Archive pour le 22 juin, 2012
Esaïe 49/1-6 : Le rouleau du prophète Esaïe. (première lecture)
22 juin, 2012http://jbesset.blogspot.it/2011/01/normal-0-21-esaie-491-6-le-serviteur-de.html
Esaïe 49/1-6 :
Le rouleau du prophète Esaïe.
Les voies du Seigneur sont bien étranges ! Il se produit parfois dans la vie du croyant des moments où il ne trouve plus de cohérence entre sa foi en Dieu et les événements qu’il est en train de vivre. Des questions surgissent et restent sans réponse. Pire encore, les réponses qu’il trouve en Dieu sont tellement provocantes que c’est sa relation avec Dieu qui s’en trouve bousculée.
Sans doute certains d’entre nous se ont-ils rencontré de telles situations si bien qu’ils risquent de trouver un certain intérêt dans la suite de ce propos.
Ici, il s’agit du prophète lui-même qui ne trouve plus de cohérence entre le message qu’il est sensé délivrer et la foi en ce Dieu qui l’a mandaté. Il se sent mis en cause par le message dont il est chargé
« c’est pour rien que je me suis fatigué, c’est pour le chaos, la futilité que j’ai épuisé ma force. » Voilà la conclusion de sa réflexion.
L’homme qui parle ainsi est un prophète a succès. C’est un homme qui se sait choisi par Dieu dès le sein de sa mère. Ils ne sont pas nombreux dans l’Ecriture ceux qui peuvent revendiquer un tel privilège. Sa bouche a été formée pour prononcer la parole de Dieu tel un glaive acéré. Il se sait avoir été visité par l’esprit vivifiant du Seigneur. Il a porté à la face de son peuple des paroles qui ont suscité une vague d’espérance sans précédent et voici que le message dont il est chargé devient incohérent à ses propres oreilles. Il ne distingue plus où l’esprit du Seigneur le pousse.
Cet homme n’est pas désabusé par un long ministère infructueux, et sa morosité n’est pas l’expression de son échec intérieur. Tout son désarroi découle du texte que nous venons de lire. La bonne nouvelle qu’il est sensé porter semble avoir changée de nature. Il ne doit pas prêcher seulement la fin de l’exil et le retour à la prospérité. Il doit aussi parler de justice et d’équité. Le Dieu dont il doit porter le message est différent du Dieu en qui ses contemporains espèrent. Si Dieu libère son peuple, il prend également soin des pauvres et des égarés. Le prophète comprend qu’il ne doit pas être seulement un prédicateur à succès mais qu’il doit aussi donner un autre ton à son message. Une telle évolution dans sa manière de penser va mettre sa vie en cause, peut être pressent-il qu’il en mourra ? Nulle ne saurait le dire car l’Ecriture garde ses secrets.
Le prophète Esaïe dont il est question ici est l’autre Esaïe. Il s’agit de celui que les gens instruits en matière d’Ecritures appellent le Deutéro-Esaïe qui vivait 150 ans après celui dont le Livre du prophète porte le nom. Nous l’appelons « Deuxième Esaïe » parce que les chapitres qui lui sont consacrés font suite à ceux de l’autre prophète, ils ont été transmis sur le même rouleau, et c’est parce que nous ne connaissons pas son nom qu’on lui a donné celui du précédant tant il est vrai qu’on ne prête qu’aux riches. On trouve ses récits à partir du chapitre 40 jusqu’au chapitre 55. La teneur de son message est de la même veine que le premier Esaïe c’est pourquoi on les a parfois confondus. Le premier vivait à l’époque royale et le second vivait pendant l’exil.
Nous avons lu ses propos désabusés sur lui-même. Il est conscient de sa vocation de prophète. Il a été choisi dès le ventre de sa mère pour apporter une bonne nouvelle au peuple. Il a exprimé cette bonne nouvelle en annonçant le retour des exilés dans leur terre d’origine. Il est le premier à discerner un changement dans le comportement des puissants. Il a pressenti le premier, que Dieu allait se servir d’un chef conquérant pour restaurer l’ancien royaume d’Israël. Il a vu dans celui dont l’étoile s’est levée en Perse le bras armé de Dieu pour favoriser le retour des exilés: Cyrus. Il vole de victoires en victoires, déjà il est aux portes de Babylone. On l’acclame comme sauveur, il est salué du titre de fils de Marduk, le grand Dieu. Sa générosité proverbiale alimente les chroniques. Il maintient en vie les princes vaincus qu’il astreint à résidence dans un palais où ils coulent des jours paisibles. Il respecte la religion des pays vaincus, il restaure les cultes abolis. Esaïe prédit le retour de ses contemporains chez eux grâce à Cyrus qu’il salue du titre de « messie » réservé jusque là aux rois d’Israël.
Telle était la mission qu’il avait reçue de Dieu telle est la mission qu’il a accomplie. Pourquoi rechigner ? Pourquoi maintenant ce ton désabusé ? Parce que, comme tous les penseurs, il doit mettre de l’ordre dans ses pensées. Il doit mettre en accord le message que Dieu lui inspire avec les événements du moment car Dieu ne parle pas d’une manière abstraite.. L’euphorie du retour ne suffit pas. Il lui faut parler de justice, de droits du plus faible.
Depuis la chute de Jérusalem ses contemporains se sont posés beaucoup de questions sur le sens des événements. Ils se sont interrogés sur le sens de la souffrance. Y a-t-il une relation de cause à effet entre les fautes et les souffrances. Celles-ci sont-elles l’effet du châtiment de Dieu sur les fautes commises jadis à l’époque de la prospérité ? Dieu les fait-il souffrir en exil pour payer les fautes de leurs dirigeants. Dieu peut-il infliger un châtiment aux innocents? Sont-ils tous coupables ? Est-il concevable que le Dieu de justice ait un rôle à jouer dans les souffrances ?
Maintenant que la promesse du retour se fait jour, Le prophète ne peut plus escamoter les vraies questions que tous se posent depuis si longtemps. Dieu joue-t-il un rôle dans la souffrance des hommes et en particulier dans la souffrance des innocents ? Les réponses du prophète seront mal perçues et on l’ accusera de tenir des propos inacceptables. On l’accusera de modifier le message de Dieu.
Sachant ce que les mots veulent dire, sachant ce que Dieu lui a donné de comprendre, le prophète sait quel accueil recevra son message ! Il sait que son confrère Ezechiel a été pris pour un fou quand il a essayé d’aborder de telles questions. Il sait que tout propos mettant en cause la nature de Dieu suffira à déclencher l’hostilité contre lui. De prophète de bonheur, il va devenir prophète provocateur et la violence se retournera contre lui.
Il tend le dos, il résiste à ceux qui lui arrachent la barbe, il se laisse malmener par ceux qui l’écoutent. Il est traîné comme une brebis que l’on tond, comme un agneau que l’ on égorge. C’est dans son propre martyr qu’il prend conscience de la vérité, et la vérité ne fait pas plaisir à entendre. Alors qu’il est victime de la colère des hommes pour avoir mal parlé de Dieu selon eux, alors qu’il subit leurs violences il découvre que son compagnon d’infortune c’est Dieu lui-même. Dieu quitte sa gloire pour venir souffrir des coups qu’on lui porte et quand on lui arrache la barbe c’est la barbe de Dieu que l’on arrache.
Il affirme donc que la souffrance n’est pas voulue par Dieu mais qu’elle est ressentie par lui comme autant de coups qu’on lui porte. Dieu vient prêter main forte à celui qui lutte contre les injustices que subissent les hommes en venant partager leurs combats. Le Messie tant attendu par Israël ne sera pas Cyrus. Cyrus ne sera que le souverain politique, le vrai Messie d’Israël c’est celui qui vient souffrir avec eux et partager les détresses des plus démunis. Mais quel est ce Dieu qui se révèle ainsi ? Quel sens peut prendre notre foi en un tel Dieu ?
Le prophète persécuté va alors écrire quatre poèmes où il développe le portrait du Messie qu’il décrit comme compatissant à la souffrance humaine( 1). Cinq siècles avant Jésus, un prophète anonyme lui avait donc déjà balisé le chemin sur la terre de Babylone. Désormais, il faudra que l’on s’habitue à cette nouvelle conception de Dieu.
Dieu choisit désormais de se manifester, non pas par des miracles spectaculaires mais en pénétrant l’humanité qu’il travaille de l ’intérieur pour surmonter avec chaque individus les épreuves qu’il traverse. Ainsi conforté par cette présence de Dieu à ses côtés l’homme ne sera plus démuni quand le destin l’accablera. Il trouvera le regard bien veillant de Dieu, il sentira sa main sur son épaule, il pourra puiser dans la force de son esprit l’énergie dont il aura besoin et il trouvera l’éternité au bout de son chemin.
(1) les chants du Serviteur Souffrant se trouvent Esaïe 42/1-9 ; Esaïe 49/1-7 ; Esaïe 50/ 4-11 et Esaïe 52/13-53/12
Homélie de la Nativité de Jean Baptiste
22 juin, 2012http://parolesdudimanche.blogs.lalibre.be/
Homélie de la Nativité de Jean Baptiste
(Prononcée le 24 juin 2001, les évènements cités sont de cette époque)
La veille : Jr 1, 4-10 ; 1 P 1, 8-12 ; Lc 1, 5-17 – Le jour : Is 49, 1-6 ; Ac 13, 22-26 ; Lc 1, 57-66, 80
Il y a quelques jours, sur la Une, le journaliste de service annonçait la mort de René Dumont, qu’il présentait comme un prophète de l’écologie politique, un visionnaire et un pionnier. Certains journaux y ont ajouté le qualificatif de précurseur. Celui qu’on avait surnommé l’ »agronome de la faim » le fut en effet dans le combat contre le gaspillage des ressources naturelles. Ceux que l’on considère d’abord comme des fous et même des fous dangereux, par la suite, après les critiques, les persécutions et le calvaire, sont souvent qualifiés de héros.
Quelques jours plus tôt, Paris recevait ce déjà célèbre Indien du Brésil, Araoni, chef de la tribu des Kayapoca, dont la bouche à plateau rouge est le signe distinctif des volontaires prêts à mourir pour leur terre. Ils combattent pour les pauvres et pour la sauvegarde de la planète, David contre Goliath. Or, nous savons que la défense des pauvres et des faibles, celle des droits de la personne humaine, ont leurs prophètes et leurs martyrs. A fortiori si, comme dans la Bible, la cause de l’humain et celle de la création sont inspirées par la cause de Dieu et font corps avec elle.
La fête de S. Jean Baptiste le rappelle aux chrétiens et aux musulmans qui, eux aussi, le vénèrent comme grand prophète et précurseur de l’Islam. Sa tombe est d’ailleurs conservée à Damas, dans une mosquée.
L’ensemble des textes liturgiques de la vigile et de la fête nous font découvrir la vocation prophétique à travers celles de Jérémie et d’Isaïe. Ce qui nous permet de mieux comprendre non seulement celle de Jean Baptiste, mais aussi la nôtre. Car il y a des vocations de prophètes parmi nous.
Prenons Isaïe. C’est un homme ardent, décidé, intrépide, concret. Non pas un révolutionnaire, mais un réformateur. Les discours théologiques ne sont pas sa tasse de thé. Ses grandes préoccupations sont sociales. Il manie la Parole comme un glaive à deux tranchants pour dénoncer le luxe, l’oisiveté et l’arrogance des puissants, l’orgueil de la nation et de ses responsables, la corruption des juges et toutes les injustices commises au détriment des plus faibles. Il ne cesse de harceler les classes dirigeantes pour qu’elle pratiquent enfin la justice. Il avait vu trop clair. Il deviendra gênant. Il finira de mort violente. Probablement scié en deux, sur l’ordre du roi de Judas (Osty, 2 R 21, 16). Il n’y a pas de quoi s’étonner : Jean Baptiste sera décapité, Jésus crucifié… Et cela continue.
Isaïe et Jérémie furent tous deux des semeurs et non pas des moissonneurs. Jean Baptiste aussi. Fils de prêtre, il conteste le rôle du Temple et du sacerdoce. Pas question donc pour lui de marcher sur les traces de son papa. De plus, il n’est pas le seul à critiquer les impuretés légales et le système des ablutions qu’il fallait régulièrement pratiquer, simplement parce qu’on avait parlé à un païen ou touché un mort. Comme d’autres jeunes des mouvements baptistes de l’époque, il trouvait hypocrites les sacrifices qu’il fallait offrir pour obtenir le pardon de ses péchés. Avec d’autres, il voulait une véritable conversion en profondeur et manifestée par une transformation du comportement.
C’est pourquoi on le verra réclamer le partage avec les démunis, l’honnêteté professionnelle, le respect d’autrui, la réduction des rites pour se contenter d’un seul baptême. Non pas magique ni purement rituel, mais conditionné par la confession de ses péchés pour commencer une vie nouvelle. Et plus question désormais d’exclure les collecteurs d’impôts, les prostituées, les immigrés, les militaires. Jean annonçait ainsi une voie religieuse originale par rapport au judaïsme officiel qui, lui, était centré sur le Temple de Jérusalem, la pratique des rites et des sacrifices. Mais Jean ne se prendra pas pour la « lumière » ni le Messie. Tout en restant ouvert à l’inattendu et sans être sûr de rien.
Jésus va se manifester dans les mêmes perspectives générales et cependant différentes. Jean annonce le châtiment, Jésus propose la miséricorde. Jean multiplie les austérités, Jésus partage sa table avec les pécheurs. Jean utilise l’image apocalyptique de la moisson toute proche, Jésus, lui, parle de semences. Et si Jean annonce le Messie, il n’arrive pas vraiment à le reconnaître : « Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ? ». Mais, sans être sûr à cent pour cent, il a quand même été capable de reconnaître l’agneau de Dieu au milieu des hommes et des femmes de son temps, qui, eux, ne s’en étaient même pas aperçu. Jean Baptiste, dira S. Augustin, est « un personnage de l’Antiquité et le héraut de la nouveauté » (Bréviaire 24 juin 1116).
Mais les prophètes ne sont pas seulement des hommes et des femmes du passé. Par le baptême et la confirmation, nous sommes introduits dans « un peuple de prophètes », c’est-à-dire de témoins, chacun selon ses capacités, ses talents, la place qu’il occupe, les responsabilités qu’il doit assumer. Le prophétisme est l’un des services de communauté. Par sa foi, le prophète cherche à découvrir et à reconnaître la présence et l’action de Dieu ou de l’Esprit dans les évènements de la vie ordinaire, qu’ils soient politiques, économiques, culturels, religieux ou sociaux. Le prophète est attentif à tout ce qui se passe, c’est-à-dire aux signes du temps présent.
Il s’agit de les lire et de les interpréter dans la foi, pour que la Bonne Nouvelle de l’Evangile puisse s’incarner dans des situations nouvelles, dans un langage nouveau. Le prophète ne vit pas dans la nostalgie d’un passé qui est mort ou en train de mourir. Il est donc attentif à toutes les questions, à tous les défis de son temps et il est capable de chercher des réponses avec d’autres, y compris des non chrétiens. C’est un don de l’Esprit, un charisme. Une vocation à hauts risques.
Il y a donc des prophètes et des prophétesses parmi les baptisés confirmés. Ils ne doivent pas pour autant être prêtres ou théologiens, ni spécialisés dans quelque domaine que ce soit. « Oh ! Seigneur, disait Jérémie, je ne sais pas parler, je ne suis qu’un enfant ». « Je mettrai dans ta bouche mes paroles, dit le Seigneur. » Il faut donc apprendre à entendre les prophètes et oser les écouter. Sachant, comme l’écrit Mgr Rouet, que l’ »intelligence de la foi, ce n’est pas simplement la répétition des réponses, mais aussi la recherche innovante des chemins de la foi ».
Saint Jean Baptiste, priez pour nous, aidez-nous.
P. Fabien Deleclos, franciscain (T)
1925 – 2008