Homélie du 14e dimanche ordinaire B

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Homélie du 14e dimanche ordinaire B

Ex 2, 2-5 ; 2 Co 12, 7-10 ; Mc 6, 1-6

Nous avons tous bien entendu : « Les proches de Jésus (qui étaient des croyants et des pratiquants) étaient choqués à cause de lui ». Et nous avons tous bien entendu que Jésus « s’étonnait de leur manque de foi ». Face aux prophètes, nous sommes exactement aujourd’hui dans la même situation. Qu’il s’appelle Ezéchiel ou Paul de Tarse, Helder Camara, abbé Pierre, ou sœur Emmanuelle… , et a fortiori Jésus de Nazareth, tout prophète prend des risques. Son langage et son comportement tranchent avec l’habituelle « langue de bois » ou, dans l’Eglise, « la langue de buis », et la rigidité des pratiques stéréotypées.
Tout prophète est toujours confronté à des interlocuteurs très susceptibles, qui s’appellent, même en chacun de nous, autorité et pouvoir, tradition et idéologie, ordre et convenances, opposition à toute critique et à toute remise en cause. Face à des murs de pierre ou des rideaux de fer hermétiques, le prophète est souvent très seul et combat à mains nues. Mais il a toujours eu, dans l’histoire de l’Alliance entre Dieu et son peuple, une mission vitale à remplir. Irremplaçable ! Quand les voix prophétiques sont étouffées, la foi entre en agonie.
Le vrai prophète est l’homme ou la femme du souffle. Le souffle de l’Esprit. Cet Esprit qui nous fait passer de la crainte à la confiance, qui nous fait sortir des pièces barricadées ou verrouillées.
La parole du prophète se moule dans la Bonne Nouvelle. Elle est une parole libre, parfois rude, toujours exigeante, mais une parole d’invitation et de dialogue, et non pas un décret autoritaire. Une parole infiniment respectueuse des consciences, qui nourrit l’espoir au lieu de brandir des menaces et de cultiver la peur.
Depuis toujours, tout prophète, comme le Christ, va d’abord vers les plus pauvres, les plus marginalisés, les plus dispersés. Les intouchables. Il ose donc franchir les barrières culturelles, religieuses, politiques et sociales. Même quand elles sont protégées par les barbelés et les tabous des certitudes et des « vérités » définitives.
Comme au temps du Christ, il est des prophètes aujourd’hui qui fréquentent des Samaritains hérétiques, des Marie-Madeleine parfumées et de scandaleux Zachée… jusque sur les plateaux de télévision, qui constituent la plus grande place publique du monde. Intolérable ! crie d’une seule voix le chœur des super-vertueux et des orthodoxes purs et durs.
Aujourd’hui encore, il est des passionnés de l’Evangile, qui vont annoncer la Bonne Nouvelle de Jésus Christ en des lieux peu recommandables et dans des publications douteuses. Et l’on voit même des cardinaux et des évêques, qui refusent une pastorale de ghetto, sortir de leur sacristie, de leur palais épiscopal, pour fréquenter des infréquentables et leur offrir la Bonne Nouvelle. Cela fait partie de leur mission.
Les prophètes se montrent toujours moins préoccupés par les dogmes qu’ils respectent, que par les situations et les problèmes concrets que vivent les hommes et les femmes de leur temps.
Comme Jésus, ils pratiquent la loi de l’amour plutôt que l’amour de la loi. Ils choquent donc inévitablement tout ce qui, en nous et autour de nous, peut s’appeler pharisien, bien-pensant, spécialiste de la loi et grand-prêtre.
Voyons Paul de Tarse, l’homme de l’ouverture et des intuitions prophétiques. Un exemple éclatant ! C’est ainsi qu’il s’est refusé à imposer la circoncision traditionnelle et sacrée aux chrétiens convertis du paganisme et formés par une toute autre culture. Et il s’est opposé farouchement à tous ceux qui tentaient de leur imposer les mille et une prescriptions de la loi de Moïse. Son principe : Ce n’est pas la loi avec « ses commandements et décrets » qui sauve, mais bien la foi au Christ.
Nous vivons encore aujourd’hui ce genre de tensions entre le « pouvoir » central de l’Eglise et celui des Eglises locales, tensions entre Pierre et Paul, entre l’institution et les charismes, les traditions figées et la Tradition vivante. Mais il n’y a pas de quoi s’affoler. Il ne s’agit ni de guerre, ni d’opposition, ni de désunion. C’est un signe de santé. D’ailleurs, ces mêmes tensions et combats se manifestent aussi dans nos territoires intérieurs. Nous sommes tous et chacun interpellés et choqués par les prophètes. Il ne faut donc pas avoir peur d’un débat dans l’Eglise. Ni même d’une confrontation qui peut, et même doit, rester fraternelle. D’ailleurs le respect et l’obéissance « n’empêchent pas d’avoir un avis ». Et la foi n’est pas là pour « piétiner la raison ».
Un évêque français, Mgr Mondésert (1) constate publiquement, d’une manière critique mais toujours positive et sereine, que « le décalage entre l’Eglise et toute une partie de la société s’approfondit à cause du discours ecclésial en matière de morale privée… Un écart se creuse entre le discours officiel de l’Eglise et les pratiques du plus grand nombre… L’autorité romaine… donne le sentiment de ne pas assez prendre en compte ce qui fait la complexité, voire la difficulté, de la vie des personnes ». Puis, en parlant de l’ensemble des chrétiens, il ajoute : « Il me semble que nous sommes victimes, là encore, d’une vision pyramidale de l’Eglise universelle… Même si l’on parle beaucoup de communion ou de collégialité, l’on a encore trop souvent l’impression que l’Eglise fonctionne davantage comme une société qui se voudrait parfaite, sans conflits, ni taches. Ni erreurs, ni péchés… Avec à sa tête un pouvoir central ! » Or, « l’Eglise ne se définit pas d’abord ainsi sur une relation de supériorité et de pouvoir. Mais bien, avant tout, sur une relation d’amour et de service, sur ce rapport de proximité existant entre Dieu et les êtres humains… On choisit trop souvent la rigidité des préceptes au détriment de la sollicitude pastorale, le juridisme au lieu du sens des personnes… En interpellant ainsi mon Eglise au nom de l’Evangile, en rappelant avec force les droits de la conscience et de la liberté humaine, je ne me sens pas seul. Je renoue avec cette histoire, qui a su, au fil des siècles, donner à l’Eglise son visage original. »
Mais ce n’est pas de tout repos. Car les prophètes de tous les temps entendent toujours les mêmes refrains qui leur sont adressés : « Qu’ils se taisent ! Sinon qu’on les crucifie ! ».

P. Fabien Deleclos, franciscain (T)

1925 – 2008

Mgr Mondésert, « Libres propos sur l’Eglise », DDB 1994.

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