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QU’ONT-ILS VRAIMENT BESOIN ? Des chrétiens redevenus priants
L’hiver est passé, la pluie a cessé et elle s’est éloignée (Cantique 2, 11)
Chantez ! Parlez ! Personne ne vous écoute
Nous vivons pour quelque chose qui va plus loin que la morale :
si nous pouvions le nommer, quel silence!
Albert Camus
EN GUISE D’INTRODUCTION
Je commence par une histoire qui vient de la lointaine littérature monastique. Un professeur se rendit un jour dans un monastère parce qu’il y avait là un vieux moine dont la réputation était de poser la vraie question à tous les chercheurs de Dieu qui le consultaient. Saint homme, dit le professeur, donnez-moi une question qui va renouveler ma vie ? Le vieux moine lui dit : qu’est-ce qu’ils ont besoin ?
La question a résonné longtemps dans la tête du professeur. Ne pouvant y répondre, ne pouvant surtout surmonter son étonnement devant une telle question (il s’attendait à autre chose), il retourne vers le moine et lui dit: saint homme, je suis venu ici parce que je suis fatigué de chercher. Je ne suis pas ici pour parler de mon enseignement. Je suis ici pour parler de ma vie spirituelle. S’il vous plaît, donnez-moi une autre question. Je vois, dit le moine. Dans ce cas, la bonne question pour vous n’est pas qu’est-ce qu’ils ont besoin, mais qu’est-ce qu’ils ont vraiment besoin ? Le professeur allait demander une question pour lui-même. Il percevait faussement dans la réponse du vieux moine qu’il lui en donnait une pour les autres.
À l’heure où un théologien d’ici, Normand Provencher, donnait comme titre à son avant-dernier livre Est-il trop tard? À l’heure où nous ne parlons que des difficultés de surface de notre Église: son problème de crédibilité, échecs de prêtres à vivre leur sacerdoce, échecs de croyants à vivre dans une fidélité durable, restructuration des paroisses ; à l’heure où les sectes qui handicapées de l’essentiel de la foi qu’est la Croix, ne cessent de fasciner, de séduire; à l’heure où nous sommes devenus des «chrétiens à la carte» qui choisissent ce qui les intéressent dans l’Évangile; à l’heure où le message de la foi ne passe plus très bien parce que quelque chose «bloque» et que la «bonne nouvelle» n’a plus de mordant sur nos vies; à l’heure où nous vivons un grand vide spirituel et que la télévision devient une distraction (Maurice Bellet), qu’est-ce qu’ils ont vraiment besoin?
Ma réponse (elle mériterait beaucoup plus d’approfondissement) est celle-ci : nous avons besoin de vrais chrétiens capables de libérer l’Évangile. Nous avons besoin de vrais croyants et non de croyants tristes, rabougris. Si le sel [de la foi] s’affadit. Nous avons besoin de priants et non de chrétiens qui ont l’impression de prier. Quelqu’un écrivait que la foi chrétienne est devenue comme une monnaie qui ne vaut plus rien en dehors de ses adeptes. Nous sommes des baptisés mais pas suffisamment évangélisés (Verbum Domini, # 96) par la prière.
…..des chrétiens « bonne nouvelle »
Nous avons besoin de chrétiens rayonnants et non de chrétiens aux yeux de morts, radieux et non complexés, marqués par la vivante espérance (1 P 1, 3) et non par la désespérance, et qui parce saisis, tendus par tout leur être par le Christ (Ph 3, 12), rendent Dieu désirable (Fossion, A., Dieu désirable, Bruxelles, 2010, 294 pp.), refusentde vivre dans une complainte sans fin. C’est une grande imperfection que de se plaindre, écrivait à des novices Thérèse d’Avila dans les premiers chapitres de son Chemin de perfection, qui est un chemin pour apprendre à prier.
Ce sont nous, chrétiens, qui ont conduit l’Église au seuil d’une crise (une autre de plus dans sa longue histoire de crises) parce que nous manquons d’enthousiasme, de mysticisme, parce que nous ne sommes plus assidus à la prière (Ac 2, 42). En 1997, Le Père Henri Madelin, s.j. écrivait dans le journal LA CROIX (8 janvier) : Chantez! Parlez! Personne ne vous écoute. Nous ne savons plus rendre séduisante notre foi qui est devenue une Parole à des années lumière de celle de notre monde. Notre parole sur Dieu ne fait plus sens (Burdelot, Yves, Devenir humain, Cerf, 2007, pp. 33-54). Nous avons trop souvent Dieu sur les lèvres et le monde dans nos cœurs (Ignace d’Antioche).Nous ne savons plus parler avec un langage «parlant», «nouveau». Notre langage sur Dieu vient d’un autre continent. J’ai l’impression de vivre en permanence de secousses sismiques tant ma foi semble venir d’un autre monde.
Le vrai besoin, c’est de voir des hommes et des femmes qui ne se contentent pas d’avoir des idées sur Dieu mais qui font signe, qui sont signes. Nous avons besoin de voir des chrétiens qui sont dans leur personne de bonnes nouvelles, de «belles nouvelles». Qui parlent, agissent et voient comme des paroles de Dieu (1 P 4, 11).
La priorité de l’éducation que nous avons reçue fut de nous inculquer comment être un bon chrétien avec son insistance unique sur une manière morale de vivre : aller à la messe, faire pénitence, faire l’aumône, faire ses Pâques. On nous enseignait un ensemble immense de choses à apprendre, à faire pour être «bons chrétiens». Pour citer Paul VI (Evangilii nuntiandi, #20), on nous a présentés de la foi qu’un vernis superficiel.
Aujourd’hui, la priorité de l’évangélisation n’est pas d’enseigner une morale, d’insister sur quoi faire ou ne pas faire, mais de dépoussiérer notre manière de parler de Dieu, notre foi. Il nous faut prioriser de faire voir autre chose que des idées apprises toutes faites sur Dieu. Il faut donner du sens à nos actes et paroles. Ne pas porter à faux. Ne pas sonner faux. Ensuite viendra un comportement nouveau.
N’y a-t-il pas aujourd’hui un certain nombre de chrétiens qui aimeraient donner à d’autres la bonne nouvelle dans la quelle ils puisent le sens de leur vie et qui ne le peuvent pas parce que, quand ils veulent exprimer leur foi, ils la trouvent empaquetée dans un tel assemblage d’idées toutes faites et d’institutions étranges qu’ils restent muets ? (Burdelot, p.11)
Il nous faut devenir contagieux de la beauté de la Parole de Dieu, cette beauté qui sauvera le monde (Simone Weil). Nous sommes nés de cette beauté. Nous avons vocation première d’être des artistes peignant dans nos vies la beauté de Dieu. Nous avons besoin, dans un monde déprimant, d’être des épiphanies de beauté. Rien n’est plus triste que des chrétiens qui s’empressent de donner des leçons aux autres. Nous avons besoin de chrétiens pour qui c’est beau, c’est grand d’être appelés, par grâce, à une vie de relation amoureuse avec le Christ, à une vie d’oraison, une vie branchée sur le Dieu de Jésus.
…… des chrétiens «croyants» en acte
Que demandes-tu à l’Église de Dieu? C’est la question inaugurale de la liturgie baptismale. Nous sommes toujours des demandeurs de foi. En s’adressant aux catéchumènes le premier dimanche du Carême, l’évêque leur dit : Entrez dans la foi. Faites connaissance du Dieu vivant qui a vraiment parlé aux hommes; confiez vous à sa sagesse, croyez de tout votre cœur. Ce chemin jaillit en vie éternelle (Jn 4, 14).
La liturgie des Cendres débutait par une invitation à redonner de la ferveur, du lustre à notre peu de foi, à notre connaissance de Dieu : Dieu vous adresse un appel : laissez-vous réconcilier (2 Co 5, 20).Depuis toujours, cela a été entendu comme un renoncement aux choses d’en bas. C’est plutôt un bondissement, une élévation de nos regards vers les réalités d’en haut (Col 3, 1-3). Impossible de vouloir Dieu et le monde en même temps, d’avoir soif de Dieu et du monde en même temps. Ce qui en nous est mort peut renaître si nous entrons dans la Parole de Dieu, si nous redevenons croyants, priants.
Le plus dangereux, le plus mortel pour la foi, et nous vivons cela très profondément dans notre Église, c’est de rencontrer des chrétiens souffrant de cette maladie qu’on appelle l’acédie, mieux connue sous l’expression du démon du midi et qui a affecté la petite Thérèse dans les derniers mois de sa vie. Elle ne savait plus si elle avait encore la foi.
C’est un état de manque d’ardeur, de relâchement, de tiédeur, de routine, de fatigue, une forme de dépression, dit le catéchisme de l’Église, dans notre vie spirituelle. C’est une sorte de mélancolie, de tristesse, d’ennui dans notre relation à Dieu. Dieu ne nous nourrit plus. Il ne nous dit plus rien. C’est l’ennemi numéro un des chrétiens.
Trois tentations nous guettent présentement: celle d’éteindre Dieu en nous, celle de la médiocrité (l’acédie) et celle, plus grande que les autres, des contrefaçons de l’amour. Ce n’est pas nouveau.
En ouvrant son chemin de perfection, Thérèse d’Avila (XVIe siècle) se pose la question plus que jamais actuelle, que sont devenus les chrétiens ? Elle faisait allusion à la pauvreté spirituelle des gens de son temps. Le temps des tièdes, que le Christ vomira de sa bouche (Ap 3, 16), est révolu. Benoît XVI citait récemment, dans une catéchèse, saint Pierre Canisius qui disait, et cela m’a beaucoup fait réfléchir : voyez, Pierre dort, Judas veille (traduction: le bien dort, le mal veille). Cela devrait nous faire réfléchir. Le grand problème de notre temps, déclarait le pape Pie XI, ce ne sont pas les puissances néfastes mais la somnolence des bons.
Le poète Charles Péguy a écrit: Philippe a vu Jésus, nous ne voyons que le curés…. ce n’est tout de même pas pareil.
Nous ne pouvons pas nous mériter le titre de chrétiens, de «bons» chrétiens, si nous ne sommes pas attentifs à notre vie de prière. Lire, prier, méditer, contempler la Parole de Dieu n’est pas du temps perdu, mais ce dont ils ont vraiment besoin.
…..des chrétiens priants
Élevons nos cœurs. Ce n’est pas une simple parole qui inaugure la liturgie eucharistique. C’est une manière de vivre. C’est donner une nouvelle direction à nos vies. C’est changer de vision. Faute d’élever nos cœurs, nous ne verrons que la «réalité» des choses que nous pouvons toucher, de nos préoccupations matérielles, de notre solitude, de ce que nous voyons chaque jour au journal télévisé. En élevant nos cœurs, nous changeons l’impression que la gentillesse et le bon caractère suffisent pour être bons chrétiens. Nous ne prions plus «pour que Dieu nous aime», mais «parce qu’ il nous aime». Nous percevons mieux que la réalité n’est pas seulement ce que nous voyons. Nous nous ouvrons sur une autre réalité, plus invisible mais non moins réelle, celle de Dieu.
Élevons nos cœurs. Dieu est la réalité première, le Christ est la réalité. En élevant nos cœurs, nous nous laissons transformer, nous laissons tout notre vie être saisie par la Parole de Dieu, par la pensée nouvelle qui vient du Seigneur et qui nous montre que la véritable réalité, ce sont les choses d’en-haut. En élevant nos cœurs, en gravissant la haute montagne de la prière, nous voyons avec les yeux de Dieu, avec le regard de Dieu. Sans élévation de nos cœurs, il est facile de perdre notre enthousiasme lorsque nous voyons toutes ces scènes tellement contraires à l’humanisation de l’humanité appelée par Jésus. En élevant nos cœurs, nous pouvons vivre comme Jésus nos jardins des oliviers.
Comme Pierre, Jacques et Jean, il nous est nécessaire de passer par ce lieu redoutable de la montagne du Thabor qui nous permet, sans peur, d’affronter celle du Calvaire. En élevant nos cœurs, nous voyons sa gloire, cette gloire qui nous prépare au scandale de la Passion qui se vit tous les jours autour de nous.
Élevons nos coeurs pour garder nos yeux fixés sur Jésus et sur le Parole de Dieu mentionnait Mgr Lacroix définissant au terme de son homélie d’accueil (25 mars 2011) son programme pastoral. C’est ajoute-t-il le chemin de la nouvelle évangélisation.
Notre monde a besoin d’être interpellé par de vrais croyants, par de vrais priants capables de parler, d’agir et de voir comme des paroles de Dieu (1 Pi 4, 11). Mais nous n’avons pas été éduqués à la prière. Un grand priant disait: voudriez-vous passer une journée sans manger? Pensez-vous vivre sans nourriture? Combattre sans armes? Voler sans ailes?
Marcel Légault, ce professeur devenu fermier, écrivait il y a quelques années :
Le malheur, c’est que la plupart des vies sont en porte-à-faux. On dit ce qu’on ne fait pas. On affirme quand on ne sait pas croire… Dieu a été travesti par ceux qui l’affirment.
Dès le IIe siècle, Grégoire le Grand disait : notre langue est paralysée par nos comportements. En ouvrant ce millénaire, Jean-Paul II écrivait: Les hommes de notre époque demandent parfois inconsciemment aux croyants non seulement de parler du Christ mais en un sens de leur faire voir. (Lettre du nouveau millénaire, no 16). Deviens ce que tu es (Augustin).
Rien ne détourne plus de Dieu que des chrétiens qui vivent leur foi dans la nonchalance, avec routine en se reposant sur leurs lauriers. Notre monde a besoin de ruminants de la Parole de Dieu et non de discours sur Dieu, de priants et non de chrétiens qui ont l’impression de prier. Il ne faut pas confondre prier avec impression de prier. Quand on a l’impression de prier, c’est que nous voulons prier mais que nous ne prions pas.Notre spécificité de chrétiens est d’être des lettres écrites (2 Co 3, 2) par Dieu pour notre monde; être des «écoutants» (1er dimanche), des «transfigurés» (2e dimanche), des «assoiffés» (3e dimanche), des «voyants» du Je suis (4e dimanche), des «annonceurs» (5e dimanche) de vie nouvelle, des humains capables de laisser resplendir au dehors la beauté de notre relation, de notre union à Dieu que nous vivons en dedans. Tu es chargé de crier l’Évangile sur les toits non par tes paroles mais par ta vie (Charles de Foucauld).
À quoi nous sert de prier si cela ne transforme en rien nous vie? À quoi sert-il de croire en la résurrection, si cela n’engendre pas en nous une nouvelle possibilité d’être homme, une possibilité qui intéresse tout le monde et ouvre un avenir, un nouveau type d’avenir pour l’humanité (Benoît XVI, Jésus de Nazareth)? À quoi nous sert-il d’être chrétiens si nous n’embrassons pas la manière de vivre de Jésus. Il passait en faisant le bien. Le mot revient 360 fois, dit le Talmud, pour que nous fassions le bien chaque jour. Il s’invitait à la table de ses ennemis. Il donnait à boire une eau vive à une femme samaritaine.
…. capables de vivre d’adoration du Père ( 1er dimanche du carême).
Le 1er dimanche du Carême, nous avons entendu un appel, pour éviter les tentations, d’être des adorateurs du Père, des priants. Pour affronter l’épreuve de la faim, de la séduction, de la gloire, Jésus : qui n’était pas un surhomme, n’avait qu’une seule arme : celle me mettre sa foi dans le Seigneur (Ps 40, 5). Il était habité par la parole de Dieu. Chacune de ses réponses étaient des paroles bibliques. Il était tellement en adoration devant son Père, tellement en consultation avec le Père, selon une belle expression africaine, en état d’union permanente, en état de prière qu’il a repoussé sa faim, son désir de prestige et les vaines gloires. Tu adoreras le Seigneur ton Dieu (Mt 4, 10). Ma question est simple: et nous comment adorons-nous?
Il vivait en permanence, comme l’exprimait l’oraison du premier dimanche du Carême, dans la connaissance de son Père. Question : comment s’opère cette connaissance de son Père en nous ? Réponse: en prenant l’échelle à quatre barreaux: lecture, méditation, prière, contemplation. (J’y reviendrai plus bas.)
La Parole de Dieu est l’un des lieux privilégiés pour entrer profondément dans la connaissance de Jésus. Déjà, Vatican II, dans sa constitution Dei Verbum et plus récemment, Benoît XVI dans sa lettre apostolique post-synodale Verbum Domini, disait que pour acquérir cette connaissance éminente et intime de Jésus (Ph 3, 8), il faut devenir toujours plus familiers des Écritures saintes. Ignorer les Écritures, c’est ignorer le Christ. Un grand maître spirituel disait : Applique-toi avec constance et assiduité à la lecture sacrée jusqu’à ce que l’Écriture te transforme à sa ressemblance. (Cassien, Conférence 14,11)
Pour devenir priants, il nous faut acquérir une grande familiarité avec la Parole de Dieu (#80). C’est seulement en demeurant dans la Parole que nous devenons parfaits disciples. La fréquentation assidue de la Parole de Dieu, en particulier les Évangiles, demande plus encore que l’étude, elle conduit à une grande intimité avec le Christ.
Dans son testament spirituel Shahbaz Bhatti, 42 ans, le ministre des minorités assassiné le 2 mars dernier au Pakistan, écrivait :
Je veux vous dire que je tire beaucoup de force, d’inspiration dans la Bible et dans la vie de Jésus. Plus je lis le Nouveau et l’Ancien Testaments, les versets de la Bible et les paroles du Seigneur, et plus ma force et ma détermination sont renforcées.
Non je ne veux pas le pouvoir. Je veux seulement une place aux pieds de Jésus. Je veux que ma vie, mes actions parlent pour moi, et disent que je suis en train de suivre Jésus. Je veux vivre pour le Christ et pour lui je veux mourir. Moi je dis que tant que je vivrai, jusqu’à mon dernier soupir, je continuerai à servir Jésus et cette humanité souffrante, les chrétiens, les nécessiteux, les pauvres.( http://www.zenit.org/article-27194?l=french)
……. capables de se tenir sur la montagne du Thabor (2e dimanche du Carême)
Dans le 2e dimanche du Carême, la liturgie nous invitait à gravir la montagne de la prière, à nous tenir à l’écart de toutes nos préoccupations, de nos solitudes, à les quitter pour un temps, si nous voulons être en mesure – et c’est paradoxal – de les affronter en descendant de la montagne. Sur la montagne de la Transfiguration, Pierre a dit: il nous est bon d’être ici. Il aurait été plus précis de dire, dit saint François de Sales, il nous est bon de passer par ici pour aller à la montagne du Calvaire, celle de notre quotidien. Nous avons besoin de monter sur le Thabor, de nous approcher comme Moïse de la gloire du Seigneur, de voir cette lumière sur notre route qui nous permet ensuite de descendre le visage transfiguré (Ex 33, 8-23) dans la plaine enténébrée.
Au commencement du monde, Dieu nous attirait par la beauté. Mais la non beauté fascina davantage. Au commencement du nouveau monde, la voix du Père reconnaissant en Jésus son Fils bien-aimé, nous introduit, si nous savons nous brûler à sa Voix, douce comme un murmure d’une brise légère (1 R 19, 12),dans un paradis de beauté. Dieu nous a voulu beaux, nous a créés beaux. Dieu nous refait beaux si nous laissons la Parole de Dieu nous «contaminer». Je paraphrase un grand priant, saint Climaque et je nous dis que Dieu donne de la beauté à celui qui prie. Plus nous prions, plus nous voudrions prier, dit Newman, parce que sa beauté nous séduit.
Au Ve siècle, Léon le Grand disait que ces choses [le Christ glorieux et la Voix du Père] ne furent pas dites seulement pour l’utilité de ceux qui les entendirent de leurs oreilles.
………assoiffés d’une parole «eau vive» (3e dimanche du Carême)
Dans le 3e dimanche du Carême, la liturgie nous pousse encore plus loin dans notre recherche de qu’ont-ils vraiment besoin ? Quelqu’un demande de l’eau pour pouvoir en donner davantage. Une demande qui suscite une autre demande. C’est l’épisode de Jésus venu épouser au puits de Jacob son épouse blessée. L’humanité blessée. L’eau demandée par Jésus montre que Dieu est riche en miséricorde (Ep 2, 4). L’eau laisse voir une autre eau, purificatrice. Cette demande bien ordinaire d’eau engage cette femme, samaritaine, dans une longue conversation (une longue prière) avec quelqu’un qu’elle ne connait pas mais sur un sujet de première importance dans sa vie, l’eau.
Lentement, à partir d’une simple demande de Jésus (donne-moi à boire), sa curiosité l’emporte sur son inconvenance de parler à un juif, elle samaritaine, et elle demande à son tour : donne-moi de cet eau. Elle s’ouvre à Jésus qui s’ouvre à elle. Elle lui dit sans gêne ce qu’elle est et Jésus lui révèle son identité: Je lui suis, moi qui te parle. Merveilleux échange ! Merveilleuse conversation de deux cœurs qui se cherchaient mutuellement! De deux cœurs en adoration mutuelle! Elle est venue au puits avec une cruche, sa préoccupation quotidienne, elle est repartie portant Dieu, emportant Dieu.
Dans la démarche de cette femme, il y a l’élévation dont je parlais tantôt. Elle s’est élevée au dessus de sa réputation pour non plus se regarder, mais le regarder. Mais en le regardant, paradoxe, elle s’est retrouvée dépoussiérée de son péché, transformée. Il y a aussi tout le chemin qu’empruntent les priants: chemin de conversation, conversation amoureuse (Thérèse d’Avila), chemin élan du cœur (Petite Thérèse), chemin de renaissance, chemin de confiance, d’affection mutuelle, de découverte mutuelle, d’attention mutuelle, de communion, chemin d’enfantement à la prière. Bref, ce chemin nous arrache, nous fait dépasser la part d’inhumanité qui est en nous, pour tendre à devenir pleinement humain, parfait humain.
Qu’est-ce qu’ils ont vraiment besoin ? Réponse: de devenir parfait humain.C’est ce que Maurice Zundel, ce mystique du siècle dernier dont Paul VI a dit qu’il en était le plus grand, n’a cessé de montrer. Pour lui, croire en l’homme, c’est croire en Dieu.