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Le Cordon Séraphique de Saint François
7 mars, 2012Le Cordon Séraphique
Texte de Monseigneur Louis-Gaston de Ségur paru en 1877
Le Cordon de Saint François
Le séraphique saint François d’Assise, ayant embrassé la pauvreté, évangélique, ne voulut avoir pour vêtement qu’une grossière tunique, et pour ceinture qu’une pauvre corde: cette corde était un symbole de pénitence, de pauvreté et de chasteté. Un jour, son ami saint Dominique lui demanda en témoignage de leur intime union, de lui donner sa corde; et, jusqu’à la fin de sa vie, le bienheureux Dominique porta toujours, sous sa robe blanche de Frère Précheur, cette corde de saint François. Il fut ainsi, en dehors de la famille franciscaine, le premier qui porta la corde de saint François d’Assise. Son exemple fut suivi d’une multitude de pieux fidèles, désireux de porter ainsi une marque de leur amour envers saint François. Le Cordon de Saint-François était, dès le quatorzième siècle, quatre-vingts ou cent ans à peine après la mort du patriarche d’Assise, une des dévotions populaires de la France. Les princes et les rois s’honoraient de le porter. Les ducs de Bretagne en ceignirent leurs armes. François 1er le substitua au Cordon de Saint-Michel; et sa mère, la reine Louise de Savoie, l’introduisit dans le blason de sa maison. Par une bulle en date du 19 novembre 1585, le grand pape Sixte V, érigea ce pieux usage en une archiconfrérie, qui prît le nom d’Archiconfrérie du Cordon de Saint-François. Il l’enrichit de nombreuses indulgences et lui accorda en outre une pleine et entière participation à toutes les faveurs spirituelles dont jouissaient les Frères-Mineurs. L’Archiconfrérie du Cordon est une affiliation à la famille religieuse fondée par le patriarche séraphique. Elle n’oblige à rien sous peine de péché, et apporte à tous ses membres des grâces vraiment merveilleuses. Elle subsiste encore aujourd’hui, et tout le monde peut en faire partie, même les enfants, même les religieux et religieuses de n’importe quel ordre. — Saint Benoit- Joseph Labre reçut le cordon à Assise même, sur le tombeau de saint François, le 20 novembre 1770. Pour faire partie de l’Archiconfrérie, il suffit de recevoir le cordon de la main d’un supérieur franciscain ou d’un prêtre délégué à cet effet, et de porter ce cordon jour et nuit. Il est d’usage, mais simplement d’usage, de réciter chaque jour, en souvenir des cinq Plaies du Sauveur et de saint François, et aussi aux intentions du Pape, pour les besoins de l’Eglise, six Pater, Avé et Gloria Patri. On peut porter le cordon sur la chemise. Il peut être de fil, de coton, de lin ou de chanvre, de couleur blanche on ne doit le quitter qu’en cas de nécessité, pour le reprendre dès que cela redevient possible. Une petite ficelle ne suffirait pas, mais il n’est pas nécessaire que ce soit une grosse corde. On peut réciter les six Pater, Ave et Gloria à n’importe quel moment du jour, soit en marchant, soit à genoux, comme on le préfère. On n’y est pas obligé, c’est un simple conseil de piété. Si l’on ne portait par le cordon, on ne gagnerait pas les faveurs spirituelles concédées par le Saint Siège. Pour les gagner, il faut non-seulement porter le cordon, et accomplir ce qui est prescrit par la concession apostolique, mais encore remplir les conditions ordinairement exigées pour les indulgences plénières. Ces conditions sont, comme chacun sait, d’abord d’être en état de grâce, sincèrement contrit de ses péchés, et fermement résolu à les éviter et à les expier; puis, à moins que le contraire ne soit spécifié, de se confesser et de communier, et de prier, dans un oratoire public, pour le Pape et à ses intention. Pour les personnes pieuses qui ont l’habitude d’approcher souvent de la Sainte-Table, la confession de tous les huit jours, ou de tous les quinze jours dans certains diocèses suffit.
Faveurs spirituelles attachées au Cordon Séraphique
Nous disions tout à l’heure qu’elles étaient merveilleuses. En effet, elles comprennent le trésor incomparable des indulgences et Absolutions générales, qui font de la famille franciscaine une merveille unique en son genre. Les confrères du Cordon séraphique ont droit à toutes ces grâces. On peut en avoir le détail dans le catalogue que nous joignons à cette petite Notice et dans celle de l’Archiconfrérie du Cordon publiée, en 1871, par le R. P. Laurent, ancien Provincial des Capucins de France. En voici trois qui brillent entre toutes les autres; elles ont été confirmées par N. T. -S. P. le pape Pie IX, par deux décrets en date du 12 mars 1855 et du 14 avril 1856.
Premièrement: Toutes les fois qu’on récite six Pater, Ave et Gloria, on gagne toutes les Indulgences, plénières et partielles, de la Terre-Sainte; toutes les indulgences, plénières et «partielles, de toutes les basiliques et de tous les sanctuaires de Rome; toutes les indulgences plénières et partielles, des sanctuaires d’Assise, etc… c’est-à-dire des milliers d »indulgences plénières et certainement plus de cent mille années d’indulgences partielles. Il y a là un océan presque infini de miséricordes; il y a là de quoi délivrer chaque jour des milliers de pauvres âmes du purgatoire. Et l’on peut gagner ces trésors autant de fois par jour que l’on veut: il n’est pas nécessaire d’avoir communié le matin, il suffit d’être en état de grâce, contrit de ses péchés, et décidé à demeurer très fidèle à Notre-Seigneur.
Deuxièmement. Toutes les fois qu’on communie, indulgence plénière; et, en outre, lorsqu’après la communion on récite le psaume Exaudiat avec quelques courtes prières que l’on trouvera ci-après, on gagne (grâce admirable!) toutes les indulgences plénières et partielles de tous Les sanctuaires de la terre. Ceux qui ne savent ou ne peuvent pas lire, récitent à la place de ce psaume et de ces prières trois Pater et trois Ave, aux intentions du Pape.
Troisièmement. Mais ce qui est plus précieux encore, les confrères du Cordon jouissent d’une faveur unique, accordée dans l’Eglise à l’humble famille de saint François, et qu’on appelle l’absolution générale. Cette grande absolution franciscaine consiste dans la restitution de l’innocence du Baptême. C’est là une grâce qui surpasse toutes les autres. Dans cette grâce toute franciscaine, il y a d’abord ce qu’on pourrait appeler le côté général, c’est-à-dire l’exemple,le pardon des peines du purgatoire, en d’autres termes l’indulgence plénière; puis, le côté spécial, qui consiste dans un renouvellement miséricordieux de l’innocence du baptême, proportionné, aux dispositions du fidèle qui reçoit la susdite absolution. Ce n’est point la grâce sacramentelle du baptême, laquelle ne saurait être renouvelée: c’est la même plénitude de pardon, que nous avons reçue au jour sacré de notre baptême, et l’entière restitution de la sainteté et de l’innocence baptismales. La première partie de la grâce de l’absolution générale, l’indulgence plénière est applicable, par mode de suffrage, aux âmes du purgatoire; tandis que la seconde est toute personnelle et par conséquent incommunicable. Quel trésor que cette restitution de l’innocence de notre baptême! Comme elle nous rend digne des regards du bon Dieu ! Comme elle attire en nous Jésus-Christ, avec tous les trésors de son Sacré-Cœur ! Comme elle permet à la sainte Vierge immaculée de nous contempler avec un maternel amour! Comme elle nous prépare à recevoir dignement la très-pure Eucharistie! Enfin, comme elle nous rends beaux aux yeux de l’Eglise du ciel et de l’Eglise de la terre! Une âme ainsi purifiée, ainsi enrichie, est un ciel vivant où règne et vit pleinement: Jésus-Christ, avec son Père céleste et l’Esprit sanctificateur,
On peut recevoir l’absolution générale trente-six fois par an, par le ministère d’un Frère-Mineur ou d’un directeur du Tiers Ordre ou d’un prêtre quelconque, approuvé pour les confessions. D’abord aux jours de fête qui suivent: le jour de l’Immaculée-Conception, à Noël, à la Circoncision, à l’Epiphanie, à la Purification, à la Saint-Joseph, à l’Annonciation, au dimanche des Rameaux, à chacun des jours de la Semaine-Sainte, au Dimanche de Pâques, à l’Ascensicn, à la Pentecôte, à la Trinité, à la Fête-Dieu, à la fête du Sacré-Cœur, le 21 juin, (en mémoire de l’anniversaire de l’entrée du Pape Pie IX dans le Tiers-Ordre), à la Saint-Pierre, à la Visitation, à la fête de Sainte-Claire (le 12 août), à l’Assomption, à la Saint-Louis, à la Nativité, à la Saint-François (le 4 octobre), à la Toussaint, à la fête de Sainte-Elizabeth de Hongrie (le 19 novembre), à la Présentation, et enfin, le 25 novembre, à la fête de Sainte Catherine, vierge et martyre. En outre, on peut recevoir l’Absolution générale quatre fois encore par an, n’importe quel jour, et ces quatre jour là on reçoit de plus la bénédiction Papale, comme au 21 juin: en tout trente-six fois par an.
Je le répète: la restitution de l’innocence du Baptême, quelle grâce ineffable! quel gage de salut! quel moyen de sanctification! Ne l’oublions pas, chaque confrère du Cordon peut la recevoir de tout prêtre régulièrement autorisé à confesser. En effet, tout confesseur, quel qu’il soit, est investi de ce pouvoir par un Indult général du supérieur de l’Ordre de Saint-François, par cela seul qu’un enfant de Saint François se présente à son tribunal. Quoiqu’on trouve dans les manuels franciscains de très-belles et très-précieuses formules pour cette grande absolution générale, il est bon de savoir que ces formules ne sont pas indispensables, et que l’intention du confesseur suffit, du moment qu’elle est exprimée par une formule quelconque. Pour donner l’absolution générale à un confrère du Cordon, il n’est pas du tout nécessaire que le confesseur soit affilié à la famille franciscaine. Aux jours de fêtes indiquées ci-dessus, on peut recevoir l’absolution générale, à partir de la veille à midi, et le jour de la fête jusqu’à minuit. Par une concession récente, les prêtres que les devoirs du saint ministère empêcheraient de recevoir l’absolution générale au jour indiqué, ont, pour aller la demander, une latitude de huit jours avant la fête. Enfin, à l’article de la mort, les confrères du Cordon séraphique reçoivent cette même grâce de la Bénédiction papale, de l’Indulgence plénière et de la restitution de l’innocence de leur baptême, de la main du prêtre qui les assiste. Ces trois admirables faveurs spirituelles ne doivent-elles pas rendre bien chère à notre foi l’Archiconfrérie du Cordon de Saint-François, ainsi que l’Œuvre de Saint-François de Sales, qui nous les apportent ? Tous les vrais chrétiens devraient en faire partie, tant pour eux-mêmes que pour le soulagement des âmes du Purgatoire. La corde du patriarche séraphique leur rappellerait sans cesse les vertus de Saint-François, la protection dont il les entoure et l’esprit de pénitence, de pauvreté, de chasteté et de charité qui doit embaumer leur vie.
Les trois noeuds du Cordon Séraphique
Il est d’usage de faire trois nœuds au Cordon Séraphique en signe d’union spirituelle avec les trois Ordres que saint François d’Assise a eu le bonheur d’instituer dans l’Eglise pour l’amour de Jésus-Christ et la sanctification des âmes. Ces trois Ordres sont si précieux aux yeux du Sauvent, ils sont si chers à son Sacré-Cœur, qu’il a formellement promis à son grand serviteur François, sur le mont Alverne, qu’ils subsisteraient tous trois jusqu’à la fin du monde.
Le premier de ces Ordres est celui des Frères-Mineurs communément appelés Franciscains, ou Capucins, ou Cordeliers, ou Récollets, suivant les différentes branches delà grande famille de Saint-François. Au fond, c’est un seul et même Ordre: le grand arbre séraphique n’a qu’un tronc; mais il y a des nuances dans l’interprétation et l’application de la règle du patriarche d’Assise ; et ces nuances ou, comme on dit, ces réformes ont donné naissances à plusieurs branches, distinctes entre elles quoiqu’unies par le tronc et la racine. Les Frères-Mineurs sont avant tout les religieux de la pauvreté évangélique. Dans leur Règle, dans la forme de leur sainteté, tout converge vers la première béatitude : » Bienheureux ceux qui ont l’esprit de pauvreté, car le royaume des cieux est pour eux ! » C’est dans la pauvreté de Jésus-Christ qu’ils trouvent l’humilité et la douceur, la patience et la mortification, la paix, la joie, la charité, l’esprit de sacrifice, en un mot la sainteté parfaite. Ils vont nu-pieds comme des pauvres ; ils ont une robe grossière, trop chaude en été, trop froide en hiver; ils jeûnent tous les vendredis de l’année, et presque sans interruption, depuis la Toussaint jusqu’à Pâques. Ils ne possèdent rien ici-bas, absolument rien ; ils ne vivent que de charité; ce que vous leur donnes continue à vous appartenir aussi longtemps que cela subsiste, aussi longtemps que cela n’est point consommé. Quant à leurs pauvres couvents et aux morceaux de terre qui en dépendent, ils appartiennent au Pape. Les Frères-Mineurs n’ont rien, rien que Jésus-Christ, qui est tout- L’hiver comme l’été, ils se lèvent à minuit pour psalmodier l’Office divin; et après l’Office, ils font une heure d’oraison. Après quoi, ils regagnent leurs pauvres cellules, et se rendorment, comme ils peuvent, sur leurs couchettes de planches, garnies d’une méchante paillasse qui n’est guère moins dure que le bois. Ils prêchent Jésus crucifié et son amour; ils prient, ils font pénitence, une pénitence rude, mais Joyeuse. Tel est le premier Ordre de Saint-François, le saint Ordre des Frères-Mineurs, aux mérites, aux pénitences et aux prières desquels nous avons le bonheur de participer, grâce à la concession récente de notre bien- aimé Pape Pie IX.
Le second Ordre de la famille séraphique représenté par le second nœud du Cordon, est celui des Dames de la pauvreté ou Pauvres Dames, comme on les appelait jadis. Aujourd’hui on ne les connaît guère que sous le nom de Clarisses, qui leur vient de Sainte-Claire d’Assise, la première fille spirituelle de Saint-François, et la fondatrice du premier couvent des Pauvres Dames. Les Clarisses sont cloîtrées; leur pauvreté est extrême, absolue, comme celle des Frères-Mineurs. Elles vont pied-nus, vivent exclusivement des aumônes qu’on veut bien leur apporter; car elles ne peuvent aller mendier, comme les Frères-Mineurs. Leur vie tout entière est un holocauste d’amour, de pénitence, d’immolation perpétuelle. Comme les Frères-Mineurs, elles ont une dévotion toute particulière au mystère de la crèche et de la croix, au Sacré-Cœur et au Saint- Sacrement, à l’Immaculée-Conception de la sainte Vierge, aux saints Anges, à saint Joseph et à l’autorité de la Chaire Apostolique.
Le troisième nœud de notre cher cordon nous rappelle le troisième Ordre, ou Tiers-Ordre institué par saint François lui-même pour faire jouir des bienfaits de la vie religieuse, tous les chrétiens, ecclésiastique ou laïques, qui vivent dans le monde. Le Tiers-Ordre de la pénitence, comme on rappelle encore, est un véritable Ordre, et non pas seulement une confrérie. C’est un Ordre qui a une règle approuvée par le Saint-Siège; qui a un habit religieux, de forme et de couleur déterminées; qui est astreint à certaines pratiques de piété, à certaines prières, à certaines pénitences. Il y a le Tiers-Ordre régulier, composé de tertiaires qui vivent en communauté, comme de vrais religieux et qui ont un supérieur-général résidant à Rome; et le Tiers-Ordre séculier, dont les membres, ecclésiastiques ou laïques, célibataires ou mariés, continuent à vivre dans le monde, chacun suivant sa vocation. Il serait trop long de détailler ici les diverses obligations des tertiaires; qu’il suffise de dire que le Tiers-Ordre est une source immense de grâces et de sanctification; que, dans la pensée de saint François et du Saint-Siège, il est fait pour tout le monde, accessible à toutes les conditions, à toutes les santés, à, tous les tempéraments, aussi bien fait pour les princes et les princesses que pour les pauvres, que pour les servantes, pour les prêtres que pour les gens mariés, pour les jeunes gens et les jeunes filles aussi bien que pour les vieillards. La règle elle-même commande de dispenser de
toutes les austérités qu’elle prescrit, lorsque, pour des raisons légitimes, on ne peut les embrasser. Du reste, la règle du Tiers-Ordre n’oblige pas sous peine de péché, môme de péché véniel. C’est une pure source de grâces et de mérites, sans aucun inconvénient, sans aucun danger.
Le Cordon de Saint- François nous apporte, si nous le voulons, toutes les immenses indulgences, les absolutions générales et les autres faveurs spirituelles octroyées par le Siège- Apostolique à la famille franciscaine. Mais prenons garde et ne nous imaginons pas que pour cela nous sommes sur le même pied que les Frères-Mineurs et les Clarisses, et même que les simples Tertiaires. Si les faveurs sont les mêmes, les mérites ne sont pas les mêmes : loin de là. Or ce sont les mérites qui constituent la sainteté et qui comptent pour la vie éternelle. Nous autres, avec les magnifiques faveurs de notre cordon, récoltées à si peu de frais, nous mangeons les confitures de saint François, mais nous n’avons pas le pain» le pain qui nourrit; les tertiaires ont, avec les confitures, la mie du pain, ce que l’on donne aux enfants; les austères Frères-Mineurs et les généreuses pénitentes de Sainte-Claire reçoivent le pain tout entier, avec les fortes et nourrissantes duretés d’une croûte bien cuite; et les confitures ne sont pour eux que l’accessoire. Aussi, combien de fois le cordon franciscain n’a-t-il pas servi à saint François pour attirer au Tiers-Ordre des âmes avides de mieux faire, et, à son tour, combien de fois le Tiers-Ordre n’a-t-il pas été la porte par laquelle l’Esprit de Dieu a fait monter des âmes plus généreuses encore jusqu’aux deux grands Ordres de la pauvreté séraphique! N’oublions pas, pauvres petites violettes du parterre de saint François d’Assise et de saint François de Sales, n’oublions pas que nous ne sommes rien en comparaison de ces nobles pénitents; auprès de ces zouaves de la pénitence, nous ne sommes que des enfants de troupe; et si, devant Dieu et son Eglise, nous sommes revêtus du même uniforme tout resplendissant d’indulgences et de grâces inestimables, nous n’en sommes pas moins des enfants, qui ne doivent se réjouir que très-modestement. Tâchons du moins, avec l’aide de Dieu et de nos deux bons saints François, de si bien profiter de cet inépuisable trésor de pardon et d’amour, que nous soyons toujours de bons enfants, bien innocents, bien dociles, bien reconnaissants, bien fidèles à Jésus.
LA « RENCONTRE ENTRE EDITH STEIN ET ETTY HILLESUM » PAR L. SCARAFFIA
7 mars, 2012http://www.zenit.org/article-30324?l=french
LA « RENCONTRE ENTRE EDITH STEIN ET ETTY HILLESUM » PAR L. SCARAFFIA
Avant d’affronter l’enfer d’Auschwitz
ROME, mercredi 7 mars 2012 (ZENIT.org) – Cette réflexion sur la « rencontre entre Edith Stein et Etty Hillesum dans le camp hollandais de Westerbork », est due à Lucetta Scaraffia, à l’occasion de la préface du livre – qui vient d’être édité en italien – de Cristiana Dobner, carmélite,? sur ces deux femmes extraordinaires.
Cette page a été publiée sur le portail de L’Osservatore Romano le 23 février 2012. Nous le republions à l’occasion de la Journée mondiale de la femme, avec l’aimable autorisation de L’OR.
Qu’as-tu vu sur mon visage?
Les regards de deux femmes extraordinaires se sont croisés avant d’affronter l’enfer d’Auschwitz
Nous publions la préface de l’ouvrage «Il volto. Principio di interiorità. Edith Stein, Etty Hillesum (Milan, Marietti, 96p, 14,00 euros) de Cristiana Dobner?
Deux des intellectuelles les plus intéressantes du XXe siècle, deux femmes extraordinaires, également rapprochées par le fait d’être toutes les deux juives, déportées et tuées à Auschwitz, Edith Stein et Etty Hillesum, se sont rencontrées personnellement.
Nous savons que cette rencontre a eu lieu dans le camp hollandais de Westerbork, précisément avant la déportation dans le camp d’extermination. Nous le savons par une brève note d’Etty, qui raconte l’arrivée de deux religieuses, «nées d’une famille juive, riche et cultivée, de Breslau», Edith et sa sœur Rosa. Mais nous ne saurons jamais ce qu’elles se sont dit, nous ne pourrons jamais assister à l’échange de leurs regards. Nous partageons, avec Cristiana Dobner, la certitude qu’elles se sont «reconnues» par leurs visages, ces visages qui, écrit l’auteure, révèlent «la singularité et l’individualité concrète de la personne».
Il existe des genres littéraires qui simulent des rencontres qui n’ont jamais eu lieu, en général entre l’auteur et un personnage qui a vécu à une autre époque, bien évidemment célèbre. On les appelle des «entretiens impossibles» et ils ont joui d’une grande popularité. L’essai de Cristiana Dobner a choisi en revanche une autre voie, plus difficile et profonde: celle d’imaginer et de décrire ce que chacune des deux femmes a vu sur le visage de l’autre.
Sachant qu’il s’agit de visages qui révèlent une longue réflexion intérieure, des visages qui étaient le miroir de l’intériorité, parfaitement conscients de la signification des rapports humains, des visages qui portaient écrit en eux la trace d’autres rencontres, riches de sens, qu’ils avaient vécues.
Précisément en reparcourant leur pensée et les rencontres importantes qui ont eu lieu, Cristiana Dobner a cherché à reconstruire ce que le visage de chacune devait avoir dit à l’autre même sans paroles, ne serait-ce qu’avec un regard. Un regard qui, en particulier à un moment aussi dramatique, était sans aucun doute capable de lire au plus profond, de saisir la signification essentielle de leurs regards réciproques. Le visage d’Edith est reconstruit à travers un examen attentif des photographies, peu nombreuses, et surtout à travers les paroles de ceux qui l’ont rencontrée, fidèlement rappelées dans les procès-verbaux du procès en béatification auxquels l’auteure a puisé. Une source en général négligée, mais très riche. Certaines de ces rencontres racontées ont lieu quand Edith était dans la clôture, et donc uniquement un visage voilé derrière la grille, et son âme se révèle à travers la voix, les paroles. Les paroles les plus intenses sur elle sont celles de son ami prêtre Erich Przywara [jésuite, ndlr], qui décrit «l’amour fidèle et inébranlable pour son peuple et (…) la force qui en émanait». En confirmant un style qui, écrit Dobner, «vibre de force classique, philosophique — dans l’union entre la philosophie phénoménologique de Edmund Husserl, alors dominante, et la pensée de Thomas d’Aquin — de force artistique, privilégiant Bach, Reger et l’hymnodie de l’Eglise».
Etty aussi, lorsqu’elle rencontre Edith, transmet de la force. En elle, la terrible angoisse de l’attente du moment de la déportation «devient inexplicablement une force de vie et non une faiblesse de tombe». Le parcours long et douloureux d’Etty est moins intellectuel que celui d’Edith, davantage lié à l’expérience: le véritable visage de la jeune juive hollandaise apparaît grâce à la rencontre avec un psychanalyste chirologue original, Julius Spier, qui la conduira sur un chemin long et douloureux à l’intérieur d’elle-même. Etty est guidée dans ce parcours par un fil conducteur, les paroles qu’elles a connues dans la Torah «Dieu créa l’homme à son image», mais elle sait que ce fil est soumis à des tensions incessantes. Dans des cahiers, des lettres et des journaux, Etty raconte minutieusement son voyage intérieur, cette découverte de son véritable visage. C’est précisément parce qu’elle est arrivée à le comprendre qu’elle n’emmène pas dans le camp des portraits des personnes qui lui sont chères, elle sait que leurs visages sont conservés sur les parois de son moi intérieur, où elle les retrouvera toujours. Le choix du visage comme intermédiaire privilégié de communication, de la part de Cristiana Dobner, n’est pas un hasard: en effet, l’auteure est bien consciente que le thème du visage est devenu «le nouveau discours le plus élevé de la modernité», comme l’a clairement expliqué Emmanuel Lévinas, grand philosophe juif, qui a écrit que le visage, permettant la rencontre avec l’autre, ouvre à l’idée d’infini.
«C’est ainsi que s’instaure — écrit Cristiana Dobner — une relation dans laquelle on cherche l’autre, le sens profond n’est cependant pas contenu dans la relation elle-même, mais renvoie plus avant». Et cette ouverture à l’infini était certainement bien présente dans l’esprit et dans le cœur des deux femmes, quand elles se sont rencontrées, toutes deux ouvertes à l’épiphanie du divin. Peut-être l’ont-elle rencontré ensemble, ne serait-ce que pour quelques instants, et leur regard réciproque a été un don avant l’enfer qu’elles allaient affronter.
Lucetta Scaraffia
L’Osservatore Romano, 23 février 2012