Vivre, ou l’expédition de la joie

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Vivre, ou l’expédition de la joie

Paul Youm

J’avais tout de suite pensé que le plus naturel, quand on parle des moments de la vie, c’est de parler du moment où l’on y entre, du moment où l’on y est vraiment (nous parlerons de «vraiment» tout à l’heure), du moment où l’on en sort par le chemin destiné à tout mortel. Vous pardonnerez pareille banalité, mais l’africain que je suis a gardé encore une certaine spontanéité du mouvement, et je m’en vais donc partager ce que dans une brousse du Sénégal l’on vit quand on entre dans la vie et comment l’on peut vivre sans sentir la vie, puis comment j’ai été amené à croire qu’avec la résurrection du Christ, la vie est plus forte que la mort, en sorte que Vivre devient une expédition avec les autres, une expédition de la joie jusqu’aux rives où coulent les eaux de la vraie humanité.
Dans une brousse du Sénégal et même dans certaines villes, venir à la vie est déjà difficile. Les parents et les familles vivent toujours avec joie l’attente d’un enfant, même si le souhait le plus répandu est de ne pas voir sa fille, sa soeur, mère avant le mariage (en particulier dans le milieu chrétien que je connais le moins mal). Pourtant, malgré cette joie, que je pense heureusement être un sentiment répandu à juste raison, j’ai connu des femmes qui ne sont plus des nôtres aujourd’hui parce que l’entrée dans la vie de leur enfant leur a coûté la vie. Hélas ! Les conditions d’accouchement dans certains hôpitaux, jusqu’à une date récente, continuaient à créer la frayeur. On est passé par toutes les créations de ministères (de la femme, de l’enfant, de la famille, de la solidarité…), mais les nouvelles concernant certains accouchements sont très tragiques. Heureusement que cette situation connaît une baisse sensible ! Heureusement aussi que l’entrée dans la vie d’un enfant finit par être un objet de joie, par un retournement de situation où les craintes et les appréhensions disparaissent ! Heureusement que l’entrée dans la vie d’un enfant finit par être aussi l’affaire de toute une société, où les leçons à donner à un enfant peuvent venir aussi bien de son père que de l’inconnu qui passe, une sorte de consensus tacite étant à la base de tout cela. De l’entrée dans la vie, nous n’avons dit que trop peu, mais on voit dès ici ce que l’on a pu susciter comme crainte, comme joie et espoir de toute une société de connus et d’inconnus.
Et quand on est sensé être en âge de responsabilité, on est sensé aussi sentir la vie avec un regard plus aigu que celui de l’enfant qu’on a été, l’on se choisit des principes à un âge déterminant, puisque par expérience je sais que ce sont ces principes qui finissent par régir toute une vie d’adulte. Vous en avez de sérieux et de rigoureux, votre vivre est pour vous vivre selon ce que vous avez choisi et vous êtes fidèle à vous-mêmes quand vous les respectez ; vous n’en avez pas et voici votre vie au gré des principes des autres, au gré du ballottement idéologique. J’ai cru donc que cet âge, je ne sais lequel, est d’une importance capitale pour la vie !
C’est là que moi j’ai choisi de faire de ma vie une vie avec les autres, une expédition de la joie. Les lectures m’ont aidé, je me suis mis à me demander ce qui se serait passé si Jésus avait démissionné de son chemin de croix par fatigue et j’en ai conclu, Platon et les medio et les néoplatoniciens aidant, que Dieu valait la peine d’être imité. Incroyable, mes sources étaient inconditionnelles. Tout ce qui m’inspirait la patience, la persévérance, le sourire malgré les difficultés, le combat quotidien était pout moi un terrain à défricher. Je n’ai pas attendu longtemps pour m’y mettre.
Je ne rêvais pas d’être auteur-compositeur, mais je l’ai été sans savoir comment. Le premier chant de ma vie fut un chant en l’honneur de St Augustin, au sujet de qui on apprend qu’il n’est jamais trop tard pour se convertir à une vraie vie. Et, il est vrai, l’évêque d’Hippone n’est pas sorti tout «épiscopable» de la tête d’un «Zeus». Si Dieu regardait ce que nous sommes dans notre simple nature, nos chances seraient toutes minces, pour rester tolérant. Mais son Amour infini ne regarde, je crois, que le peu d’efforts que nous faisons tous les jours ; et comme la joie de l’effort fourni est un grain de victoire quotidien, vivre est pour moi l’heureuse accumulation de ces efforts, de ces grains de victoire qui ne sont pas forcément synonymes de succès dans la vie pratique, mais qui nous donnent l’immense plaisir de voyager sur terre avec d’autres, eux-mêmes frappés par le sourire partagé, le secours apporté, la joie redonnée, la prière formulée, le bonjour souhaité…
Comment peut-on se laisser abattre par les grammes de mésaventures humaines et de difficultés, même quotidiennes, quand on a ces kilogrammes de grains de victoire réelle ? La vie devient seulement alors joie, simplicité et don aux autres. Alors on n’est plus dans le camp de ceux qui vivent sans vivre. Voilà pourquoi le chant choral et le milieu de l’éducation sont pour moi favoris. Un mouvement spontané nous conduit, dans la mesure de nos moyens, à faire un petit quelque chose pour les autres, ne serait-ce que par la pensée et la prière. C’est dans ce perpétuel mouvement de spontanéité que réside la joie de vivre, l’expédition dont il est question. Les difficultés rencontrées ne seront plus que des leçons à tirer car l’expérience, telle que j’en ai vécu un bout, aura montré que la vie est plus forte que la mort et que cela n’est pas un proverbe ni une simple maxime : ça se médite, ça se vit, ça se défend aussi tous les jours.
On le constate, trop de gens vivent donc sans vivre vraiment. C’est-à-dire que le nombre est exhorbitant de gens qui ne sentent pas la vie, qui n’y prennent pas de goût parce que témoins tous les jours de la tristesse de nos situations et surtout de la leur ; trop de gens aussi ont la spontanéité et le mouvement dont nous avons parlé, mais ont dirigé leur génie vers les façons intelligentes de détruire l’homme, de se faire vengeance, de faire la loi. Si la vie est plus forte que la mort, les efforts d’ouverture et de dialogue doivent donc être aussi constants que nos efforts sur nous-mêmes. Ne pas démissionner s’apprend en bien d’autres endroits, mais s’apprend de façon éminente quand on regarde le chemin de croix de Jésus, ces hommes et ces femmes qui ont cherché à l’imiter en donnant leur «VIVRE» pour les autres. La résurrection, pour moi, dit tout et ne fait pas sombrer dans une naïveté de vie nonchalante. L’énergie, le sourire, le dynamisme et l’ouverture sont les couplets du chant à la vie, car l’expédition de la vie est une expédition de joie où tout se renouvelle chaque jour dans le bonheur d’avoir fait un pas de plus qu’hier. Il semble que pour des hommes ce n’est pas tout, mais c’est déjà bien. Nous savons le faire, et l’Esprit du Seigneur nous l’inspire quand nous l’écoutons, même au milieu du tintamarre de nos courses. La vraie course, c’est peut-être celle du «VRAIMENT VIVRE», le «Marathon de la joie». On peut alors quitter la vie terrestre en laissant aux arbres, aux hommes, à la nature, au monde les marques d’une vie qui fleurira, même discrètement, pour des années, des annéees, des années… La Vie et le sourire auront gagné, l’Espérance aura triomphé ! Bienvenue aux rives de la vraie humanité, le rendez-vous du partage et de la communion.

P.Y.

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