Homélie du 11e dimanche ordinaire B

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Homélie du 11e dimanche ordinaire B

Ez 17, 22-24 ; 2 Co 5, 6-10 ; Mc 4, 26-34

Bien joli le langage poétique d’Ezéchiel et de Marc. Même rassurant. Une tendre pousse et un grain de blé, un cèdre magnifique et un moutardier géant, des nids et une multitude d’oiseaux. Cela nous change de ce que nous voyons trop souvent sur nos écrans. Ainsi, les affamés, malades ou blessés, les destructions, guerres, litanies de souffrances et de désespoirs… Or, le prophète Ezéchiel a vécu ce même genre d’épreuve. Il a fait partie de ces lamentables cortèges jetés sur les routes de la déportation.
Il était parmi les hommes, les femmes et les enfants accablés, découragés, désespérés et sans avenir, la plupart sans doute tentés par la violence, l’esprit de vengeance ou révoltés contre Dieu.
C’est dans cet enfer que ce prêtre, arraché de force à son temple, a semé une petite graine d’espérance dans un océan d’amertume. Une simple et fragile bouture qui deviendra un conifère géant.
Marc n’a pas présenté ces ravissantes paraboles de Jésus dans le cercle feutré d’un salon de poésie, mais à des chrétiens, minorité incomprise et persécutée au cœur de la Rome païenne.
Eux aussi sont découragés et rongés par le doute. Comment pourraient-ils bâtir dès ici-bas ce royaume de Dieu, d’amour, de justice et de paix, que le Christ leur a promis et confié ? Marc leur offre à méditer les leçons de la nature et de ses incroyables forces de fécondité. On ne fait pas grandir une plante en tirant sur ses feuilles. Ce ne sont pas des arbres couverts de fruits et de nids d’oiseaux que l’on plante. Il faut de la patience et de la persévérance, de la continuité dans l’effort et une solide confiance en Dieu. Et la foi n’est-elle pas la plus mystérieuse et la plus forte des énergies de création et d’espérance ?
En 1944, la fragile et sanglante tête de pont en Normandie n’était certes pas encore la libération de l’Europe… Personne, à l’époque, n’aurait pu dire que, cinquante ans plus tard, des ennemis apparemment irréductibles seraient invités à voter ensemble, avec d’autres Européens, pour former un Parlement commun. C’est-à-dire une semence fragile, mais qui porte en elle la capacité vitale d’un grand arbre européen, capable de porter du fruit et où les oiseaux de tous ramages et plumages pourront y faire paisiblement leur nid ? Mais pas en quelques années, et pas sans l’effort de chacun et de tous.
C’est dans cette réalité temporelle que s’incarne le royaume de Dieu, dont nous sommes, par le Christ, des semences et des artisans.
L’Evangile n’a pas de programme politique et ce n’est pas la vocation de l’Eglise d’en proposer un. Mais les communautés chrétiennes et chaque chrétien en particulier sont les missionnaires et les témoins de valeurs évangéliques et humaines. Elles constituent d’ailleurs le fondement et la sève de notre civilisation. Chrétiens, nous n’avons rien à imposer, mais bien à nous plonger, à nous incarner dans la société pour y exister en tant que croyants. Et donc faire entendre notre voix dans le concert démocratique. Même si nous sommes minoritaires. Nous n’avons pas à nous cacher ni à nous taire.
Nous sommes, par exemple, aux premières loges pour apporter chacun notre petite graine pour une Europe spirituelle, une Europe œcuménique, une Europe ouverte et fraternelle. Les chrétiens ne sont-ils pas pressés par l’Evangile d’être des instruments inusables de pardon et de réconciliation ? Nous sommes appelés à guérir la haine par la connaissance et le respect de l’autre. Nous avons vocation, particulièrement dans un monde en crise, d’être des facteurs de solidarité, de tolérance et de paix. Et l’Evangile est la meilleure charte des droits fondamentaux de la personne humaine.
De même, l’Evangile est un rempart contre l’idolâtrie de l’Etat absolu, celle du peuple, de la nation ou de la race. Idolâtrie de l’ordre économique et social également. C’est l’Evangile aussi qui nous entraîne à lutter à tous les niveaux contre les nationalismes agressifs, la xénophobie, le racisme et l’individualisme. Et que dire du combat pour le respect de la vie, la promotion de la vie familiale, et j’en passe…
Ce qui veut dire que voter est bien une responsabilité de citoyen et de chrétien. Voter, c’est opter pour une échelle de priorités, et donc se référer à des valeurs. C’est soutenir un projet qui soit porteur de sens. Le grand arbre à fruits, digne de Dieu et de l’être humain, sera ce que nous aurons choisi d’en faire.
Timorés et parfois désabusés, nous risquons de dire : « Que pouvons-nous faire ? » Pas plus et pas moins qu’une graine que l’on enfouit en terre pour une future moisson. A chacun de nous de « distiller l’espérance » en pariant sur tous les côtés positifs du débat démocratique.
Par de nombreuses paraboles semblables, Jésus annonçait la Parole. « Heureux donc qui reçoit cette Parole de vie et la fait fructifier ».

P. Fabien Deleclos, franciscain (T)

1925 – 2008

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