Archive pour juillet, 2012

Jour 6 Les animaux avec l’homme et la femme

4 juillet, 2012

Jour 6 Les animaux avec l'homme et la femme dans images sacrée 21%20CHMAKOFF%20COUPLE%20BLEU%20SUR%20OCRE%20JAUNE

http://www.artbible.net/1T/Gen0126_Animals_Manwoman/pages/21%20CHMAKOFF%20COUPLE%20BLEU%20SUR%20OCRE%20JAUNE.htm

(Imago dei) L’ineffabilité de l’humain : une possible voie d’accès au divin ? (Roberto Adorno)

4 juillet, 2012

http://philo.pourtous.free.fr/Articles/R.Andorno/imagodei.htm

(apprécié un peu de philosophie?)

L’ineffabilité de l’humain : une possible voie d’accès au divin ?

Quelques réflexions sur la notion d’imago Dei

(Roberto ANDORNO, Centre Interdépartemental d’Ethique des Sciences (IZEW), Université de Tübingen, Allemagne)

Introduction

Nous savons bien – et cela n’est pas une simple hypothèse métaphysique – que nous sommes des êtres contingents, que chacun de nous aurait pu ne pas exister car, absolument parlant, rien ne l’exigeait. Nous savons aussi que nous sommes des êtres mortels, que notre vie présente aura certainement une fin, et cela, dans un délai extrêmement court, du moins si on le compare à la durée de l’univers. En dépit de la fragilité de notre être, notre conscience et la plupart des traditions morales et religieuses nous commandent de respecter notre prochain de manière inconditionnelle. Il existe des conduites absolument inacceptables à l’égard de tout individu, quel que soit son âge, son état de santé physique ou mentale, son sexe, sa religion, sa condition sociale ou son origine ethnique. Toutes les déclarations et conventions sur les droits de l’homme en témoignent. Sans ce respect inconditionnel de l’être humain, la vie sociale deviendrait vite insupportable. Or, comment ne pas s’étonner devant ce contraste ? Ne nous demandons-nous pas d’où vient ce respect absolu que chaque personne, tout en étant elle-même un être relatif, impose ? L’expérience de notre attitude de respect à l’égard des personnes ne pourrait-elle pas contribuer à montrer l’existence d’un lien particulier entre chaque être humain et la Divinité ? Plus encore – et cette hypothèse est peut-être encore plus audacieuse –, cette voie empirique ne nous permettrait-elle pas de connaître qu’il y a un Dieu ?
Le but de cet article est de réfléchir sur une notion fondatrice des sociétés occidentales, comme celle de l’homme en tant qu’image de Dieu (imago Dei), afin de mieux cerner l’ineffabilité de chaque être humain, et de suggérer la possibilité de remonter à partir de là jusqu’à la source ultime d’une telle ineffabilité. Le thème de l’homme comme « image de Dieu » est à la charnière entre l’anthropologie philosophique et la théologie, car la réflexion sur la part de divinité qu’il y a chez l’homme – ou que l’on peut supposer chez lui – est en dernière instance une réflexion sur Dieu. En effet, si l’âme humaine est ce qui, sur terre, reflète Dieu de la manière la plus parfaite, ainsi que le soutiennent la tradition judéo-chrétienne et la philosophie platonicienne, il n’est peut-être pas exagéré de soutenir que la meilleure voie d’accès à la connaissance de Dieu, c’est la connaissance de l’âme humaine[1]. Autrement dit, si l’auteur de tout ce qui est échappe aux prises de nos sens, et si son existence et ses qualités ne se présentent que de manière indirecte et imparfaite à notre intelligence, il paraît raisonnable, en vue de mieux connaître cette réalité sublime, de faire un effort pour déceler la part de divinité qu’on attribue classiquement à l’âme humaine.

I. Homme et infini
Il est d’expérience courante que nous reconnaissons dans nos semblables une valeur intrinsèque et absolue, qui ne dépend pas des qualités physiques, intellectuelles ou morales qu’ils possèdent. Ce respect de ce que l’on appelle la dignité humaine s’appuie sur la conviction que « quelque chose est dû à l’homme du seul fait qu’il est humain »[2]. L’acceptation universelle de la valeur inhérente à l’être humain a été qualifiée d’« attitude standard » dans nos sociétés modernes[3]. En fait, nous sommes habitués à voir chaque personne, non pas comme le simple individu d’une espèce, qui pourrait être remplacé par un autre individu de la même espèce possédant des qualités analogues, mais comme un être insubstituable, unique, ineffable. Affirmer qu’un être est insubstituable veut dire qu’il existe comme s’il était le seul au monde[4]. Celui qui oserait dire à quelqu’un qui vient de perdre un être cher, pour le consoler : « après tout, il existe beaucoup d’autres personnes avec les mêmes qualités », serait jugé, avec raison, comme cruel et dépourvu d’humanité. Pourquoi ? Parce qu’il chosifierait la personne venant de décéder, comme si elle était parfaitement remplaçable par une autre, alors que nous étions convaincus qu’elle était unique au monde. Bien évidemment, il ne s’agit pas du tout ici du caractère unique de son apparence physique, de ses qualités intellectuelles ou morales, ou, moins encore, de son information génétique. Car il serait bien possible de trouver d’autres individus avec des qualités plus ou moins semblables. Il serait même possible, bien qu’extrêmement rare, de trouver un autre individu avec la même information génétique (c’est le cas des jumeaux monozygotes et peut-être dans l’avenir, le cas des clones). Mais il est clair que l’unicité de chaque être humain dont il est question ici n’a rien à voir avec ces éléments accidentels, car elle est de nature existentielle ; elle est littéralement ineffable, c’est-à-dire qu’elle échappe à nos prises conceptuelles. C’est pourquoi, strictement parlant, la personne humaine ne peut pas être définie, car on ne peut définir que ce qui tombe dans un genre. Mais la personne, ou mieux, chaque personne, ne rentre dans aucun genre, puisqu’elle est unique au sens le plus fort du terme[5]. Comme l’a souligné Mounier, la personne ne se résume pas à une combinaison définissable de traits. Si elle était une somme, elle serait inventoriable. Or, elle est le lieu du non-inventoriable[6].
Cette même intuition de l’ineffabilité de chaque personne a été exprimée de manière très originale par Lévinas avec sa célèbre phénoménologie du visage. C’est le visage ce qui révèle le mieux l’infini propre à chaque personne. C’est justement le visage de l’autre qui met en question ma tendance à vouloir dominer le monde, car il résiste à toute domination. L’autre c’est le tout autre, il est irréductible à moi, à mes pensées, à mes possessions[7]. Je ne peux le comprendre comme « vraiment autre » si je le conçois seulement comme partie d’une totalité autre que lui-même. Lévinas va encore plus loin lorsqu’il affirme que « dans l’accès au visage il y a certainement aussi un accès à l’idée de Dieu »[8].
Il convient de remarquer que nous ne sommes pas ici dans le cadre cartésien selon lequel l’idée d’infini que chacun de nous trouve en soi nous permet de parvenir à Dieu, étant donné que seulement un Être infini pourrait être capable d’ « introduire » en nous une telle idée. Notre approche est tout autre, car nous ne partons pas de l’idée d’infini que chacun de nous trouve en soi-même, mais plutôt de la valeur infinie que chacun de nous reconnaît et en soi-même et dans l’autre. Le point de départ de notre démarche n’est donc pas un infini ontologique, mais plutôt un infini éthique. Certes, il est bien possible que cette reconnaissance d’une valeur infinie dans l’autre dérive du fait que chacun de nous reconnaît en lui-même une valeur absolue. Mais ce n’est pas une idée purement théorique, froide et distante, comme celle de l’infini cartésien. C’est une réalité remplie de valeur ou plutôt, une dignité.
Chez Kant il est possible de trouver une idée plus proche de celle que nous suggérons, car selon le philosophe de Königsberg, l’expérience du sublime peut nous donner une image de la sublimité de Dieu[9]. Certes, pour Kant l’existence de Dieu échappe au pouvoir de notre raison spéculative[10] et ne constitue qu’un postulat de la raison pratique[11]. Cependant, dans son analyse de l’idée du sublime (das Erhabene), il établit un parallèle entre le sublime chez l’homme et sa destination dans l’au-delà. Le sublime est ce qui échappe à toute mesure, ce qui est au-delà de toute comparaison, ce qui est purement et simplement grand[12], ce en comparaison de quoi tout le reste est petit[13]. Par la voie négative, on pourrait dire que rien de ce qui est objet des sens ne peut être qualifié de sublime[14]. L’expérience du sublime que nous avons, par exemple, devant certains phénomènes de la nature, montre en fait notre supériorité sur la nature elle-même et révèle notre pouvoir de penser l’infini comme un tout[15]. A proprement parler, ce n’est pas tellement l’objet qui est sublime, mais notre capacité de le penser[16]. C’est pourquoi, au fond, le sentiment du sublime consiste en un respect pour notre propre destination ou pour le dire autrement, en un respect pour l’idée d’humanité[17]. Selon Kant, le sublime se trouve d’une manière particulière dans la religion. L’homme éveille en lui la conscience de la sublimité de Dieu spécialement lorsqu’il vit en accord avec la volonté divine[18]. Enfin, « c’est seulement en présupposant cette idée [du sublime] en nous et par rapport à elle que nous sommes en mesure de parvenir à l’idée du caractère sublime de cet être [Dieu] qui suscite en nous un profond respect »[19].
Dans un ordre d’idées voisin, on peut dire que c’est à travers l’évidence de notre propre dignité que nous pouvons accéder à la dignité transcendante de Dieu. Cette approche permet de voir Dieu non pas comme une sorte de Chose infinie et extérieure, mais plutôt comme un Sujet qui contient en soi toute la richesse de la subjectivité et de la personnalité[20]. Beaucoup de malentendus à propos de Dieu proviennent probablement du fait de le voir comme une Abstraction suprême, comme une sorte d’Objet universel et lointain, et non pas comme un Sujet infiniment riche de virtualités et d’amour. Dieu est souvent vu comme quelque chose qui vient, comme du dehors, limiter notre liberté. Peut-être, si nous avions la conviction de sa présence au centre de notre être, notre attitude à son égard serait complètement différente. Notre idée de Dieu pourrait changer du tout à tout si nous ne le considérions pas seulement comme l’Absolu de l’être objectif, mais comme l’Absolu de la subjectivité et de l’intériorité[21]. Et à cette fin, il semble bien qu’il n’y ait d’autre chemin que de partir de notre propre subjectivité, car c’est la seule que nous avons « à la portée de la main »[22]. Cela signifie que nous ne pouvons saisir Dieu comme « Sujet » si nous n’avons pas préalablement saisi ce que signifie pour nous-mêmes être des « sujets » ; que nous ne pouvons nous approcher de la dignité infinie de Dieu si nous avons une idée trop vague de notre propre dignité. En d’autres termes, on ne peut pas comprendre ce qu’est Dieu si l’on n’a pas auparavant compris ce qu’est l’homme. De même, on ne parvient pas à pleinement comprendre la dignité humaine si l’on n’a pas auparavant saisi Dieu comme l’Être digne par excellence. Mais, n’y a-t-il pas ici un cercle vicieux ? Ne manquons-nous pas d’un point de départ ? Non, car nous pouvons initialement appréhender d’une manière intuitive et encore précaire notre propre dignité pour remonter après jusqu’à Dieu, et enrichir ensuite notre propre vision de nous-mêmes. Il s’agit donc plutôt d’un d’aller et retour continuel : une fois approché de la dignité de Dieu, nous pouvons encore « redescendre » pour mieux comprendre notre propre dignité. Dés lors, il semble extrêmement utile d’examiner de plus près la notion d’imago Dei, car elle a donné lieu au cours des siècles à des réflexions très riches sur la valeur inhérente de l’être humain.

II. Homme-image de Dieu
Le thème de l’homme en tant qu’image de Dieu est au coeur de la tradition judéo-chrétienne. Le texte fondamental est certainement le récit de la création de l’homme et de la femme, Gen. 1, 26-27 : « Elohim dit : Faisons l’homme à notre image, comme notre ressemblance, et qu’ils dominent sur les poissons… Elohim créa l’homme à son image, à l’image d’Elohim il le créa, mâle et femelle il les créa ». La même notion apparaît aussi à plusieurs reprises dans le Nouveau Testament, notamment dans les Epîtres de saint Paul, où elle enrichie sa signification : l’image parfaite de Dieu, c’est le Christ ; l’homme est appelé à devenir une image du Christ[23].
Au cours des premiers siècles du christianisme, le thème de l’homme imago Dei fut au centre des réflexions et de la prédication, tant dans la tradition latine que dans la tradition grecque. Il apparaît notamment, en Occident, chez Tertullien, saint Hilaire de Poitiers, saint Ambroise et saint Augustin ; en Orient, il a été surtout développé par saint Clément d’Alexandrie, saint Cyrille d’Alexandrie, saint Grégoire de Nysse et Origène, entre autres[24]. Nous allons nous centrer ici sur l’analyse du thème par saint Thomas d’Aquin, qui reprend en bonne partie les réflexions de ses prédécesseurs, notamment de saint Augustin. La thèse de saint Thomas, exposée notamment dans la question 93 de la prima pars de la Somme théologique, peut se résumer dans les cinq points suivants[25] :
1. La distinction entre « image » et « ressemblance »
Les notions d’ « image » et de « ressemblance », qui apparaissent dans le texte biblique ne sont pas identiques, selon saint Thomas. Il ne s’agit pas d’une répétition inutile, mais elle a un sens, comme d’ailleurs tout dans le texte sacré. En rappelant des mots de saint Augustin, saint Thomas établit une distinction entre les deux termes : « là où il y a image il y a à coup sûr ressemblance, mais là où il y a ressemblance, il n’y a pas à coup sûr image ». L’image est donc incluse dans la notion de ressemblance ; celle-ci est le genre, celle-là l’espèce.
Une chose est « à l’image » d’une autre lorsqu’elle tire son origine de l’autre. L’image ajoute donc quelque chose à la ressemblance. En effet, deux choses peuvent se ressembler sans être l’une l’image de l’autre, car être « image » veut dire « être issu d’un autre ». Ainsi, poursuit saint Thomas, de deux oeufs parfaitement semblables il n’est pas dit que l’un est l’image de l’autre. Au contraire, on peut dire que le fils est l’image du père, car la ressemblance qu’il a avec lui, c’est de lui qu’il la tient[26].
Mais il y a encore plus. Ce n’est pas n’importe quelle ressemblance, même dérivée d’un autre, qui suffit pour vérifier la notion d’image. Une similitude purement générique entre deux êtres, même si l’un provient de l’autre, n’implique pas forcément que l’un soit l’image de l’autre. Ainsi, le parasite qui vit à l’intérieur du corps humain, même s’il a en commun avec l’homme la condition animale, ne peut être qualifié d’image de l’homme[27]. Une similitude purement générique ne donne pas lieu à l’image. Il faut qu’elle soit spécifique, à la façon dont l’image du père est dans son fils, ou du moins, à la façon dont l’image de l’homme est dite se trouver dans le cuivre, par exemple, d’une monnaie ou d’une statue. Dès lors, l’idée d’image implique que quelque chose est faite en prenant une autre comme modèle. Cela suppose, pour qu’on puisse parler d’imago Dei chez une créature, que la différence avec le modèle (Dieu) doit porter sur la différence ultime ou du moins sur un accident propre à l’espèce. Saint Thomas conclut par là qu’il n’y a que les êtres doués de raison qui peuvent être appelés « image de Dieu », car il n’y a que chez eux où se vérifie une similitude avec Dieu qui porte sur la différence ultime. En effet, bien que, dans un sens générique, toute créature soit image de la représentation exemplaire qu’elle possède dans l’esprit divin, toute créature ne peut pas être qualifiée, à proprement parler, d’image de Dieu. Pour cela, il faut une certaine ressemblance de nature[28]. Il n’en reste pas moins qu’il s’agit toujours d’une image imparfaite[29], car image ne veut pas dire égalité avec le modèle, mais seulement une certaine ressemblance. En effet, il existe une distance infinie entre Dieu et toute créature, même celles douées d’une nature rationnelle. Pour saint Thomas, l’idée de l’imperfection de l’image est bien mise en évidence par le langage qu’emploie le texte sacré (à l’image, « ad imaginem »). La préposition « à » (« ad ») traduit une certaine approximation, et marque que l’image reste toujours à une certaine distance du modèle.
2. L’image de Dieu se trouve dans la nature spirituelle de l’homme
En suivant ici les vues de saint Augustin, qui à son tour s’inspirait sur ce point de saint Ambroise, Thomas d’Aquin situe l’image de Dieu au niveau de l’âme spirituelle. Selon saint Ambroise, en effet, l’âme seule est faite à l’image de Dieu ; dire que la chair est à l’image de Dieu obligerait à penser que Dieu est corporel. Saint Augustin reprend la même affirmation, en ajoutant que l’image se trouve dans ce qu’il y a de plus élevé dans l’âme : mens ou intellectus qui est « ce qui excelle en elle », « comme son visage, son oeil intérieur et intelligible ». Ainsi, saint Augustin prétend échapper aux reproches manichéens qui attribuaient aux chrétiens, sous prétexte d’une réciprocité de similitude, la croyance en un Dieu corporel[30]. Le corps n’est donc pas le lieu de l’image ; cependant, « fait pour le service d’une âme rationnelle », il participe indirectement à la qualité d’image parce qu’il existe et vit, parce que, apte à contempler le ciel par sa stature droite, il approche de l’image plus que le corps animal[31].
Saint Thomas reprend l’idée de l’âme comme siège privilégié de l’image et pour cela s’appuie sur la distinction entre image et vestige. L’image représente une ressemblance spécifique, tandis que le vestige représente son origine à la façon d’un effet qui renvoie à sa cause mais sans atteindre à la ressemblance spécifique, « telles les empreintes qui sont laissées par les mouvements des animaux (…), telle la cendre qui est appelée vestige du feu, ou la désolation d’un pays, qui est appelé vestige de l’armée ennemie »[32]. Ainsi donc, dans la créature raisonnable, « c’est au niveau de l’esprit seulement que se vérifie l’image de Dieu, tandis que dans les autres parties [c’est-à-dire le corps] c’est une ressemblance par mode de vestige (per modum uestigii) que l’on trouve »[33]. Pourquoi ? Parce que la chose par laquelle l’être humain ressemble Dieu, c’est précisément l’intelligence ou esprit, puisque Dieu est esprit. En revanche, le corps humain est mis en parallèle avec le corps des animaux et le reste de la création matérielle, même si parmi les êtres corporels, le corps humain est celui qui s’approche le plus de l’image de Dieu, en raison de sa station droite, qui le fait regarder vers le ciel.
3. Image naturelle et image surnaturelle
Chez tout être humain, quel que soit ses qualités morales, son âge ou son sexe, on trouve également l’image de Dieu, car c’est en vertu de sa seule nature rationnelle qu’il est un reflet de la Divinité. Thomas d’Aquin établit cependant une distinction entre l’image de Dieu qui se trouve en tout homme par nature (imago creationis), de celle qui se réalise dans les hommes justes par la grâce, qui est comme une nouvelle création (imago recreationis) et il en ajoute encore une troisième, l’imago similitudinis, qui est le niveau le plus élevé, qui correspond aux bienheureux, c’est-à-dire à ceux qui participent déjà de la vision de Dieu dans l’au-delà.
Ces trois niveaux de l’image sont liés l’un à l’autre comme les trois moments d’un même itinéraire spirituel. Le premier correspond à l’aptitude naturelle à connaître et aimer Dieu, aptitude qui réside dans la nature même de l’âme spirituelle, laquelle est commune à tous les hommes ; le deuxième se vérifie en ce que l’homme connaît et aime actuellement Dieu, quoique de façon imparfaite ; le troisième consiste en que l’homme connaît et aime actuellement Dieu d’une manière parfaite[34].
Mais ce qu’il est surtout intéressant à mettre en relief ici, c’est que selon saint Thomas – et selon la pensée chrétienne en général – tout homme est image de Dieu par nature. Cette affirmation a des conséquences remarquables sur le plan pratique, notamment de l’éthique et du droit : la première, celle de l’égalité : tous les hommes, sans aucune distinction d’âge, de religion, de sexe, d’état de santé, possèdent la même valeur et méritent donc d’être également respectés ; la deuxième conséquence, c’est que la dignité ne se perd pas, ni par la propre conduite, ni par la décision des autorités publiques ; elle est « inhérente » à notre condition humaine, ainsi que l’affirme, par exemple, la Préface de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948.
4. Image statique et image dynamique
Saint Thomas conçoit de deux manières différentes la distinction entre « image » et « ressemblance ». La première, déjà signalée, qui fait référence à la notion commune de ressemblance, consiste à dire que celle-ci est le genre et que l’image est l’espèce. La deuxième manière consiste à considérer la ressemblance comme le perfectionnement de l’image[35]. La ressemblance serait l’image en mouvement. Dès lors, tandis que l’image originaire ferait référence à l’être de l’homme, la ressemblance (l’image dynamique) nous renverrait à son agir. Ontologie et éthique seraient donc les deux dimensions qui correspondraient respectivement aux notions d’image et de ressemblance. L’image, initialement statique, deviendrait une réalité dynamique, qui évolue vers la perfection lorsqu’on la considère du point de vue de la fin de l’homme, qui n’est autre que l’union avec Dieu. L’image est le point de départ ; la ressemblance, le point d’arrivée.
Cette perspective, très riche de conséquences, a été particulièrement développée dans la théologie grecque, qui a insisté sur le caractère dynamique de la ressemblance[36]. Chez les Grecs, en effet, l’image apparaît liée à l’origine divine de âme humaine tandis que la ressemblance renvoie à sa destinée, aussi divine ; l’image correspond à la nature, la ressemblance correspond à la grâce. Un texte d’Origène exprime cette idée (même si, peut-être, il ne souligne pas suffisamment l’importance de la grâce) : « Par ces mots : ‘Il le fit à l’image de Dieu’, en ne parlant pas de la ressemblance, il montre que l’homme a reçu dans sa première création la dignité de l’image, mais que la perfection de la ressemblance est réservée pour la fin : à savoir que lui-même doit l’acquérir par ses propres forces en imitant Dieu, afin qu’ayant reçu au début par la dignité de l’image une possibilité de perfection, il puisse la consommer à la fin en parfaite ressemblance par l’accomplissement des œuvres »[37].
Chez saint Augustin la notion dynamique de l’image prend une force toute particulière. Il distingue en effet deux moments de l’image dans la vie de l’âme : l’image virtuelle et l’image actuelle. Le premier moment correspond à la création originelle et consiste en une capacité de connaître et d’aimer Dieu ; on dit que l’image est encore virtuelle, car l’âme n’exerce pas encore sa capacité ; elle est encore centrée sur l’amour de soi (amor sui) et ne sait même pas qu’elle est image de Dieu. Le deuxième moment (renovatio) intervient quand l’âme passe de l’amour de soi à l’amour de Dieu (amor Dei). L’accès au second moment dépasse l’activité naturelle de l’homme ; elle est enveloppée par une grâce divine qui attire l’âme vers Dieu ; ce mouvement graduel exige une conversion spirituelle qui se produit dans la mesure où l’âme exerce le culte de Dieu et devient ainsi sage et heureuse participant à la lumière divine ; l’âme commence alors à entrer en possession de Dieu ; l’image de Dieu devient actuelle, ou plutôt actualisée chez elle ; la ressemblance devient alors de plus en plus discernable[38].
Chez saint Thomas cet aspect dynamique de l’image est aussi mis en relief, même s’il n’est pas développé avec la même extension que chez saint Augustin[39]. En ce sens, saint Thomas n’hésite pas à présenter l’image de Dieu comme étant la fin même de la création de l’homme[40]. Autrement dit, l’homme a été créé, non seulement en tant qu’image de Dieu (sens statique), mais en même temps pour devenir image de Dieu (sens dynamique). Enfin, selon Gardeil, la notion d’image de Dieu est implicitement au centre du grand mouvement de procession (exitus) et de retour (reditus) des créatures qui constitue le thème d’ensemble de la Somme théologique[41].
5. L’entendement humain atteint le plus haut niveau de l’image de Dieu lorsqu’il prend Dieu même pour objet
Dans le contexte de l’image de Dieu en tant que notion dynamique, on peut comprendre que cette image puisse présenter différents niveaux d’intensité, non seulement sur le plan de la volonté, c’est-à-dire de l’amour de Dieu, mais aussi sur le plan de l’intelligence. L’homme est plus image de Dieu lorsque ses facultés intellectuelles prennent Dieu pour objet. C’est la thèse de saint Thomas, directement inspirée des réflexions de saint Augustin[42].
Bien qu’en tout homme, en tant qu’être rationnel, on trouve configurée l’image de Dieu, l’intensité de cette image augmente lorsque les facultés typiquement humaines (intelligence et volonté) sont actuellement exercées. Elle augmente encore plus, pour atteindre leur plus haut niveau, lorsque l’objet des facultés est Dieu, que ce soit de manière directe, ou de manière indirecte, c’est-à-dire par l’intermédiaire d’une connaissance de soi[43]. En d’autres termes, l’âme est au plus haut degré image de Dieu lorsqu’elle connaît et aime Dieu directement, ou lorsque, se prenant elle-même pour objet de connaissance ou d’amour, elle revient à Dieu de manière indirecte[44].
En ce même sens, dans un texte très suggestif, un commentateur dit que le rôle que les créatures rationnelles jouent dans le plan divin de la création justifie pleinement leur existence, car les oeuvres de Dieu sont pleinement réalisées lorsqu’elles reviennent à leur origine. Or, ce retour des choses créées à leur Créateur s’opère de la manière la plus parfaite à travers les êtres rationnels. En effet, ces derniers reflètent Dieu, non seulement dans leur être, mais aussi dans l’objet de leurs facultés intellectuelles. Seules les créatures rationnelles peuvent porter une image de la bonté divine dans leur esprit, en tant qu’un objet de leurs facultés de connaître et d’aimer. En ce sens, elles sont, au plus haut degré, image de Dieu[45].

Conclusion
Tout le monde s’accorde pour reconnaître qu’il y a chez tout être humain quelque chose qui nous empêche de le traiter comme un simple moyen, comme une « chose ». Nous ressentons qu’il y a de l’irréductible en l’homme. Nous avons la conviction que tout être humain, même le plus faible, même le plus malade, a une valeur intrinsèque, ou pour le dire avec la formule de Pascal, que « l’homme passe infiniment l’homme »[46]. C’est pourquoi il est couramment admis, dans la conscience sociale, dans l’éthique et dans le droit, qu’il y a des conduites absolument inacceptables à l’égard de tout individu, même à l’égard du pire des criminels. La croyance en la dignité humaine est normalement plus le constat d’un fait, d’un a priori irréfutable, que le résultat d’une élucubration théorique.
Cette conviction, issue de l’expérience, de la présence de quelque chose d’absolu dans l’être humain devrait nous faire réfléchir. Pourquoi en est-il ainsi ? Pourquoi avons-nous horreur de vivre dans une société où les droits de l’homme seraient bafoués de la manière la plus brutale ? Pourquoi les récits des atrocités commises dans les camps de concentration nazis nous révoltent-ils ? N’y aurait-il pas des vérités qui sont gravées dans notre conscience morale ? Parmi ces vérités, n’y aurait-il pas celle de la présence en nous d’un infini qui nous dépasse complètement et qui impose le respect ? Et alors, comment ne pas se poser la question de l’existence d’un Infini en soi, de ce que l’on appelle classiquement « Dieu » ?
A ce propos, il est intéressant de constater que l’intuition courante de l’existence de quelque chose d’irréductible chez tout homme est confirmée par la pensée religieuse, notamment celle de racine judéo-chrétienne. En particulier, c’est à travers la notion d’imago Dei que s’exprime théoriquement cette conviction, qui a façonné le monde occidentale et à partir d’Occident, a influencé d’une manière ou d’une autre toute la planète. Selon cette notion, chaque homme, du fait d’être doué de raison et d’être capable d’aimer, reflète d’une manière unique et ineffable l’intelligence et l’amour divin.
Il reste à savoir, et c’est le plus difficile, s’il est possible d’établir un pont entre la conviction courante de la présence d’un absolu chez l’humain et l’existence de l’Absolu en soi et comment ce passage entre l’un et l’autre pourrait s’opérer. Peut-être le « tournant vers le sujet », propre à la modernité et mis en relief, entre autres, par Charles Taylor, loin de constituer un obstacle dans cette démarche, pourrait se révéler très fructueux. Car, si Dieu est sujet, quelle meilleure manière de l’atteindre peut-il y avoir que de partir de notre propre condition de sujets ?

Saint Paul, The Shipwreck

3 juillet, 2012

Saint Paul, The Shipwreck dans images sacrée st-paul-shipwreck

http://dwellingintheword.wordpress.com/tag/acts/

Dietrich Bonhoeffer: La prière d’intercession

3 juillet, 2012

http://www.ndweb.org/ecrit/bonhoeffer/bonhoeffer.html

DIETRICH BONHOEFFER

La prière d’intercession

Une communauté chrétienne vit de l’intercession de ses membres, sinon elle meurt.

Quand je prie pour un frère, je ne peux plus en dépit de toutes les misères qu’il peut me faire, le condamner ou le haïr. Si odieux et si insupportable que me soit son visage, il prend au cours de l’intercession l’aspect de frère pour lequel le Christ est mort, l’aspect du pécheur gracié. Quelle découverte apaisante pour le chrétien que l’intercession : il n’existe plus d’antipathie, de tension ou de désaccord personnel dont, pour autant qu’il dépend de nous, nous ne puissions triompher. L’intercession est bain de purification où, chaque jour, le fidèle et la communauté doivent se plonger. Elle peut signifier parfois une lutte très dure avec tel d’entre nos frères, mais une promesse de victoire repose sur elle.
Comment est-ce possible ? C’est que l’intercession n’est rien d’autre que l’acte par lequel nous présentons à Dieu notre frère en cherchant à le voir sous la croix du Christ, comme un homme pauvre et pécheur qui a besoin de sa grâce. Dans cette perspective, tout ce qui me le rend odieux disparaît, je le vois dans toute son indigence, dans toute sa détresse, et sa misère et son péché me pèsent comme s’ils étaient miens, de sorte que je ne puis plus rien faire d’autre que prier : Seigneur agis toi-même sur lui, selon Ta sévérité et Ta bonté. Intercéder signifie mettre notre frère au bénéfice du même droit que nous avons reçu nous-mêmes ; le droit de nous présenter devant le Christ pour avoir part à sa miséricorde.
Par là nous voyons que notre intercession est un service que nous devons chaque jour à Dieu et à nos frères. Refuser à notre prochain notre intercession c’est lui refuser le service chrétien par excellence. Nous voyons aussi que l’intercession est, non pas une chose générale, vague, mais un acte absolument concret. Il s’agit de prier pour telles personnes, telles difficultés et plus l’intercession est précise, et plus aussi elle est féconde.

Dietrich BONHOEFFER

Grand théologien de l’Eglise luthérienne allemande, pasteur,
Dietrich Bonhoeffer lutta ouvertement et jusqu’à sa mort contre le nazisme.
(1906 – 1945)
Texte extrait de « De la vie communautaire », Ed : Delachaux et Niestlé, collection « l’actualité protestante », 1947, 141 p, p85 – 87.

Dietrich Bonhoeffer : la création

3 juillet, 2012

http://www.erf-auteuil.org/protestantisme/bonhoeffer-la-creation.html

BONHOEFFER : la création

Les grandes figures du protestantisme et leur rapport à la Bible n°4

A l’université de Berlin, lorsque Dietrich Bonhoeffer y faisait ses études, prévalait la méthode historico-critique de la Bible. Cette méthode ne le satisfit pas puisqu’il déclara un jour que la critique historique des textes bibliques n’était que  » poussière et cendre « . Plus tard, il révisa quelque peu son opinion et reconnut que le travail historique sur les textes devait être fait, même si la critique avait peu à dire concernant le message de l’Ecriture. Son ami et biographe Eberhard Bethge raconte qu’il aimait, en parlant de l’exégèse biblique, évoquer l’image de la traversée d’une rivière gelée en sautant d’un caillou à l’autre.(1) Progres-sivement Bonhoeffer se détacha de la méthode historico-critique et dans le séminaire qu’il dirigea à l’université de Berlin, il pratiqua ce qu’on appelait alors l’ » exégèse pneumatique « . Dans l’Ecriture, disait-il, il y a la révélation, parce que Dieu y parle ; certes, c’est indémontrable, mais c’est de là qu’il faut partir. Pendant l’hiver 1932-1933, il donna un cours sur Genèse 1-3. Il appela sa méthode une  » Exégèse théologique  » (autre nom pour l’exégèse pneumatique) : le texte devait être lu moins comme un document du temps passé que comme parole vivante et présente.
Ce cours fut publié sous le titre Création et Chute ; l’édition française date de 1999.(2) Dans son introduction, il déclare :  » Une exégèse théologique va considérer la Bible comme le livre de l’Eglise, et c’est en cette qualité qu’elle va l’interpréter. Sa méthode n’est rien d’autre que cette présupposition et elle consiste à revenir constamment du texte à cette présupposition (le texte devant être analysé au moyen de toutes les techniques de la recherche philologique et historique). Telle est l’objectivité de la méthode de l’exégèse théologique « .
Création et Chute est un petit ouvrage fascinant, très dense du point de vue de la réflexion théologique et du langage. Les thèmes abordés sont naturellement le  » commencement  » et le  » péché  » inséparables dans la pensée de Bonhoeffer ; mais deux autres notions essentielles dans son interprétation sont la  » liberté  » et la  » limite « . Etant donné l’impossibilité de tracer ces notions-clés de l’exégèse du théologien allemand en deux pages, je me propose de vous présenter aujourd’hui  » La Création  » et de traiter  » La Chute  » dans le prochain bulletin.
Prenons pour point de départ Gen. 1, 1-2 :  » Au commencement Dieu créa le ciel et la terre « . Ce qui signifie, explique Bonhoeffer que le créateur (dans sa liberté) a créé la créature. Le rapport entre les deux n’est conditionné que par la liberté, c’est-à-dire qu’il est inconditionnel. Ce qui exclut tout recours à des catégories causales pour la compréhension de la création. Créateur et créature ne peuvent absolument pas être interprétés dans une relation de cause à effet. Il n’y a entre eux ni règle concernant la pensée ni règle concernant l’effet, ni quoi que ce soit d’autre. Entre créateur et créature, il n’y a tout simplement que le néant. On ne saurait donc avancer une nécessité qui aurait dû conduire à l’acte de la création. En somme, rien ne motive la création. C’est de ce néant que sort la création. Mais, ajoute-t-il,  » le néant n’a aucun caractère angoissant pour la première création ; au contraire, c’est la louange éternelle à la gloire du créateur qui a fait le monde à partir de rien. Le monde repose sur le néant, au commencement, et cela ne veut rien dire d’autre que ceci : le monde repose entièrement sur la liberté de Dieu. La créature appartient au créateur qui est libre « . Cela signifie aussi pour Bonhoeffer, que le Dieu du commencement, celui qui a créé dans la liberté, à partir du néant, est le Dieu de la résurrection :  » Dès le commencement, le monde est sous le signe de la résurrection de Christ d’entre les morts. Bien plus, c’est parce que nous avons connaissance de la résurrection que nous connaissons aussi la création par Dieu, au commencement, la création par Dieu à partir du néant. Le Jésus-Christ mort du vendredi saint – et le Seigneur ressuscité du dimanche de Pâque, c’est cela la création à partir du néant, la création à partir du commencement « .(3) C’est seulement à partir du Christ, de sa mort et de sa résurrection, que l’homme peut comprendre ce que veut dire  » création  » et donc ce que nous sommes. Mais d’un autre côté, ajoute Bonhoeffer,  » c’ est par la création que nous connaissons la puissance de sa résurrection car il demeure le maître du néant « . (4)
Si au commencement est Dieu, la créature, l’homme, ne se trouve pas au  » commencement « , à l’origine, ni à la fin. Il est entre. Il est, dit Bonhoeffer, dans  » l’entre-deux terrifiant « .(5) Ce n’est par une question de lieux mais de niveaux. L’homme ne se trouve pas sur le même plan que son origine. Il aimerait se projeter vers le commencement, mais ce commencement n’est pas à sa portée. La place de l’homme est l’ » entre-deux « . Il est libre, mais il lui a été donné une limite qu’il ne peut dépasser sous peine de mourir et cette limite est située au centre.
Examinons son commentaire de Gen 2, 8-17. Bonhoeffer s’interroge d’abord sur la place dans le Jardin de l’arbre de vie et de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, car les notions de  » centre « , et de  » limite « , sont essentielles dans sa pensée pour comprendre le péché. A propos de l’arbre de Vie, il écrit :  » La vie qui vient de Dieu est donc au centre, ce qui signifie que Dieu, qui donne la vie, est au centre « . Cette vie, l’homme la reçoit en présence de Dieu, en qualité d’être humain ; il la reçoit  » dans son obéissance, dans son innocence, dans son ignorance, ce qui veut dire qu’il l’a dans la liberté. Le fait que l’être humain vive, c’est quelque chose qui se produit dans l’obé-issance et pour cause de liberté « .(6) Dieu n’a pas interdit à Adam de toucher à l’arbre de vie. Pourquoi voudrait-il y toucher ? Il a en effet la vie.
Il n’en est pas de même de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. De façon magistrale, Bonhoeffer démontre que l’ordre donné à Adam de ne pas manger du fruit de l’arbre de la connaissance marque la limite de la liberté de l’homme et renforce son statut de créature.  » Par l’interdiction, Adam est interpellé sur sa liberté et sur sa situation de créature, et cette interdiction se situe dans l’essence de sa propre personne « . Dans le langage imagé de la Bible, le  » mélange singulier  » qui est celui de la liberté et de la condition de créature, s’exprime par le fait que l’arbre interdit est situé au centre :  » La limite de l’être humain est au centre de son existence, dit-il, pas sur ses marges. La limite que l’on cherche sur les marges de l’être humain, c’est la limite de sa nature, de sa technique, de ses possibilités. Mais la limite qui est située au centre, c’est celle de sa réalité, tout simplement celle de son être … Reconnaître la limite au centre entraîne la limitation de toute l’existence, de l’existence humaine dans n’importe quelle attitude. Là où se trouve la limite – l’arbre de la connaissance – là aussi se trouve l’arbre de la vie – c’est-à-dire le Dieu source de vie en personne. Il est à la fois limite et centre de notre existence « . (7)
La grande originalité de sa réflexion est de démontrer que cette  » limite  » doit être comprise comme un  » don  » de Dieu, comme une grâce. Cette limite située au centre de l’être qui définit l’homme dans son rapport à Dieu, est aussi pour le théologien allemand, nous le verrons la prochaine fois, la limite qui définit l’homme par rapport à l’autre homme.

Liliane CRÉTÉ

(1) Eberhard Bethge, Dietrich Bonhoeffer, Pensée, Témoignage, Génève, Labor et Fides, 1969, p. 73.
(2) Dietrich Bonhoeffer, Création et chute, traduction Roland Levet, revue par Hans Christoph Askani, Paris, Les Bergers et les Mages, 1999.
(3) Ibid. p. 32-33.
(4) Ibid. p. 33.
(5) Ibid. p. 29.
(6) Ibid. p. 67.
(7) Ibid. p. 68.
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Saint Thomas Apôtre

2 juillet, 2012

Saint Thomas Apôtre dans images sacrée

http://www.santiebeati.it/immagini/?mode=view&album=21150&pic=21150W.JPG&dispsize=Original&start=20

Pape Benoît: Thomas (Apôtres) (3 Juillet)

2 juillet, 2012

http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/audiences/2006/documents/hf_ben-xvi_aud_20060927_fr.html

BENOÎT XVI

AUDIENCE GÉNÉRALE

Mercredi 27 septembre 2006

Thomas (Apôtres)

Chers frères et soeurs,

Poursuivant nos rencontres avec les douze Apôtres choisis directement par Jésus, nous consacrons aujourd’hui notre attention à Thomas. Toujours présent dans les quatre listes établies par le Nouveau Testament, il est placé dans les trois premiers Evangiles, à côté de Matthieu (cf. Mt 10, 3; Mc 3, 18; Lc 6, 15), alors que dans les Actes, il se trouve près de Philippe (cf. Ac 1, 13). Son nom dérive d’une racine juive, ta’am, qui signifie « apparié, jumeau ». En effet, l’Evangile de Jean l’appelle plusieurs fois par le surnom de « Didyme » (cf. Jn 11, 16; 20, 24; 21, 2), qui, en grec, signifie précisément « jumeau ». La raison de cette dénomination n’est pas claire.
Le Quatrième Evangile, en particulier, nous offre plusieurs informations qui décrivent certains traits significatifs de sa personnalité. La première concerne l’exhortation qu’il fit aux autres Apôtres lorsque Jésus, à un moment critique de sa vie, décida de se rendre à Béthanie pour ressusciter Lazare, s’approchant ainsi dangereusement de Jérusalem (cf. Mc 10, 32). A cette occasion, Thomas dit à ses condisciples: « Allons-y nous aussi, pour mourir avec lui! » (Jn 11, 16). Sa détermination à suivre le Maître est véritablement exemplaire et nous offre un précieux enseignement: elle révèle la totale disponibilité à suivre Jésus, jusqu’à identifier son propre destin avec le sien et à vouloir partager avec Lui l’épreuve suprême de la mort. En effet, le plus important est de ne jamais se détacher de Jésus. D’ailleurs, lorsque les Evangiles utilisent le verbe « suivre » c’est pour signifier que là où Il se dirige, son disciple doit également se rendre. De cette manière, la vie chrétienne est définie comme une vie avec Jésus Christ, une vie à passer avec Lui. Saint Paul écrit quelque chose de semblable, lorsqu’il rassure les chrétiens de Corinthe de la façon suivante: « Vous êtes dans nos coeurs à la vie et à la mort » (2 Co 7, 3). Ce qui a lieu entre l’Apôtre et ses chrétiens doit, bien sûr, valoir tout d’abord pour la relation entre les chrétiens et Jésus lui-même: mourir ensemble, vivre ensemble, être dans son coeur comme Il est dans le nôtre.
Une deuxième intervention de Thomas apparaît lors de la Dernière Cène. A cette occasion, Jésus, prédisant son départ imminent, annonce qu’il va préparer une place à ses disciples pour qu’ils aillent eux aussi là où il se trouve; et il leur précise: « Pour aller où je m’en vais, vous savez le chemin » (Jn 14, 4). C’est alors que Thomas intervient en disant: « Seigneur, nous ne savons même pas où tu vas; comment pourrions-nous savoir le chemin? » (Jn 14, 5). En réalité, avec cette phrase, il révèle un niveau de compréhension plutôt bas; mais ses paroles fournissent à Jésus l’occasion de prononcer la célèbre définition: « Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie » (Jn 14, 6). C’est donc tout d’abord à Thomas que cette révélation est faite, mais elle vaut pour nous tous et pour tous les temps. Chaque fois que nous entendons ou que nous lisons ces mots, nous pouvons nous placer en pensée aux côtés de Thomas et imaginer que le Seigneur nous parle à nous aussi, comme Il lui parla. Dans le même temps, sa question nous confère à nous aussi le droit, pour ainsi dire, de demander des explications à Jésus. Souvent, nous ne le comprenons pas. Ayons le courage de dire: je ne te comprends pas, Seigneur, écoute-moi, aide-moi à comprendre. De cette façon, avec cette franchise qui est la véritable façon de prier, de parler avec Jésus, nous exprimons la petitesse de notre capacité à comprendre et, dans le même temps, nous nous plaçons dans l’attitude confiante de celui qui attend la lumière et la force de celui qui est en mesure de les donner.
Très célèbre et même proverbiale est ensuite la scène de Thomas incrédule, qui eut lieu huit jours après Pâques. Dans un premier temps, il n’avait pas cru à l’apparition de Jésus en son absence et il avait dit: « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt à l’endroit des clous, si je ne mets pas la main dans son côté; non, je ne croirai pas! » (Jn 20, 25). Au fond, ces paroles laissent apparaître la conviction que Jésus est désormais reconnaissable non pas tant par son visage que par ses plaies. Thomas considère que les signes caractéristiques de l’identité de Jésus sont à présent surtout les plaies, dans lesquelles se révèle jusqu’à quel point Il nous a aimés. En cela, l’Apôtre ne se trompe pas. Comme nous le savons, huit jours après, Jésus réapparaît parmi ses disciples, et cette fois, Thomas est présent. Jésus l’interpelle: « Avance ton doigt ici, et vois mes mains; avance ta main, et mets-la dans mon côté: cesse d’être incrédule, sois croyant » (Jn 20, 27). Thomas réagit avec la plus splendide profession de foi de tout le Nouveau Testament: « Mon Seigneur et mon Dieu! » (Jn 20, 28). A ce propos, saint Augustin commente: Thomas « voyait et touchait l’homme, mais il confessait sa foi en Dieu, qu’il ne voyait ni ne touchait. Mais ce qu’il voyait et touchait le poussait à croire en ce que, jusqu’alors, il avait douté » (In Iohann. 121, 5). L’évangéliste poursuit par une dernière parole de Jésus à Thomas: « Parce que tu m’as vu, tu crois. Heureux ceux qui ont cru sans avoir vu » (Jn 20, 29). Cette phrase peut également être mise au présent: « Heureux ceux qui croient sans avoir vu ». Quoi qu’il en soit, Jésus annonce un principe fondamental pour les chrétiens qui viendront après Thomas, et donc pour nous tous. Il est intéressant d’observer qu’un autre Thomas, le grand théologien médiéval d’Aquin, rapproche de cette formule de béatitude celle apparemment opposée qui est rapportée par Luc: « Heureux les yeux qui voient ce que vous voyez » (Lc 10, 23). Mais saint Thomas d’Aquin commente: « Celui qui croit sans voir mérite bien davantage que ceux qui croient en voyant » (In Johann. XX lectio VI 2566). En effet, la Lettre aux Hébreux, rappelant toute la série des anciens Patriarches bibliques, qui crurent en Dieu sans voir l’accomplissement de ses promesses, définit la foi comme « le moyen de posséder déjà ce qu’on espère, et de connaître des réalités qu’on ne voit pas » (11, 1). Le cas de l’Apôtre Thomas est important pour nous au moins pour trois raisons: la première, parce qu’il nous réconforte dans nos incertitudes; la deuxième, parce qu’il nous démontre que chaque doute peut déboucher sur une issue lumineuse au-delà de toute incertitude; et, enfin, parce que les paroles qu’il adresse à Jésus nous rappellent le sens véritable de la foi mûre et nous encouragent à poursuivre, malgré les difficultés, sur notre chemin d’adhésion à sa personne.
Une dernière annotation sur Thomas est conservée dans le Quatrième Evangile, qui le présente comme le témoin du Ressuscité lors du moment qui suit la pêche miraculeuse sur le Lac de Tibériade (cf. Jn 21, 2). En cette occasion, il est même mentionné immédiatement après Simon-Pierre: signe évident de la grande importance dont il jouissait au sein des premières communautés chrétiennes. En effet, c’est sous son nom que furent ensuite écrits les Actes et l’Evangile de Thomas, tous deux apocryphes, mais tout de même importants pour l’étude des origines chrétiennes. Rappelons enfin que, selon une antique tradition, Thomas évangélisa tout d’abord la Syrie et la Perse (c’est ce que réfère déjà Origène, rapporté par Eusèbe de Césarée, Hist. eccl. 3, 1), se rendit ensuite jusqu’en Inde occidentale (cf. Actes de Thomas 1-2 et 17sqq), d’où il atteignit également l’Inde méridionale. Nous terminons notre réflexion dans cette perspective missionnaire, en formant le voeu que l’exemple de Thomas corrobore toujours davantage notre foi en Jésus Christ, notre Seigneur et notre Dieu.

HOMÉLIE DU PAPE BENOÎT XVI : CHAPELLE PAPALE EN LA SOLENNITÉ DES SAINTS APÔTRES PIERRE ET PAUL

2 juillet, 2012

http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/homilies/2012/documents/hf_ben-xvi_hom_20120629_pallio_fr.html

CHAPELLE PAPALE EN LA SOLENNITÉ DES SAINTS APÔTRES PIERRE ET PAUL

MESSE ET IMPOSITION DU PALLIUM AUX NOUVEAUX ARCHEVÊQUES MÉTROPOLITAINS

HOMÉLIE DU PAPE BENOÎT XVI

Basilique Vaticane

Vendredi 29 juin 2012

Messieurs les Cardinaux,
Vénérés Frères dans l’épiscopat et dans le sacerdoce,
Chers frères et sœurs,

Nous sommes réunis autour de l’autel pour célébrer solennellement les saints Pierre et Paul, Patrons principaux de l’Église de Rome. Sont présents, et viennent de recevoir le Pallium, les Archevêques Métropolitains nommés durant l’année dernière, auxquels va mon salut spécial et affectueux. Est présente aussi, envoyée par Sa Sainteté Bartholomée Ier, une éminente Délégation du Patriarcat œcuménique de Constantinople, que j’accueille avec reconnaissance fraternelle et cordiale. Dans un esprit œcuménique, je suis heureux de saluer et de remercier The Choir of Westminster Abbey, qui anime la Liturgie avec la Cappella Sistina. Je salue également Messieurs les Ambassadeurs et les Autorités civiles : je vous remercie tous pour votre présence et votre prière.

Devant la Basilique de saint Pierre, comme chacun le sait, sont dressées deux imposantes statues des Apôtres Pierre et Paul, facilement reconnaissables par leurs attributs : les clefs dans la main de Pierre et l’épée entre celles de Paul. Sur le portail majeur de la Basilique de saint Paul hors les murs sont aussi représentées ensemble des scènes de la vie et du martyre de ces deux colonnes de l’Église. Depuis toujours, la tradition chrétienne considère saint Pierre et saint Paul comme inséparables : en effet, ensemble, ils représentent tout l’Évangile du Christ. Ensuite, leur lien comme frères dans la foi a acquis un sens particulier à Rome. En effet, la communauté chrétienne de cette Ville les considère comme une espèce de contre-autel des mythiques Romulus et Remus, la fratrie à laquelle on faisait remonter la fondation de Rome. On pourrait penser aussi à un autre parallélisme ‘oppositif’, toujours sur le thème de la fraternité : alors que la première fratrie biblique nous montre l’effet du péché, pour lequel Caïn tue Abel, Pierre et Paul, bien qu’humainement très différents l’un de l’autre, et malgré les conflits qui n’ont pas manqué dans leur rapport, ont réalisé une manière nouvelle d’être frères, vécue selon l’Évangile, une manière authentique rendue possible par la grâce de l’Évangile du Christ opérant en eux. Seule la sequela du Christ conduit à la nouvelle fraternité : voici le premier message fondamental que la solennité d’aujourd’hui livre à chacun de nous, et dont l’importance se reflète aussi sur la recherche de cette pleine communion, à laquelle aspirent le Patriarcat œcuménique et l’Évêque de Rome, ainsi que tous les chrétiens.
Dans le passage de l’évangile de saint Matthieu que nous venons d’entendre, Pierre fait sa confession de foi à Jésus, le reconnaissant comme Messie et Fils de Dieu ; il la fait aussi au nom des autres Apôtres. En réponse, le Seigneur lui révèle la mission qu’il entend lui confier, celle d’être la ‘pierre’, le ‘roc’, la fondation visible sur laquelle est construit l’entier édifice spirituel de l’Église (cf. Mt 16, 16-19). Mais de quelle façon Pierre est-il le roc ? Comment doit-il mettre en œuvre cette prérogative, que naturellement il n’a pas reçue pour lui-même ? Le récit de l’évangéliste Matthieu nous dit surtout que la reconnaissance de l’identité de Jésus prononcée par Simon au nom des Douze ne provient pas « de la chair et du sang », c’est-à-dire de ses capacités humaines, mais d’une révélation particulière de Dieu le Père. Par contre, tout de suite après, quand Jésus annonce sa passion, mort et résurrection, Simon Pierre réagit vraiment à partir de « la chair et du sang » : il « se mit à lui faire de vifs reproches : … cela ne t’arrivera pas » (16, 22). Et Jésus réplique à son tour : « Passe derrière moi, Satan, tu es un obstacle sur ma route » (v. 23). Le disciple qui, par don de Dieu, peut devenir un roc solide, se manifeste aussi pour ce qu’il est, dans sa faiblesse humaine : une pierre sur la route, une pierre contre laquelle on peut buter- en grec skandalon. Apparaît ici évidente la tension qui existe entre le don qui provient du Seigneur et les capacités humaines ; et dans cette scène entre Jésus et Simon Pierre, nous voyons en quelque sorte anticipé le drame de l’histoire de la papauté-même, caractérisée justement par la coexistence de ces deux éléments : d’une part, grâce à la lumière et à la force qui viennent d’en-haut, la papauté constitue le fondement de l’Église pèlerine dans le temps ; d’autre part, au long des siècles, émerge aussi la faiblesse des hommes, que seule l’ouverture à l’action de Dieu peut transformer.
De l’Évangile d’aujourd’hui, il ressort avec force la promesse claire de Jésus : « les portes des enfers », c’est-à-dire les forces du mal, ne pourront pas prévaloir, « non praevalebunt ». Vient à l’esprit le récit de la vocation du prophète Jérémie, à qui le Seigneur dit, en lui confiant sa mission : « Moi, je fais de toi aujourd’hui une ville fortifiée, une colonne de fer, un rempart de bronze, pour faire face à tout le pays, aux rois de Juda et à ses chefs, à ses prêtres et à tout le peuple. Ils te combattront, mais ils ne pourront rien contre toi – non praevalebunt -, car je suis avec toi pour te délivrer » (Jr 1, 18-19). En réalité, la promesse que Jésus fait à Pierre est encore plus grande que celles faites aux prophètes antiques : ceux-ci, en effet, étaient menacés uniquement par des ennemis humains, alors que Pierre devra être défendu des « portes des enfers », du pouvoir destructif du mal. Jérémie reçoit une promesse qui le concerne comme personne et concerne son ministère prophétique. Pierre est rassuré au sujet de l’avenir de l’Église, de la nouvelle communauté fondée par Jésus Christ et qui s’étend à tous les temps, au-delà de l’existence personnelle de Pierre lui-même.
Passons à présent au symbole des clefs, dont parle l’Évangile que nous venons d’entendre. Il renvoie à l’oracle du prophète Isaïe sur le fonctionnaire éliakim, dont il est dit : « Je mettrai sur son épaule la clef de la maison de David : s’il ouvre, personne ne fermera ; s’il ferme, personne n’ouvrira » (Is 22, 22). La clef représente l’autorité sur la maison de David. Et dans l’Évangile, il y a une autre parole de Jésus adressée aux scribes et aux pharisiens, auxquels le Seigneur reproche de fermer aux hommes le Royaume des Cieux (cf. Mt 23, 13). Ces propos également nous aident à comprendre la promesse faite à Pierre : c’est à lui, en tant que fidèle administrateur du message du Christ, qu’il revient d’ouvrir la porte du Royaume des Cieux, et de juger s’il faut accueillir ou rejeter (cf. Ap 3, 7). Les deux images – celle des clefs et celle de lier et de délier – expriment donc des significations semblables et se renforcent l’une l’autre. L’expression « lier et délier » fait partie du langage rabbinique et fait allusion, d’un côté, aux décisions doctrinales et, de l’autre, au pouvoir disciplinaire, c’est-à-dire à la faculté d’infliger et de lever l’excommunication. Le parallélisme « sur terre … dans les cieux » garantit que les décisions de Pierre dans l’exercice de sa fonction ecclésiale ont également une valeur devant Dieu.
Dans le chapitre 18 de l’Évangile selon Matthieu, consacré à la vie de la communauté ecclésiale, nous trouvons une autre affirmation de Jésus adressée à ses disciples : « En vérité je vous le dis : tout ce que vous lierez sur terre sera lié dans le ciel, et tout ce que vous délierez sur terre sera délié dans le ciel » (Mt 18, 18). Et saint Jean, dans le récit de l’apparition du Christ ressuscité aux Apôtres le soir de Pâques, rapporte cette parole du Seigneur : « Recevez l’Esprit Saint. Tout homme à qui vous remettrez ses péchés, ils lui seront remis ; tout homme à qui vous maintiendrez ses péchés, ils lui seront maintenus » (Jn 20, 22-23). À la lumière de ces parallélismes, il apparaît clairement que l’autorité de délier et de lier consiste dans le pouvoir de remettre les péchés. Et cette grâce, qui enlève l’énergie aux forces du chaos et du mal, est au cœur du mystère et du ministère de l’Église. L’Église n’est pas une communauté de personnes parfaites, mais de pécheurs qui doivent reconnaître qu’ils ont besoin de l’amour de Dieu et qu’ils ont besoin d’être purifiés par la Croix de Jésus Christ. Les paroles de Jésus au sujet de l’autorité de Pierre et des Apôtres laissent justement transparaître que le pouvoir de Dieu est l’amour, l’amour qui répand sa lumière à partir du Calvaire. Ainsi, nous pouvons aussi comprendre pourquoi, dans le récit évangélique, à la profession de foi de Pierre fait immédiatement suite la première annonce de la passion : en effet, Jésus par sa mort a vaincu les puissances de l’enfer, par son sang il a reversé sur le monde un immense fleuve de miséricorde, qui irrigue de ses eaux assainissantes l’humanité tout entière.
Chers frères, comme je le rappelais au début, la tradition iconographique représente saint Paul avec l’épée, et nous savons que cela figure l’instrument avec lequel il fut tué. Mais, en lisant les écrits de l’Apôtre des Gentils, nous découvrons que l’image de l’épée se réfère à toute sa mission d’évangélisateur. Par exemple, sentant la mort s’approcher, il écrit à Timothée : « j’ai combattu le bon combat » (2 Tm 4,7). Non certes le combat d’un grand capitaine, mais celui d’un annonciateur de la Parole de Dieu, fidèle au Christ et à son Église, à laquelle il s’est donné totalement. Et c’est justement pour cela que le Seigneur lui a donné la couronne de gloire et l’a placé, avec Pierre, comme colonne de l’édifice spirituel de l’Église.
Chers Métropolites : le Pallium que je vous ai conféré, vous rappellera toujours que vous avez été constitués dans et pour le grand mystère de communion qu’est l’Église, édifice spirituel construit sur le Christ, la pierre angulaire et, dans sa dimension terrestre et historique, sur le roc de Pierre. Animés par cette certitude, sentons-nous tous ensemble coopérateurs de la vérité, laquelle – nous le savons – est une et ‘symphonique’, et exige de chacun de nous et de nos communautés l’engagement constant à la conversion à l’unique Seigneur dans la grâce de l’unique Esprit. Que la Sainte Mère de Dieu nous guide et nous accompagne toujours sur le chemin de la foi et de la charité. Reine des Apôtres, priez pour nous !

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