Une barque en Méditerranée

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Une barque en Méditerranée

(Bible et Archeologie)

Les années qui virent la disparition de l’Etat juif antique et la diaspora du peuple hébreu, ont vu parallèlement émerger la nouvelle dynamique spirituelle du christianisme, qui partit de son sein et commença à se diffuser à travers le monde.
Les textes apocryphes, dont la valeur historique est toujours discutée, ont néanmoins alimenté la littérature de l’Eglise des premiers siècles, et on les retrouve à travers l’historiographie chrétienne primitive. Plusieurs documents apocryphes ont donc servi de sources littéraires chrétiennes classiques.
Le plus célèbre document qui s’y réfère est un travail réalisé au Moyen Age par le chroniqueur Jacques de Voragine, moine dominicain du XIIIème siècle et archevêque de Gènes. A partir d’une abondante documentation, il fit une compilation des vies de cent-cinquante saints, et son œuvre restée fameuse sous le nom de « Légende dorée » fut le livre le plus lu au Moyen Age après la Bible.

Le parcours des douze apôtres
On trouve dans la « Légende dorée » des informations sur les voyages missionnaires entrepris par les douze apôtres après la Pentecôte. Ceux-ci se dispersèrent à travers le monde ancien pour fonder des églises dans des contrées diverses. De l’Inde à l’Espagne, les disciples du Christ Jésus prêchèrent partout la « bonne nouvelle » avec un zèle infatiguable. Ils se heurtèrent aux cultes juifs ou païens, et la plupart le payèrent de leur vie dans des conditions cruelles. Paradoxalement, les circonstances héroïques de leurs martyres favorisèrent encore davantage la diffusion de leur message.
Ainsi apprend-on que Pierre se rendit à Rome pour y vaincre le magicien Simon, mais qu’en représailles l’empereur Néron le fit crucifier la tête en bas. De même, Jacques dit « le Majeur », fils de Zébédée et frère de Jean, devint le premier évêque de Jérusalem mais il y fut décapité. André, après un voyage missionnaire autour de la mer Noire, fut arrêté en Grèce et mourut sur une croix en forme de X. Matthieu partit évangéliser l’Ethiopie où il fut assassiné après avoir célébré la messe. Le seul apôtre non martyr serait l’apôtre Jean, évangéliste et auteur de l’Apocalypse.
Les autres apôtres, un peu moins connus, furent également victimes de leur zèle missionnaire. Thomas et Barthélemy partirent pour l’Inde où ils furent tués, l’un d’un coup de lance et l’autre écorché vif puis décapité. Jacques « le Mineur », fils d’Alphée, prêcha dans plusieurs pays et finit crucifié en Egypte. Philippe aurait prêché en Asie Mineure et serait mort à Hiérapolis, par lapidation ou crucifixion. Simon et Thaddée (ou Jude) partirent annoncer la bonne nouvelle en Mésopotamie et en Perse, où ils furent égorgés dans un temple païen.
Des éléments archéologiques se mêlent parfois aux traditions locales relatives à la mémoire des apôtres dans ces différentes contrées. Le tombeau de Pierre fut retrouvé à Rome en 1940 dans les sous-sols de la basilique pontificale. L’Inde conserve à Mylapore un tombeau de Thomas, qui contenait un squelette partiellement complet (actuellement en Italie) ; la tombe était associée à une curieuse stèle, gravée d’une croix et d’une inscription inconnue et qui avait l’étrange réputation de saigner au XVIème siècle. L’Espagne honore la sépulture de son premier missionnaire en la personne de l’apôtre Jacques le Majeur. Sa redécouverte légendaire fut faite au IXème siècle par un ermite, à la suite de l’apparition d’une étoile miraculeuse juste au-dessus du champ où Jacques était inhumé. Le lieu-dit du « champ de l’étoile », campus stella en latin, est peut-être à l’origine du nom de Saint-Jacques-de-Compostelle.

Les saintes Maries
Hormis le groupe des apôtres, d’autres disciples et parents de Jésus cités dans le Nouveau Testament ont eu des destins étonnants, tragiques ou non, également rapportés dans la littérature. Arrêtons-nous sur l’histoire d’une poignée d’entre eux, à l’origine d’une tradition populaire qui s’établit dans le sud de la Gaule romaine : la barque des saintes Maries.
Ce récit rapporté dans la Légende dorée se trouve également dans les révélations de la religieuse allemande Anne-Catherine Emmerich écrites au XIXème siècle. Cette aventure et ses implications ultérieures méritent qu’on s’y attarde.
Vers l’an 45, une dizaine de disciples de Jésus fuyant la première persécution d’Hérode Agrippa se rendirent à Joppé, port de la Méditerranée. Selon les versions, ils s’embarquèrent volontairement pour les Gaules, ou bien ils furent pris par des Juifs hostiles à leur foi et jetés dans une barque sans voile ni rames, abandonnée en pleine mer au large de la Palestine.
Dans cette frêle embarcation se trouvaient plusieurs proches parents et amis du Nazaréen, parmi lesquels Marie-Madeleine, Marthe sa soeur probable, Lazare leur frère, Marie Jacobé une soeur de la Vierge, Marie Salomé la mère de deux apôtres, et un certain Maximin, notable de Béthanie.
Livrés aux caprices des flots, la barque et ses occupants furent cependant sauvés par le souffle puissant d’un vent providentiel, qui les poussa vers la côte provençale de Camargue où ils accostèrent sans encombres ni pertes humaines. Recueillis par des bergers, ses occupants indemnes décidèrent de se séparer, afin de diffuser les paroles de Jésus en des lieux différents du pays. Ce fut le premier contact entre la Gaule romaine et le christianisme.
        L’histoire de la Provence traditionnelle est imprégnée des récits plus ou moins légendaires du destin de ces personnages. Marie-Madeleine prêcha quelque temps à Marseille aux côtés de Lazare, puis elle se retira dans une grotte du flanc nord de la montagne de la Sainte-Baume où elle vécut encore trente ans. Lorsqu’elle sentit sa mort approcher, elle descendit dans la plaine à la rencontre de Maximin, et décéda à l’instant où elle l’eut rejoint.
Marthe s’installa à Tarascon où elle combattit la « Tarasque », un animal fabuleux qui dévorait ses habitants. Son frère Lazare serait devenu le premier évêque de Marseille, demeurant dans une grotte de la rive sud du lacydon jusqu’à ce qu’il soit arrêté, supplicié et décapité. Plus au nord, Maximin fut l’évêque d’Aix-en-Provence ; il éleva un oratoire en l’honneur de Marie-Madeleine à l’emplacement du futur village de Saint-Maximin. Enfin, les deux Marie Jacobé et Salomé seraient quant à elles demeurées en Camargue, sur le site de l’actuel village des Saintes-Maries.
            La crédibilité historique de ces récits n’en finit pas d’être débattue. Le cas qui présente le plus d’intérêt archéologique est sans doute celui de Marie-Madeleine, dont l’histoire est riche en éléments concrets découverts à la suite de nombreuses recherches. A sa mort, la sainte fut enterrée dans la chapelle que Maximin lui avait édifiée.
        Ses reliques y demeurèrent jusqu’au temps de l’invasion de la Gaule par les Sarrasins (VIIIème siècle) ; pour cette raison, la tombe fut dissimulée en 716 par des chrétiens craignant une éventuelle profanation.
        Un texte du IXème siècle attribué à Girart de Roussillon, fondateur de l’abbaye de Vézelay, précise que deux moines seraient venus chercher les reliques en 745 ou 749 pour les emmener à Vézelay. La croyance provençale dit pourtant que les ossements de la sainte ne quittèrent pas leur place de Saint-Maximin. Toujours est-il qu’après le départ des Sarrazins au Xème siècle, personne ne connaissait plus l’emplacement exact de la sépulture de Marie-Madeleine.
        En 1254, le roi de France Louis IX dit saint Louis, était de retour d’une croisade lorsqu’il fit un pèlerinage à la grotte de la Sainte-Baume. Informé de l’énigme des reliques, il chargea son neveu Charles II d’Anjou, comte de Provence, de tenter de retrouver les restes de la sainte. En 1279, Charles II fit donc une enquête et entreprit des fouilles près du village de Saint-Maximin où la tradition les situait.
Charles d’Anjou explora l’ancien monastère cassianite de Saint-Maximin, où reposaient quatre sarcophages de marbre vides. Il décida de creuser une tranchée profonde dans le sol. Son intuition était bonne, car il exhuma en effet un cinquième sarcophage de pierre. Lorsqu’on en souleva le couvercle, une odeur suave s’en dégagea tandis que l’on vit apparaître les ossements en désordre d’un corps humain presque entier. Etaient-ce ceux de sainte Madeleine ? L’examen de plusieurs indices allait permettre de l’identifier.
Au milieu des ossements était posé un vieux morceau de liège, qui tomba en poussière lorsqu’on le manipula. Mais il cachait un fragment de papyrus, portant une inscription latine encore lisible et ainsi rédigée : « L’an de la Nativité 716, au mois de décembre, sous le règne d’Eudes, très pieux roi des Francs, au temps des ravages de la perfide nation des Sarrazins, très secrètement et pendant la nuit, le corps de la très chère et vénérable Marie Madeleine, par crainte de ladite nation perfide, a été transféré de son tombeau d’albâtre dans celui-ci de marbre, car il y est plus caché, après en avoir enlevé le corps de Sidoine ».
Le même cercueil contenait également un globe de cire, dans lequel une planchette de bois plus ancienne portaient inscrits en latin les mots suivants : « Ici repose le corps de Marie Madeleine ».
L’identité du corps de Marie de Magdala semblait donc authentifiée par deux inscriptions manuscrites. Mais ce ne furent pas les seuls indices convaincants. Charles d’Anjou constata que le squelette était presque complet, à l’exception de la mâchoire inférieure qui manquait. Il eut alors une inspiration qui allait se révéler providentielle. Désirant faire reconnaître par le Saint-Siège les reliques de la sainte, il partit pour Rome en emportant le crâne de Marie-Madeleine. Lorsqu’il rencontra le pape Boniface VIII à Saint Jean-de-Latran, il fut surpris d’y apprendre qu’une mâchoire attribuée à Marie-Madeleine était précisément conservée dans la sacristie de la même basilique. On alla donc chercher la précieuse relique, et devant une foule de témoins rassemblée pour l’occasion, on confronta les deux parties de la tête : elles se complétaient exactement !
Ce résultat spectaculaire entraîna l’enthousiasme général, et la nouvelle de l’authenticité ainsi confirmée des reliques se répandit dans l’Occident chrétien. Le pape offrit à Charles la mâchoire inférieure, et le comte rentra donc en Provence avec le chef complet. Après un accueil triomphal, les ossements reprirent leur place dans le caveau, et la vénération des reliques des saints de Provence fut instituée.
La tradition fait état d’un autre détail surprenant : sur le front de la tête de Marie il aurait subsisté un lambeau de chair, au point précis où Jésus aurait touché la tête de la sainte après sa Résurrection. Ce petit morceau de peau est aujourd’hui conservé dans un reliquaire séparé.
Charles d’Anjou entreprit de faire construire une prestigieuse basilique au-dessus de la tombe de Marie-Madeleine. Entre 1295 et 1532, un impressionnant monument gothique fut érigé. Sa façade n’a jamais été achevée, mais il fut complété par un important monastère et un large cloître s’intégrant dans le village de Saint-Maximin.
La basilique abrite toujours dans son sous-sol l’ancienne tombe des saints de Provence. Sur le côté de la grande nef, un escalier descend vers une petite crypte qui contient quatre sarcophages de pierre, aux flancs finement sculptés de bas-reliefs paléochrétiens. Ce sont ceux de Maximin, de Sidoine, de Marcelle et de Marie-Madeleine. Cette dernière repose dans la niche du fond, et son cercueil supporte un somptueux reliquaire doré dans lequel est exposé le crâne de la sainte. Lorsqu’on emprunte la volée de marches qui descend dans cette cave, on se trouve ainsi en face du premier témoin de la Resurrection de Jésus-Christ.
       En 1974, une expertise scientifique des ossements de Marie fut effectuée par l’Institut d’Archéologie Méditerranéenne. Elle permit d’établir qu’il s’agissait d’une femme de type méditerranéen, âgée d’une cinquantaine d’années et de petite taille, informations compatibles avec ce que l’on savait déjà du personnage de Marie-Madeleine.
            De nouvelles fouilles effectuées en 1994 autour de la crypte révélèrent encore les restes d’un baptistère et d’une basilique primitive du IVème siècle. L’une des conclusions de ce travail est le fait que la crypte se trouvait à l’origine au-dessus du niveau du sol actuel. Ce fait a conduit le dominicain Philippe Devoucoux, ancien gardien de la grotte de Marie-Madeleine, à penser que les murs de la crypte ne seraient rien d’autre que l’oratoire du Ier siècle, élevé par saint Maximin lui-même. Si tel était le cas, il s’agirait alors du premier édifice de la chrétienté demeuré encore entier.r

Références :
[1] – Association de soutien à la tradition des saints de Provence.
[2] – Fr. Ph. Devoucoux du Buysson O.P. : « Marie-Madeleine repose-t-elle à Saint-Maximin ? » Cahiers de la Sainte-Baume No 6, 1er déc. 1989.
[3] – U. Villevieille : « Nos saints de Provence ». C.P.M. Marcel Petit, Raphèle-les-Arles 1995.
[4] – « La basilique de Saint-Maximin ». Association des amis de la basilique Sainte-Marie-Madeleine.
[5] – G. de Nantes : « Sainte Marie-Madeleine est-elle venue en Provence ? » Il est ressuscité n° 83, juillet 2009.
[6] – Fr. Ph. Devoucoux du Buysson, O.P. : « Visite de la basilique de la Madeleine à Saint-Maximin. Suivez le guide ! ». Maison Marie Magdeleine.

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