Archive pour le 8 mars, 2012
Un prophète qui console (Isaïe 40 – 55)
8 mars, 2012http://www.taize.fr/fr_article8149.html
Un prophète qui console (Isaïe 40 – 55)
Comment décrire un homme qui est resté complètement anonyme ? Les chapitres 40 à 55 du livre d’Isaïe constituent un petit recueil de textes prophétiques qui forment une nette unité littéraire, mais dont l’auteur s’est effacé derrière son message. On ne sait ni son nom ni l’endroit d’où il parle. On sait seulement que son message se situe autour de 538 avant Jésus-Christ, l’année où Cyrus, roi des Perses, a permis aux Juifs exilés à Babylone de retourner dans leur pays. Le nom de « Second Isaïe » lui a été donné parce que sa pensée s’inspire d’une tradition qui remonte au grand prophète Isaïe (VIIIe siècle).
Ce Second Isaïe devait annoncer un événement absolument inconcevable : un tout petit peuple, un « reste » qui ne comptait peut-être pas plus de 15.000 personnes, allait traverser le désert, vivre un nouvel Exode (43, 16-21) et arriver à Jérusalem. Ce n’est guère étonnant que les auditeurs soient restés incrédules. Un peuple déporté était souvent condamné à disparaître, et les 70 ans d’exil ont dû créer un profond découragement : on supposait que l’alliance que Dieu avait voulue avec les siens était annulée et que Dieu en avait assez d’eux.
Avec quels arguments vaincre ce découragement ? Si Dieu est éternel, sa sagesse doit, elle aussi, avoir des ressources dont nous n’avons aucune idée, et sa force doit être proprement inépuisable (40, 27-31). Et le prophète a recours à des images plus fortes encore : une mère peut-elle oublier l’enfant qui est né d’elle (49, 14-15), un homme peut-il rejeter la femme qui a été le grand amour de sa jeunesse (54, 6-7) ?
Les premiers mots de ce petit recueil sont répétés avec insistance : « Consolez, consolez mon peuple, dit votre Dieu » (40, 1). Après le temps d’une extrême désolation, le peuple doit être « consolé », ce qui veut dire qu’il sera mis en état de cesser ses lamentations, de se remettre debout et de reprendre courage. Ce peuple a beau être à bout, la consolation doit montrer que du cœur de Dieu découle un avenir.
L’image que les croyants s’étaient faite de Dieu s’est purifiée à travers l’extrême épreuve de l’exil, comme on peut s’en rendre compte aussi en lisant le livre de Job. Quand le Second Isaïe parle de Dieu, on n’y trouve plus les accents de colère, ni de menaces, ni d’affirmations autoritaires. Dieu aime, et il aime sans autre raison que son amour (43, 4 ; 43, 25). On dirait qu’il ne peut qu’aimer désormais (54, 7-10). S’il rétablit son peuple sur sa terre et dans sa ville, ce rétablissement aura un écho dans toutes les nations (45, 22 ; 52, 10), car il est le Dieu universel (51, 4). Dans le choix tout à fait gratuit d’un peuple unique, dans le pardon presque encore plus gratuit du retour de l’exil, sa propre alliance avec ce peuple a été comme transcendée. Le roi des Perses peut dès lors recevoir le titre d’« Oint », messie (45, 1), et le véritable ministère de médiation entre Dieu et les humains sera confié à un humble Serviteur.
Ce Serviteur reflètera les traits de son Dieu. Non seulement il ne s’imposera pas (42, 1-5), mais il sera lui-même vulnérable au découragement des siens (49, 4-6). À ceux qui se moquent de lui il ne rétorquera par aucune parole dure (50, 5-6). Lui-même, se tenant à l’écoute de Dieu comme le plus humble des croyants (50, 4), ira jusqu’à prendre sur lui toute l’incrédulité qui l’entoure (53, 12), à l’exemple de ce Dieu qui a « porté » le peuple à travers toute l’histoire (46, 3-4).
Benoît XVI: Le silence de Dieu ne signifie pas absence
8 mars, 2012http://www.zenit.org/article-30328?l=french
CATÉCHÈSE DE BENOÎT XVI : AUDIENCE DU 7 MARS 2012
Le silence de Dieu ne signifie pas absence
Rome, mercredi 7 mars 2012 (ZENIT.org) – Benoît XVI invite les catholiques à s’arrêter pour redécouvrir la valeur du silence, qui ne signifie pas l’absence de Dieu.
Dans cette dernière catéchèse sur la prière du Christ, Benoît XVI a médité lors de l’audience générale de ce mercredi 7 mars, place Saint-Pierre – le soleil étant au rendez-vous -, sur le silence de Jésus et sur celui du Père, lieu non pas de l’abandon, mais de la rencontre authentique.
Catéchèse de Benoît XVI en italien :
Chers frères et sœurs,
Dans la précédente série de catéchèses, j’ai parlé de la prière de Jésus et je ne voudrais pas conclure cette réflexion sans m’arrêter brièvement sur le thème du silence de Jésus, si important dans le rapport avec Dieu.
Dans l’exhortation apostolique post-synodale Verbum Domini, j’avais fait référence au rôle assumé par le silence dans la vie de Jésus, surtout sur le Golgotha : « Nous nous
trouvons ici face au « langage de la croix » (1 Co 1, 18). Le Verbe se tait, il devient silence de mort, car il s’est « dit » jusqu’à se taire, ne conservant rien de
ce qu’il devait communiquer » (n. 12). Devant ce silence de la croix, saint Maxime le Confesseur met sur les lèvres de la Mère de Dieu l’expression suivante : « Sans parole est la Parole du Père, laquelle a créé toute la nature parlante, sans mouvement sont les yeux éteints de celui par la parole et le geste de qui est mû tout ce qui se meut » (La vie de Marie, n. 89 : Textes sur Marie du premier millénaire, 2).
La croix du Christ ne montre pas seulement le silence de Jésus, comme ultime parole adressée à son Père, mais elle révèle aussi que Dieu parle par le silence : « Le silence de Dieu, l’expérience de l’éloignement du Tout-Puissant et du Père est une étape décisive du parcours terrestre du Fils de Dieu, Parole incarnée. Pendu au bois de la croix, il a crié la douleur qu’un tel silence lui causait : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Mc 15, 34 ; Mt 27, 46). Persévérant dans l’obéissance jusqu’à son dernier souffle de vie, dans l’obscurité de la mort, Jésus a invoqué le Père. C’est à lui qu’il s’en remet au moment du passage, à travers la mort, à la vie éternelle : « Père, entre tes mains je remets mon esprit » (Lc 23, 46) » (Verbum Domini, n. 21). L’expérience de Jésus sur la croix est profondément révélatrice de la situation de l’homme qui prie et indique le sommet de l’oraison : après avoir écouté et reconnu la parole de Dieu, nous devons nous mesurer aussi au silence de Dieu, expression importante de la parole divine même.
La dynamique entre parole et silence, qui marque la prière de Jésus pendant toute son existence terrestre, touche aussi notre vie de prière dans deux directions. La première concerne l’accueil de la parole de Dieu. Le silence intérieur et extérieur est nécessaire pour que cette parole puisse être entendue. Et ce point est particulièrement difficile pour nous, à notre époque. En effet, nous vivons dans un temps qui ne favorise pas le recueillement ; au contraire, on a parfois l’impression que l’on a peur de se détacher, même un instant, du flot de paroles et d’images qui marquent et remplissent nos journées. C’est pour cela que, dans l’exhortation Verbum Domini que je viens de citer, j’ai rappelé la nécessité d’être éduqué à la valeur du silence : « Redécouvrir le caractère central de la Parole de Dieu dans la vie de l’Église veut dire redécouvrir le sens du recueillement et de la paix intérieure. La grande Tradition patristique nous enseigne que les Mystères du Christ sont liés au silence ; par lui seul, la Parole peut faire en nous sa demeure, comme chez Marie, qui est inséparablement la femme de la Parole et du silence » (n. 66). Ce principe – selon lequel sans le silence on ne peut pas entendre, écouter, recevoir une parole – vaut surtout pour la prière personnelle, mais aussi pour nos liturgies : pour faciliter une écoute authentique, celles-ci doivent être aussi riches de moments de silence et d’accueil non verbal. Cette observation de saint Augustin est valable encore aujourd’hui : Verbo crescente, verba deficiunt – « Quand le Verbe paraît, les paroles se taisent » (cf. Sermo 288, 5 : PL 38, 1307 ; Sermo 120, 2 : PL 38, 677). Les évangiles présentent souvent Jésus, surtout au moment des choix décisifs, se retirant seul dans un lieu à l’écart des foules et de ses disciples pour prier dans le silence et vivre son rapport filial avec Dieu. Le silence est capable de creuser un espace intérieur au plus profond de nous-mêmes, pour y faire habiter Dieu, afin que sa parole demeure en nous, pour que notre amour pour lui s’enracine dans notre esprit et dans notre cœur et anime notre vie. C’est donc la première direction : réapprendre le silence, l’ouverture à l’écoute, pour nous ouvrir à l’autre, à la parole de Dieu.
Mais il y a aussi une seconde relation du silence à la prière qui est importante. En effet, ce n’est pas seulement notre silence qui nous dispose à l’écoute de la Parole de Dieu ; souvent, dans notre prière, nous nous trouvons confrontés au silence de Dieu, nous éprouvons presque un sentiment d’abandon, il nous semble que Dieu ne nous écoute pas et ne nous répond pas. Mais ce silence de Dieu, comme pour Jésus, n’est pas le signe de son absence. Le chrétien sait bien que le Seigneur est présent et qu’il écoute, même dans l’obscurité de la douleur, du refus et de la solitude. Jésus donne à ses disciples, et à chacun de nous, l’assurance que Dieu connaît bien nos besoins, dans toutes les situations de notre vie. Il enseigne les disciples : « Dans vos prières, ne rabâchez pas comme les païens : ils s’imaginent qu’en parlant beaucoup ils se feront mieux écouter. N’allez pas faire comme eux ; car votre Père sait bien ce qu’il vous faut, avant que vous le lui demandiez » (Mt 6, 7-8) : un cœur attentif, silencieux, ouvert est plus important que beaucoup de paroles. Dieu nous connaît jusqu’à l’intime, mieux que nous-mêmes, et il nous aime : le savoir doit nous suffire. Dans la Bible, l’expérience de Job est particulièrement significative à cet égard. En peu de temps, cet homme perd tout : ses proches, ses biens, ses amis, sa santé ; le comportement de Dieu envers lui semble vraiment être un abandon, un silence total. Et pourtant, dans son rapport à Dieu, Job lui parle et crie vers lui : malgré tout cela, dans sa prière, il garde sa foi intacte et, à la fin, il découvre la valeur de son expérience et du silence de Dieu. Et ainsi, s’adressant au Créateur, il peut enfin conclure : « Je ne te connaissais que par ouïe dire, mais maintenant mes yeux t’ont vu » (Jb 42, 5) : nous tous, dans l’ensemble, nous connaissons Dieu seulement par ouïe dire et, plus nous sommes ouverts à son silence et à notre silence, plus nous commençons à le connaître réellement. Cette confiance extrême qui s’ouvre à une rencontre profonde avec Dieu a mûri dans le silence. Saint François-Xavier priait en disant au Seigneur : « Je t’aime non parce que tu peux me donner ton paradis ou me condamner à l’enfer, mais parce que tu es mon Dieu. Je t’aime parce que tu es toi ».
En nous acheminant vers la conclusion de ces réflexions sur la prière de Jésus, quelques enseignements du Catéchisme de l’Eglise catholique nous viennent à l’esprit : « Le drame de la prière nous est pleinement révélé dans le Verbe qui s’est fait chair et qui demeure parmi nous. Chercher à comprendre sa prière, à travers ce que ses témoins nous en annoncent dans l’Evangile, c’est nous approcher du Saint Seigneur Jésus comme du Buisson ardent : d’abord le contempler lui-même en prière, puis écouter comment il nous enseigne à prier, pour connaître enfin comment il exauce notre prière. » (n. 2598). Et comment Jésus nous enseigne-t-il à prier ? Nous trouvons une réponse claire dans le Compendium du Catéchisme de l’Eglise catholique : « Jésus nous enseigne à prier non seulement avec la prière du Notre Père » – certainement l’acte central de son enseignement sur la prière – « mais aussi quand il est en
Prière. De cette manière, en plus du contenu de la prière, il nous enseigne les dispositions requises pour une prière vraie : la pureté du cœur qui cherche le Royaume et qui pardonne à ses ennemis, la confiance audacieuse et filiale qui va au delà de ce que nous ressentons et comprenons, la vigilance qui protège le disciple de la tentation » (n. 544).
En parcourant les évangiles, nous avons vu que, dans notre prière, le Seigneur est l’interlocuteur, l’ami, le témoin et le maître. En Jésus se révèle la nouveauté de notre dialogue avec Dieu : c’est une prière filiale, que le père attend de ses enfants. Et nous apprenons de Jésus combien la prière constante nous aide à interpréter notre vie, à faire des choix, à reconnaître et à accueillir notre vocation, à découvrir les talents que Dieu nous a donnés, à accomplir chaque jour sa volonté, voie unique pour réaliser notre existence.
Pour nous, qui sommes souvent préoccupés d’efficacité opérationnelle et de résultats concrets à obtenir, la prière de Jésus nous montre que nous avons besoin de nous arrêter, de vivre des moments d’intimité avec Dieu, « nous détachant » du vacarme quotidien pour écouter, pour aller à la « racine » qui nous soutient et nourrit notre vie. L’un des moments les plus beaux de la prière de Jésus se trouve justement lorsque, pour affronter les maladies, les contrariétés et les limites de ses interlocuteurs, il s’adresse à son Père dans l’oraison et ainsi, il enseigne à ceux qui l’entourent où trouver la source de l’espérance et du salut. J’ai déjà donné l’exemple émouvant de la prière de Jésus sur la tombe de Lazare. L’évangéliste Jean raconte ainsi l’événement : « On enleva donc la pierre. Jésus leva les yeux en haut et dit : “Père, je te rends grâces de m’avoir écouté. Je savais que tu m’écoutes toujours ; mais c’est à cause de la foule qui m’entoure que j’ai parlé, afin qu’ils croient que tu m’as envoyé”. Cela dit, il s’écria d’une voix forte : “Lazare, viens dehors !” » (Jn 11, 41-43). Mais c’est au moment de sa passion et de sa mort que Jésus atteint le sommet de la profondeur de sa prière au Père, lorsqu’il prononce le « oui » extrême au projet de Dieu et montre comment la volonté humaine trouve son accomplissement dans une adhésion pleine à la volonté de Dieu et non dans une opposition. Dans la prière de Jésus, dans son cri lancé vers le Père sur la croix, se concentrent « toutes les détresses de l’humanité de tous les temps, esclave du péché et de la mort, toutes les demandes et les intercessions de l’histoire du salut… Voici que le Père les accueille et, au delà de toute espérance, les exauce en ressuscitant son Fils. Ainsi s’accomplit et se consomme le drame de la prière dans l’Economie de la création et du salut » (Catéchisme de l’Eglise catholique, 2606).
Chers frères et sœurs, demandons au Seigneur avec confiance de vivre le chemin de notre prière filiale, en apprenant chaque jour du Fils unique qui, s’est fait homme pour nous, comment nous devons nous adresser à Dieu. Les paroles de saint Paul sur la vie chrétienne en général valent aussi pour notre prière : « Oui, j’en ai l’assurance, ni mort ni vie, ni anges ni principautés, ni présent ni avenir, ni puissances, ni hauteur ni profondeur, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté dans le Christ Jésus notre Sauveur » (Rm 8, 38-39).
Catéchèse de Benoît XVI en français :
Chers frères et sœurs, nous nous arrêtons aujourd’hui sur l’importance du silence pour conclure notre méditation sur la prière de Jésus. Au Golgotha, la croix montre le silence de Jésus comme sa dernière parole au Père et révèle que Dieu parle par le silence. Marquée par la parole et le silence, la prière de Jésus nous engage doublement. Il y a d’abord la nécessité du silence intérieur et extérieur pour écouter la Parole de Dieu. De même que les mystères du Christ sont liés au silence, de même seul le silence peut faire habiter la Parole de Dieu en nous, comme en Marie. Notre prière personnelle et nos liturgies doivent être riches de moments de silence. Dans notre vie, nous éprouvons aussi le silence de Dieu. En ce sens, l’expérience de Job est très significative. Il a tout perdu. Il semble être abandonné. Pourtant, il conserve intacte sa foi et découvre la valeur du silence. Dieu nous aime ! Cela doit suffire ! Chers amis, l’évènement de la prière nous est révélé dans le Verbe incarné qui nous enseigne le contenu et les dispositions pour la vraie prière : pureté du cœur, recherche du Règne de Dieu, pardon des ennemis, confiance filiale. Jésus est l’interlocuteur, l’ami et le maître qui aide à faire toujours la volonté de Dieu.
Je salue cordialement les pèlerins de langue française, particulièrement les diacres et les jeunes prêtres, et les jeunes présents. Jésus nous enseigne la nécessité de rompre avec nos préoccupations d’efficacité et de résultats pour vivre des moments d’intimité avec Dieu. Puisse ce carême vous aider à découvrir la valeur du silence. Il est la source qui soutient et nourrit notre vie. Avec ma bénédiction pour vous tous!