CAUSERIE : LA JOIE IMPRENABLE

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CAUSERIE  : LA JOIE IMPRENABLE

Qu’on l’appelle la joie éternelle dans le christianisme, le nirvana dans le bouddhisme ou encore l’éveil pour le soufi brahman (musulman), la joie est la finalité de toutes les spiritualités. Nous devenons pleinement humain quand la «  joie déborde en nous» (2 Cor.7.4.) La joie est le lieu où triomphe la vie. «  Elle prolonge la vie » dit Ben Sirac. Paul Claudel pour qui chaque mot à de l’importance écrit :«  Hors de la joie il n’y a que le néant, et croire au néant, c’est se détruire soi-même. C’est s’installer dans l’inversion spirituelle et vouloir vivre contre le secret de la vie ! ». La vie est joie. Point.
Que pouvons-nous désirer de plus que la joie ? « Si tu remerciais Dieu pour toutes les joies qu’Il te donne, il ne te resterait plus de temps pour te plaindre » (Maître Eckhart) Le philosophe Heidegger affirme qu’avec l’arrivée de Jésus, nous ne définissons plus l’être humain comme un «  être pour la mort »  mais comme un «  être pour la Joie ». Nous reconnaissons la vigueur d’un arbre à ses fruits. Nous reconnaissons la réussite d’une vie à la vigueur de la joie qu’elle dégage. Éprouvons-nous la joie présentement ?. Éprouvons-nous la joie à l’heure où comme Église nous rencontrons tellement de remise en question ?
La joie est le premier mot de l’Évangile «  Je vous annonce une grande joie  ». Le dernier aussi «  Pour que vous ayez la plénitude de la joie ». Nous voulons tous et toutes posséder cette sagesse de vivre dans la joie. Ma question : en voulons-nous le chemin ? Quelque chose doit changer si nous voulons que nos vies soient en harmonie avec la joie. Le grand mystique Jean de la Croix pouvait écrire il y a quelques siècles qu’une «  âme (personne) qui désire vraiment la joie désire aussi entrer plus avant dans la profondeur de la croix ».
Pour entrer dans la joie, il faut aller vers les profondeurs … de l’échec. La joie est au bout de l’échec. Au bout de la Croix. Elle est sommet-réalisation de soi qui passe obligatoirement disent les mystiques par la déprise de soi. Par la sortie de soi. Acceptons-nous de tout vendre, même à perte ses biens pour acheter le champ où ce trésor est caché ? Pour nous mettre à la recherche de ce trésor qui vaut plus que tout le reste ? De balayer la maison de fond en comble pour trouver la pièce perdue ? (Martini card, la joie de l’Évangile ed. St Augustin)
Présentement la joie est « mal heureuse » parce que pour la posséder, le chemin est aride. Il s’appelle l’ascèse, le détachement, le refus de la facilité, la déprise de soi (Maître Eckhart). «  Pour une joie, mille douleurs » dit un proverbe français. L’acquisition de la joie repose sur cette prise de conscience de la futilité des plaisirs des sens qui ne sont que passagers, sur notre capacité de sortir de nous-mêmes tout ce qui n’appartient pas à notre poids d’être : avoir, puissance, envie, violence, mentalité de guerre. Ce sont là des habits extérieurs (exposé sur les béatitudes). La joie appartient à notre poids d’être, à notre capacité de s’en tenir aussi. Elle appartient – et je reprends l’expression de mon homélie de ce matin – à notre capacité de vivre une «  vie sans uniforme ». (Rabbin Oliver Rabut)
La joie de l’Évangile est la joie de qui se sent libéré, délivré, libre, sans crainte ni entrave, car il a trouvé la plénitude de la vie. La joie est imprenable parce qu’elle exige une sortie de nous-même . «  Celui qui veut trouver en lui-même la cause de sa joie sera toujours triste ; mais celui qui veut trouver sa joie en Dieu sera toujours dans la joie, parce que Dieu est éternel. Veux-tu avoir une joie éternelle ? Attache-toi à Dieu » (st Augustin) Jésus en entendant la Voix de son Père au baptême fut dans le ravissement. Entendre, être ravi à la voix de l’Époux ouvre à une joie durable.
Mais la question se pose : la joie , cette joie qui est sommet, plénitude de vie ou caractéristique d’une vie réussie ( la Croix est une réussite ..) est-elle possible sur terre ? Est-il possible de goûter à la joie quand autour de nous, il y a tellement de gens malheureux ? Quand nous vivons dans une société qui absolutise le malheur au point d’interdire la joie ? Existe-il une joie qui ne se laisserait pas détruire par les circonstances de la vie comme le terrorisme envahissant que nous connaissons ? Existe-t-il une joie que personne ne pourrait nous enlever ? Autour de nous nombreux sont ceux qui affirment que la joie est impossible, « imprenable » (Lytta Basset) Existe-t-il une joie parfaite ? «  Pour que votre joie soit parfaite » (Jn) Ma réponse : mieux vaut ne pas naître si la joie n’est pas au rendez-vous (Mt26,24)
La joie dont je parle naît de deux sources : de notre « oui » à notre poids d’être avec ses limites, son mal original. De notre « oui » à Dieu. Elle naît dit Paul de notre connaissance de Jésus. Elle naît de l’échec, de la trahison, du rejet vient de nous dire l’Évangile des Rameaux. La patrie de la joie est le champ de bataille La condition de la joie, c’est la lutte , le combat jusqu’à notre dernier souffle. Les temps les plus troublés sont le temps qui ont vu émerger des saints. Les grandes causes ont pour origines les souffrances et malheurs des autres. Perdre la joie nous pousse à vivre dans l’errance, de ne plus avoir de direction, ni de source. C’est mener une vie no-where.

la joie comme échec

Regardons Jésus :
L e récit de la Passion qui ouvre cette semaine sainte est un récit qui «  déborde de joie » . Pour affirmer cela, il faut avoir mis nos pieds dans les chaussures de Jésus. Il faut la stature d’une spiritualité enivrante, qui soit vraie. «L’origine de toute souffrance dans ce monde est la quête de la joie » (Moine tibétain Shantideva). Quand Jésus nous a promis la joie parfaite, il était dans un état lamentable de souffrance. Au cœur de sa souffrance, il nous disait qu’une vie pleine, intensive est possible. Nous avons de la difficulté à percevoir que la souffrance, nos manières de vivre contiennent tous les éléments de la joie.
La joie est le visage de Jésus. La première joie de Jésus fut d’entendre à son baptême la voix du Père lui déclarer «  Celui ci est mon fils bien-aimé » Comme pour nous, il suffit d’une seule parole pour transformer toute une vie. Cette parole pour Jésus lui a ouvert la voie à une vie donnée avec un attachement démesuré à ceux et celles qui vivaient sans joie. Son dernier geste, sa dernière parole n’a pas faite exception à sa manière de vivre : «  tu seras avec moi en paradis ». Nous sommes en présence de la marque de commerce de l’Évangile. « Celui qui est passé en faisant le bien », pour nous rendre à la joie, a connu une vie passablement houleuse. Il a accepté toutes les conspirations pour le mettre à mort.
Toute sa vie, Jésus nous a montré que la joie est au bout d’un long combat, d’une longue recherche. Songeons à la parabole de la brebis perdu (Mtt 18,3) qui a tellement fait souffrir le pasteur qu’il a laissé là les autres parce que un berger sans toutes ses brebis n’est pas dans la joie. Songeons à la parabole de cette femme qui a perdu son écu et qui a mis sans dessus dessous sa maison pour la retrouver. Songeons aussi à cette parabole bien connue aux interprétations multiples- celle du fils prodigue (Lc15,11-32) où Jésus a bien photographié tout le chemin à parcourir pour « déborder de joie » pour devenir «  ivre de joie ».
Parlant de cette parabole, Lytta Basset note que les liens entre le père et ses deux fils manquaient d’intimité. Dans cette famille, aucun des membres ne semble proche des autres. Le cadet semble peu se préoccuper de ce qui se passe entre le père et son frère. Il s’exclut de la famille. Il ne se fait aucun souci pour le père quand il lui demande son dû. Sans émotion, il brise ses liens avec les siens. Il s’exclut des siens. Il part. L’aîné s’occupe de ses affaires sans se préoccuper des agirs du père. Il est à la maison sans y être . Seul le père souhaite se rapprocher de ses fils. La parabole raconte une historie d’exclusion mutuelle. Un cheminement vers la joie. Il a fallu au fils d’être loin pour se sentir proche. Il a fallu au cadet d’être demeuré proche du père pour en éprouver une grande distance.
La parabole raconte l’échec d’une vie familiale. L’échec de Jésus à vivre avec ses concitoyens. Paradoxe c’est le manque d’intimité, la solitude des membres qui a ouvert le chemin de la joie. L’éclosion de la joie. Une expérience négative a été le tremplin de la joie du père et du fils retrouvé. La négativité de l’existence, nos manières désolantes de vivre entre nous creusent en nous le désir de vivre autrement, d’exister autrement. L’angoisse du malheur contient une forme de découverte d’un manque et y donne naissance. Dit autrement le souffrance, le malheur devient un matériau brut de la joie. La joie n’a aucune prise sur nous si nous ne sommes pas descendus dans la profondeur des blessures, des souffrances. Une relation restaurée décuple la joie. Elle est porteuse de toute la joie de la vie relationnelle.
Pour atteindre la joie, la parabole pose comme condition de refuser de « souffrir sans » l’autre ou de « souffrir contre » l’autre. L’accueil de sa souffrance devient la base de l’accueil de la souffrance de l’autre. Il faut souffrir ensemble, porter ensemble la situation pour la transformer. La joie ne se conjugue qu’au pluriel : moi et l’autre. Toi et moi retrouvé.
Il existe une issue aux désolations, déceptions, déchirements que vivent nos familles. C’est la joie impossible qui naît de la compassion, de cette compassion dont l’Évangile de ce matin nous a fait entendre. La vie de nos familles ressemblent très bien à cette parabole. Nos manières de vivre qui nous cause tellement de souffrance deviennent matériau de la joie.
(Cette expérience quotidienne se retrouve aussi dans nos vies spirituelles. C’est en éprouvant un vide, une grande nuit dans nos prières que s’ouvre le désir d’autre chose.)

Regardons Paul…
Saint Paul est le témoin le plus fabuleux de cette gigantesque aventure de la joie. Il fut brûlé de joie toute sa vie. Quand, sur le chemin de Damas, il tombe de son cheval à la vue de l’éblouissante beauté du Christ ressuscité, c’est le saisissement total de tout son être. Paul est tellement bouleversé de joie que toute sa vie fut d’annoncer cette bonne nouvelle de l’arrivée de la Joie. Jusqu’à la fin de ses jours, son martyr à Rome, il va parcourir tout le bassin méditerranéen pour proclamer partout cet Évangile de sa joie à lui, qui n’est autre que le Christ en personne.
Il est tellement fou de joie qu’il fonde des communautés, des Églises pour qu’elles débordent de joie . Rien ne l’arrête. Ni les séjours nombreux en prison, ni les supplicies de toutes sortes, ni les dangers de la route et des mers, ni les souffrances «  Je déborde de joie au milieu de toutes mes tribulations  » ( 2 Cor.7, 4) ni la mort qu’il côtoie alors qu’il se croit devenu comme l’ordure du monde et l’universel rebut , rien n’arrête sa fougue. Au lieu de le décourager, il en sort ragaillardi, plus combatif :  » Ainsi donc que nul ne se glorifie dans les hommes ; car tout est à vous…, mais vous êtes au Christ et le Christ est à Dieu  » (1 Co 3,21).
Pour lui, le Christ est ressuscité, et rien ne saurait plus avoir le dernier mot ; tout mal est définitivement vaincu : «  Qui nous séparera de l’amour du Christ ? Les tribulations, l’angoisse, la persécution, la faim, la nudité, les périls, le glaive ? En tout cela nous n’avons aucune peine à triompher par celui qui nous a aimés ! Oui, j’en ai l’assurance, ni mort, ni vie, ni anges, ni principautés, ni présent, ni avenir, ni puissance, ni hauteur, ni profondeur, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté dans le Christ Jésus notre Seigneur ! » (Rm 8, 35-39).«   Je trouve maintenant ma joie dans les souffrances que j’endure  » (Col1,24)

Regardons François…
Au moment où François éprouva que sa vie était devenue ressemblance exacte à la manière de vivre de Jésus qui de riche s’est fait pauvre, qu’il éprouvait un grand dénuement, il imagina une parabole de sa vie, de celle de Jésus :
«  Je reviens de Pérouse et par une nuit profonde, je viens ici, c’est un temps d’hiver, boueux, froid au point que des pendeloques d’eau froide congelée se forment aux extrémités de ma tunique, me frappent les jambes et du sang jaillit de ces blessures. Et tout en boue et froid et glace, je viens à la porte et, après que j’ai longtemps frappé, un frère vient et me demande : qui est-ce? Je réponds : Frère François, Et lui me dit : Va-t-en ce n’est pas une heure pour circuler; tu n’entreras pas et à celui qui insiste il répondrait à nouveau : Va-t-en; tu n’es qu’un simple et un ignare; en tout cas tu ne viens pas chez nous; et moi je dis à nouveau : par amour de Dieu, recueille-moi cette nuit. Et lui répondrait : je ne le ferai pas. Va au lieu des Crucigères et demande la-bas. Je te dis que si je garde patience et ne suis pas ébranlé, qu’en cela est la vraie joie et la vraie vertu et le salut de l’âme »
Cette parabole de François est l’histoire de Jésus : Dit autrement ce texte affirme que s’il nous arrive de vivre des moments où tout s’acharne à nous enfoncer dans la tristesse, l’amertume, la colère, que nous avons perdu toutes les raisons d’être joyeux, mais que notre joie résiste et demeure inébranlable, alors nous avons découvert le cœur de l’Évangile. Nos cœurs battent du cœur de l’Évangile.

Regardons Mère Térésa
Le procès de béatification de Mère Térésa a fait découvrir que le sourire sur son visage, la joie qui rayonnait de son visage était proportionnelle à la nuit terrible de sa foi. Plus elle souriait, plus elle dégageait et rayonnait de joie, plus elle souffrait intérieurement. Elle vivait une «  grande tristesse, une douleur incessante » (Rm9,2). Cette  » douleur incessante  » a tenue cette femme en forme d’évangélisation, en forme d’Évangile. Cette douleur naît de notre contemplation et désir de suivre Jésus, de l’Écoute de sa Parole. Elle nous permet d’éviter de nous donner une vie qui ressemble à de la « pieuserie ».

Conclusion :
La joie sera toujours fille du sacrifice. « Sacrifice de louange » chantons-nous à la liturgie. La joie est tellement imprenable que des mystiques de l’Orient chrétien ont pu dire : «  apprends la joie et tu apprendras Dieu ». Confucius disait jadis que la «  joie est partout. Il faut seulement savoir l’extraire » . Nous sommes condamnés à extraire de nos vies les gouttes de joie qui s’y cache. J’ajoute condamnés à la domestiquer en la mettant au service des autres Condamnés à la joie pascal. Contrairement au plaisir, elle ne s’achète pas. Elle se reçoit. «  Ceux qui veulent trouver cette joie en eux-même seront toujours triste » (St Augustin) Sans cette joie, notre foi est incompréhensible, notre Église inutile, le christianisme absurde. Sans cette joie, impossible de devenir ce que nous sommes.
Autant il y a un mal originel qui nous habite. Autant il y a en nous, dès nos origines, une joie imprenable. Il faut avoir été offensé, blessé pour connaître la joie. En ce sens, notre temps est un temps privilégié pour naître à la joie. C’est l’expérience de la femme enceinte qui en oublie toutes les douleurs à la vue de l’enfant. C’est l’expérience du malade qui ressent une grande joie lorsqu’il en guérit
Pour nous croyants, la grâce des grâces est de voir nos vies, notre Église configurée à celle de Jésus : rejeté battu à l’extrême. Ce que je veux souligner en terminant c’est que la joie est une longue recherche, une longue marche à coté de Jésus.
Si nous prenions conscience que Jésus a fait de cette joie un commandement :  » que la joie qui est en moi soit en vous et que votre joie soit parfaite  » (Jn15,11)

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