LA DÉVOTION AU SACRÉ-COEUR (15 juin)
14 juin, 2012http://spiritualite-chretienne.com/s_coeur/resume_a.html
LA DÉVOTION AU SACRÉ-COEUR (15 juin)
Résumé historique et théologique
Ere Patristique
Les auteurs dont les noms sont imprimés en caractères gras sont ceux qui figurent au chapitre chronologie, où l’on trouvera les citations correspondantes, ainsi qu’au chapitre biographies, pour le lecteur qui souhaiterait les mieux connaître.
- Les textes des citations retenues pour l’ensemble de ce chapitre ont été confirmés sur plusieurs ouvrages de référence, et en particulier : Le Sacré-Cœur de Jésus et la Tradition, par le R.P. Xavier de Franciosi (Tournai – Paris, Casterman, 2° édition 1908), Histoire de la dévotion au Sacré-Cœur (5 vol.), par A. Hamon (Paris, Beauchesne, 1923-1940), La Dévotion au Sacré-Cœur de Jésus – Doctrine – Histoire, par J.-V. Bainvel (Paris, Beauchesne, 1917), L’Origine du Culte du Sacré-Cœur de Jésus et son objet, par l’Abbé Levesque (Avignon, Maison Aubanel, 1930), Le Cœur du Sauveur, par Joseph Stierli (Mulhouse, Salvator, 1956), ainsi que Développement historique de la Réparation dans le culte du Cœur de Jésus, par Jésus Solano (Rome, C.D.C., 1982). Concernant l’Ordre Bénédictin, nous avons consulté plus particulièrement les deux ouvrages de la collection Pax (vol. X et XXVI) : La Dévotion au Sacré-Cœur dans l’Ordre de S. Benoît par D. Ursmer Berlière (Paris, Lethielleux et Desclée, De Brouwer & Cie, Abbaye de Maredsous, 1923) et L’Amour du Cœur de Jésus contemplé avec les saints et les mystiques de l’Ordre de Saint Benoît, textes recueillis et traduits par les moniales de Ste Croix de Poitiers (Paris-Bruges, Desclée de Brouwer et Cie, Abbaye de Maredsous, 1936). Concernant l’Ordre Dominicain, nous avons de même consulté plus spécialement La dévotion au Sacré Cœur de Jésus dans l’Ordre de Saint-Dominique par l’auteur de « Chez les Dominicaines du Grand Ordre », Paris, Librairie Dominicaine, et Bar-le-Duc, 1929. Il existe un travail similaire concernant l’Ordre Franciscain : Le Sacré-Cœur de Jésus par le P. Henri de Grèzes (Paris, Etudes franciscaines, 1890).
1. L’ère patristique : le Cœur du Christ, Source de Vie
Il est bien entendu impossible, dans les premiers temps de l’Eglise, de parler de culte du Sacré-Cœur. Cependant, dès les premiers siècles, les Pères de l’Eglise et les théologiens réfléchissent sur un certain nombre de versets bibliques qui, par la plaie au côté du Christ en croix, les amènent à appréhender le Cœur divin sous un jour nouveau.
Il se penchent ainsi tout d’abord sur les versets de l’Evangile de Jean 7,37 et 19,34.
Du rapprochement de ces textes est née l’image du Cœur du Christ blessé, dispensant l’Esprit à ceux qui veulent s’y abreuver. La plaie du côté d’où s’écoulent le sang et l’eau – signes de vitalité et de fécondité – s’ouvre sur la purification et la rédemption de l’homme. Nous sommes là au cœur, au point central de l’Evangile de Jean. Citons de cette période patristique :
· Saint Justin (v.100-v.165), l’apologiste romain, donne dans son Dialogue avec Tryphon (CIII, commentaire du Psaume 21) le texte extra-biblique le plus ancien que nous connaissions sur le Cœur du Christ : « L’expression « comme de l’eau se sont écoulés et ont été dispersés mes os, mon cœur est devenu comme une cire fondue au milieu de mes entrailles » (Ps 22,15) était aussi une prédiction, et c’est ce qui lui est arrivé cette nuit-là où ils s’en vinrent contre lui sur le Mont des Oliviers pour le saisir. Car dans les « Mémoires » que j’ai dit que ses apôtres et leurs disciples ont composés, il est écrit qu’une sueur comme faite de caillots de sang lui coulait tandis qu’il priait en disant : « Que s’éloigne si c’est possible ce calice ! ». C’est que son Cœur était évidemment tout tremblant ; de même ses os ; son Cœur était comme une cire fondante qui coulait dans ses entrailles, afin que nous sachions que le Père, à cause de nous, a voulu que son Fils souffre réellement de semblables douleurs et que nous ne disions pas que, fils de Dieu, il ne sentait pas ce qui lui arrivait et survenait. […] Nous autres chrétiens, nous sommes le véritable Israël, né du Christ ; car nous avons été taillés dans son cœur comme des pierres arrachées au Rocher ».
· Saint Irénée (v.130-v.202), l’évêque de Lyon, pour qui l’Eglise est la source de l’eau vive qui vient à nous du Cœur du Christ.
· Un membre anonyme de cette Eglise de Lyon, dont le récit du martyre du diacre Sanctus de Vienne nous a été transmis par Eusèbe (Histoire de l’Eglise, liv.5), qui nous dit que « de la source céleste comme une rosée bienfaisante et fortifiante descendait sur lui l’eau vive qui s’écoule du Cœur du Christ ».
Quelques auteurs inconnus des III° et IV° siècles, tels :
· L’auteur de l’ouvrage De montibus Sina et Sion (III° siècle), dans lequel on peut lire « La loi des chrétiens est la sainte croix du Christ, le Fils du Dieu vivant. Or le Prophète a dit : Ta Loi est au milieu de mon cœur (Ps.39,9). C’est pourquoi le Christ fut transpercé, et de son côté s’écoula le breuvage de sang et d’eau ».
· L’auteur de l’ouvrage Liber graduum (manuscrit syriaque du IV° siècle), qui écrit : « Son Cœur s’est rempli de tristesse à cause de nos iniquités, c’est-à-dire comme effet de son amour envers les créatures exposées à se perdre. […] Le Seigneur s’est attristé également en voyant ceux qui l’avaient trahi et crucifié, et il a prié pour eux avec des larmes, pour nous donner l’exemple : afin que nous priions nous aussi pour ceux qui nous font du mal, versant nos larmes pour implorer leur pardon, comme Lui-même l’a fait pour nous devant son Père ».
Mais aussi :
· Saint Hippolyte de Rome (v.170-235), mort martyr, qui voit dans ce fleuve d’eau vive la réalisation de la figure des quatre fleuves qui arrosaient le Paradis, fleuve qui renouvelle à son tour la terre en un nouveau Paradis.
· Origène (v.185-v.252), qui voit dans le Cœur transpercé du Christ la source à laquelle le chrétien doit s’abreuver.
· Saint Cyprien (v.200-258), évêque de Carthage, qui est avec Tertullien l’un des pionniers de la littérature chrétienne latine. Dans son Homélie 84 sur Jean 19 (in de Montib. Sinae et Sion), il écrit : « C’est par la vertu de la mort du Christ que la sentence de notre condamnation fut déchirée, que nos péchés furent effacés, et que nous avons recouvré notre liberté ; et, par un privilège spécial, la charte de notre pardon fut scellée du sceau de la plaie latérale ». Il ajoute, dans son Homélie sur la Passion du Christ : « O chrétien, voyez donc la profondeur de cette plaie et, par cela même, l’étendue de l’amour du Christ ; par elle, la vraie fontaine vous est ouverte, c’est-à-dire le Cœur de Jésus dans lequel vous pouvez entrer ; pénétrez-y donc, car il peut vous contenir tout entier ».
· Saint Athanase (v.296-373), patriarche d’Alexandrie et « père de l’orthodoxie », qui prolonge ce regard sur la plaie du côté, dans son Homélie sur la Passion : « De toutes les plaies du Sauveur, aucune n’est comparable à celle de son côté d’où s’écoule du sang et de l’eau. De même que par la femme, formée du côté du premier homme, vint la chute, de même aussi la Rédemption et la Réparation nous sont venues du côté ouvert du second Adam : la Rédemption par le sang et la Purification par l’eau ».
· Saint Ambroise (340-397), l’évêque de Milan, qui dans son Explication sur les Psaumes, invite les fidèles à s’abreuver au Christ lui-même (I,33) : « Abreuve-toi auprès du Christ, car il est le Rocher dont les eaux découlent, abreuve-toi auprès du Christ, car il est la source de vie, abreuve-toi auprès du Christ, car il est le fleuve dont le torrent réjouit la cité de Dieu, abreuve-toi auprès du Christ, car il est la paix, abreuve-toi auprès du Christ, car des fleuves d’eau vive jaillissent de son sein. ».
· Et également Jean Scot Erigène (IX° siècle), philosophe et mystique originaire d’Irlande, qui – méditant sur Jean 1,18 (« Nul n’a vu Dieu : le Fils unique qui est tourné vers le sein du Père, lui, l’a fait connaître ») – voit ainsi le Verbe incarné « insinuer » (insinuare en latin) l’amour originel dans le monde, et y répandre la lumière. Son traité De la division de la nature sera condamné en 1225 par Honorius III.
Vient ensuite l’image de Jean, penché sur le Cœur du Christ au cours de la sainte Cène, rapportée en Jean 13,23. Cette proximité de l’apôtre alimente une piété particulière envers lui, que l’on retrouvera encore chez Marguerite-Marie.
· Saint Grégoire de Nysse (†395), nommé évêque de Nysse en 372 par son frère puîné saint Basile le Grand (v.330-379), écrit par exemple : « Celui qui, pendant la Cène, reposa sur la poitrine du Seigneur, aimait la doctrine du Verbe (Verbi amavit ubera). Comme une éponge, il trempe son cœur dans la source de vie, tout imprégné, par une ineffable vue des mystères du Christ, il nous révèle son âme remplie de la science du Verbe, et nous fait part des vérités qu’il a puisées à leur source ; il affirme de sa grande voie que le Verbe est éternel ».
· Saint Augustin (354-430), évêque d’Hippone, dit également que « saint Jean a reçu du Seigneur (sur la poitrine duquel il reposa à la Cène, afin de signifier par là qu’il lui fut donné de puiser des mystères plus profonds au plus profond de son cœur), saint Jean reçu du Seigneur la grâce tout à fait spéciale de pouvoir dire sur le Fils de Dieu des choses telles que l’esprit des petits peut bien en être aiguillonné… ». Et encore (De la Trinité, IX,10,15) : « Il voit plus haut que toute créature, car il boit à la poitrine du Seigneur. C’est lui, Jean, le saint évangéliste, celui que Jésus préférait tellement qu’il a reposé sur sa poitrine. Là était caché le secret où il devait boire ce qu’il nous restituerait dans son évangile ».
· Saint Paulin de Nole (353-431), disciple en Aquitaine du poète latin Ausone (v.310-v.395) avant sa conversion, puis évêque de Nola en Campanie, écrit à son tour que « Jean qui eut le bonheur de reposer sur la poitrine du Seigneur fut rempli de l’Esprit-Saint, car il puisa directement au Cœur de la Sagesse, qui créa toutes choses, une intelligence qui dépasse celle de toutes les créatures ».
Un autre élément capital de ces prémices à la dévotion au Cœur du Christ, est l’image de l’Eglise née du Cœur du Sauveur transpercé par la lance. Cette théologie de l’Eglise, nouvelle Eve née d’un nouvel Adam, trouve ses fondements en plusieurs passages du Nouveau Testament, et notamment en Romains 5,14, Actes 3,15 et Hébreux 2,11.
· Tertullien (v.155-220), apologiste d’Afrique du Nord et premier des écrivains de langue latine, qui aborde dans l’un de ses Traités (De Anima) cette blessure faite par la lance à la poitrine du Sauveur : « Le sommeil d’Adam figurait la mort du Christ qui devait s’endormir sur la croix, pour laisser sortir, de la plaie de son côté, l’Eglise, la véritable Mère des vivants ».
· L’auteur de l’ouvrage Adversus Marcionitas (III° siècle), qui fait naître l’Eglise du Cœur de Jésus, en la comparant aux fleuves du Paradis.
· L’auteur de l’ouvrage De rebaptismate (III° siècle), qui rappelle que « ces fleuves ne furent visibles que dans la Passion de Notre-Seigneur, dont le côté ouvert par la lance du soldat laissa s’écouler le sang et l’eau ».
· Saint Jean Chrysostome (v.344-407), l’un des quatre grands Docteurs de l’Eglise Orientale, moine, ermite, et nommé contre son gré en 398 évêque de Constantinople, il est l’auteur de Sermons qui l’ont rendu célèbre dans tout l’Orient et lui ont valu son surnom de « Bouche d’Or ». Il écrit par exemple : « La lance du soldat ouvrit le côté du Christ, et voici que, de la blessure de son côté, le Christ a formé l’Eglise, tout comme Eve, notre première Mère fut tirée de la côte d’Adam. C’est pourquoi saint Paul dit : « Nous sommes la chair de sa chair et les os de ses os ». Il veut parler de la blessure ouverte au côté de Jésus. Comme Dieu tira une côte de la poitrine d’Adam pour en former la femme, le Christ fit couler de la blessure de son côté l’eau et le sang, pour en tirer l’Eglise ».
· Saint Augustin, cité plus haut, qui reprend : « Adam dort afin que naisse Eve ; le Christ meurt afin que naisse l’Eglise », et dans le Traité CXX sur saint Jean : « C’est avec dessein que l’Evangéliste ne dit point : La lance frappa le côté de Jésus, ou : La lance le blessa, mais qu’il assure expressément qu’elle l’ouvrit. Car de ce côté ouvert, comme d’une porte de vie, sont sortis les Sacrements sans lesquels personne ne peut entrer dans la véritable vie. Cette eau salutaire tempère la soif ; elle nous purifie et nous sert de breuvage. La blessure du côté était figurée par l’ouverture que Noé reçut ordre de faire sur l’un des flancs de l’arche et par laquelle entrèrent les êtres animés qui ne devaient pas périr dans le déluge ; tout ceci était l’image de l’Eglise. Elle était encore figurée, cette blessure, par le côté d’Adam, d’où la première femme fut tirée. Eve fut appelée « la vie » ou « mère des vivants ». Là se trouvaient renfermé le grand mystère de l’avenir. Ainsi Jésus-Christ, le second Adam, vit la sainte Eglise, son auguste Epouse, sortir de son côté, lorsqu’il sommeillait sur la croix ».
· Saint Grégoire de Tours (540-594), né Georges Florentius, nommé évêque de Tours en 573 et très apprécié du pape saint Grégoire le Grand (v.540-604), qui écrit également : « Tout le monde sait que le premier homme, Adam, est, avant sa faute, la figure du Rédempteur ; notre Seigneur, de son côté ouvert, Jésus endormi du sommeil de sa Passion, laisse couler le sang et l’eau, et ainsi met au monde l’Eglise vierge, sans tache, baignée dans le sang, purifiée dans l’eau sanctificatrice, sans souillure et sans ride ».
Citons encore, sur ce thème, pour le haut Moyen Age :
· Saint Bède le Vénérable (673-735), Bénédictin anglais, Docteur de l’Eglise, dont l’œuvre sur l’histoire de l’Eglise en Angleterre l’a fait nommer « père de l’histoire anglaise ». Dans son commentaire du Cantique des Cantiques (IV,9), il contemple dans la plaie du côté l’amour du Sauveur pour son Eglise.
On retrouvera ces enseignements sur le Cœur du Christ présents dans les sermons de l’époque carolingienne comme dans nombre de productions des artistes de ce haut Moyen Age.