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La dormition de Marie
Posted 14th August 2009 by Frédéric Manns
Le terme technique de Dormition désigne dans la tradition chrétienne les derniers instants de la vie terrestre de Marie. En effet, la tradition juive parlait des justes qui s’endormaient et qui étaient réunis avec leurs Pères. L’icône de la Dormition est justement célèbre: au centre figure Marie étendue sur son lit de mort. Elle est entourée des douze apôtres qui se retrouvent curieusement autour d’elle. Le Christ en gloire, enveloppé dans une mandorle, apparaît auprès de sa mère et prend dans ses bras l’âme de Marie représentée par un petit enfant vêtu de linges blancs. Pour comprendre la théologie de l’icône il n’y a pas d’autre choix que de se référer à l’apocryphe connu sous le nom de Dormition de Marie.
Cet apocryphe traduit en différentes langues est très ancien. Il provient des milieux judéo-chrétiens de Jérusalem et pourrait dater de la fin du second siècle après J.-C. Des études basées sur les critères internes et externes ont permis d’arriver à la conclusion que la version grecque de l’apocryphe provenant de la bibliothèque du Vatican (Vatican grec 1982) est la plus ancienne. C’est sur ce texte que nous appuyons nos citations et nos commentaires. L’Apocryphe décrit les derniers instants de Marie sous la forme littéraire du Testament. De plus, il a recours à de nombreux symboles qu’il importe de décoder si l’on veut comprendre le message contenu dans l’Apocryphe. Le Pape Jean-Paul II a cité cet apocryphe dans son homélie de l’assomption, lui donnant ainsi un certain crédit.
L’annonce de la mort
« Quand Marie entendit de la part du Seigneur qu’elle allait sortir du corps, le grand Ange se rendit auprès d’elle et lui dit: « Marie lève-toi; prends cette palme que m’a donnée celui qui a planté le Paradis et transmets-la aux apôtres, afin que, la portant devant toi, ils chantent des hymnes, car d’ici trois jours tu déposeras ton corps. Voici que j’enverrai tous les apôtres auprès de toi et ils feront tes funérailles. Ils ne te quitteront plus jusqu’à ce qu’ils t’aient amenée au lieu où tu seras dans la gloire » (2).
« … Va au Mont des Oliviers et là tu connaîtras mon nom, car je ne le prononce pas au milieu de Jérusalem pour qu’elle ne soit pas totalement ruinée, mais tu l’entendras sur le Mont des Oliviers… » (3).
» Marie se rendit au Mont des Oliviers. La lumière de l’Ange la précédait. Dans sa main elle tenait la palme. Quand elle arriva au Mont des Oliviers, celui-ci tressaillit avec tous les arbres qui s’y trouvaient, de sorte qu’ils inclinèrent leurs têtes et adorèrent la palme qui était dans sa main » (4).
« Lorsque Marie le vit, elle pensa que c’était Jésus et elle demanda: Seigneur n’es-tu pas mon seigneur? C’est pour cela que tant d’arbres t’ont adoré. Je dis en effet que personne ne peut faire tant de miracles de gloire sinon mon Seigneur. L’ange lui dit… Quand tu sortiras du corps c’est moi qui viendrai à lui le quatrième jour et je t’enlèverai le quatrième jour… » (5).
La palme
Le symbole de la palme revient douze fois dans l’Apocryphe. C’est le grand Ange qui n’est autre que le Christ qui vient l’apporter à sa mère pour qu’elle la transmette aux apôtres. Celui qui a planté le Paradis a chargé l’Ange de cette mission. En effet, dans la tradition juive la palme est l’arbre de vie du Paradis. Le livre d’Hénoch éthiopien 24,3-4 en témoigne. Plusieurs textes affirment que l’arbre de vie nourrira les élus: « Il y a là des arbres de sagesse: ceux qui en mangent possèdent une grande sagesse », affirme 1 Hénoch 32,3. Le Messie avait reçu la mission d’ouvrir les portes du Paradis, d’enlever l’épée menaçant Adam et de donner à manger aux justes de l’arbre de vie, selon le Testament de Lévi 18,10-11.
La fête des Tentes met à l’honneur la branche de palmier. En effet, tous les pèlerins qui montaient à Jérusalem pour la fête des Tentes devaient apporter avec eux une branche de palmier, une branche de saule, un rameau de myrte et un fruit appelé etrog. L’interprétation de ces symboles varie dans le judaïsme. Souvent un sens anthropologique leur est donné. Philon d’Alexandrie voit par contre dans la célébration de la fête qui exigeait du pèlerin d’habiter sous des tentes pendant une semaine le symbole du voyage mystique, de la migration du monde de la matière au monde de l’Esprit (Spec II, 204-213).
La palme, comme tous les symboles, a de nombreuses valences qui peuvent se compléter. Elle évoque la victoire en 1 Mac 13,37 et 2 Mac 14,4. Elle signifie aussi le juste pour souligner son sort dans le monde à venir : « De même que le palmier ne projette son ombre qu’à une certaine distance, de même le juste ne reçoit sa récompense qu’après un certain temps, souvent même il ne la reçoit que dans le monde à venir », déclare le midrash Nombres Rabbah 3,1.
La littérature judéo-chrétienne avait repris ce symbole comme trophée de victoire. Dans le Pasteur d’Hermas, Similitude 8,2 les justes sont couronnés de palmes. Dans la Passion de Perpétue 10,9 le Christ apparaît tenant dans ses mains un rameau vert où pendent des pommes d’or. Didyme l’Aveugle, dans son commentaire de Zacharie 5,168, écrit: « De ce palmier dont il faut prendre les branches pour orner la tente, l’épouse chante au Cantique des Cantiques: J’ai dit: Je monterai sur le palmier, j’en saisirai les extrémités (Ct 7,9) ». La branche de palmier reçoit un supplément de sens: elle est rapprochée du Cantique des cantiques.
L’apocryphe de la Dormition exploite ce même symbolisme lorsqu’il évoque la prière de Marie rentrée chez elle après sa visite au Mont des Oliviers: « Je te bénis parce que j’ai été trouvée digne du baiser de ta chambre nuptiale que tu m’avais promis. Je te bénis pour que je sois trouvée digne de participer à l’eucharistie parfaite et à ton offrande de parfum suave qui est le partage de toutes les nations » (10).
Pour l’auteur de l’Apocryphe de la Dormition Marie va entreprendre la migration de ce monde à l’autre dans trois jours. Inutile d’insister sur le symbole bien connu des trois jours. Elle reçoit de la part de son fils qui est présenté comme le grand Ange la certitude de la victoire finale. Par contre la Jérusalem infidèle sera mise à l’épreuve et sera jugée à cette occasion.
Le symbole des nuées
Après avoir reçu la visite de l’Ange, Marie fit appeler ses parents et connaissances pour leur annoncer son départ dans trois jours. Elle les invita à prier. Après la prière, ils s’assirent en discutant entre eux des merveilles de Dieu, des signes et des prodiges que Dieu avait réalisés par sa mère.
Soudain arriva sur un nuage l’apôtre Jean (15). Marie, troublée en son esprit, éclata en sanglots et fit des reproches à celui qui avait reçu du Seigneur l’ordre de la prendre chez lui. Jean se justifie: il a laissé auprès de Marie son diacre pour lui préparer la nourriture et n’a pas voulu enfreindre l’ordre du Seigneur de partir en mission.
Il appelle familièrement Marie « soeur et mère des douze rameaux » (16). Ce titre s’inspire à nouveau du Cantique des Cantiques. Marie confie la palme à Jean pour qu’il la porte devant elle. Puis arrivent, portés sur des nuées, des extrémités de la terre les autres apôtres et avec eux Paul, compté au nombre des apôtres. Pierre les invite à prier pour qu’ils découvrent pourquoi Dieu les a réunis. La prière se termine par l’invocation au Christ « vainqueur de la mort, notre repos, qui a déraciné la mort, Manuel, Manuel, Maranatha » (25). Jean raconte aux disciples comment il fut emporté sur un nuage du milieu des disciples de Sardes. Durant les funérailles de Marie, Jésus et les anges, assis sur la nuée, précédaient le cortège d’une certaine distance. Enfin, c’est sur une nuée que le corps de Marie sera déposé au Paradis.
Dans la Bible, la nuée est considérée comme le véhicule de Dieu. Dieu est défini comme le « chevaucheur des nuées ». Lors du passage de la mer Rouge la colonne de nuée qui guidait le peuple se déplaça de l’avant à l’arrière, où elle se tint (Ex 14,19). L’Apocalypse de Jean 1,7 se souvient de ces textes lorsqu’elle décrit la venue du Christ escorté des nuées. De même, en Ap 14,14 l’auteur se réfère à Daniel 7 pour décrire le Fils de l’homme assis sur la nuée blanche et venant pour le jugement.
La tradition juive évoque le don de sept nuées de gloire dans le désert du Sinai lorsque les Juifs sortis d’Egypte arrivèrent à la localité de Succot. La version synagogale du livre de l’Exode 12,37 affirme que quatre nuées devaient protéger le peuple sur les quatre côtés, une au-dessus d’elle; une au-dessous d’elle et une allait au-devant d’eux pour aplanir les vallées et abaisser les montagnes. Le don de ces nuées fut rapproché rapidement de la fête des Tentes, appelée en hébreu Succot.
La tradition judéo-chrétienne n’hésitera pas à reprendre ce symbole. C’est avec des nuées de gloire que seront revêtus les justes, affirme 5 Esdras 2,23. La Didachè 16 affirme que lors du retour du Christ le monde verra le Seigneur venant sur les nuées du ciel.
L’auteur de l’apocryphe de la Dormition qui voit dans les nuées les véhicules des apôtres et qui met ces nuées en rapport avec le Paradis provient d’un milieu où les traditions juives étaient encore connues. Marie désigne sa maison par le terme grec de skênoma, qui signifie « tente ». C’est toujours dans le contexte de la fête des Tentes que l’auteur se meut.
Le symbole de la lampe
Avant sa mort Marie demande à tous les assistants de prendre une belle lampe et de ne pas l’éteindre pendant trois jours. Pierre profite de l’occasion pour commenter la parabole des dix vierges en orchestrant le symbolisme anthropologique de la lampe: « Tous mes frères et vous tous qui êtes entrés dans ce lieu, en cette heure, par gentillesse envers notre mère Marie, et vous qui avez allumé les lampes qui brillent du feu de la terre visible, vous avez rendu un beau service. Je désire que chaque vierge prenne sa lampe dans le firmament immatériel du ciel. C’est la lampe à trois becs de l’homme plus glorieux, qui est notre corps, l’âme et l’esprit. Si ces trois parties brillent du vrai feu pour lequel vous luttez, vous n’aurez pas de honte quand vous entrerez aux noces et vous vous reposerez avec l’époux. Ainsi est-il arrivé à Marie. La lumière de sa lampe a rempli l’univers et elle ne s’éteindra pas jusqu’à la fin des temps pour que tous ceux qui veulent prennent d’elle courage » (31).
Deux usages juifs de la lampe sont mis ici en évidence: l’usage de la lampe lors des funérailles et son usage lors des noces.
La lampe est le symbole du juste et de l’âme dans le livre des Proverbes 13,9. Le même livre, au chapitre 20,27, établit une relation entre la lampe de Yahve et l’esprit de l’homme. Job 21,17 affirmait de son côté que la lampe des impies s’éteindra. Le livre d’Hénoch éthiopien 104,2 donne aux justes l’assurance qu’ils brilleront comme des luminaires du ciel. La liturgie juive de la fête des tentes donne une grande importance à la cérémonie de l’illumination de la cour des femmes chaque soir. Quatre grands chandeliers illuminaient le Temple dans la cour des femmes. Tout Jérusalem se réjouissait à cette occasion.
La littérature judéo-chrétienne reprend ces symboles. L’âme de l’homme est comparée à une lumière dans les Odes de Salomon 11,10-16. La cérémonie du lucernaire avec le chant du Phôs hilaron (joyeuse lumière) voit dans le Christ qui illumine et fait entrer dans l’immortalité l’époux qui vient la nuit. Clément d’Alexandrie réfère le symbole de la lampe allumée à l’âme qui recherche la vérité au milieu des ténèbres (Stromates 5,3,17,3). Méthode d’Olympe introduit dans son commentaire de la parabole des dix vierges une note originale: la lampe des vierges devient symbole de chasteté. Dans son neuvième discours, Méthode revient sur le symbolisme de la lampe des vierges ornée par les bonnes oeuvres dans un contexte qui évoque la fête des tentes et la résurrection : « Je célèbre en toute légitimité la fête qui est dédiée. J’ai donné à mon tabernacle, à ma chair, la parure des bonnes oeuvres, comme tout à l’heure les vierges s’étaient parées de leur lampes à cinq flammes ».
L’auteur de l’Apocryphe de la Dormition prolonge la réflexion entreprise par le judaïsme et le judéo-christianisme. Son interprétation anthropologique de la lampe comme signifiant l’âme est en harmonie avec les anciens commentaires de la Parabole des dix Vierges. La lampe de Marie qui a rempli l’univers fait allusion probablement à la coutume juive d’allumer une lampe auprès du défunt. Marie est la nouvelle Eve qui a permis au nouvel Adam d’être la lumière du monde.
Le symbole du parfum
L’Apocryphe exploite plusieurs valences de ce symbole: le parfum est associé au sacrifice tout d’abord: un sacrifice agréé est un sacrifice de parfum suave. Marie bénit le Seigneur pour qu’elle soit trouvée digne de participer à l’eucharistie parfaite et à son offrande de parfum suave (10). Enfin, au moment de la mort de Marie, une odeur de parfum se répandit, de façon à ce que tous les participants s’endorment, excepté les trois vierges:
« Vers la troisième heure du jour un grand tonnerre se fit entendre et une odeur de parfum se répandit de façon que, par l’abondance du parfum, tous s’endormirent profondément, excepté les trois vierges. En effet, le Seigneur les fit veiller, afin qu’elles puissent témoigner des funérailles de Marie, la mère du Seigneur et de sa gloire. Et voici que subitement le Seigneur Jésus arriva sur les nuées de gloire avec un nombre incalculable de saints anges » (33).
« Alors Marie, ouvrant la bouche, bénit en ces termes: Je te bénis car tu as fait ce que tu as promis et tu n’as pas attristé mon esprit… Voici qu’il m’est advenu selon ta parole. Qui suis-je moi la pauvre pour être jugée digne d’une telle gloire? Après avoir dit cela, elle compléta sa carrière, avec le visage souriant vers le Seigneur » (34).
« Le Seigneur l’ayant embrassé prit son âme et la mit dans les mains de Michel en l’enveloppant de peaux dont on ne peut décrire en vérité la gloire » (35).
A noter que Marie meurt comme Myriam dans la tradition juive. Dieu ne permit pas que les leaders de l’exode connaissent la corruption du tombeau. La tradition juive affirme que Myriam mourut dans un baiser de Dieu. Marie, nouvelle Myriam, a ce même privilège.
La liturgie juive exploite le symbole du parfum lorsqu’elle demande à chaque fidèle de se présenter avec l’étrog parfumé. Elle avait interprété ce symbole en l’appliquant aux bonnes oeuvres qui parfument la vie. La tradition chrétienne reprend le même symbole. Dans la lettre de Barnabé 2,10 le coeur qui loue Dieu est un parfum. Le juste qui est ouvert à l’Esprit de Dieu répand la bonne odeur de l’Esprit. L’Ascension d’Isaïe 6,17 répète l’expression: « Les magistrats étaient des ouvriers de justice et ils avaient la bonne odeur de l’Esprit ». Le récit du martyre de Polycarpe 15,2 fait appel au symbole: « Et nous sentions un parfum pareil à une bouffée d’encens ou à quelque autre précieux aromate ».
L’auteur de l’Apocryphe rappelle que le Christ en personne vint auprès de sa mère. On se rappelle que l’épouse du Cantique assimile la présence du Bien-aimé à du nard, à un sachet de myrrhe (Ct 1,12), tandis que l’époux l’appelle « ma myrrhe, mon baume » (Ct 5,1).
En évoquant les principales valences des symboles de la palme, des nuées de gloire, de la lampe et du parfum nous avons montré leur lien avec la fête des Tentes. Pour comprendre le message de l’Apocryphe il faut scruter le sens de cette fête au premier siècle de l’ère chrétienne.
La fête des tentes est devenue synonyme de la fête de la joie en Dt 16,14. De fait, Marie accueille la mort le visage souriant. Elle défend aux apôtres de pleurer lors de ses funérailles. Ces derniers chanteront le Hallel en accompagnant son corps qui sera déposé dans un tombeau dans la vallée du Cédron où il reposera trois jours avant que le Christ ne vienne le prendre, tandis que son âme fut emportée immédiatement au ciel par Michel, l’archange.
Philon d’Alexandrie avait défini la fête comme celle de la transition du monde matériel au monde immatériel. Elle évoquait l’espoir d’immortalité, la révélation de la lumière cosmique et la migration du monde présent au monde immatériel.
La littérature rabbinique verra dans la tente une préfiguration du jour eschatologique et le symbole de la demeure des justes dans l’au-delà. Le midrash Pesiqta de Rav Kahana, Supplément 2,3-4 en témoigne. Le psaume 114,1: Quand Israël sortit d’Egypte que les apôtres chantent en accompagnant le corps de Marie est appliqué par les rabbins à la fête des Tentes pour commémorer le salut passé, tandis que les autres versets du psaume font allusion au salut futur. Le midrash Lévitique Rabbah 30,5 en témoigne.
Origène, dans son Homélie sur les Nombres 23,11 voit dans les tentes un symbole de la vie présente qui est un lieu de passage, en attendant la terre où coulent le lait et le miel. Dans son Homélie sur l’Exode 9,4 il s’attache au symbolisme des différentes branches que portaient les participants à la fête: la palme symbolise la victoire de l’Esprit sur la chair; le peuplier et le saule la chasteté, et l’arbre feuillu la vie éternelle. La réflexion la plus fouillée sur la fête des Tentes vient de Méthode d’Olympe qui y a consacré plusieurs passages de son Banquet. Après le rappel de l’interprétation matérielle que donnent les Juifs à la fête, Méthode donne la sienne qu’il tient des judéo-chrétiens: la fête signifie la résurrection et la fixation de notre tente tombée en terre: « Songez-y, cette fête des Tentes, c’est la résurrection; songez-y les matériaux qu’on prend pour l’érection des tabernacles, ce sont les oeuvres de justice » (243). Seuls ceux qui ont pratiqué les vertus célébreront la fête et ressusciteront. Ils entreront dans la terre promise.
Le but de l’auteur de l’Apocryphe était de rapporter la dernière célébration de la fête des Tentes de Marie. Elle se rend au Mont des Oliviers, anticipant l’accomplissement de la prophétie de Zacharie. Le symbolisme de la fête se prêtait à merveille pour illustrer l’idée principale de l’auteur : la mort, la résurrection et l’assomption de Marie.
Si cette hypothèse est fondée, il est permis d’en tirer une conclusion. L’auteur de l’Apocryphe provient d’un milieu où la fête des Tentes est encore célébrée ou du moins à l’honneur.
Nous avons parlé, avec l’auteur de l’Apocryphe, de la mort de Marie. On sait que la définition du dogme de l’assomption de la Vierge n’a pas voulu se prononcer sur ce problème. Pour l’auteur de l’Apocryphe Marie n’a pas eu un privilège supérieur à celui de son fils. Puisque le corps du Christ reposa au tombeau trois jours, celui de Marie connut le même sort. L’existence du tombeau traditionnel de Marie dans la vallée du Cédron a obtenu de nouvelles lettres de créance depuis les fouilles archéologiques de 1972 dues à une inondation providentielle. Les archéologues ont la certitude que la tombe vénérée de Marie à Jérusalem est une tombe taillée dans le rocher qui remonte au premier siècle. Bien plus, elle fait partie d’un complexe de trois chambres funéraires. Or, la version syriaque de l’Apocryphe fait mention des trois chambres. Le silence des pierres invite les archéologues à reprendre en mains le dossier de la littérature assomptioniste, car monument et document doivent s’éclairer réciproquement.
Le dogme de l’assomption n’a trouvé sa formulation définitive dans l’Eglise latine qu’au vingtième siècle. Mais l’Eglise pré-nicéenne, que nous appelons l’Eglise judéo-chrétienne, avait pressenti que Marie fut emportée au ciel en son corps et en son âme. C’est avec des catégories bibliques et juives qu’elle exprima cette conviction en ayant recours au genre littéraire du testament de Marie. « Toutes les générations me diront bienheureuse ». Cette prophétie de Marie s’est vérifiée même pour la proclamation de son Assomption au ciel qui fut proclamée en fait par de nombreuses générations avant le vingtième siècle.
Terminons en reproduisant la finale de l’Apocryphe de la Dormition de Marie:
« Les apôtres transportèrent Marie à sa tombe. Ils déposèrent son corps et s’assirent ensemble attendant le Seigneur comme il le leur avait ordonné… Voici que nous demeurons ici trois jours comme le Seigneur l’a demandé » (45).
« Ils discutaient entre eux de l’enseignement, de la foi, et de beaucoup d’autres sujets, assis devant la porte du tombeau, quand soudain arriva des cieux le Seigneur Jésus-Christ avec Michel et Gabriel. Il s’assit au milieu des disciples… » (46)
« Il donna alors un signal à Michel avec la voix propre des anges et les nuées descendirent vers lui. Le nombre des anges dans chaque nuée qui chantaient était de mille anges devant le Sauveur. Le Seigneur dit à Michel de prendre le corps de Marie sur la nuée tout près de lui. Quand ils furent montés dans la nuée, ils chantaient des hymnes avec des voix d’ange. Le Seigneur ordonna aux nuées de partir vers l’Orient, vers les régions du Paradis » (47).
« A peine arrivés au Paradis, ils déposèrent le corps de Marie sous l’arbre de vie. Michel apporta son âme sainte et ils la déposèrent dans son corps. Et le Seigneur envoya les apôtres dans leurs contrées pour (proclamer) la conversion et le salut des hommes. A lui conviennent la gloire, l’honneur et le pouvoir pour les siècles des siècles » (48).
La réflexion mariologique de cet apocryphe, pour simple qu’elle apparaisse au premier regard, est déjà poussée. Marie a droit aux titres bibliques de chaste colombe et de soeur provenant du Cantique des Cantiques. Elle est appelée « mère des douze rameaux » par Jean qui traduit ainsi sa fonction ecclésiale. Autant dire qu’elle est la mère de l’Eglise. Elle rassemble les douze avant de mourir : elle est la vigne fructueuse au milieu des apôtres rassemblés (29). Enfin, elle est définie comme nouveau Temple et arche de l’alliance par le grand prêtre juif qui dans un premier moment voulait brûler son corps. La mariologie de l’apocryphe est une relecture de Jean 19,27. C’est dans les cercles judéo-chrétiens johanniques que ce texte a vu le jour. L’Apocryphe de la Dormition qui a inspiré les artistes byzantins mérite d’être lu, à condition d’être remis dans son vrai contexte littéraire.