Homélie (J’ai choisi ce texte pour le sens…Ce paradoxe de la soif c’est le paradoxe du désir, soif de Jesus)
Jean 19, 28-34
Vigiles du troisième dimanche de carême – B
Homélie du Frère Jean-Philippe REVEL
(J’ai choisi ce texte pour le sens, comme la méditation: Ce paradoxe de la soif c’est le paradoxe du désir, soif de Jesus)
Sachant que tout était accompli, Jésus dit : « J’ai soif ! » Les études faites sur le supplice de la crucifixion disent qu’effectivement les crucifiés meurent de soif. Et l’on peut dire que, d’une certaine manière, Jésus est mort de soif, pas seulement de cette soif physique que provoque la crucifixion, mais de la soif plus fondamentale, à la fois physique et spirituelle qui est la soif du salut des hommes, la soif de la réponse d’amour des hommes à l’amour de Dieu. Jésus est mort de soif et le paradoxe c’est que, aussitôt mort, Il devient source d’Eau vive. « De son côté transpercé, il coula du sang et de l’eau » comme Il l’avait dit prophétiquement : « De mon sein, jailliront des fleuves d’eau vive ! » le Christ meurt de soif et Il donne l’eau qui étanche toute soif.
Ce paradoxe se retrouve dans l’entretien de Jésus avec la Samaritaine. Jésus lui dit : « Donne-Moi à boire ! » Il lui manifeste que, fatigué par la route, fatigué par la longue route de Dieu à la recherche de l’homme, Il a soif. Et aussitôt Il lui révèle : « L’eau que je te donnerai deviendra en toi une source jaillissant pour la vie éternelle ! Donne-Moi à boire ! Je te donnerai l’Eau Vive ! » C’est donc le même paradoxe qui s’accomplit au moment de la mort du Christ sur la croix. C’est en quelque sorte par la soif du Christ que nous est donnée cette eau vive, cette source spirituelle qui étanche toute soif.
Le paradoxe et plus brutal encore si on rapproche quelques versets du dialogue de Jésus avec la samaritaine d’un texte de l’Ecclésiastique qui au premier abord semblent se contredire. Jésus dit à la samaritaine : « Celui qui boira de l’eau que Je lui donnerai n’aura plus jamais soif ! » Et à propos du pain de vie, Il reprend : « Celui qui Me mange n’aura plus jamais faim ! Celui qui croit en Moi n’aura plus jamais soif ! » Or le livre de l’Ecclésiastique met dans la bouche de la Sagesse qui est une préfiguration du Christ : « Celui qui Me mange aura encore faim ! Celui qui Me boit aura encore soif ! » Alors, boire le Christ est-ce ne plus jamais avoir soif ou avoir encore soif ? Peut-être est-ce les deux !
Ce paradoxe de la soif c’est le paradoxe du désir. La soif de Jésus c’est son désir d’amour pour les hommes. Le Christ a soif de notre foi. Le Christ a soif de notre réponse. Mais en même temps le Christ nous donne l’amour qui, seul, peut nous permettre cette réponse car nous ne pouvons répondre à l’appel de Dieu que dans un élan d’amour qui répond au sien. Or cet amour ne peut combler un cœur d’homme que si ce cœur d’homme est habité d’abord par le désir de Dieu. Nous ne pouvons boire l’eau vive que si notre âme a soif de Dieu. Il faut que s’éveille d’abord en nous la soif pour que nous buvions l’eau vive. Il faut que s’éveille en nous le désir de Dieu pour que nous accédions à la communion d’amour avec Dieu. Et ce qui est apparemment un paradoxe, c’est que, pour éveiller en nous le désir, Dieu nous a manifesté son propre désir. C’est le désir d’amour de Dieu qui fait naître dans notre cœur le désir de son amour. C’est la soif du Christ sur la croix qui y a creusé en nous la soif de Dieu, il n’y a pas d’autre moyen pour nous sortir de notre torpeur, de notre léthargie que cette soif de Dieu qui se révèle à nous et qui éveille en nous une soif symétrique qui nous ouvrira à l’eau vive qui comblera cette soif et notre cœur.
C’est donc l’éducation du désir en nous qui nous conduit à la communion d’amour. Pour éduquer le désir dans notre cœur, Dieu a voulu connaître le désir ce qui est effectivement le paradoxe car Dieu est plénitude. Dieu est pleinement comblé. Le Fils, dans le regard éternel qu’Il pose sur le Père, le Fils connaît toute joie, connaît le bonheur sans limite. Il n’a besoin de rien. Il n’y a pas de place pour un désir car le désir est le signe d’un manque, le signe de quelque chose dont on a besoin. Dieu n’a pas de besoins. Dieu est plénitude. Dieu n’a pas soif, Il est source. Et bien, ce Dieu qui est source a voulu, en se faisant homme, connaître le désir. Car le désir la première figure de l’amour dans le cœur de l’homme parce que le cœur de l’homme est un cœur progressif. Dieu vit dans l’éternité de sa plénitude. Nous, nous sommes des créatures inachevées et en chemin d’achèvement. Nous sommes donc sur un chemin et ce chemin c’est le temps. Nous allons de commencement en commencement, recommençant sans cesse. C’est notre servitude, c’est aussi notre salut car un nouveau commencement peut en effacer le précèdent raté. Mais sur ce chemin progressif qui est le nôtre, sur le chemin temporel qui est le nôtre, l’amour commence par le sentiment de l’absence d’amour et l’élan vers cet amour qui nous manque qui s’appelle le désir. Le désir est dans notre cœur la naissance de l’amour. Et c’est pourquoi, en se faisant homme, Dieu, qui est la plénitude de l’amour, a voulu connaître ce commencement de l’amour qui est le désir. C’est l’Incarnation du Christ qui est manifestée par sa soif. Sa soif c’est qu’Il a vécu son amour divin dans un cœur d’homme. Il l’a humainement vécu. Il l’a donc vécu sous forme de désir, avant de parvenir par sa Pâque et par l’achèvement à la Parousie de cette Pâque par le triomphe de son Église, avant de parvenir à la plénitude partagée et donc accomplie dans la communion.
Jésus, vrai Dieu et vrai homme, vrai Dieu possédant la plénitude de l’amour, vrai homme a voulu connaître la soif, le désir. Et c’est en connaissant cette soif et ce désir qu’Il a, comme par contagion, éveillé la soif et le désir dans notre cœur pour que, nous aussi, nous puissions, au terme du chemin, parvenir à la plénitude qui est la sienne en devenant participant de Dieu.
Voilà donc que la soif du Christ est très exactement la pointe de son Incarnation. La pointe de son humanité. C’est le visage particulier que prend son amour divin en s’incarnant dans une chair, dans un cœur, dans une psychologie, dans une démarche, dans une vie d’homme. L’amour de Dieu est devenu désir. Et là nous allons effleurer l’indicible et le mystère. Ce que l’Incarnation du Christ nous révèle est incompréhensible et indiscernable, c’est le mystère du cœur de Dieu. En effet, il faut que nous remontions en deçà de l’Incarnation. Dieu, certes est plénitude de bonheur. Dieu n’a besoin de rien. Pourtant, avant même de s’incarner, par le simple fait que Dieu nous a créés, nous a créés par amour, il a, en nous créant, établi dans son cœur une relation d’amour entre Lui et nous. Et désormais, ce Dieu qui est plénitude et bonheur parfait, a besoin de notre amour. C’est un paradoxe inimaginable que Dieu comme Dieu, je ne parle plus de Jésus incarné seulement, mais de Dieu dans sa divinité, dans son acte créateur, s’est fait besoin de la réponse d’amour des hommes. Le bonheur de Dieu, qui pourtant est éternel, qui pourtant est inentamable, ce bonheur ne peut plus se concevoir à ses propres yeux sans la réponse de l’homme à l’amour par lequel Il l’a créé et, par le fait même appelé à la communion avec Lui.
D’une certaine manière donc, la soif du Christ incarné est la projection en termes humains, en expérience humaine, de ce mystère du besoin que Dieu a de l’amour des hommes. Exactement comme la croix du Christ, sa souffrance est la projection, dans une expérience et dans des mots humains, de cette souffrance du cœur de Dieu quand nous refusons de lui répondre. Souffrance inimaginable de Celui qui est parfait bonheur. Pourtant, à moins de nier la vérité de cet amour par lequel Dieu nous a créés et dont Il a dit : « Je ne t’ai pas aimé pour rire ! », à moins de ne pas prendre au sérieux cet amour de Dieu pour nous, nous sommes bien obligés de penser que notre refus d’amour crée, en Dieu, une souffrance, produit dans son cœur une soif.
Alors cette rencontre de Jésus avec la samaritaine n’est qu’un prélude à sa Passion et à sa mort sur la croix. Cette rencontre nous fait pénétrer au cœur de l’Incarnation de Jésus et, à travers cette Incarnation, au cœur d’un mystère indicible du cœur de Dieu. Nous sommes là devant un grand mystère, celui du désir, du besoin, de la soif que Dieu a que nous répondions à son amour par notre amour. Non pas parce que notre amour lui manquerait, mais qu’Il sait que, seul cet amour peut nous rendre heureux et que c’est pour cela qu’Il nous a créés, et que, nous aimant, Il ne peut pas se passer de notre bonheur. Si nous n’étions pas heureux avec Lui, Dieu, d’une certaine façon, serait blessé dans l’amour qu’Il a pour nous. Exactement comme une mère qui voit son enfant souffrir est blessée, non pas parce qu’elle souffrirait elle-même, mais parce que la vie de son enfant lui est plus chère que sa propre vie.
Ce soir, rentrons donc en nous-même pour méditer et ruminer ce mystère inouï d’un Dieu qui a accepté, Lui qui est plénitude, éternité, bonheur parfait, qui a accepté, en nous créant (et en nous créant jour après jour car Il ne cesse de nous créer et de nous recréer) Dieu qui, en se liant à nous, a accepté d’avoir besoin de notre amour pour que son amour à Lui et son bonheur soit plénier.
AMEN
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