Archive pour le 12 avril, 2012
Jean Paul II: La «paternité» de Dieu dans l’Ancien Testament (20 janvier 1999)
12 avril, 2012JEAN-PAUL II
AUDIENCE GÉNÉRALE
La «paternité» de Dieu dans l’Ancien Testament
Mercredi 20 janvier 1999
Chers Frères et Sœurs,
1. Le peuple d’Israël – comme nous l’avons déjà mentionné dans la dernière catéchèse – a fait l’expérience de Dieu comme père. Comme tous les autres peuples, il a reconnu en lui les sentiments paternels tirés de l’expérience traditionnelle d’un père terrestre. Il a surtout saisi en Dieu une attitude particulièrement paternelle, en partant de la connaissance directe de son action salvifique particulière (cf. Catéchisme de l’Eglise catholique, n. 238).
Du premier point de vue, celui de l’expérience humaine universelle, Israël a reconnu la paternité divine à partir de l’émerveillement devant la création et le renouvellement de la vie. Le miracle d’un enfant qui se forme dans le sein maternel n’est pas explicable sans l’intervention de Dieu, comme le rap- pelle le Psalmiste: «C’est toi qui m’as formé les reins, qui m’as tissé au ventre de ma mère…» (Ps 139 [138], 13). Israël a également pu voir un père en Dieu par analogie avec certains personnages qui remplissaient une charge publique, en particulier religieuse, et qui étaient considérés comme des pères: c’est le cas des prêtres (cf. Jg 17, 10; 18- 19; Gn 48, 8) ou des prophètes (cf. 2 R 2, 12). En outre, on comprend bien comment le respect que la société israélite demandait à l’égard du père et des parents poussait à voir en Dieu un père exigeant. En effet, la législation mosaïque est très sévère à l’égard des fils qui ne respectent pas leurs parents, jusqu’à prévoir la peine de mort pour celui qui frappe ou ne serait-ce que maudit son père ou sa mère (Ex 21, 15.17).
2. Mais au delà de cette représentation suggérée par l’expérience humaine, mûrit en Israël une image plus spécifique de la paternité divine à partir des interventions salivifiques de Dieu. En le sauvant de l’esclavage d’Egypte, Dieu appelle Israël à entrer dans une relation d’alliance avec lui et même à se considérer comme son premier-né. Dieu démontre ainsi qu’il est père d’une manière singulière, comme il ressort des paroles qu’il adresse à Moïse: «Alors tu diras à Pharaon: Ainsi parle Yahvé: mon fils premier-né, c’est Israël» (Ex 4, 22). A l’heure du désespoir, ce peuple- fils pourra se permettre d’invoquer le Père céleste avec le même titre privilégié, afin qu’il renouvelle encore le pro- dige de l’exode: «Aie pitié, Seigneur, du peuple appelé de ton nom, d’Israël dont tu as fait un premier-né» (Si 36, 11). En vertu de cette situation, Israël est tenu d’observer une loi qui le distingue des autres peuples, auxquels il doit témoigner la paternité divine dont il jouit d’une manière particulière. Le Deutéronome le souligne dans le contexte des engagements dérivant de l’alliance: «Vous êtes des fils pour Yahvé votre Dieu [...] Car tu es un peuple consacré à Yahvé ton Dieu et Yahvé t’a choisi pour être son peuple à lui parmi tous les peuples qui sont sur la terre» (Dt 14, 1sq.)
En n’observant pas la loi de Dieu, Israël agit en opposition avec sa condition filiale, ce qui lui vaut les reproches du Père céleste: «Tu oublies le rocher qui t’a mis au monde, tu ne te souviens plus du Dieu qui t’a engendré» (Dt 32, 18). Cette condition filiale concerne tous les membres du peuple d’Israël, mais elle est appliquée de façon particulière au descendant et successeur de David selon le célèbre oracle de Nathan, dans lequel Dieu dit: «Je serai pour lui un père, et il sera pour moi un fils» (2 S 7, 14; 1 Ch 17, 13). Fondée sur cet oracle, la tradition messianique affirme une filiation divine du Messie. Dieu déclare au roi messia- nique: «Tu es mon fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré» (Ps 2, 7; cf. 110 [109], 3).
3. La paternité divine à l’égard d’Israël est caractérisée par un amour intense, constant et plein de compassion. Malgré les infidélités du peuple, et les menaces de châtiment qui s’ensuivent, Dieu se révèle incapable de renoncer à son amour. Et il l’exprime en ter- mes de profonde tendresse, même lorsqu’il est obligé de se plaindre du manque de correspondance de ses fils: «Et moi j’avais appris à marcher à Ephraïm, je le prenais par les bras, et ils n’ont pas compris que je prenais soin d’eux! Je les menais avec des atta- ches humaines, j’étais pour eux comme ceux qui soulèvent un nourrisson tout contre leur joue, je m’inclinais vers lui et le faisais manger [...] Comment t’abandonnerais-je, Ephraïm, te livre- rais-je, Israël? [...] Mon cœur en moi est bouleversé, toutes mes entrailles frémissent» (Os 11, 3sq. 8; cf. Jr 31, 20). Le reproche lui-même devient l’ex- pression d’un amour de prédilection, comme l’explique le Livre des Proverbes: «Ne méprise pas, mon fils, la correction de Yahvé, et ne prend pas mal sa réprimande, car Yahvé reprend celui qu’il aime, comme un père le fils qu’il chérit» (Pr 3, 11-12).
4. Une paternité aussi divine et dans le même temps aussi «humaine» dans les manières dont elle s’exprime, revêt également les caractéristiques que l’on attribue d’habitude à l’amour maternel. Même si elles sont rares, les images de l’Ancien Testament dans lesquelles Dieu est comparé à une mère sont extrêmement significatives. On peut lire par exemple dans le livre d’Isaïe: «Sion avait dit: « Yahvé m’a abandonnée; le Seigneur m’a oubliée ». Une femme oublie-t-elle son petit enfant, est-elle sans pitié pour le fils de ses entrailles? Même si les femmes oubliaient, moi, je ne t’oublierai pas» (Is 49, 14-15). Et aussi: «Comme celui que sa mère console, moi aussi, je vous consolerai» (Is 66, 13).
L’attitude divine envers Israël se manifeste ainsi également sous des traits maternels, qui en expriment la tendresse et la bienveillance (cf. CEC, n. 239). Cet amour, que Dieu répand avec tant d’abondance sur son peuple, fait exulter le vieux Tobie et lui fait proclamer: «Célébrez-le en face des nations, vous, enfants d’Israël! Car il vous a dispersés parmi elles, c’est là qu’il vous a montré sa grandeur. Exaltez-le en face de tous les vivants, c’est lui notre Seigneur, c’est lui notre Dieu, c’est lui notre Père et il est Dieu dans tous les siècles! (Tb 13, 3-4). Salut en langue française Chers frères et sœurs, Le peuple d’Israël a reconnu la paternité de Dieu à partir de l’émerveillement devant la création, du renouvellement de la vie et spécialement du miracle de la naissance d’un enfant. Il a aussi l’expérience de cette paternité à travers les interventions salvifiques de Dieu. Au moment de la libération d’Egypte, Dieu va même jusqu’à considérer Israël comme son premier-né. Une telle paternité, qui s’exerce en faveur d’Israël, est caractérisée par un amour intense, constant et rempli de compassion. Malgré les infidélités du peuple et les menaces de châtiment, Dieu se révèle incapable de renoncer à son amour. A la fois divine et «humaine» dans ses manières de s’exprimer, cette paternité revêt les caractéristiques habituellement attribuées à l’amour d’une mère qui n’oublie jamais son enfant (cf. Is 66, 13). L’amour que Dieu répand avec abondance sur son peuple fait exulter le vieux Tobie: «Exaltez-le en face de tous les vivants; c’est lui notre Seigneur, c’est lui notre Dieu, c’est lui notre Père, et il est Dieu dans tous les siècles! (Tb 13, 3-4).
Jean Paul II: Le visage de Dieu le Père, aspiration de l’homme (13 Janvier 1999)
12 avril, 2012JEAN-PAUL II
AUDIENCE GÉNÉRALE
Mercredi 13 Janvier 1999
Le visage de Dieu le Père, aspiration de l’homme
1. «Tu nous a faits pour toi, Seigneur, et notre cœur est inquiet tant qu’il ne repose pas en toi» (Conf. 1, 1). Cette célèbre affirmation, qui ouvre les Confessions de saint Augustin, exprime de façon tangible le besoin irrésistible qui pousse l’homme à chercher le visage de Dieu. C’est une expérience attestée par les diverses traditions religieuses. «Depuis les temps les plus reculés — dit le Concile — jusqu’à aujour-d’hui, on trouve dans les différents peuples une certaine sensibilité à cette force cachée qui est présente au cours des choses et aux événements de la vie humaine, parfois même une reconnaissance de la Divinité suprême, ou encore du Père» (Nostra aetate, n. 2).
En réalité, de nombreuses prières de la littérature religieuse universelle expriment la conviction que l’Etre suprême peut être perçu et invoqué comme un père, auquel on parvient à travers l’expérience de l’attention affectueuse reçue du père terrestre. C’est précisément cette relation qui a suscité dans certains courants de l’athéisme contemporain le soupçon que l’idée même de Dieu est la projection de l’image paternelle. Un soupçon qui est, en réalité, infondé.
Toutefois, il est vrai que, en partant de son expérience, l’homme est parfois tenté d’imaginer la divinité sous des traits anthropomorphiques qui reflètent trop le monde humain. La recherche de Dieu procède ainsi «à tâtons», comme le dit Paul dans le discours aux Athéniens (cf. Ac 17, 27). Il faut donc avoir à l’esprit ce clair-obscur de l’expérience religieuse, en ayant conscience que seule la pleine révélation, dans laquelle Dieu se manifeste, peut dissiper les ombres et les équivoques et faire resplendir la lumière.
2. A l’exemple de Paul, qui précisément dans le discours aux Athéniens cite un vers du poète Aratus sur l’origine de l’homme (cf. Ac 17, 28), l’Eglise considère avec respect les tentatives que les diverses religions accomplissent pour saisir le visage de Dieu, en distinguant dans leurs croyances ce qui est acceptable de ce qui est incompatible avec la révélation chrétienne.
Dans cette optique, on doit considérer comme une intuition religieuse positive la perception de Dieu comme Père universel du monde et des hommes. En revanche, on ne peut pas accepter l’idée d’une divinité dominée par l’arbitraire et le caprice. Chez les grecs antiques, par exemple, le Bien, en tant qu’être suprême et divin, était également appelé père, mais le dieu Zeus manifestait sa paternité aussi bien à travers la bienveillance que la colère et la cruauté. Dans l’Odyssée, on peut lire: «Père Zeus, aucun n’est plus funeste que toi parmi les dieux: tu n’as aucune pitié des hommes, après les avoir engendrés et abandonnés au malheur et à des douleurs pénibles» (XX, 201-203).
Toutefois, l’exigence d’un Dieu supérieur à l’arbitraire et au caprice est également présent chez les grecs antiques, comme en témoigne, par exemple, l’«Hymne à Zeus» du poète Cléante. L’idée d’un père divin, prêt au don généreux de la vie et attentif à pourvoir aux biens nécessaires à l’existence, mais également sévère et ayant recours aux châtiments, pas toujours pour une raison évidente, est liée dans les sociétés antiques à l’institution du patriarcat et en transfère la conception traditionnelle sur le plan religieux.
3. En Israël, la reconnaissance de la paternité de Dieu est progresssive et sans cesse menacée par la tentation de l’idôlatrie que les prophètes dénoncent avec force: «Ils disent au bois: “Tu es mon Père!” et à la pierre: “Toi, tu m’as enfanté!”» (Jr 2, 27). En réalité, pour l’expérience religieuse biblique, la perception de Dieu en tant que Père est liée, plus qu’à son action créatrice, à son intervention historico-salvifique, à travers laquelle il établit avec Israël une relation particulière d’alliance. Dieu se plaint souvent que son amour paternel n’a pas trouvé une réponse adaptée: «Yahvé parle. J’ai élevé des enfants, je les ai faits grandir, mais ils se sont révoltés contre moi» (Is 1, 2).
La paternité de Dieu apparaît à Israël plus solide que celle humaine: «Si mon Père et ma mère m’abandonnent, Yahvé m’accueillera» (Ps 27, 10). Le Psalmiste qui a éprouvé cette douloureuse expérience d’abandon, et qui a trouvé en Dieu un père plus attentif que le père terrestre, nous indique la voie qu’il a parcourue pour parvenir à ce but: «De toi mon cœur a dit: Cherche sa face. C’est ta face Yahvé, que je cherche» (Ps 27, 8). Rechercher le visage de Dieu est un chemin nécessaire, qui doit être parcouru avec un cœur sincère et un engagement constant. Seul le cœur du juste peut se réjouir en recherchant la face du Seigneur (cf. Ps 105, 3sq.) et le visage paternel de Dieu peut donc resplendir sur lui (cf. Ps 119, 135; cf. également 31, 17; 67, 2; 80, 4.8.20). En observant la loi divine, l’on jouit également pleinement de la protection du Dieu de l’Alliance. La bénédiction dont Dieu gratifie son peuple, à travers la médiation sacerdotale d’Aaron, insiste précisément sur cette révélation lumineuse du visage de Dieu: «Que Yahvé fasse pour toi rayonner son visage et te fasse grâce! Que Yahvé te découvre sa face et t’apporte la paix!» (Nb 6, 25 sq.).
4. Depuis que Jésus est venu au monde, la recherche du visage de Dieu le Père a pris des proportions encore plus significatives. Dans son enseignement, Jésus, se fondant sur sa propre expérience de Fils, a confirmé la conception de Dieu comme père, qui est déjà définie dans l’Ancien Testament. Il l’a même constamment mise en évidence, il l’a vécue de façon intime et ineffable, et l’a proposée comme programme de vie pour celui qui veut obtenir le salut.
Jésus se présente surtout de façon absolument unique par rapport à la paternité divine, se manifestant comme «fils» et s’offrant comme l’unique voie pour parvenir au Père. A Philippe, qui lui demande: «Montre-nous le Père et cela nous suffit» (Jn 14, 8), il répond que le connaître, lui, signifie connaître le Père, car le Père, agit à travers lui (cf. Jn 14, 8-11). Donc, pour celui qui veut rencontrer le Père il est nécessaire de croire dans le Fils: à travers Lui, Dieu ne se limite pas à nous assurer une assistance paternelle attentive, mais il nous communique sa propre vie, en nous rendant «fils dans le Fils». C’est ce que souligne l’Apôtre Jean, avec une reconnaissance émue: «Voyez quelle manifestation d’amour le Père nous a donnée pour que nous soyons appelés enfants de Dieu; Et nous le sommes!» (1 Jn 3, 1).