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4 août – Saint Jean-Marie Vianney, Curé d’Ars
3 août, 2012http://missel.free.fr/Sanctoral/08/04.php
4 août – Saint Jean-Marie Vianney, Curé d’Ars
Sommaire :
A propos du Curé d’Ars
La puissance divine dans la faiblesse
Prière du Curé d’Ars
Biographie
On écoutait M. Vianney comme un nouvel apôtre que Jésus-Christ envoyait à son Eglise, pour y renouveler la sainteté et la ferveur de son divin Esprit, en un siècle dont la corruption l’a si profondément altéré dans l’âme de la plupart des hommes. Et c’est une grande merveille que ne proposant, comme les apôtres, qu’une doctrine incompréhensible à la raison humaine et très amère au goût dépravé du monde – car il ne parlait que de croix, d’humiliations, de pauvreté, de pénitence – cette doctrine fut si bien accueillie…
Le saint curé parlait sans autre travail préparatoire que sa continuelle application à Dieu ; il passait sans délai et sans transition du confessionnal à la chaire, et toutefois, il y apportait une imperturbable assurance, une merveilleuse impassibilité qui ne naissait nullement de la certitude, mais plutôt de l’oubli complet et absolu de lui-même…
M. Vianney n’avait aucun souci de ce qu’on pouvait dire ou penser de lui. Quelle que fût la composition de son auditoire, bien que des évêques et d’autres illustres personnages soient venus souvent se mêler à la foule qui entourait sa chaire, jamais sa parole n’a trahi la moindre émotion, ni le moindre embarras provenant d’une crainte humaine. Lui, si timide et si modeste quand il traversait les rangs pressés de l’assistance, souvent imposante, qui remplissait l’église à l’heure du catéchisme, il n’était plus le même homme ; il avait l’air d’un triomphateur. Il portait la tête haute ; son visage était illuminé ; ses yeux lançaient des éclairs… Il aurait eu le pape, les cardinaux, les rois au pied de sa chaire, qu’il n’aurait dit ni plus ni moins, ne pensant qu’aux âmes et ne faisant penser qu’à Dieu. Cette véritable domination oratoire suppléait chez lui le talent et la rhétorique : elle donnait aux choses les plus simples, sorties de cette bouche vénérable, une majesté singulière et une irrésistible autorité.
La forme qu’employait le curé d’Ars n’était pas autre chose que l’enveloppe la plus transparente que prend l’idée afin de paraître le plus possible telle qu’elle est, créant elle-même l’expression qui lui convient. Il savait mettre les vérités de l’ordre le plus élevé à la portée de toutes les intelligences ; il les revêtait d’un langage familier ; il attendrissait par la simplicité ; il ravissait par la doctrine… Ainsi, les considérations sur le péché, sur l’injure qu’il fait à Dieu et le mal qu’il fait à l’homme n’étaient pas un jeu de son esprit, mais le travail douloureux de sa pensée ; elles le pénétraient, le consternaient : c’était le trait de fer enfoncé dans sa poitrine. Il soulageait son âme en l’épanchant…
La foi du bon curé d’Ars était toute sa science ; son livre, c’était Notre-Seigneur Jésus-Christ. Il ne cherchait pas la sagesse ailleurs qu’en JésusChrist, dans sa mort et dans sa croix. Il n’y avait pas pour lui d’autre sagesse véritable, pas d’autre sagesse utile… C’est dans la prière, à genoux aux pieds du Maitre, en couvrant ses pieds divins de larmes et de baisers ; c’est en présence du saint tabernacle, où il passait ses jours et ses nuits, c’est là qu’il avait tout appris.
A. Monnin « Le curé d’Ars » (Editions Douniol, 1864).
La puissance divine dans la faiblesse
Ce que le monde tient pour insensé, c’est ce que Dieu a choisi pour confondre les sages ; et ce que le monde tient pour rien, c’est ce que Dieu a choisi pour confondre les forts. Et Dieu a choisi ce qui dans le monde est sans considération et sans puissance, ce qui n’est rien, pour réduire au néant ce qui est, afin que nulle chair ne se glorifie devant Dieu (I Corinthiens I 27-29). Après avoir décrit ce plan de la Providence, saint Paul le montre réalisé dans sa personne : Je n’ai pas jugé que je dusse savoir parmi vous autre chose que Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié…, et ma parole et ma prédication n’avaient rien du langage persuasif de la sagesse, mais l’Esprit-Saint et la force de Dieu en démontraient la vérité… (I Corinthiens II 1-5). Saint Paul détermine ainsi les lois générales de l’évangélisation : la conversion n’est pas œuvre de la sagesse humaine, mais œuvre de la puissance divine. C’est bien ce que nous montre la vie du Saint Curé d’Ars que nous célébrons aujourd’hui, démonstration éclatante de la primauté des moyens surnaturels dans l’œuvre de l’apostolat. Il y a, chez ce prêtre, une telle disproportion entre les résultats prodigieux et les infériorités humaines, que les résultats manifestement les fruits de la grâce. Infirma mundi elegit Deus (Dieu a choisi ce qui est faible). Lorsqu’en 1878, à trente-deux ans, l’abbé Vianney prit possession de sa petite paroisse, il était bien ce nul aux yeux du monde, dont Dieu allait faire la plus grande valeur sacerdotale de son siècle. Les gens d’Ecully où il était vicaire, avaient signifié à l’autorité diocésaine qu’ils ne désiraient pas à un curé aussi simple. Physiquement, il n’avait rien d’attirant et sa tenue vestimentaire ne l’avantageait pas. Certes, il était très propre, mais il avait une minable apparence (soutane usagée et rapiécée, vieux chapeau déformé, gros souliers rapiécés) au point que certains de ses confrères avaient honte de s’asseoir près de lui, lors de leurs réunions périodiques. Il n’avait pas non plus la réputation d’être une intelligence : sans être mal doué, il avait commencé trop tard ses études secondaires et resta longtemps rebelle au latin ; il échoua si piteusement à son examen de philosophie qu’il fut refusé une première fois au Grand Séminaire et quand, enfin reçu, il fut question de son admission au sous-diaconat, il semble bien qu’il ne l’emporta qu’au bénéfice de sa piété.
- Le jeune Vianney, demanda l’examinateur à ses professeurs, est-il pieux ?
Sait-il réciter son chapelet ? A-t-il de la dévotion à la Vierge Marie ?
- C’est, pour la piété, répondirent-ils, le modèle du Séminaire.
- Eh bien donc ! conclut l’examinateur, je le reçois : la grâce de Dieu fera le reste.
Ses supérieurs, cependant, prenaient leurs précautions. Quand, au lendemain de son sacerdoce, il fut nommé vicaire à Ecully, ce fut sans l’autorisation, jusqu’à nouvel ordre, d’entendre les confessions. Un de ses confrères lui dira charitablement, un jour, à Ars : M. le Curé, quand on a si peu de théologie que vous, on ne devrait jamais mettre le pied dans un confessionnal. D’autant que par humilité, il force encore la note : Quand je suis avec les autres prêtres, je suis comme Bordin (un idiot du pays). Il y a toujours dans les familles un enfant qui a moins d’esprit que ses frères et ses sœurs ; eh bien ! chez nous, j’étais cet enfant-là. Et un jour, montrant de lui un portrait, par ailleurs assez peu ressemblant, il disait : C’est bien moi. Voyez comme j’ai l’air bête !… On ne voit pas que l’abbé Vianney eut des dons de parole, de plume ou d’action, pour compenser cette infériorité de culture et même de théologie. Après avoir sué sang et eau pour composer et apprendre ses sermons, il les prononçait d’une voix si gutturale et sur une note si élevée, qu’on lui reprochait de crier comme un sourd, jusqu’au moment où une perte de mémoire l’obligeait à descendre de chaire avant d’avoir fini. Il a ainsi couvert des pages de sa fine écriture, mais n’a jamais rien publié. Du point de vue humain, ce curé n’a rien pour réussir et rien ne le signale à l’attention, sinon pour s’en moquer. Il semble voué à végéter dans ce village inconnu du diocèse et plus encore de la France.
Quand J.M. Vianney fut envoyé à Ars, le Vicaire général lui dit : Mon ami, vous êtes nommé curé d’Ars. C’est une petite paroisse où il n’y a pas beaucoup d’amour de Dieu : vous en mettrez. Deux ans après son arrivée, Ars était regardée comme une paroisse fervente. Cinq ans plus tard, le saint Curé pouvait écrire : Je suis dans une petite paroisse pleine de religion, qui sert le Bon Dieu de tout son cœur. Après neuf ans, il rendait, en chaire, ce témoignage resté célèbre : Mes frères, Ars n’est plus Ars ! J’ai confessé et prêché dans des jubilés, dans des missions. Je n’ai rien trouvé comme ici. Il s’était attaqué tout de suite à l’ignorance en catéchisant et en instruisant ses paroissiens ; il mena la lutte contre le travail du dimanche, les cabarets, le blasphème et les danses ; il restaura et embellit sa vieille église. De son orphelinat de la Providence, son œuvre préférée, il fit une pépinière de bonnes chrétiennes et un centre d’intercession. A la base de cette transformation miraculeuse, il y avait ses prières et ses pénitences. Cette conversion d’Ars n’est qu’un départ de la merveille de l’œuvre accomplie. Depuis dix ans qu’il est curé, ce village ignoré du plateau de la Dombe, commence de devenir célèbre. Le nom du Curé d’Ars vole de bouche en bouche, aux alentours et au loin.
Alors se mit en branle ce pèlerinage, qui fit d’Ars, pendant trente ans, le village le plus fréquenté de France. D’abord quelques bonnes dévotes de Dardilly, sa paroisse natale, et d’Ecully où il fut vicaire ; bientôt sa renommée fit tache d’huile et il vint des foules toujours renaissantes ; on faisait la file pour entrer dans l’église, étuve l’été, glacière l’hiver, où on restait de longues heures, remis souvent au lendemain, ce qui obligeait à organiser entre soi des numéros d’ordre pour ne pas perdre son tour. Il confessait seize, et même dix-huit heures les longs jours d’été, sans éterniser la conversation, ne donnant à chaque confession que le temps nécessaire, mais il fallait attendre son tour 30, 50, et même 70 heures. Certaines années, Ars vit passer 80 000 et 100 000 pèlerins… Cela dura jusqu’à sa mort, en 1859. La statue de son saint curé a sa place dans nombre d’églises et de chapelles. Vers lui, comme vers leur inspirateur et leur protecteur, se tournent tant et tant de saints prêtres, même dans les formes nouvelles d’apostolat que nécessite l’évolution de la vie moderne, afin d’apprendre et de recevoir de lui, ce qui reste toujours l’âme de tout apostolat : la vie intérieure. Car voilà bien la grande leçon du saint Curé d’Ars. Il y a une telle disproportion entre les moyens humains et les résultats obtenus, qu’il faut bien dire que le doigt de Dieu est là. Que des génies, comme saint Augustin ou saint Thomas d’Aquin, que des hommes d’action, comme saint Dominique ou saint Ignace de Loyola, aient exercé et exercent encore une telle influence, cela n’étonne pas l’esprit des hommes, mais que ce petit curé de campagne, sans moyens, soit devenu le centre de tout son siècle, voilà qui force la réflexion qui aboutit à croire que la conversion des âmes est l’œuvre de la grâce qui la grâce s’obtient par la force de la prière et la générosité du sacrifice, oratione et jejunio (la prière et la pénitence), la loi immuable.
Il ne s’agit pas de négliger les talents que Dieu nous a donnés que nous devons, au contraire, mettre en valeur ; pendant toute sa vie, le saint Curé d’Ars a fourni bien des efforts pour acquérir la science religieuse que requiert le ministère sacerdotal. Mais le prestige humain et toutes les activités déployées ne sont rien s’ils ne sont pas vivifiés par l’amour de Dieu, selon ce que nous enseigne l’apôtre Paul dans la première lettre aux Corinthiens : J’aurais beau parler toutes les langues de la terre et du ciel, si je n’ai pas la charité, s’il me manque l’amour, je ne suis qu’un cuivre qui résonne, une cymbale retentissante. J’aurais beau être prophète, avoir toute la science des mystères et toute la connaissance de Dieu, et toute la foi jusqu’à transporter les montagnes, s’il me manque l’amour, je ne suis rien. J’aurais beau distribuer toute ma fortune aux affamés, j’aurais beau me faire brûler vif, s’il me manque l’amour, cela ne me sert à rien (I Corinthiens XIII 1-3) . Que seraient les grands saints évoqués tout à l’heure, s’ils n’avaient eu, avec leur génie et leur action, cet amour de Dieu et cette sainteté ? Des noms dans l’histoire de la pensée, mais non pas ces convertisseurs d’âmes qu’ils restent encore. Évidemment à même vertu héroïque, à même sainteté, à même pauvreté, à même mortification n’est pas nécessairement promis un tel rayonnement et c’est une preuve de l’intervention manifeste de Dieu que nous soyons des serviteurs inutiles. Il n’en reste pas moins que le levain qui soulève les masses est d’abord la vie intérieure et vertueuse.
Abbé C-P Chanut
Prière du Curé d’Ars
Je vous aime, ô mon Dieu,
et mon seul désir est de vous aimer jusqu’au dernier soupir de ma vie.
Je vous aime, ô mon Dieu infiniment aimable,
et j’aime mieux mourir en vous aimant que de vivre un seul instant sans vous aimer.
Je vous aime, ô mon Dieu,
et je ne désire le ciel que pour avoir le bonheur de vous aimer parfaitement.
Je vous aime, ô mon Dieu,
et je n’appréhende l’enfer que parce qu’on y aura jamais la douce consolation de vous aimer.
O mon Dieu, si ma langue ne peut dire à tout moment que je vous aime,
du moins je veux que mon coeur vous le répète autant de fois que je respire.
Ah ! Faites-moi la grâce de souffrir en vous aimant,
de vous aimer en souffrant
et d’expirer un jour en vous aimant
et en sentant que je vous aime.
Et plus j’approche de ma fin,
plus je vous conjure d’accroître mon amour et de le perfectionner.
Amen.
Dimanche 5 août: commentaires de Marie Noëlle Thabut sur la premiere lecture – Livre de l’Exode 16, 2-4. 12-15
3 août, 2012http://www.eglise.catholique.fr/accueil.html#
Dimanche 5 août: commentaires de Marie Noëlle Thabut
REMIERE LECTURE – Livre de l’Exode 16, 2-4. 12-15
Dans le désert, toute la communauté des fils d’Israël
récriminait contre Moïse et son frère Aaron.
3 Les fils d’Israël leur dirent :
« Ah ! Il aurait mieux valu mourir
de la main du SEIGNEUR, au pays d’Egypte,
quand nous étions assis près des marmites de viande,
quand nous mangions du pain à satiété !
Vous nous avez fait sortir dans ce désert
pour faire mourir de faim tout ce peuple assemblé ! »
4 Le SEIGNEUR dit à Moïse :
« Voici que, du ciel, je vais faire pleuvoir du pain.
Le peuple sortira
pour recueillir chaque jour sa ration quotidienne,
et ainsi je vais le mettre à l’épreuve :
je verrai s’il obéit, ou non, à ma loi.
12 J’ai entendu les récriminations des fils d’Israël.
Tu leur diras :
Après le coucher du soleil, vous mangerez de la viande
et, le lendemain matin, vous aurez du pain à satiété.
Vous reconnaîtrez alors
que moi, le SEIGNEUR, je suis votre Dieu. »
13 Le soir même, surgit un vol de cailles qui recouvrirent le camp ;
et, le lendemain matin,
il y avait une couche de rosée autour du camp.
14 Lorsque la couche de rosée s’évapora,
il y avait, à la surface du désert, une fine croûte,
quelque chose de fin comme du givre, sur le sol.
15 Quand ils virent cela,
les fils d’Israël se dirent l’un à l’autre :
« Mann hou ? » ce qui veut dire : « Qu’est-ce que c’est ? »
car ils ne savaient pas ce que c’était.
Moïse leur dit :
« C’est le pain que le SEIGNEUR vous donne à manger. »
Tout compte fait, même s’ils étaient esclaves en Egypte, les Hébreux n’étaient pas si mal nourris, probablement ! Un contremaître avisé prend un minimum de soin de sa main-d’oeuvre. Dans le désert, c’est autre chose… On est libres, oui, peut-être, c’est Moïse qui le dit. Mais, en attendant, dans le désert, on meurt de faim. Si on avait voulu faire crever ce peuple de faim, on ne s’y serait pas pris autrement… Et, après tout, c’était peut-être cela le but de la manoeuvre… On devine bien ce genre de conversations qui revenait tous les soirs dans chaque tente. Pour faire du mauvais esprit, on en faisait ; c’est ce que notre texte appelle les « récriminations » (d’autres traduisent les « murmures ») du peuple. Les plus courageux sont carrément allés le dire aux chefs : « Vous nous avez fait sortir dans ce désert pour faire mourir de faim tout ce peuple assemblé ! » Ce qui est évidemment un grave procès d’intention : on ne se contente plus de poser la question « pourquoi as-tu pris le risque de nous amener en plein désert ? », ou de faire un reproche sur la mauvaise organisation « tu t’es si mal débrouillé que nous allons tous mourir ici » ; on va jusqu’à soupçonner les intentions du chef : « au fond, ce que tu voulais, c’était notre mort.
Et à travers Moïse, c’est Dieu lui-même qui est visé : dans les versets manquants (les versets 5-11 et 16-36 ont été coupés dans la lecture liturgique), Moïse le dit clairement : « Ce n’est pas contre nous que vous murmurez, mais bien contre le SEIGNEUR. » (v. 8) ; ce qui prouve au passage que Moïse a toujours été clair sur ce point ; toutes ses entreprises sont guidées par Dieu : l’oeuvre de la « sortie » d’Egypte, de la libération est bien l’oeuvre de Dieu. Et d’ailleurs, le texte est rédigé de manière à ce que l’on comprenne bien que c’est Dieu qui agit sans cesse : il a entendu les murmures du peuple, il envoie la nourriture, (le pain puis la viande), il met le peuple à l’épreuve. Reprenons ces trois points : les murmures, le don de la nourriture, la mise à l’épreuve.
Les murmures, nous l’avons vu plus haut, sont le contraire de la foi, de la confiance : ils sont le soupçon né de l’angoisse ; dans le cas présent, après un long séjour dans la région très fertile du delta du Nil, les fugitifs doivent affronter l’insécurité et la pauvreté du désert ; on ne s’en est pas aperçus tout de suite : après la sortie d’Egypte (Ex 14), ce fut d’abord l’enthousiasme ; le chapitre 15 de l’Exode rapporte le chant de victoire et d’action de grâce qu’on entonna de l’autre côté de la mer : « Ma force et mon chant, c’est le SEIGNEUR. Il a été pour moi le salut. » (Ex 15, 2). Mais dès la première déception au bord d’un point d’eau qui se révéla saumâtre, le ton changea et les premiers murmures se firent entendre ; ceci dès la fin du même chapitre 15 ! La juxtaposition des deux textes est éloquente : elle dit les oscillations de nos coeurs, de l’action de grâce au soupçon ; Dieu aurait-il changé parce que les circonstances extérieures ont changé ?
En réponse à ces murmures, Dieu qui n’a pas changé, décidément, envoie la nourriture, le pain et les cailles. Il semble bien que l’épisode des cailles ne se soit pas renouvelé ; en revanche plusieurs textes affirment que la manne est désormais tombée chaque matin ; Dieu avait promis « du ciel, je vais faire pleuvoir du pain », et, désormais, chaque nuit (sauf celle du shabbat), pendant quarante ans, « lorsque la rosée se déposait sur le camp pendant la nuit, la manne s’y déposait aussi. » (Nb 9). Et le livre de Josué précise que ce cadeau du ciel cessa au moment de l’entrée en Terre Promise : « La manne cessa le lendemain quand ils eurent mangé des produits du pays. Il n’y eut plus de manne pour les fils d’Israël qui mangèrent de la production du pays de Canaan cette année-là. » (Jos 5, 12).
Curieusement, en même temps qu’il promet la nourriture, Dieu parle de mise à l’épreuve : « Voici que, du ciel, je vais faire pleuvoir du pain. Le peuple sortira pour recueillir chaque jour sa ration quotidienne, et ainsi je vais le mettre à l’épreuve : je verrai s’il obéit, ou non, à ma loi. » La mise à l’épreuve est double ici, semble-t-il ; d’abord parce que tout don de Dieu est mise à l’épreuve de notre reconnaissance. Dieu est si discret, généralement, que nous oublions que tout est cadeau ; la question posée est celle-ci : « Saurez-vous surmonter la tentation du murmure, du soupçon, saurez-vous me faire confiance, reconnaître mes dons et ma présence ? » Or les murmures n’ont pas cessé pour autant ! Plus tard, il est même venu un moment où on a trouvé la manne bien monotone : « Nous nous rappelons le poisson que nous mangions pour rien en Egypte, les concombres, les pastèques, les poireaux, les oignons, l’ail ! Tandis que maintenant notre vie s’étiole ; plus rien de tout cela ! Nous ne voyons plus que la manne. » (Nb 11, 5-6).
Ensuite, deuxième épreuve, deuxième question « Saurez-vous m’obéir et respecter mes commandements, celui du shabbat et celui du partage ? » Car Dieu avait tout prévu : chacun pouvait ramasser chaque jour exactement la quantité qui lui était nécessaire ; ce qui veut dire qu’on apprenait à en laisser pour les autres ! Et il était impossible de faire des provisions ; des petits malins ont bien essayé, mais le surplus pourrissait tout de suite ; en revanche, le sixième jour (veille du shabbat), il en tombait double ration et chacun pouvait en garder pour le lendemain ; car, pour que chacun puisse respecter le repos du shabbat, la manne tombait seulement six jours sur sept. Là encore, la première fois, on eut des tentations : soit d’en prendre plus que le nécessaire, soit d’espérer en trouver le matin du shabbat : s’il en était tombé pendant la nuit du shabbat, ce serait trop bête de s’en priver. Mais on a vite compris : Dieu avait décidé d’éduquer son peuple. ———————————————————————————————————————————-
Complément : le livre de la Sagesse donne un très beau commentaire de l’épisode de la manne :
« Tu as distribué à ton peuple une nourriture d’anges, tu lui as procuré, du ciel, sans effort de sa part, un pain tout préparé, ayant la capacité de toute saveur et adapté à tous les goûts. La substance que tu donnais manifestait ta douceur pour tes enfants… Ce que le feu ne détruisait pas fondait simplement à la chaleur d’un simple rayon de soleil, pour qu’on sache qu’il faut devancer le soleil pour te rendre grâce et te rencontrer au lever du jour. » (Sg 16, 20… 28).
Homélie du 18e dimanche ordinaire B
3 août, 2012http://parolesdudimanche.blogs.lalibre.be/
Homélie du 18e dimanche ordinaire B
Ex 16, 2-4, 12-15 ; Ep 4, 17, 20-24 ; Jn 6, 24-35
Aujourd’hui et les trois dimanches suivants, la liturgie propose, en quatre parties, le discours de Jésus appelé discours du Pain de Vie, qui suit immédiatement le récit de la multiplication des pains. Non pas un reportage, mais une catéchèse biblique sur l’eucharistie, c’est-à-dire sur la Parole et sur le Pain.
Première partie : Les auditeurs de Jésus n’ont rien compris au signe du partage des poissons et du pain. A la foule qui le poursuit, Jésus adresse une mise au point. Il n’est pas un faiseur de miracles. Considérer Jésus comme tel, le prendre pour un généreux bienfaiteur, un leader social ou politique, c’est à coup sûr ne pas le comprendre, ne pas être vraiment un disciple.
Et malgré plus de 2000 ans de christianisme, nous sommes toujours plus ou moins dans le cas de la foule qui préfère un repas gratuit plutôt qu’un enseignement de vie, quelque chose plutôt que quelqu’un. Nous parlons « avoir », « posséder », « recevoir », « manger », « réaliser ». Et voici que Jésus avertit : Ne travaillez pas pour la nourriture qui se perd, mais pour la nourriture qui se garde jusque dans la vie éternelle, celle que vous donnera le Fils de l’Homme.
Un premier avertissement qu’il nous faut méditer : quelles sont nos priorités ?, quelle est notre échelle des valeurs ?, quelles sont pour nous les choses essentielles ?, que faire concrètement ?, quel travail accomplir, quel service rendre, pour obtenir cette nourriture impérissable ?
Les auditeurs veulent des preuves bien tangibles, irréfutables, des certitudes apaisantes, des faits merveilleux, des assurances contre le doute. Un miracle ou des apparitions viendraient bien à point. Pour appuyer leurs revendications, ils citent l’Ecriture, l’épisode de la manne dans le désert : N’est-ce pas cela le pain venu du ciel ?
Mais Jésus veut les entraîner sur un tout autre plan : celui de l’attachement total, inconditionnel : croire en quelqu’un, croire en lui. C’est lui qui est la véritable nourriture pour la véritable vie. Et Jésus n’a d’autre preuve à donner que lui-même. Il est Parole de Dieu : « Ma nourriture, c’est de faire la volonté de mon Père ». Il s’agit bien de cette nourriture-là.
Moïse avait déjà le sens de cette nourriture, dont la manne n’était qu’un symbole. Il disait à ses contemporains : « Dieu vous a donné à manger la manne, il voulait vous apprendre ainsi que l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche du Seigneur » (Dt 8,3).
Je suis cette Parole, je suis cette Nourriture, dira Jésus.. Et il ajoute, dans l’évangile de Jean : « Mais à vous je l’ai dit : Vous me voyez et cependant vous ne croyez pas. »
Même en nous réclamant de Jésus Christ, nous avons peine à comprendre les signes qu’il nous donne. Il nous arrive aussi, consciemment ou non, de réclamer des miracles et de solliciter des preuves : Pourquoi ne guérit-il pas les malades ? Pourquoi ne fait-il pas pleuvoir du pain sur les régions affamées ?
Mais nous nous trompons de terrain. Ce qu’il nous donne, c’est la Parole de Dieu qui fait vivre, qui peut opérer en nous une transformation. Le pain qui apaise la faim et la soif est d’abord parole reçue dans la foi et parole vécue dans l’amour.
Comme l’écrit Paul : Cette nourriture spirituelle nous permet de nous défaire de notre conduite d’autrefois, de l’homme ancien qui est en nous, corrompu par ses désirs trompeurs. C’est cette parole nourriture qui nous fait adopter le comportement de l’homme nouveau, qui se laisse guider intérieurement par l’Esprit.
Et c’est à cause de cet Esprit que nous sommes capables de nous soucier de nos frères et sœurs en humanité, de partager nous aussi nos pains et nos poissons et faire en sorte que des miracles s’accomplissent.
Quand Jésus nous affirme « Moi je suis le Pain de Vie, celui qui vient à moi n’aura plus jamais faim, celui qui croit en moi n’aura plus jamais soif », nous croyons peut-être avoir compris : La manne céleste c’est aujourd’hui le pain consacré, le pain du ciel qui donne la vie. C’est un peu court. Et nous risquons même de tomber dans l’erreur des foules qui suivaient Jésus sans bien saisir le sens des signes. Il faut du temps, beaucoup de purifications et de conversions pour bien comprendre ce qu’est le Pain de vie et s’en nourrir. Elle est longue la route de la foi. Il n’est ni facile, ni tranquille, le chemin qui conduit à ce « Pain de la Vie » et qui permet de croire en Lui.
« Ce que le Christ nous donne est une qualité, une valeur ineffable et impalpable, une tendre lumière qui adoucit et rend lumineux cet univers de boue et de sang, de détritus et de cendres. Sans nous aveugler un seul instant sur la boue, le sang et les cendres, il opère une étrange transmutation de toutes choses. Elles restent les mêmes et pourtant elles sont tout à coup « sauvées », « rédimées », « rachetées »… Il ne me donne rien sauf sa personne, sa vie, son agonie sur la croix, ce livre imprimé et ce tombeau vide au petit matin de printemps. Il ne me donne rien sauf le salut qui est tout » (Petru Dumitriu, dans « Comment ne pas L’aimer ? », Cerf, p 9).
P. Fabien Deleclos, franciscain (T)
1925 – 2008