17 ème Dimanche du temps ordinaire B – Homélie; Si ce texte évangélique avait été écrit par Jean de LaFontaine, nous aurions su que c’était une fable.
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17 ème Dimanche du temps ordinaire B
Homélie du frère Maxime Allard, dominicain
Si ce texte évangélique avait été écrit par Jean de LaFontaine, nous aurions su que c’était une fable.
Elle aurait alors pu être intitulée : l’administrateur, le généreux et le prophète ou le charismatique. Cette fable aurait recensé trois postures, trois manières de résoudre un problème, trois manière de réagir devant une situation complexe.
La situation est la suivante : Jésus et ses disciples sont sur la montagne. Une foule s’avance vers eux. Jésus a une de ses idées brillante habituelle : ce serait bien de nourrir cette foule. Mais où trouver de quoi nourrir 5 000 personnes au milieu de nulle part, lorsque boulangeries, poissonneries, pâtisseries et boucheries ne se trouvent pas à portée de la main ? L’épreuve, car c’en est une : où trouver cette nourriture ?
L’administrateur, illustré ici par l’apôtre Philippe, entre en scène. Premièrement, il déplace la question. Logique, il pose la question préalable car à quoi bon passer des heures à répondre à la question « où trouver et acheter ? » si on n’a pas de quoi payer. Mieux vaut s’assurer avoir la somme avant de se lancer dans la folle aventure. Alors, bon administrateur, il calcule. Pour que chacun ait un « petit morceau de pain », il faudrait le salaire de 200 journées de travail ! Mais comme Jésus veut certainement plutôt rassasier les gens – c’est plutôt son genre -, mieux vaut doubler cette somme afin que chacun reçoive un bon morceau de pain. Nous en sommes donc à 400 journées de travail. Mais du pain, aussi bon soit-il, cela ne constitue guère un vrai festin. Ajoutons donc un autre 200 jours de travail, de quoi acheter quelques poissons aussi. Cela fait donc un total de 600 journées de travail, soit, pour une seule personne, plus de 2 ans de travail, soit 48000 heures de travail, si on calcule qu’il travaille à 8heures\jour. Il faut voir que le salaire de base qui sert au calcul de Philippe est un salaire assez bas. On pourrait certes élever les salaires, cela prendrait moins d’heures pour amasser la somme nécessaire pour bien nourrir tout le monde. Mais voilà, on n’a pas ce temps. Philippe est réaliste. Donc la proposition de Jésus semble impossible à réaliser. Philippe a fait, en tant qu’administrateur, comptable, tout ce qu’il savait et pouvait faire. Il l’a bien fait… A-t-il passé l’épreuve ? Il ne faudrait pas répondre trop vite par l’affirmative ou la négative !
Passons au réaliste généreux, nommé André. Il n’est pas fort en calcul. Il se contente de regarder ce qui est autour de lui, à portée de la main car il veut donner, il est prêt à donner beaucoup, généreusement, sans compter à la dépense. Mais voilà : à portée de la main, il n’y a que quelques pains et du poisson en quantité négligeable. Avec toute sa bonne volonté, il doit s’avouer dépassé, incapable d’envisager comment faire. Il n’a pas le talent de l’administrateur, mais comme lui il atteint les limites de ses capacités. A-t-il failli l’épreuve proposée par Jésus ? Il ne faudrait pas répondre trop vite par l’affirmative ou la négative !
Alors entre en scène le prophète charismatique. Il n’y a presque rien et la foule est immense, qu’à cela ne tienne. La Providence existe, elle est bonne et généreuse. Il suffit de lui rendre grâce pour ce qu’on a déjà trouvé et espérer qu’elle soit alors mise en branle et qu’elle fasse descendre, miraculeusement, sur la foule de quoi la rassasier ! N’est-il pas écrit qu’un peu de foi, de la foi gros comme un grain de moutarde pouvait suffire à déplacer une montagne, alors, imaginez quelques 5000 pains et poissons, cela ne fait même pas une petite colline. Ce doit être possible. C’est dans les limites de l’espérance, surtout qu’elle est bien rivée sur une charité brûlante : nourrir ces gens, fatigués, estropiés peut-être qui se sont déplacés pour suivre Jésus, l’entendre, vivre de sa parole. Mais voilà, à part le cas du prophète Élisée, mentionné dans la première lecture et les quelques rares multiplications de pains et de poissons relatées de Jésus au cours de son ministère, on connaît peu de cas de ce genre de multiplication. Tentez l’expérience et vous verrez… Ce prophète a-t-il failli l’épreuve par Jésus ? Il ne faudrait pas répondre trop vite par l’affirmative ou la négative !
Pour aller plus loin, il faut faire un pas en arrière. La foule qui vient, elle le fait parce qu’elle a vu Jésus faire des « signes », guérir ses malades. C’est ce qui la met en mouvement. La proximité même des disciples au maître risque fort de ne plus les voir ou de n’en plus voir la portée, portés qu’ils sont par leur relation privilégiée avec lui. Par l’épreuve qu’il leur propose, Jésus les pousse à aller au bout de leur capacité. Il les excite à s’investir à fond et à parvenir aux confins de qui ils sont. Il les oriente vers leur manque, leurs limites, leur besoin d’aide. Afin qu’eux aussi redécouvrent, avec un regard renouvelé, la teneur des « signes » qu’il opère.
Que l’on soit l’administrateur, le généreux réaliste ou le prophète charismatique, il importe donc, humblement, de se reconnaître, comme la foule, à la suite du Christ, comme déjà partiellement en retard sur ce qui est enjeu dans sa parole, ses gestes et sa personne. Jésus les devance tous. Avancé, il les attire, les invite à le regarde lui, à le reconnaître lui et à ne se satisfaire ni de rendre grâce au Père pour leurs compétences ni de s’attrister de leurs incompétences. Ils pourront alors, avec la foule, confesser être en présence du « Prophète » et désirer vivre de sa surabondante générosité non plus, comme cela, au passage, sur une montagne, mais au quotidien : faisons-le notre roi en qui se croiseraient efficacement l’administrateur, le généreux réaliste et le prophète charismatique ! Mais Jésus les devance une fois de plus et refuse d’entrer dans ce jeu.
Depuis Pâques, les disciples se retrouvent ensemble à former un même « corps », l’Église. S’y retrouvent les administrateurs, les généreux réalistes et les prophètes charismatique. Difficile, malgré la foi commune et le même baptême qui les unisse, de les faire vivre et travailler ensemble. D’où l’appel de la Lettre aux Éphésiens à apprendre à vivre ensemble dans la douceur, l’humilité. En rassemblant leurs capacités propres, en les faisant travailler ensemble, qu’il sera possible de poursuivre l’œuvre de Jésus – nourrir les foules de la parole, dénoncer les injustices, veiller à ce que les exclus de toutes sortes trouvent un espace de reconnaissance – et, comme lui, de faire signe vers plus qu’un prophète, généreux administrateur royal, mais vers le Fils qui à son tour fait signe vers le Père de qui vient toute grâce et vers qui montent, de dimanche en dimanche, nos actions de grâce.
frère Maxime Allard, op
PROVERBE :
« Il faut savoir se contenter de ce que l’on a. »