Discerner la présence de Dieu – Libres propos tirés des sermons d’Augustin
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Discerner la présence de Dieu
Libres propos tirés des sermons d’Augustin
On pense que certains sont du froment et ils sont de l’ivraie ;
On pense que certains sont de l’ivraie, alors qu’ils sont du froment.
C’est à cause de ces choses cachées que l’Apôtre dit :
«Ne jugez de rien avant le temps, (1 Co 4,5) »
(Sermon Caillau II, 5, 3)
Sous ce titre un peu énigmatique se cache une intuition simple : la prédication d’Augustin nous donne aussi une manière de choisir, de distinguer nos façons de vivre et d’aimer.
En effet, dans ses sermons, l’évêque d’Hippone propose des orientations concrètes. Il doit non seulement expliquer la Parole de Dieu mais aussi montrer comment elle permet de discerner des situations, de s’orienter dans la vie. Dans sa prédication, Augustin semble toujours tenir compte des personnes, des institutions, de la communauté chrétienne. Chez lui, pas de « traité » ou de « méthode » mais bien une priorité de fait à un discernement en situation.
Quelques exemples : que faire, face à la déchirure donatiste qui brise l’unité ? Comment se situer dans la controverse avec Pélage ? Quelle est la responsabilité réelle des chrétiens dans la chute de Rome ? Autant de questions concrètes sur lesquelles la parole d’Augustin est attendue. Les réponses de l’évêque d’Hippone constituent aujourd’hui un champ privilégié d’étude d’une façon « augustinienne » de délibérer au plan spirituel.
Ces « libres propos » n’ont donc pas d’autre ambition que de constituer une « entrée en discernement » à partir des Sermons. Libre à chacun de dire s’il y reconnaît quelque chose de ses propres manières de s’arrêter, de considérer et de préférer.
S’arrêter
S’arrêter pour regarder ce que nous vivons est la première et la plus fondamentale décision de tout processus de discernement. Certes, nous devons rester « dans la course ». Et nous avons tendance à courir sans cesse. Mais après quoi, après qui courons-nous ? Notre course est-elle bien une « course au bonheur », une « course à vie » ? Sommes-nous en train de bâtir la cité de Dieu ou construisons-nous sur des biens périssables ?
Consentir à ce temps de pause peut être onéreux. La mise en perspective de ce que nous vivons n’est pas chose aisée. Et le monde, comme au temps d’Augustin, ne provoque pas franchement l’optimisme :
« Le monde est actuellement comme un pressoir ; il est écrasé sous l’épreuve (…). Il y a quelquefois des épreuves dans le monde, par exemple la famine, la guerre, la disette, la vie chère, la mortalité, la pauvreté, les rapines, l’avarice. Les pauvres sont pressurés, les cités sont dans la peine » (S. Denis, 24).
C’est pourtant bien dans ce monde que nous avons à chercher les traces de la présence de Dieu. Notre cité des hommes est bien marquée par la violence, le chômage, la maladie, les sectes. Mais la cité de Dieu s’y construit déjà. S’arrêter pour regarder les germes de solidarité, de fraternité, c’est dépasser le fatalisme, l’inaction, la paralysie, la peur.
Considérer
Il n’y a pas d’autre discernement chez Augustin que celui de l’Evangile. Celui-ci invite à ne pas vouloir trop vite séparer le bon grain de l’ivraie :
« Vous voyez l’ivraie au milieu du bon grain, vous voyez les mauvais chrétiens au milieu des bons et vous voulez les arracher ? » (S. 73,1).
Considérer les personnes et les événements avec justesse, telle semble être la recommandation d’Augustin. Comme les chrétiens auxquels il s’adresse, nous avons à faire la part de ce qui relève de l’objectivité des situations et ce qui peut être attribué à nos perceptions, nos humeurs… pas toujours très réfléchies. La vigilance est de rigueur parce que nos réactions premières sont peu amènes :
« Mais parfois, selon le jugement humain, on pense que certains sont du froment et ils sont de l’ivraie ; et on pense que certains sont de l’ivraie, alors qu’ils sont du froment. C’est à cause de ces choses cachées que l’Apôtre dit : « Ne jugez de rien avant le temps, jusqu’à ce que vienne le Seigneur qui illuminera les secrets des ténèbres et qui révèlera les pensées du cœur (I Co 4,5) » (Sermon Caillau II, 5, 3).
Un peu de bienveillance est donc nécessaire. Mettre en place les différents éléments de la situation. Mettre en perspective par rapport à eux est indispensable pour pouvoir envisager la parole, le conseil, la réponse à apporter. L’Evangile intervient ici pour nous rappeler un minimum de prudence, à défaut de miséricorde.
« Les bons grains peuvent dégénérer en paille, de même que la paille peut être trasformée en grain » (S 223, 2)
Il ne nous est pas donné de tout prévoir. Les choses sont parfois ambiguës. Le rapport à Dieu ou aux autres paraît parfois faussé chez certains. Mais ce n’est pas une raison pour passer son temps à se lamenter, à critiquer. Augustin le fait remarquer aux chrétiens d’Hippone :
« Les temps sont mauvais. Nos ancêtres eux-mêmes se sont lamentés sur leur époque et leurs aïeux ont fait de même et chez les hommes personne ne s’est jamais complu dans le temps où il vivait » (S. 25, 3).
Le seul moyen de ne pas sombrer dans la désespérance, c’est de préférer le tête-à-tête avec le « Maître intérieur ».
Préférer
Choisir ce tête-à-tête avec le « Maître intérieur » n’est pas facile. Nous sommes parfois si « embarqués » dans le tourbillon des activités, des fausses questions et des difficultés que nous ne sommes même plus capables d’être dans ce lieu nourricier que nous devrions préférer. Aujourd’hui par exemple, l’environnement est assez hostile aux jeunes. Les chrétiens d’Hippone étaient en butte aux mêmes railleries. Augustin leur demande de tenir bon :
« Faites, chrétiens, ce qu’ordonne le Christ et laissez les païens blasphémer. Ils sauront ce qu’il en coûte » (S 81, 9)
Préférer le Christ, c’est apprendre à le contempler, à le suivre, malgré nos limites, nos fragilités. Ce chemin, droit et profond, peut faire peur. Augustin ne cache pas à son auditoire les risques de l’aventure personnelle et collective :
« Veux-tu que je te dise par quel chemin le suivre ? C’est par les tribulations, les opprobes, les fausses accusations, les crachats au visage, la couronne d’épines, la croix et la mort » (S. 345,6).
A première vue, ce programme n’a rien de réjouissant. Il ne faudrait pas oublier cependant que l’homme doit garder les yeux fixés au Ciel :
« La cité sainte, la cité fidèle, la cité en pèlerinage sur la terre a ses fondations dans le Ciel. Pourquoi t’effraies-tu quand les Royaumes de la terre périssent ? Dieu t’a promis un Royaume dans le Ciel afin que tu ne périsses pas avec ceux de la terre » (S 105, 9)
On peut trouver ces propos très insuffisants face à des « techniques » de discernement. Mais ne faut-il pas préférer une certaine souplesse, une liberté, un accueil des promesses de l’au-delà pour bien s’engager ici bas ? Augustin ne se maintient pas dans une indétermination face à des choix fondamentaux dans ce monde. Il exhorte les chrétiens à la charité :
« Soyez doux, compatissants pour ceux qui souffrent. Secourez les malades. Et en ce temps où l’on trouve tant d’exilés, d’indigents et de malheureux, que votre hospitalité soit généreuse » (S. 81, 9).
Voilà donc le « cœur » d’un discernement de style augustinien : s’engager avec amour au service de l’Evangile, personnellement et communautairement. Le passage à l’action, qui est le terme de la délibération, doit s’opérer dans la joie du service mutuel. Nous avons peut-être aujourd’hui à retrouver ce « goût des autres », cette grammaire élémentaire du don de soi.
C’est dans les actes concrets que notre confiance en Dieu s’exprime le mieux. Choisir une orientation, mettre en l’œuvre l’exercice de sa liberté, inventer sa vie… tout cela revient en définitive à tenter d’approcher Dieu :
« Vois le Seigneur ton Dieu, vois celui qui est et la tête et le modèle de ta vie » (S. 296, 6).
Jean-François PETIT
Augustin de l’Assomption
Paris
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