Homélie du 25e dimanche ordinaire B

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Homélie du 25e dimanche ordinaire B

P. Fabien Deleclos, franciscain (T) – 1925 – 2008

Sg 2, 12, 17-20 ; Jc 3, 16 – 4,3 ; Mc 9, 30-37

Il nous arrive probablement de temps en temps de rêver à la situation des premiers disciples, à leur chance extraordinaire de côtoyer chaque jour celui que l’on attendait depuis des siècles comme le libérateur et le restaurateur d’Israël. Prier ensemble à la synagogue, partager le petit déjeuner, se promener au bord du lac. Nous imaginons la richesse des conversations, l’éblouissement des découvertes, l’expérience enivrante des succès de foule. Ils sont les premiers témoins d’une révolution en marche. Ils bénéficient d’expériences spirituelles inouïes. Songez à la transfiguration de Jésus dont ils ont été les seuls témoins.
C’est d’ailleurs après cet événement que se situe le récit évangélique d’aujourd’hui. Or, cet évangile de Marc, que l’on dit être l’écho direct de la voix de Pierre et de sa catéchèse, nous apprend que la première préoccupation de ces jeunes gens, à ce moment-là, n’était pas d’ordre mystique, ni spirituel, ni pastoral, mais un « plan de carrière », oui. Ils ont été choisis par Jésus, ils ont répondu « oui » à cette surprenante vocation, et ils étaient encore tenaillés par l’ambition du pouvoir, la convoitise des privilèges et des préséances.
Ils se voyaient déjà occupant des places de ministres et de conseillers du nouveau roi. Les deux frères Jacques et Jean, plus gourmands encore que les autres, n’ont d’ailleurs pas hésité à mettre cartes sur table en s’adressant à Jésus lui-même. Directement, raconte Marc. Par l’intermédiaire de leur maman, dit Matthieu. Mais, dans les deux cas, il s’agissait d’obtenir, dans le futur gouvernement, les deux places les plus enviées. Ils sont prêts à se battre pour se partager le gâteau. Un vrai panier de crabes. Ce qui entraîne nécessairement des jalousies, envies et rivalités, comme on en voit encore des exemples aujourd’hui. Or, parmi les trois évangélistes qui racontent ces empoignades et ces prises de bec très nature, mais fort peu évangéliques, deux en sont des témoins directs et même des acteurs.
Ces apôtres reconnaissent donc très franchement qu’à cette époque ils n’avaient encore rien compris à leur rôle, ni au sens exact que Jésus voulait donner à l’autorité et au pouvoir. C’est-à-dire une autorité de service, car le Messie n’était pas venu pour être servi, mais pour servir. Un Jésus qui refuse également le calcul des mérites ou les exigences aveugles des droits acquis. Jésus a toujours dénoncé la course au pouvoir, la course aux honneurs, la course aux privilèges, l’obsession des préséances et toutes les jalousies et rivalités qui les provoquent.
Intimes de Jésus, les apôtres n’étaient pas des anges. Nous non plus. Et les premières communautés chrétiennes n’avaient rien d’idyllique, comme on l’imagine un peu légèrement. Elles ont été aussi déchirées par des conflits internes dont Jacques a dénoncé les causes et les ravages. A commencer par le mauvais usage de la langue. « Ce petit membre qui se vante de grands effets (…) et que personne ne peut dompter », alors qu’il est « plein d’un poison mortel ». Avec la langue, nous bénissons le Seigneur et Père et, avec elle aussi, nous maudissons les hommes et les femmes qui sont à l’image de Dieu. C’est de la même bouche que sortent prières et méchancetés, bénédictions et malédictions. Conclusion de Jacques : « Si quelqu’un se croit religieux sans tenir sa langue en bride, sa religion est vaine » (Jc 1, 26).
La lettre de Jacques évoque aussi d’autres responsabilités, personnelles et collectives. D’où viennent les guerres, d’où viennent les conflits entre vous, sinon de l’envie et la jalousie, la volonté de puissance, un désir insatiable et lancinant de posséder richesses et pouvoir. Il arrive même chez les croyants, et c’est Jacques qui le dit, que l’envie se transforme en prière : on se sert de Dieu pour obtenir autant sinon plus et mieux que le voisin. Il décrit précisément le mécanisme de la naissance et du développement de l’enrichissement coupable. Ce qui relève de l’adoration du veau d’or. L’idole de tous les temps, le dieu dollar, à qui l’on sacrifie tous les jours des vies humaines.
Or, dans l’esprit de la Bible, s’enrichir en « dépouillant les démunis, les faibles, les désarmés, est considéré comme une insulte faite à Dieu lui-même ». Les conflits collectifs s’enracinent toujours dans la convoitise des individus. Il faut donc commencer à faire le ménage chez soi. D’autant plus que nous sommes tous plus ou moins sollicités par des tentations dont les racines sont en nous.
Ces enseignements ont été traduits dans l’Evangile en paraboles et gestes, en images. Aujourd’hui, en photos, ils auraient fait la Une de tous les journaux. On a vu Sr Teresa embrassant un handicapé, la princesse Diana prenant un petit sidéen dans ses bras, le pape soulevant un enfant malade ou embrassant un jeune blessé. Tout comme on a pu voir jadis Hitler et Staline se faire photographier avec un enfant dans les bras. Mais la même scène touchante n’a pas nécessairement le même sens ni le même témoignage à donner.
Au temps de Jésus, les enfants ne comptaient pour rien. Ils étaient les premiers parmi les dédaignés. Ils ne font l’objet d’aucune considération, mais bien de mépris. Dans la tradition biblique, ils sont un symbole de faiblesse plutôt que d’innocence. Ils représentaient donc tous ceux et celles qui ne comptent pas dans la société, qui n’ont ni pouvoir, ni argent, ni parole.
L’enfant que Jésus accueille n’est pas notre « enfant roi », mais le représentant des pauvres, des gosses des rues, des marginaux, des exclus, des plus vulnérables. Et Jésus nous dit que les personnes, les familles, les groupes, les communautés qui accueillent et se mettent au service des plus fragiles, des plus éprouvés de ce monde, accueillent non seulement le Christ, mais Dieu qui l’a envoyé. La vraie grandeur est celle du serviteur. Chercher à servir et non à être servi.

P. Fabien Deleclos, franciscain (T)

1925 – 2008

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