Archive pour le 10 octobre, 2012
Vivre, ou l’expédition de la joie
10 octobre, 2012http://www.eleves.ens.fr/aumonerie/numeros_en_ligne/ascension02/seneve001.html
Vivre, ou l’expédition de la joie
Paul Youm
J’avais tout de suite pensé que le plus naturel, quand on parle des moments de la vie, c’est de parler du moment où l’on y entre, du moment où l’on y est vraiment (nous parlerons de «vraiment» tout à l’heure), du moment où l’on en sort par le chemin destiné à tout mortel. Vous pardonnerez pareille banalité, mais l’africain que je suis a gardé encore une certaine spontanéité du mouvement, et je m’en vais donc partager ce que dans une brousse du Sénégal l’on vit quand on entre dans la vie et comment l’on peut vivre sans sentir la vie, puis comment j’ai été amené à croire qu’avec la résurrection du Christ, la vie est plus forte que la mort, en sorte que Vivre devient une expédition avec les autres, une expédition de la joie jusqu’aux rives où coulent les eaux de la vraie humanité.
Dans une brousse du Sénégal et même dans certaines villes, venir à la vie est déjà difficile. Les parents et les familles vivent toujours avec joie l’attente d’un enfant, même si le souhait le plus répandu est de ne pas voir sa fille, sa soeur, mère avant le mariage (en particulier dans le milieu chrétien que je connais le moins mal). Pourtant, malgré cette joie, que je pense heureusement être un sentiment répandu à juste raison, j’ai connu des femmes qui ne sont plus des nôtres aujourd’hui parce que l’entrée dans la vie de leur enfant leur a coûté la vie. Hélas ! Les conditions d’accouchement dans certains hôpitaux, jusqu’à une date récente, continuaient à créer la frayeur. On est passé par toutes les créations de ministères (de la femme, de l’enfant, de la famille, de la solidarité…), mais les nouvelles concernant certains accouchements sont très tragiques. Heureusement que cette situation connaît une baisse sensible ! Heureusement aussi que l’entrée dans la vie d’un enfant finit par être un objet de joie, par un retournement de situation où les craintes et les appréhensions disparaissent ! Heureusement que l’entrée dans la vie d’un enfant finit par être aussi l’affaire de toute une société, où les leçons à donner à un enfant peuvent venir aussi bien de son père que de l’inconnu qui passe, une sorte de consensus tacite étant à la base de tout cela. De l’entrée dans la vie, nous n’avons dit que trop peu, mais on voit dès ici ce que l’on a pu susciter comme crainte, comme joie et espoir de toute une société de connus et d’inconnus.
Et quand on est sensé être en âge de responsabilité, on est sensé aussi sentir la vie avec un regard plus aigu que celui de l’enfant qu’on a été, l’on se choisit des principes à un âge déterminant, puisque par expérience je sais que ce sont ces principes qui finissent par régir toute une vie d’adulte. Vous en avez de sérieux et de rigoureux, votre vivre est pour vous vivre selon ce que vous avez choisi et vous êtes fidèle à vous-mêmes quand vous les respectez ; vous n’en avez pas et voici votre vie au gré des principes des autres, au gré du ballottement idéologique. J’ai cru donc que cet âge, je ne sais lequel, est d’une importance capitale pour la vie !
C’est là que moi j’ai choisi de faire de ma vie une vie avec les autres, une expédition de la joie. Les lectures m’ont aidé, je me suis mis à me demander ce qui se serait passé si Jésus avait démissionné de son chemin de croix par fatigue et j’en ai conclu, Platon et les medio et les néoplatoniciens aidant, que Dieu valait la peine d’être imité. Incroyable, mes sources étaient inconditionnelles. Tout ce qui m’inspirait la patience, la persévérance, le sourire malgré les difficultés, le combat quotidien était pout moi un terrain à défricher. Je n’ai pas attendu longtemps pour m’y mettre.
Je ne rêvais pas d’être auteur-compositeur, mais je l’ai été sans savoir comment. Le premier chant de ma vie fut un chant en l’honneur de St Augustin, au sujet de qui on apprend qu’il n’est jamais trop tard pour se convertir à une vraie vie. Et, il est vrai, l’évêque d’Hippone n’est pas sorti tout «épiscopable» de la tête d’un «Zeus». Si Dieu regardait ce que nous sommes dans notre simple nature, nos chances seraient toutes minces, pour rester tolérant. Mais son Amour infini ne regarde, je crois, que le peu d’efforts que nous faisons tous les jours ; et comme la joie de l’effort fourni est un grain de victoire quotidien, vivre est pour moi l’heureuse accumulation de ces efforts, de ces grains de victoire qui ne sont pas forcément synonymes de succès dans la vie pratique, mais qui nous donnent l’immense plaisir de voyager sur terre avec d’autres, eux-mêmes frappés par le sourire partagé, le secours apporté, la joie redonnée, la prière formulée, le bonjour souhaité…
Comment peut-on se laisser abattre par les grammes de mésaventures humaines et de difficultés, même quotidiennes, quand on a ces kilogrammes de grains de victoire réelle ? La vie devient seulement alors joie, simplicité et don aux autres. Alors on n’est plus dans le camp de ceux qui vivent sans vivre. Voilà pourquoi le chant choral et le milieu de l’éducation sont pour moi favoris. Un mouvement spontané nous conduit, dans la mesure de nos moyens, à faire un petit quelque chose pour les autres, ne serait-ce que par la pensée et la prière. C’est dans ce perpétuel mouvement de spontanéité que réside la joie de vivre, l’expédition dont il est question. Les difficultés rencontrées ne seront plus que des leçons à tirer car l’expérience, telle que j’en ai vécu un bout, aura montré que la vie est plus forte que la mort et que cela n’est pas un proverbe ni une simple maxime : ça se médite, ça se vit, ça se défend aussi tous les jours.
On le constate, trop de gens vivent donc sans vivre vraiment. C’est-à-dire que le nombre est exhorbitant de gens qui ne sentent pas la vie, qui n’y prennent pas de goût parce que témoins tous les jours de la tristesse de nos situations et surtout de la leur ; trop de gens aussi ont la spontanéité et le mouvement dont nous avons parlé, mais ont dirigé leur génie vers les façons intelligentes de détruire l’homme, de se faire vengeance, de faire la loi. Si la vie est plus forte que la mort, les efforts d’ouverture et de dialogue doivent donc être aussi constants que nos efforts sur nous-mêmes. Ne pas démissionner s’apprend en bien d’autres endroits, mais s’apprend de façon éminente quand on regarde le chemin de croix de Jésus, ces hommes et ces femmes qui ont cherché à l’imiter en donnant leur «VIVRE» pour les autres. La résurrection, pour moi, dit tout et ne fait pas sombrer dans une naïveté de vie nonchalante. L’énergie, le sourire, le dynamisme et l’ouverture sont les couplets du chant à la vie, car l’expédition de la vie est une expédition de joie où tout se renouvelle chaque jour dans le bonheur d’avoir fait un pas de plus qu’hier. Il semble que pour des hommes ce n’est pas tout, mais c’est déjà bien. Nous savons le faire, et l’Esprit du Seigneur nous l’inspire quand nous l’écoutons, même au milieu du tintamarre de nos courses. La vraie course, c’est peut-être celle du «VRAIMENT VIVRE», le «Marathon de la joie». On peut alors quitter la vie terrestre en laissant aux arbres, aux hommes, à la nature, au monde les marques d’une vie qui fleurira, même discrètement, pour des années, des annéees, des années… La Vie et le sourire auront gagné, l’Espérance aura triomphé ! Bienvenue aux rives de la vraie humanité, le rendez-vous du partage et de la communion.
P.Y.
ALBINO LUCIANI, VRAI PASTEUR QUI SE VOYAIT COMME UN OISEAU TROGLODYTE (II)
10 octobre, 2012http://www.zenit.org/article-32104?l=french
ALBINO LUCIANI, VRAI PASTEUR QUI SE VOYAIT COMME UN OISEAU TROGLODYTE (II)
Par Marco Roncalli, biographe de Jean-Paul Ier
Renzo Allegri
Traduction d’Hélène Ginabat
ROME, mercredi 10 octobre 2012 (ZENIT.org) – Jean-Paul Ier était « un vrai pasteur », « ferme sur la doctrine et les principes, mais plein de compréhension pour la fragilité humaine, proche des problèmes concrets des familles » et pourtant il se voyait comme un « de ces troglodytes qui piaillent sur la dernière branche de l’arbre », explique le biographe de Jean-Paul Ier. Sa devise ? « Humilitas ».
A l’occasion du 34ème anniversaire de l’élection de Jean-Paul Ier comme pape, puis de sa mort inattendue (26 août et 28 septembre), et du centenaire de sa naissance (17 octobre), Renzo Allegri a rencontré pour Zenit Marco Roncalli, auteur d’une biographie sur celui que l’on appelle désormais « le pape au sourire ».
(La première partie de l’interview a été publiée mardi 9 octobre)
Zenit – Et après le séminaire ?
Marco Roncalli – Il a été ordonné prêtre à 23 ans. Il a travaillé pendant deux ans dans la paroisse pour aider le curé, exerçant « ce menu apostolat parmi les gens que j’aimais tellement », disait-il. Puis il est retourné au séminaire comme enseignant et vice-directeur. Ce furent pour lui dix années supplémentaires de séminaire, de 1937 à 1947.
C’était les années de la Seconde guerre mondiale, des années difficiles, dramatiques, surtout pour l’Italie. Il les a vécues intensément, s’engageant aussi dans des activités à l’extérieur du séminaire. Il a réussi, pendant ces années-là, à obtenir summa cum laude un diplôme en théologie, à l’Université grégorienne à Rome. Mais il étudiait surtout les événements qui étaient en train de se dérouler dans le monde, la vie des hommes qui étaient en dehors du séminaire et pour lesquels il préparait les guides spirituels de l’avenir.
Puis, en 1947, ce fut le temps de l’action. Ce fut un moment difficile parce que c’est précisément à cette époque qu’il a eu de graves problèmes de santé et qu’il a dû entrer au sanatorium. Mais ses supérieurs le tenaient en grande estime et il fut nommé alors pro-vicaire du diocèse, puis vicaire général et, en 1958, évêque de Vittorio Veneto.
Il prit, comme devise de son blason, le mot « Humilitas » qu’il expliquait ainsi : « Je suis la poussière pure et pauvre ; dans cette poussière, le Seigneur a inscrit la dignité épiscopale de l’illustre diocèse de Vittorio Veneto ». Il n’a jamais eu une grande considération de lui-même. Il écrivait : « Certains évêques ressemblent à des aigles qui planent, avec des documents magistraux de haut niveau ; moi, j’appartiens à la catégorie des troglodytes qui piaillent sur la dernière branche de l’arbre ».
L’année 1962 a vu le début du concile Vatican II. Luciani était déjà évêque : comment l’a-t-il vécu ?
Avec beaucoup d’enthousiasme, mais dans l’effacement. On ne connaît pas ses interventions directes, mais il a toujours été présent à toutes les sessions. Il regardait cet événement avec étonnement. Il en parlait avec un langage sportif, le comparant à une « partie extraordinaire » où jouent « plus de 2000 évêques » et où « l’arbitre est le pape ». Mais cet événement a eu pour lui une signification immense. Il écrivait : « Le concile m’a obligé à redevenir étudiant et à me convertir aussi mentalement ». Après le concile, son action pastorale a connu un élan d’initiatives nouvelles, fortes, que beaucoup jugent, parfois, carrément révolutionnaires.
Dans quel sens ?
C’était des années de changement, de progrès économique aussi et dans la vie des chrétiens, se profilaient des problèmes nouveaux et nombreux. Luciani se montre un vrai pasteur, qui refuse de se laisser mettre dans les cases des stéréotypes habituels de « conservateur » ou « progressiste ». Il était ferme sur la doctrine et les principes, mais plein de compréhension pour la fragilité humaine, proche des problèmes concrets des familles.
A l’époque, dans notre pays, la présence d’immigrés appartenant à d’autres religions était déjà en augmentation. Il regardait ces personnes avec un cœur de père. Il écrivait : « Certains évêques sont effrayés ; mais alors, et si demain les bouddhistes viennent et font leur propagande ?… » ou encore « il y a quatre mille musulmans à Rome : ont-ils le droit de se construire une mosquée ? Il n’y a rien à dire : il faut les laisser faire ».
Compréhensif, disponible, ouvert, mais aussi intraitable sur la rigueur doctrinale et la discipline. Il a redit l’impossibilité de concilier christianisme et marxisme. Il a condamné les abus de ceux qui voulaient faire du concile « une arme pour désobéir, un prétexte pour légitimer toutes les « bizarreries » qui leur passent par la tête ». Il a toujours été dur avec les mouvements catholiques de la dissension. A Venise, comme cardinal, quand les étudiants universitaires de la Fédération universitaire catholique italienne (FUCI) se rangèrent du côté du « non » à l’abrogation de la loi sur le divorce, il a dissout l’association.
Si Luciani avait eu un pontificat plus long, quels changements, selon vous, aurait-il réalisé à l’intérieur de l’Eglise ?
Pendant les 33 jours de son pontificat, il a continué de se comporter dans la simplicité la plus absolue, comme il l’avait toujours fait. Quand, aussitôt après son élection, les cardinaux lui ont demandé quel nom il voulait prendre comme pape, il a choisit celui des deux papes qui l’avaient précédé, pour indiquer qu’il voulait se mettre dans la voie de la continuité. A la demande rituelle, il a répondu : « Je m’appellerai Giampaolo I ». Mais les cardinaux lui firent remarquer que ce nom, « Giampaolo » était trop « familier » pour un pape et c’est ainsi qu’il s’est adapté en prenant celui, plus solennel, de « Giovanni Paolo I ». Ses premières paroles aux cardinaux furent : « Qu’avez-vous fait ? Que Dieu vous pardonne ».
Dans les différents discours de ces 33 jours de pontificat, il a continué à se référer à la dimension absolue du message évangélique, en soulignant la pauvreté et le bon usage de la propriété. Il avait véritablement assimilé l’encyclique Populorum progressio de Paul VI et il aurait certainement promu une Eglise plus solidaire avec les pauvres, une plus grande communion et davantage de partage au sommet.
Il est le premier pape à avoir demandé de parler à la foule la première fois qu’il est apparu à la loggia de Saint-Pierre, ce qui était interdit par le maître des cérémonies pontificales, Virgilio Noè ; il a refusé le couronnement, la tiare, comme Paul VI, et la sedia gestatoria, sur laquelle on l’a parfois obligé de s’asseoir lors d’audiences générales. Pour parler plus spontanément, il laissait de côté les textes officiels, ce qui ne manquait pas d’alarmer les milieux de la curie romaine et de la diplomatie. Au cours des audiences, pour donner des leçons d’humanité, il invitait les enfants à dialoguer avec lui comme lorsqu’il était à Vittorio Veneto et à Venise.
Ces 33 jours ont suffi pour créer un changement de climat imprévisible dans l’Eglise. Bannissant toute forme de rhétorique, ils ont montré, par des paroles et par des gestes, la beauté du christianisme. S’il avait eu un long pontificat, il aurait certainement laissé un signe fort et incomparable.
Quelle est votre opinion sur la mort du pape Luciani ?
D’après les documents que j’ai examinés, je suis certain que sa mort est arrivée par des causes naturelles. Certain à cent pour cent. Mais il y a eu beaucoup d’hypocrisies : la première personne qui a trouvé le pape mort dans sa chambre fut la sœur qui lui apportait son café, donc une femme, ce qui a semblé inconvenant. A partir de là, on a commencé à raconter des histoires, à ajuster la vérité, à émettre des communiqués de presse embrouillés, ce qui a provoqué une confusion qui, avec les autres détails et les déclarations inopportunes, ont alimenté l’hypothèse du complot et de l’empoisonnement.