, qu’en est-il dans l’Eglise, dans nos communautés et dans nos groupes ? Sommes-nous prêts, non seulement à rendre volontiers service, mais même à assumer un service ? Déjà dans la société, par exemple, on peut s’engager dans un service social, un service d’entraide, un service médical, juridique, ou encore un service politique, c’est-à-dire se mettre au service du « vivre ensemble », que l’on peut réaliser dans le même esprit que Jésus. Car, s’il n’y a pas une politique chrétienne, il y a une pratique chrétienne de la politique.
Au sein de la communauté Eglise, on peut aussi être en service, exercer une mission, un ministère : ministère sacerdotal, ministère de la Parole, de la catéchèse, ministère œcuménique, ministère de la compassion, celui de l’entraide… et bien d’autres… Chacun a même un rôle à jouer dans la mutation impérative du ministère sacerdotal. Ce sont d’ailleurs les laïcs qui, au premier siècle de l’Eglise, ont inventé des ministères nouveaux, correspondant aux besoins nouveaux de la communauté chrétienne et de sa mission. On demande donc aujourd’hui des innovateurs et des pionniers, hommes et femmes.
Aujourd’hui aussi, il est bon également de rendre grâce pour tous ceux et celles qui assument, ici ou ailleurs, un ministère. Merci. Et nous prierons pour que se lèvent d’autres et nouvelles vocations au service et à la mission.
P. Fabien Deleclos, franciscain (T)
1925 – 2008