Le chemin qui nous change
http://www.esprit-et-vie.com/article.php3?id_article=3040
Le chemin qui nous change
Cinquième dimanche de Pâques (meditation 2011)
P. Jacky Marsaux
Lectures : Actes 6,1-7 ; Psaume 32 ; 1 Pierre 2,4-9 ; Jean 14,1-12
Esprit & Vie n°235 – mai 2011, p. 35-38.
Une parole de Jésus se détache dans l’Évangile de ce dimanche : « Je suis le chemin, la vérité et la vie. » L’image du chemin est particulièrement importante dans la foi chrétienne au point de caractériser les disciples du Christ, désignés comme « les adeptes du chemin » (Ac 9,2). Le christianisme naissant s’est identifié à un chemin, ou plutôt comme le chemin (Ac 18,25-26 ; 19,9.23 ; 22,4 ; 24,14.22). Si nous scrutons les origines de cette image, nous pensons d’abord à la marche du peuple de Dieu à travers le désert. Mais il semble bien que la sortie d’Égypte soit une marche sans chemin tracé d’avance. Une traversée d’un territoire désertique, accompagnée par la colonne de nuée ou la colonne de feu, selon les moments, et surtout sous la conduite de Moïse.
Tel est le cadre de l’apprentissage pour le peuple de Dieu : une pérégrination guidée par la Parole de Dieu et non à vues humaines, puisqu’il n’y a pas de repères visibles. L’enjeu de ce parcours est d’apprendre à marcher selon les voies de Dieu, c’est-à-dire selon le comportement qu’il indique par sa Parole. Nous connaissons les aléas de l’apprentissage de la liberté au temps de l’Exode : le chemin de vie montré par le Seigneur (voir Dt 30,15) est sans cesse à choisir et à re-choisir.
Marcher selon les voies de Dieu
Jésus se présente sous les traits du berger (voir Jn 10) mais aussi comme le chemin lui-même, chemin vers le Père, chemin vers le monde nouveau. Un chemin, c’est une trace, un passage offert à tous pour mener d’un lieu à un autre. Depuis le temps de Moïse, le peuple de Dieu ne cesse de réaliser des passages et de franchir les obstacles qui se présentent sur la route.
Nous venons de célébrer à nouveau la Pâque du Christ qui contient notre propre Pâque, passage de la mort à la vie. Ce que la célébration nous offre en sacrement, nous avons désormais à le vivre jour après jour. Toute notre existence est dynamisée par ce grand sacrement de la Pâque, si l’on comprend bien ce mot de sacrement comme signe et moyen de notre salut. Un sacrement est signe à la manière du chemin dont la trace visible invite à un déplacement, à une progression. Mais il y a davantage : un sacrement est aussi réalisation de la présence de Dieu. Il est le chemin par où nous arrive celui qui est la Vérité et la Vie. L’image du chemin nous aide en ce Temps pascal à mieux réaliser comment le Christ lui-même, par ses sacrements, nous fait chrétiens.
Traditionnellement, le temps entre Pâques et Pentecôte est celui de la mystagogie pour les nouveaux baptisés. Pleinement intégrés au peuple de Dieu, membres du Corps du Christ, édifiés comme Temple de l’Esprit Saint, leur initiation se poursuit par une meilleure intelligence des sacrements qu’ils ont reçus. Ce mot de « mystagogie » désigne la participation plus consciente au mystère, c’est-à-dire au don de Dieu dans le sacrement. La rencontre de Dieu dans la liturgie précède l’explication. Saint Ambroise disait : « La lumière des mystères pénètre mieux chez ceux qui ne s’y attendent pas que si une explication quelconque les avait précédés » (Sur les mystères, § 2). En effet, nous ne pouvons pas tout comprendre, mais seulement recevoir peu à peu la lumière d’abord par l’événement de grâce que représente la célébration d’un sacrement. Ensuite, l’explication soutient et relance notre marche. Telle est la pédagogie que l’Église réalise en ce Temps pascal. Les Évangiles de l’année A correspondent au plus près à ce projet d’accompagnement des nouveaux baptisés, mais aussi de tous les autres. En effet, nous n’avons jamais fini de devenir chrétiens. D’où l’insistance sur l’image du chemin.
Celui qui se révèle en chemin
Le chemin n’est pas la possession immédiate, instantanée et définitive mais un moyen d’accès parfois laborieux, souvent plein de surprises. Plus le marcheur progresse, et plus le chemin transforme le marcheur lui-même. C’est la découverte émerveillée et contagieuse des pèlerins, par exemple, sur les chemins vers Compostelle. Beaucoup d’entre eux, avant même d’atteindre la destination finale, sont déjà changés intérieurement. Découverte de soi, découverte des autres, découverte plus saisissante de la présence de Dieu, car n’est-il pas lui-même le terme du pèlerinage ? Il est celui qui, depuis le temps de Moïse, se révèle en chemin. Tout en se révélant, il révèle l’homme à lui-même pour autant que celui-ci accepte d’entrer dans cette épreuve de la vérité. Dans le Christ, nous trouvons la Vérité sur laquelle construire notre existence et la Vie qui ne cesse de nous transformer.
De là vient l’admirable paradoxe : avant même d’atteindre le terme du parcours, nous sommes déjà comblés de la présence divine. En Jésus, c’est Dieu lui-même qui parle, qui guérit et attire à lui. Jésus est le chemin, la vérité et aussi la vie car l’Esprit vivifiant réside en plénitude en lui. Ce même Esprit répandu sur les baptisés les constitue en « Temple spirituel » afin d’exercer le « sacerdoce saint ». Qu’est-ce que cela veut dire ? Tout simplement – mais la tâche est immense – offrir à Dieu tout ce qu’ils peuvent vivre et ainsi glorifier Dieu et sanctifier le monde (voir Lumen gentium, n° 34).
Saint Pierre nous encourage, dans la deuxième lecture, à présenter de telles « offrandes spirituelles que Dieu pourra accepter à cause du Christ Jésus » (1 P 2,5). En effet, le Christ est chemin dans les deux sens, en lui Dieu lui-même ne cesse de venir au milieu de nous, et par lui nous avons accès auprès du Père. Par lui, nous pouvons offrir à Dieu « nos activités, nos prières, nos initiatives apostoliques, notre vie familiale, notre travail, nos loisirs, nos divertissements et même nos épreuves », pour reprendre l’énumération donnée par le texte du concile Vatican II (voir LG, n° 34).
La deuxième lecture présentait une autre image du Christ qui semble contredire celle du chemin : le Christ est aussi la « pierre angulaire », et même un « rocher ». Cela paraît inconciliable. Saint Grégoire de Nysse (ive s.) répond à cette difficulté dans une méditation sur Moïse. Il explique comment la stabilité, celle du rocher, et la mobilité, celle du chemin, sont la même chose :
Plus quelqu’un demeure fixé et inébranlable dans le bien, plus il avance dans la voie de la vertu. [… ] Sa course est d’autant plus rapide qu’[…]il est plus ferme et inébranlable dans le bien ; sa stabilité est pour lui comme une aile et, dans son voyage vers les hauteurs, son cœur est comme ailé par sa fixité dans le bien (Vie de Moïse, II, 243-244).
Ce paradoxe correspond au double sens du verbe « croire », selon son emploi dans la Bible hébraïque : à la fois prendre appui, tenir pour vrai et suivre, faire confiance.
Sur le chemin de l’initiation chrétienne l’étape de ce dimanche aborde la difficulté de croire en Jésus-Christ, plus précisément de reconnaître en lui l’union de l’humanité et de la divinité. Pour résumer : les disciples croient en Dieu mais pas en Jésus (voir Jn 14,1). Dans le même temps, ils voient Jésus mais ils ne voient pas le Père en lui (voir Jn 14,8-9). Autrement dit, ils restent dans un régime de séparation entre Dieu et l’homme. Or, tout le dialogue de l’Évangile lu aujourd’hui vise à reconnaître en Jésus le chemin mais aussi le but, puisque le Père vers qui mène le chemin est en lui : « Croyez ce que je vous dis : je suis dans le Père, et le Père est en moi » (Jn 14,11). Jésus déclare qu’il « part vers le Père » (Jn 14,12) après avoir affirmé que le Père est en lui. Jésus est à la fois le chemin et le but car il est pleinement homme, homme en devenir, et pleinement Dieu dans sa perfection.
Laisser un commentaire
Vous devez être connecté pour rédiger un commentaire.