Archive pour le 3 juillet, 2012
Dietrich Bonhoeffer: La prière d’intercession
3 juillet, 2012http://www.ndweb.org/ecrit/bonhoeffer/bonhoeffer.html
DIETRICH BONHOEFFER
La prière d’intercession
Une communauté chrétienne vit de l’intercession de ses membres, sinon elle meurt.
Quand je prie pour un frère, je ne peux plus en dépit de toutes les misères qu’il peut me faire, le condamner ou le haïr. Si odieux et si insupportable que me soit son visage, il prend au cours de l’intercession l’aspect de frère pour lequel le Christ est mort, l’aspect du pécheur gracié. Quelle découverte apaisante pour le chrétien que l’intercession : il n’existe plus d’antipathie, de tension ou de désaccord personnel dont, pour autant qu’il dépend de nous, nous ne puissions triompher. L’intercession est bain de purification où, chaque jour, le fidèle et la communauté doivent se plonger. Elle peut signifier parfois une lutte très dure avec tel d’entre nos frères, mais une promesse de victoire repose sur elle.
Comment est-ce possible ? C’est que l’intercession n’est rien d’autre que l’acte par lequel nous présentons à Dieu notre frère en cherchant à le voir sous la croix du Christ, comme un homme pauvre et pécheur qui a besoin de sa grâce. Dans cette perspective, tout ce qui me le rend odieux disparaît, je le vois dans toute son indigence, dans toute sa détresse, et sa misère et son péché me pèsent comme s’ils étaient miens, de sorte que je ne puis plus rien faire d’autre que prier : Seigneur agis toi-même sur lui, selon Ta sévérité et Ta bonté. Intercéder signifie mettre notre frère au bénéfice du même droit que nous avons reçu nous-mêmes ; le droit de nous présenter devant le Christ pour avoir part à sa miséricorde.
Par là nous voyons que notre intercession est un service que nous devons chaque jour à Dieu et à nos frères. Refuser à notre prochain notre intercession c’est lui refuser le service chrétien par excellence. Nous voyons aussi que l’intercession est, non pas une chose générale, vague, mais un acte absolument concret. Il s’agit de prier pour telles personnes, telles difficultés et plus l’intercession est précise, et plus aussi elle est féconde.
Dietrich BONHOEFFER
Grand théologien de l’Eglise luthérienne allemande, pasteur,
Dietrich Bonhoeffer lutta ouvertement et jusqu’à sa mort contre le nazisme.
(1906 – 1945)
Texte extrait de « De la vie communautaire », Ed : Delachaux et Niestlé, collection « l’actualité protestante », 1947, 141 p, p85 – 87.
Dietrich Bonhoeffer : la création
3 juillet, 2012http://www.erf-auteuil.org/protestantisme/bonhoeffer-la-creation.html
BONHOEFFER : la création
Les grandes figures du protestantisme et leur rapport à la Bible n°4
A l’université de Berlin, lorsque Dietrich Bonhoeffer y faisait ses études, prévalait la méthode historico-critique de la Bible. Cette méthode ne le satisfit pas puisqu’il déclara un jour que la critique historique des textes bibliques n’était que » poussière et cendre « . Plus tard, il révisa quelque peu son opinion et reconnut que le travail historique sur les textes devait être fait, même si la critique avait peu à dire concernant le message de l’Ecriture. Son ami et biographe Eberhard Bethge raconte qu’il aimait, en parlant de l’exégèse biblique, évoquer l’image de la traversée d’une rivière gelée en sautant d’un caillou à l’autre.(1) Progres-sivement Bonhoeffer se détacha de la méthode historico-critique et dans le séminaire qu’il dirigea à l’université de Berlin, il pratiqua ce qu’on appelait alors l’ » exégèse pneumatique « . Dans l’Ecriture, disait-il, il y a la révélation, parce que Dieu y parle ; certes, c’est indémontrable, mais c’est de là qu’il faut partir. Pendant l’hiver 1932-1933, il donna un cours sur Genèse 1-3. Il appela sa méthode une » Exégèse théologique » (autre nom pour l’exégèse pneumatique) : le texte devait être lu moins comme un document du temps passé que comme parole vivante et présente.
Ce cours fut publié sous le titre Création et Chute ; l’édition française date de 1999.(2) Dans son introduction, il déclare : » Une exégèse théologique va considérer la Bible comme le livre de l’Eglise, et c’est en cette qualité qu’elle va l’interpréter. Sa méthode n’est rien d’autre que cette présupposition et elle consiste à revenir constamment du texte à cette présupposition (le texte devant être analysé au moyen de toutes les techniques de la recherche philologique et historique). Telle est l’objectivité de la méthode de l’exégèse théologique « .
Création et Chute est un petit ouvrage fascinant, très dense du point de vue de la réflexion théologique et du langage. Les thèmes abordés sont naturellement le » commencement » et le » péché » inséparables dans la pensée de Bonhoeffer ; mais deux autres notions essentielles dans son interprétation sont la » liberté » et la » limite « . Etant donné l’impossibilité de tracer ces notions-clés de l’exégèse du théologien allemand en deux pages, je me propose de vous présenter aujourd’hui » La Création » et de traiter » La Chute » dans le prochain bulletin.
Prenons pour point de départ Gen. 1, 1-2 : » Au commencement Dieu créa le ciel et la terre « . Ce qui signifie, explique Bonhoeffer que le créateur (dans sa liberté) a créé la créature. Le rapport entre les deux n’est conditionné que par la liberté, c’est-à-dire qu’il est inconditionnel. Ce qui exclut tout recours à des catégories causales pour la compréhension de la création. Créateur et créature ne peuvent absolument pas être interprétés dans une relation de cause à effet. Il n’y a entre eux ni règle concernant la pensée ni règle concernant l’effet, ni quoi que ce soit d’autre. Entre créateur et créature, il n’y a tout simplement que le néant. On ne saurait donc avancer une nécessité qui aurait dû conduire à l’acte de la création. En somme, rien ne motive la création. C’est de ce néant que sort la création. Mais, ajoute-t-il, » le néant n’a aucun caractère angoissant pour la première création ; au contraire, c’est la louange éternelle à la gloire du créateur qui a fait le monde à partir de rien. Le monde repose sur le néant, au commencement, et cela ne veut rien dire d’autre que ceci : le monde repose entièrement sur la liberté de Dieu. La créature appartient au créateur qui est libre « . Cela signifie aussi pour Bonhoeffer, que le Dieu du commencement, celui qui a créé dans la liberté, à partir du néant, est le Dieu de la résurrection : » Dès le commencement, le monde est sous le signe de la résurrection de Christ d’entre les morts. Bien plus, c’est parce que nous avons connaissance de la résurrection que nous connaissons aussi la création par Dieu, au commencement, la création par Dieu à partir du néant. Le Jésus-Christ mort du vendredi saint – et le Seigneur ressuscité du dimanche de Pâque, c’est cela la création à partir du néant, la création à partir du commencement « .(3) C’est seulement à partir du Christ, de sa mort et de sa résurrection, que l’homme peut comprendre ce que veut dire » création » et donc ce que nous sommes. Mais d’un autre côté, ajoute Bonhoeffer, » c’ est par la création que nous connaissons la puissance de sa résurrection car il demeure le maître du néant « . (4)
Si au commencement est Dieu, la créature, l’homme, ne se trouve pas au » commencement « , à l’origine, ni à la fin. Il est entre. Il est, dit Bonhoeffer, dans » l’entre-deux terrifiant « .(5) Ce n’est par une question de lieux mais de niveaux. L’homme ne se trouve pas sur le même plan que son origine. Il aimerait se projeter vers le commencement, mais ce commencement n’est pas à sa portée. La place de l’homme est l’ » entre-deux « . Il est libre, mais il lui a été donné une limite qu’il ne peut dépasser sous peine de mourir et cette limite est située au centre.
Examinons son commentaire de Gen 2, 8-17. Bonhoeffer s’interroge d’abord sur la place dans le Jardin de l’arbre de vie et de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, car les notions de » centre « , et de » limite « , sont essentielles dans sa pensée pour comprendre le péché. A propos de l’arbre de Vie, il écrit : » La vie qui vient de Dieu est donc au centre, ce qui signifie que Dieu, qui donne la vie, est au centre « . Cette vie, l’homme la reçoit en présence de Dieu, en qualité d’être humain ; il la reçoit » dans son obéissance, dans son innocence, dans son ignorance, ce qui veut dire qu’il l’a dans la liberté. Le fait que l’être humain vive, c’est quelque chose qui se produit dans l’obé-issance et pour cause de liberté « .(6) Dieu n’a pas interdit à Adam de toucher à l’arbre de vie. Pourquoi voudrait-il y toucher ? Il a en effet la vie.
Il n’en est pas de même de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. De façon magistrale, Bonhoeffer démontre que l’ordre donné à Adam de ne pas manger du fruit de l’arbre de la connaissance marque la limite de la liberté de l’homme et renforce son statut de créature. » Par l’interdiction, Adam est interpellé sur sa liberté et sur sa situation de créature, et cette interdiction se situe dans l’essence de sa propre personne « . Dans le langage imagé de la Bible, le » mélange singulier » qui est celui de la liberté et de la condition de créature, s’exprime par le fait que l’arbre interdit est situé au centre : » La limite de l’être humain est au centre de son existence, dit-il, pas sur ses marges. La limite que l’on cherche sur les marges de l’être humain, c’est la limite de sa nature, de sa technique, de ses possibilités. Mais la limite qui est située au centre, c’est celle de sa réalité, tout simplement celle de son être … Reconnaître la limite au centre entraîne la limitation de toute l’existence, de l’existence humaine dans n’importe quelle attitude. Là où se trouve la limite – l’arbre de la connaissance – là aussi se trouve l’arbre de la vie – c’est-à-dire le Dieu source de vie en personne. Il est à la fois limite et centre de notre existence « . (7)
La grande originalité de sa réflexion est de démontrer que cette » limite » doit être comprise comme un » don » de Dieu, comme une grâce. Cette limite située au centre de l’être qui définit l’homme dans son rapport à Dieu, est aussi pour le théologien allemand, nous le verrons la prochaine fois, la limite qui définit l’homme par rapport à l’autre homme.
Liliane CRÉTÉ
(1) Eberhard Bethge, Dietrich Bonhoeffer, Pensée, Témoignage, Génève, Labor et Fides, 1969, p. 73.
(2) Dietrich Bonhoeffer, Création et chute, traduction Roland Levet, revue par Hans Christoph Askani, Paris, Les Bergers et les Mages, 1999.
(3) Ibid. p. 32-33.
(4) Ibid. p. 33.
(5) Ibid. p. 29.
(6) Ibid. p. 67.
(7) Ibid. p. 68.
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