Homélie du 28e dimanche ordinaire B

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Homélie du 28e dimanche ordinaire B

Sg 7, 7-11 ; He 4, 12-13 ; Mc 10, 17-30

Cet épisode de la vie de Jésus est très bien connu sous le titre « Le jeune homme riche ». Un véritable cliché. Ce qui ne cadre pas exactement avec le texte évangélique qui parle d’un homme qui a observé les commandements depuis sa jeunesse. Il n’est donc plus tout jeune, d’autant plus qu’il avait de grands biens. Ou, comme le traduit André Chouraqui, « de nombreuses possessions ». Ou encore, dans la Bible du chanoine Osty : « beaucoup de propriétés ». Matthieu est le seul à introduire le terme « jeune » en fin de récit. Luc, lui, parle d’un « notable très riche ».
Mais pourquoi parle-t-on toujours d’un « jeune homme riche » ? Peut-être parce qu’on réduit l’épisode de l’homme riche à la seule catégorie des appels à la vocation sacerdotale ou religieuse. Les commandements de Dieu, dirons-nous, sont destinés à tous, et les conseils évangéliques à quelques-uns. Les chrétiens auraient donc le choix entre un chemin ordinaire pour les « simples chrétiens », et un chemin plus noble, celui de la vie consacrée. Alors, on transforme l’homme riche d’hier en jeune homme riche d’aujourd’hui, croyant sincère, pratiquant fidèle, fils de riche, qui aurait pu devenir prêtre ou entrer au couvent. Mais il a trouvé cette vocation au-dessus de ses forces. Il n’a pas eu le courage d’invoquer le Seigneur pour qui tout est possible, et il s’en est retourné, profiter honnêtement de ses biens.
Une interprétation singulièrement étriquée et dangereusement réductrice. De son vivant, Jésus n’a jamais appelé pour le sacerdoce ni pour la vie religieuse. Il a appelé des disciples et ces disciples ont tous les âges, il y a des hommes et des femmes, des mariés et des célibataires.
Quand Marc évoque cet épisode dans sa prédication et sa catéchèse, il s’adresse à toute la communauté chrétienne et non pas à quelques-uns. C’est à la communauté qu’il propose l’exemple de l’homme riche comme thème d’examen de conscience et de mise en garde. Une invitation à réfléchir sur l’attitude qu’elle doit avoir envers la propriété, les richesses et la pauvreté.
Tout disciple du Christ, quel que soit son âge, son métier ou sa vocation, est appelé à s’attacher au Christ, jusqu’à le préférer à tout et à le suivre jusqu’à être capable de « vendre ses biens », soit au sens littéral, soit au sens symbolique. Symbolique, c’est-à-dire se libérer de tout esclavage, être libre de ses mouvements, détacher les amarres qui freinent ou qui paralysent. On ne peut marcher dans deux directions à la fois, on ne peut pas servir Dieu et Mammon, ni dans le monde, ni au couvent.
« Chaque fois qu’un être humain accepte de perdre quelque chose, de subir un détriment pour que d’autres puissent vivre ou mieux vivre, il « suit le Christ ». » Ou encore « accepter de tout perdre plutôt que de gagner quoi que ce soit par violence, par fraude, par chantage, par orgueil ou égoïsme, c’est aussi suivre le Christ ». (M. Domergue, s.j.).
Pour ce qui est des richesses au sens matériel du terme, tous les chrétiens, même les plus convaincus, les plus engagés, doivent comprendre et sans cesse se rappeler que la richesse constitue à la fois un avantage et un danger, une chance et un piège, une puissance et un obstacle.
Jésus ne condamne pas pour autant les richesses et ne canonise pas la pauvreté. Il n’a jamais considéré ses compatriotes fortunés comme des pestiférés. Il a répondu à leurs invitations et partagé leurs repas. « Jésus, précise Luc, était suivi par les Douze et par des femmes qui les aidaient de leurs biens ».
Ce qui n’a pas empêché Jésus d’adresser aux possédants un appel aussi clair qu’exigeant. Selon la conception biblique, seul le détachement parfait permet l’Amour, l’union dans l’Unique, source de lumière et de beauté.
Ce qui est en jeu ici, ce n’est donc pas la pauvreté matérielle, mais la charité, car on peut être pauvre, même volontairement, sans que ce détachement fasse grandir la charité et s’exprime dans un amour réel pour les pauvres.
Mais l’expérience tout comme l’actualité quotidienne rejoignent celles de la Bible pour constater que l’argent est souvent la cause d’illusion ou d’autosuffisance qui détournent de Dieu et de l’amour des autres. « Qui a de l’argent, dit un proverbe russe, met dans sa poche ceux qui n’en ont pas ».
L’écrivain Bernard Chouraqui, dans un de ses livres évoquant le danger de l’argent, explique que son invention a permis de dépouiller les malheureux sans prendre le risque de les affronter au couteau. C’est lui aussi qui permet, sans rien perdre de sa respectabilité, d’écraser tous les autres. Avec impunité garantie.
L’histoire de l’homme riche nous est bien destinée. A tous, sans exception. C’est bien un appel à la vocation chrétienne. Mais rappelons-nous que seul le maître de l’impossible peut nous libérer des liens et entraves qui freinent notre marche à sa suite.
Chrétiens, nous sommes appelés à le suivre et nous sommes envoyés en mission, comme nous le rappelle le mois d’octobre consacré à la mission universelle.

Bonne route avec lui ! C’est un souhait et un programme.

P. Fabien Deleclos, franciscain (T)

1925 – 2008

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