Une date pour la crucifixion ?
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Une date pour la crucifixion ?
(image : http://www.britannica.com)
Le jour du dernier repas
Bien que le récit de la Passion de Jésus de Nazareth soit rapporté avec force détails, il donne assez peu d’informations permettant de connaître la date exacte de l’évènement. Les historiens qui ont essayé de la calculer se sont plongés dans de difficiles reconstitutions du calendrier. L’un des problèmes soulevés concerne le déroulement de la semaine sainte qui précède la condamnation, car le calendrier recèle une contradiction : alors que les trois premiers évangiles font de la Cène un repas pascal (Mt. 26,17 ; Mc. 14,12 ; Lc. 22,7), l’évangile selon saint Jean place le dernier repas un ou plusieurs jours avant la fête de la Pâque (Jn. 13,1 ; Jn. 18,28).
D’autres incohérences ont été relevées dans le récit. Habituellement, la liturgie chrétienne célèbre le dernier repas pascal de Jésus le jeudi saint, et sa mort le lendemain vendredi saint. Le problème est le laps de temps écoulé entre son arrestation et son exécution, délai qui peut paraître bien court pour un déroulement complet du procès. En l’espace d’une nuit, Jésus aurait été transféré chez l’ancien grand-prêtre, puis chez le nouveau, puis deux fois au prétoire où siégeait Pilate, et entretemps chez Hérode … Il faut aussi tenir compte de certaines lois et pratiques juives qui figurent dans le Talmud, un livre sacré complémentaire de la Bible hébraïque : interdiction pour un tribunal de siéger la nuit, interdiction de condamner à mort un prisonnier en moins de vingt-quatre heures, et interdiction de condamner à mort une veille de sabbat.
Une page extraite du Talmud. Exemplaire
provenant du Caire, IXème s..
(image : http://www.moreeuw.com)
Une solution a été proposée en 1959 par une spécialiste de l’exégèse biblique et chercheur au CNRS, Annie Jaubert. Elle a publié une étude remarquable qui permet de lever la contradiction tout en étalant davantage dans le temps le récit du procès. Son travail se fonde sur une information déterminante fournie par les manuscrits de la mer Morte.
En effet les rouleaux de parchemin découverts à Qumran nous apprennent l’existence d’un deuxième calendrier hébreu utilisé au temps de Jésus. Les incohérences tombent si l’on suppose que les quatre évangélistes n’ont pas utilisé le même calendrier. Cette hypothèse met les quatre textes d’accord en proposant que la Cène se soit déroulée non pas le jeudi, mais le mardi. De ce fait, les contradictions disparaissent, les délais sont respectés et le déroulement devient plausible.
Cette hypothèse est en outre appuyée par plusieurs témoignages chrétiens très anciens (IIème-IIIème siècles), comme la Didachè des apôtres, un texte de catéchèse du IIème siècle, qui semblent indiquer qu’au temps de l’Eglise naissante la Cène était célébrée le mardi soir. Si Jésus prit réellement son dernier repas pascal un mardi, il aurait donc passé deux jours en captivité.
Le résultat de ce travail a emporté de nombreux suffrages chez les exégètes, et semble également avoir convaincu le Vatican. Toutefois, cette conclusion ne risque-t-elle pas de remettre en question le calendrier liturgique actuel des chrétiens ? Pas nécessairement : celui-ci a une vocation de célébration plutôt que de reproduction rigoureuse des faits.
Le jour de l’exécution
Pour tenter de calculer la date exacte de la mort de Jésus, la recherche historique se sert du matériel biblique et historique, ainsi que de nos connaissances sur le calendrier. Il ressort des évangiles que la crucifixion de Jésus a eu lieu un vendredi, veille du sabbat et de la Pâque juive. Or d’après l’Ancien Testament (Ex. 12,18), la Pâque juive se place le 14 ou le 15 du mois de Nisan (mars-avril). Par ailleurs, nous savons par l’historien romain Tacite que le gouverneur Ponce Pilate qui condamna Jésus fut préfet de Judée de 26 à 36. Durant cette décennie, il se trouve seulement cinq années pour lesquelles le 14 ou le 15 de Nisan tombe un vendredi. Par recoupements, les historiens retiennent fréquemment les deux dates les plus plausibles, celles du vendredi 26 mars 30 et du 3 avril 33.
Un moyen de départager ces deux dates se trouve peut-être dans le récit de la Passion, où les évangélistes relèvent des phénomènes surnaturels se produisant à l’instant du décès de Jésus.
« C’était environ la sixième heure quand, le Soleil s’éclipsant, l’obscurité se fit sur toute la terre jusqu’à la neuvième heure. Le voile du Temple se déchira par le milieu, et Jésus dit en un grand cri : « Père, entre tes mains je remets mon esprit. » Et, ce disant, il expira » (Lc. 23, 44-45).
Représentation schématique du calendrier hébreu
(cliquer pour agrandir).
(image : http://www.johnpratt.com)
La Lune prend parfois une couleur rougeâtre
pendant une éclipse de Lune.
(image : http://zenit-photo.com)
La survenue de l’obscurité peut faire penser à un processus naturel tel qu’une éclipse. C’est ce qu’ont fait de nombreux chercheurs qui ont exploré cette possibilité. Une éclipse de Soleil (le Soleil masqué par la Lune) n’est pas envisageable, car la Pâque juive a lieu en période de pleine Lune et les éclipses de Soleil sont alors impossibles. En revanche, une éclipse de Lune (la Lune dans l’ombre de la Terre) a pu avoir lieu pendant cette période.
En 1983, deux astrophysiciens de l’université d’Oxford, C.J. Humphreys et W.G. Waddington, publièrent dans la revue scientifique Nature les conclusions d’une recherche de date effectuée à partir de calculs astronomiques. Ils envisageaient l’hypothèse que la Lune ait pris une couleur rougeâtre, en s’appuyant sur un extrait du livre des Actes des apôtres qui cite le prophète Joël : « Le Soleil se changera en ténèbres – et la Lune en sang – avant que ne vienne le jour du Seigneur, grand et glorieux » (Ac. 2, 14-21).
L’étude cite d’autres textes anciens signalant également une obscurité anormale au moment de la mort de Jésus. L’un d’eux est un rapport apocryphe attribué à Ponce Pilate, la « Lettre de Ponce Pilate à Tibère », qui fait état d’un phénomène semblable, l’obscurité recouvrant la Terre tandis que la Lune prenait la couleur du sang.
Selon Humphreys et Waddington, l’éclipse de Lune se serait produite au moment où la Lune apparaissait à l’horizon. La couleur rouge s’expliquerait par la lumière rasante traversant l’atmosphère, qui absorbe les nuances de bleu. Et entre 26 et 36, une seule éclipse de Lune visible à Jérusalem en période de Pâques a eu lieu : celle du 3 avril de l’an 33. Quant à la survenue de l’obscurité, elle est attribuée à un phénomène de vent des sables qui aurait diminué l’éclairement.
Cette théorie moyennement convaincante, on en conviendra, est la seule à proposer un scénario scientifique qui tente de faire intervenir des phénomènes naturels.
Références :
[1] – Jean-Jacques Nolait, communication personnelle.
[2] – A.A. Valdés : « Le Jeudi saint : quand a eu lieu la dernière Cène de Jésus ? » Franciscan Cyberspot, march 24, 2005.
[3] – C. J. Humphreys et W.G. Waddington : « Dating for the crucifixion ». Nature, volume 306, 22-29 décembre 1983.
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