Archive pour mars, 2012
Origines du carême dans l’histoire
31 mars, 2012http://www.liturgiecatholique.fr/Origines-du-careme-dans-l-histoire.html
Origines du carême dans l’histoire
Le mot « carême » vient du latin « quadragesima ». Il désigne la période de quarante jours pendant laquelle l’Eglise se prépare à Pâques par une vie chrétienne plus intense et par diverses pratiques de pénitence.
Canoniquement, pour le jeûne, le carême de l’Eglise latine commmence le mercredi des Cendres et s’achève le samedi saint à midi.
De nos jours, les liturgistes ont coutume d’y distinguer deux « temps liturgiques », celui du carême proprement dit et celui de la Passion, qui commence aux premières vêpres du dimanche de la Passion, c’est-à-dire du dimanche « des Rameaux ».
Les origines du carême :
A la suite de saint Jérôme et de saint Léon, certains auteurs attribuent au carême une origine apostolique ; d’autres nient qu’il ait existé avant le IVème siècle. Au départ, le jeûne primitif de la semaine sainte était, si possible ininterrompu, et on s’y livrait pour accomplir la parole du divin Maître : « Des jours viendront où l’Epoux sera enlevé à ses disciples, et alors ils jeûneront » (Luc 5,35).
Dans les Eglises issues de la gentilité, on jeûnait au moins pendant les quarante heures commémoratives de la disparition du Sauveur, c’est à dire du vendredi soir au dimanche matin. Dans les Eglises d’origine judéo-chrétienne, on commençait à jeûner dès le lundi, parce qu’on regardait ce jour comme le point de départ du complot des pharisiens pour faire mourir Jésus, donc comme le commencement de la disparition de l’Epoux, et parce que la coutume juive enjoignait aux Hébreux de se nourrir pendant sept jours du « pain de l’affliction » au temps de la Pâque. Ainsi le jeûne primitif de la Semaine Sainte nous apparaît-il en définitive comme un jeûne de compassion et de deuil pour la disparition de l’Epoux ; ce n’est pas un jeûne préparatoire à la célébration du mystère, mais un jeûne qui l’accompagne.
Il semblerait que la préoccupation de l’Eglise dans l’institution nouvelle ait été la préparation immédiate des catéchumènes au baptême, préparation qui durait quarante jours, ainsi que celle des pénitents admis à être réconciliés le jeudi-saint ; mais à ces deux catégories de sujets l’Eglise entendait bien associer par la même occasion tous les fidèles parce que c’est le corps mystique tout entier qui doit mourir et ressusciter avec le Christ pour se renouveler en lui dans les solennités pascales.
Le Seigneur n’a jamais séparé dans son enseignement le jeûne de l’aumône et de la prière (Mt 6, 1 – 18). Les Pères de l’Eglise devaient le rappeler chaque année au peuple avec insistance, comme en témoignent en particulier les sermons de saint Léon le Grand. Aussi le jeûne s’accompagna-t-il toujours de réunions de prières à l’écoute de la parole de Dieu.
C’est ainsi que, dès le temps d’Augustin et de Chrysostome, le carême possédait les traits qu’il devait conserver par la suite : temps de jeûne, de partage et de prière pour tout
QUATRIÈME PRÉDICATION DE CARÊME DU P. CANTALAMESSA
31 mars, 2012http://www.zenit.org/article-30511?l=french
QUATRIÈME PRÉDICATION DE CARÊME DU P. CANTALAMESSA
S. Grégoire de Nysse, vers la connaissance de Dieu
ROME, vendredi 30 mars 2012 (ZENIT.org) – “Saint Grégoire de Nysse. Vers la connaissance de Dieu”, c’est le thème de la quatrième prédication de carême prononcée par le P. Raniero Cantalamessa, OFMCap. , prédicateur de la Maison pontificale, ce vendredi matin, 31 mars, en la chapelle Redemptoris Mater du Vatican, en présence de Benoît XVI.
“Pourquoi choisir saint Grégoire de Nysse comme guide vers la connaissance de ce Dieu devant lequel nous nous tenons comme des créatures devant le Créateur ? », demande le prédicateur avant de répondre : « La raison en est que ce Père est le premier dans le christianisme à avoir tracé une voie vers la connaissance de Dieu qui puisse vraiment répondre à la situation religieuse de l’homme aujourd’hui : un chemin vers la connaissance qui passe par … la non-connaissance ».
P. Raniero Cantalamessa, ofmcap
Quatrième Prédication
SAINT GREGOIRE DE NYSSE
VERS LA CONNAISSANCE DE DIEU
1. Les deux dimensions de la foi
A propos de la foi, saint Augustin a fait une distinction qui reste, encore aujourd’hui, un classique : celle entre les choses crues et l’acte d’y croire: « Aliud sunt ea quae creduntur, aliud fides qua creduntur »1, la fidea quae et la fides qua, comme on dit en théologie. La première est aussi appelée « foi objective », la seconde « foi subjective ». Toute la réflexion chrétienne sur la foi se déroule entre ces deux pôles.
Il en ressort deux orientations. D’un côté nous avons ceux qui accentuent l’importance de l’intellect dans la croyance et donc la foi objective, comme assentiment aux vérités révélées, de l’autre ceux qui accentuent l’importance de la volonté et de l’affect, donc la foi subjective, avoir foi en quelqu’un (« croire en »), plutôt que croire à quelque chose (« croire que »). D’une part ceux qui accentuent les raisons de l’esprit et de l’autre ceux qui, comme Pascal, accentuent « les raisons du cœur ».
Cette oscillation réapparait, sous différentes formes, à chaque tournant de l’histoire de la théologie: au moyen âge, dans une accentuation différente entre la théologie de saint Thomas et celle de saint Bonaventure ; au temps de la Réforme entre la foi « confiance » de Luther et la foi catholique informée par la charité; plus tard entre la foi contenue dans les limites de la simple raison de Kant et la foi fondée sur le sentiment de Schleiermacher et celui du romantisme en général; plus proche de nous entre la foi de la théologie libérale et la foi existentielle de Bultmann, pratiquement privée de tout contenu objectif.
La théologie catholique contemporaine s’efforce de trouver, comme d’autres fois par le passé, un juste équilibre entre les deux dimensions de la foi. On a dépassé la phase où, pour des raisons polémiques contingentes, toute l’attention dans les manuels de théologie avait fini par se concentrer sur la foi objective (fides quae), c’est-à-dire sur l’ensemble des vérités auxquelles il nous faut croire. « L’acte de foi, lit-on dans un récent dictionnaire critique de théologie, dans le courant dominant de toutes les confessions, apparaît aujourd’hui comme la découverte d’un Tu divin. L’apologétique de la preuve tend aujourd’hui à se placer derrière une pédagogie de l’expérience spirituelle qui tend à ouvrir à une expérience chrétienne, dont on reconnaît la possibilité inscrite a priori dans chaque être humain »2. En d’autres termes, plutôt que de faire levier sur la force d’argumentation qui est en dehors de la personne, on veut l’aider à trouver en elle la confirmation de sa foi, essayant de réveiller cette étincelle qui brille dans le « cœur inquiet » de chaque homme parce qu’il a été créé « à l’image de Dieu ».
J’ai fait ce préambule pour montrer encore une fois que les Pères peuvent être un atout dans nos efforts pour redonner éclat et force de choc à la foi de l’Eglise. Les plus grands parmi eux sont des modèles uniques d’une foi aussi bien objective que subjective, autrement dit préoccupée du contenu et de son orthodoxie, mais accompagnée aussi par l’adhésion du cœur et l’élan de la vie. L’Apôtre avait proclamé : « corde creditur » (Rom 10,10), on croit avec son cœur, et nous savons que le mot ‘cœur’, dans la Bible, désigne les deux dimensions spirituelles de l’homme, son intelligence et sa volonté, l’endroit symbolique de la connaissance et de l’amour. C’est dans cette optique que les Pères sont un maillon indispensable pour retrouver la foi comme l’entendent les Ecritures.
2. « Je crois en un seul Dieu »
Dans cette dernière méditation, nous recourons aux Pères pour renouveler notre foi en son objet premier, en ce que sous-entend généralement le mot « croire », et en nous fondant sur ce qui fait la différence entre les personnes croyantes et non croyantes : la foi en l’existence de Dieu. Dans les méditations précédentes nous avons réfléchi à la divinité du Christ, à l’Esprit Saint et à la Trinité. Mais la foi au Dieu trine est le stade final de la foi, ce « surplus » sur Dieu révélé par le Christ. Pour atteindre cette plénitude il faut d’abord avoir cru en Dieu. Avant la foi en Dieu trine, il y a la foi en Dieu un.
Saint Grégoire de Nazianze nous a rappelé la pédagogie de Dieu quand il se révèle à nous. Dans l’Ancien Testament, le Père est révélé ouvertement, et le Fils de manière voilée, dans le Nouveau Testament, le Fils est révélé ouvertement et l’Esprit Saint de manière voilée. Maintenant, dans l’Eglise, nous jouissons de la Trinité entière et de sa pleine lumière. Jésus dit lui aussi qu’il s’abstient de dire aux apôtres les choses dont ils ne sont pas encore en mesure de « porter le poids » (Jn 16, 12). Nous devons suivre la même pédagogie à l’égard de ceux auxquels nous voulons annoncer aujourd’hui la foi.
La Lettre aux Hébreux dit quel est le premier pas à faire pour aller vers Dieu : « pour s’avancer vers lui, il faut croire qu’il existe et qu’il assure la récompense à ceux qui le cherchent. » (He 11,6). C’est de ce premier pas que dépend tout le reste et celui-ci restera quelque chose de présupposé même lorsque l’on aura cru en la Trinité. Essayons de voir comment les Pères peuvent nous inspirer de ce point de vue là, mais sans perdre de vue notre objectif principal qui n’est pas apologétique, mais spirituel, c’est-à-dire davantage centré sur l’affermissement de notre foi que sur sa transmission aux autres. Le guide que nous choisissons dans cette approche est saint Grégoire de Nysse.
Grégoire de Nysse (331- 394), frère charnel de saint Basile, ami et contemporain de Grégoire de Nazianze, est un Père et docteur de l’Eglise dont on découvre de plus en plus clairement la stature intellectuelle et l’importance décisive dans le développement de la pensée chrétienne. « Un des penseurs les plus puissants et les plus originaux que connaisse l’histoire de l’Eglise » (L. Bouyer), « le fondateur d’une nouvelle religiosité mystique et extatique » (H. von Campenhausen).
Les Pères n’ont pas eu, comme nous, à devoir démontrer l’existence de Dieu, mais l’unicité de Dieu ; ils n’ont pas eu à combattre l’athéisme, mais le polythéisme. Nous verrons, cependant, que la route qu’ils ont tracée pour arriver à la connaissance du Dieu unique, est la même que celle qui peut conduire l’homme d’aujourd’hui à la découverte de Dieu tout court.
Pour mettre en valeur la contribution des Pères et en particulier celle de Grégoire de Nysse, il nous faut savoir comment se présentait le problème de l’unicité de Dieu à leur époque. Au fur et à mesure que la doctrine de la Trinité devenait de plus en plus explicite, les chrétiens se voyaient exposés à la même accusation que celle qu’ils avaient eux-mêmes proférée contre les païens: celle de croire en plusieurs divinités. Ceci explique l’ajout, petit mais significatif, qui est fait dans la première phrase du Credo des chrétiens. Après trois siècles dans lesquels le symbole de la foi en toutes ses rédactions commençait en disant « Je crois en Dieu » (Credo in Deum), au IVème siècle, on voit apparaitre la formule « Je crois en un seul Dieu (Credo in unum Deum) qui ne changera plus.
Il n’est pas utile ici de refaire l’historique du parcours qui a conduit à ce résultat; il nous suffit de tenir compte de sa conclusion. Vers la fin du IVème siècle la transformation du monothéisme de l’Ancien testament en monothéisme trinitaire des chrétiens tire à sa fin. Les Latins, pour exprimer les deux aspects du mystère, utilisaient la formule « une substance et trois personnes », les Grecs celle des « trois hypostases, une seule ousie ». Au bout de durs échanges, le processus s’est, semble-t-il, conclu par un accord total entre les deux théologies. « Peut-on concevoir, s’était exclamé Grégoire de Nazianze, un accord plus total et dire cela de manière plus absolue, tout en utilisant des mots différents ? »3.
Il restait en réalité une différence entre les deux manières d’exprimer le mystère. Aujourd’hui, on a l’habitude de dire : Grecs et Latins abordent la question de la Trinité dans une optique différente; les Grecs partent des personnes divines, c’est-à-dire de la pluralité, pour arriver à l’unité de la nature; les Latins, c’est le contraire, ils partent de l’unité de la nature divine, pour arriver aux trois personnes. « Le Latin considère la personnalité comme une manière d’être de la nature ; le Grec considère la nature comme le contenu de la personne ».4
Mais je crois que cette différence peut être expliquée aussi d’une autre manière. Tous les deux, Latins et Grecs, partent de l’unité de Dieu ; tant le symbole grec que le symbole latin commence en disant: « Je crois en un seul Dieu » (Credo in unum Deum!). Sauf que chez les Latins cette unité est encore comprise comme impersonnelle ou pré-personnelle ; c’est l’essence de Dieu qui se décline ensuite en Père, en Fils et en Saint-Esprit sans être, naturellement, imaginée come préexistante aux personnes. Chez les Grecs, au contraire, il s’agit d’une unité déjà personnalisée, car pour eux « l’unité est le Père, à partir de qui et vers qui se déclinent les autres personnes ».5 Le premier article du credo des Grecs dit lui aussi « Je crois en un seul Dieu le Père tout puissant » (Credo in unum Deum Patrem omnipotentem), sauf qu’ici le « Père tout puissant » n’est pas détaché de ‘unum Deum’, comme dans le credo latin, mais forme avec lui un tout: « Je crois en un seul Dieu qui est le Père tout puissant ».
C’est en ces termes que les trois Cappadociens conçoivent l’unicité de Dieu, mais surtout saint Grégoire de Nysse. Pour lui, l’unité des trois personnes divines vient de ce que le Fils est parfaitement (substantiellement) « uni » au Père, comme l’est le Saint Esprit par le Fils »6. C’est cette thèse qui est difficile pour les Latins, qui y voient le danger de subordonner le Fils au Père et l’Esprit à l’un et à l’autre : « Le nom de ‘Dieu’, écrit Augustin, indique toute la Trinité, pas seulement le Père ».7
Dieu est le nom que nous donnons à la divinité quand nous ne la considérons pas pour elle-même, mais en rapport aux hommes et au monde, car tout ce qu’elle accomplit en dehors d’elle, elle l’accomplit conjointement, comme unique cause efficiente. La conclusion importante que nous pouvons tirer de tout cela c’est que la foi chrétienne est, elle aussi, monothéiste; les chrétiens n’ont pas renoncé à la foi juive en un seul Dieu, ils l’ont plutôt enrichie, donnant du contenu et un sens nouveau et merveilleux à cette unité. Dieu est Un. Mais pas solitaire!
3. « Moïse entra dans la nuée »
Pourquoi choisir saint Grégoire de Nysse comme guide vers la connaissance de ce Dieu devant lequel nous nous tenons comme des créatures devant le Créateur ? La raison en est que ce Père est le premier dans le christianisme à avoir tracé une voie vers la connaissance de Dieu qui puisse vraiment répondre à la situation religieuse de l’homme aujourd’hui : un chemin vers la connaissance qui passe par … la non-connaissance.
Il en a eu l’occasion lors de la polémique avec l’hérétique Eunome, le représentant d’un arianisme radical contre lequel écrivent tous les Pères illustres du IVème siècle finissant : Basile, Grégoire de Nazianze, Jean Chrysostome et, de manière encore plus aiguë Grégoire de Nysse. Eunome définissait l’essence de Dieu par le terme « inengendré » (agennetos). En ce sens il considérait cette essence parfaitement connaissable et dénuée de mystère ; nous pouvons connaître Dieu aussi bien qu’il se connaît lui-même.
Les Pères ont réagi en chœur, soutenant la thèse selon laquelle il est « impossible de connaître Dieu » dans sa réalité intime. Mais alors que les autres se sont arrêtés à une réfutation d’Eunome qui se fondait essentiellement sur les paroles de la Bible, Grégoire de Nysse est allé plus loin, démontrant que reconnaitre son incompréhensibilité est la voie qui conduit à la vraie connaissance (theognosia) de Dieu. Il le fait en reprenant un thème déjà esquissé par Philon d’Alexandrie8: celui de Moïse qui rencontre Dieu en entrant dans la nuée. Le texte biblique est Exode 24, 15-18 et voici son commentaire:
« C’est dans la lumière que Dieu commença à se manifester à Moïse. Puis il parla avec lui par la nuée. Enfin, s’étant élevé davantage dans la perfection, il voit Dieu dans les ténèbres. Le passage de l’obscurité à la lumière est la première séparation des idées fausses et erronées sur Dieu; l’intelligence plus attentive aux choses cachées, conduisant l’âme à travers les choses visibles à la réalité invisible, est comme une nuée qui obscurcit tout le sensible et habitue l’âme à la contemplation de celui qui est caché; enfin l’âme qui a pris ces chemins et s’avance vers les choses célestes, après avoir laissé autant que possible les choses terrestres à la nature humaine, pénètre dans le sanctuaire de la connaissance de Dieu (theognosia) entourée de toute part par les ténèbres divines »9.
La vraie connaissance et la vision de Dieu consistent à « voir qu’il est invisible, car celui que l’âme cherche transcende chaque connaissance, séparé de toute part par son incompréhensibilité comme par des ténèbres »10. A ce stade final de la connaissance, on n’a pas un concept de Dieu, mais ce que Grégoire de Nysse, par une expression devenue célèbre, définit « un certain sentiment de présence » (aisthesin tina tes parusias)11. Sentir non pas avec les sens du corps, entend-on par là, mais avec les sens intérieurs du cœur. Ce sentiment n’est pas un dépassement de la foi, mais sa mise en œuvre la plus haute : « Par la foi, s’exclame l’épouse du Cantique (Ct 3, 6), j’ai trouvé celui que mon cœur aime ». Elle ne le « comprend » pas ; elle fait mieux, elle le « saisit »!12.
Ces idées ont beaucoup influencé la pensée chrétienne des générations suivantes, au point que Grégoire de Nysse sera considéré comme le fondateur de la mystique chrétienne. A travers Denis l’Aréopagite et Maxime le Confesseur, qui s’inspirent de lui sur ce thème, cette influence s’étendra aux deux mondes grec et latin. On retrouve cette question de la connaissance de Dieu dans les ténèbres chez Angèle de Foligno, chez l’auteur de la Nuée de la non-connaissance, dans le thème de la « docte ignorance » de Nicolas de Cues, dans « la nuit obscure » de Jean de la Croix et chez tant d’autres.
4. Qui humilie vraiment la raison ?
Je voudrais maintenant montrer comment l’intuition de Grégoire de Nysse peut nous aider, nous croyants, à approfondir notre foi et à indiquer à l’homme moderne, devenu sceptique devant les « cinq voies » de la théologie traditionnelle, comment retrouver un sentier qui puisse le conduire à Dieu.
La nouveauté introduite par Grégoire de Nysse dans la pensée chrétienne est le fait de devoir dépasser les frontières de la raison pour rencontrer Dieu. Nous sommes aux antipodes du projet de Kant qui consiste à maintenir la religion « dans le cadre de la simple raison ». Dans la culture sécularisée d’aujourd’hui, on est allé au-delà de Kant : celui-ci, au nom de la raison (au moins de la raison pratique) « postulait » l’existence de Dieu, chose que les rationalistes des époques suivantes rejettent aussi.
Ceci nous révèle à quel point la pensée de Grégoire de Nysse est d’actualité. Il nous montre que la partie la plus élevée de la personne, la raison, n’est pas exclue de la recherche de Dieu; que l’on n’est pas obligé de choisir entre suivre sa foi et suivre l’intelligence. En entrant dans la nuée, c’est-à-dire en croyant, la personne ne renonce pas à sa propre rationalité, mais la transcende, ce qui est bien diffèrent. Elle y épuise, pour ainsi dire, les ressources de sa propre raison, lui permettant de poser son acte le plus noble, car, comme dit Pascal, « la démarche ultime de la raison est de reconnaître qu’il existe une infinité de choses qui la dépassent » 13.
Saint Thomas d’Aquin, considéré à juste titre comme un des plus grands défenseurs des exigences de la raison, a écrit: « On dit qu’au terme de notre connaissance, Dieu est connu comme l’Inconnu car notre esprit a touché l’extrémité de sa connaissance de Dieu quand, à la fin, il s’est aperçu que son essence est au-dessus de tout ce qu’il peut connaître ici-bas »14. A l’instant même où la raison reconnaît sa limite, elle la brise et va au-delà. Elle comprend qu’elle ne peut pas comprendre, « voit qu’elle ne peut pas voir », disait Grégoire de Nysse, mais elle comprend aussi qu’un Dieu compris ne serait plus Dieu. C’est grâce à la raison que se produit cette reconnaissance qui est donc un acte tout-à-fait rationnel. Celle-ci est, à la lettre, une « docte ignorance »15 , ignorer « en connaissance de cause ».
On doit donc plutôt dire le contraire, c’est-à-dire que celui qui pose une limite à la raison et l’humilie est celui qui ne lui reconnaît pas cette capacité à se transcender. « Jusqu’à présent, écrit Kierkegaard, on a toujours dit : ‘Dire que l’on ne peut comprendre telle ou telle chose, ne satisfait pas la science qui veut comprendre’. Voilà l’erreur. On doit dire tout le contraire : ‘Si la science humaine ne veut pas reconnaître qu’il y a quelque chose qu’elle ne peut pas comprendre, ou – de manière encore plus précise – quelque chose dont ‘elle peut clairement comprendre qu’elle ne peut comprendre’, alors c’est le monde à l’envers’. Il appartient donc à la connaissance humaine de comprendre qu’il y a des choses, et quelles sont ces choses, qu’elle ne peut pas comprendre »16 .
Mais de quel genre d’obscurité s’agit-il? Il est dit de la nuée qui est venue, à un certain moment, s’interposer entre les Egyptiens et les Hébreux, qu’elle était « à la fois ténèbres et lumière dans la nuit » (cf. Ex14, 20). Le monde de la foi est ténèbres pour celui qui la regarde de l’extérieur, mais il est lumière pour celui qui est dedans. Une lumière spéciale, qui vient plus du cœur que de l’esprit. Dans la Nuit obscure de saint Jean de la Croix (une variante par rapport à la nuée de Grégoire de Nysse!) l’âme déclare avoir pris une nouvelle route, « sans autre lumière ni guide hormis celle qui brûlait en mon cœur ». Mais une lumière qui est néanmoins « plus sûre que le soleil de midi »17.
La bienheureuse Angèle de Foligno, une des plus hautes représentantes de la vision de Dieu dans les ténèbres, dit que la Mère de Dieu « fut si ineffablement unie à la somme et absolument indicible Trinité, qu’elle éprouva dans la vie cette même joie dont jouissent les saints au ciel, la joie de l’incompréhensibilité (gaudium incomprehensibilitatis), parce qu’ils comprennent que l’on ne peut pas comprendre »18. Ceci est un merveilleux complément à la doctrine de Grégoire de Nysse sur la non-connaissance de Dieu. Il nous garantit que loin de nous humilier et de nous priver de quelque chose, cette non-connaissance est faite pour remplir l’homme d’enthousiasme et de joie; il nous dit que Dieu est infiniment plus grand, plus beau, plus bon, de ce que nous pourrions jamais imaginer, et qu’il est tout cela pour nous, pour que notre joie soit pleine et totale ; pour que la moindre petite idée que nous pourrions nous ennuyer à passer l’éternité près de lui ne puisse jamais nous effleurer!
Une autre idée utile de Grégoire de Nysse dans cette confrontation avec la culture religieuse moderne est celle du « sentiment d’une présence » que celui-ci place au sommet de la connaissance de Dieu. La phénoménologie religieuse a mis en évidence, avec Rudolph Otto, l’existence d’un élément primaire, présent, à divers degrés de pureté, dans toutes les cultures et à tout âge, qu’il appelle « sentiment du numineux », soit un sentiment mêlé de terreur et d’attraction, qui s’empare tout à coup de l’être humain lorsqu’un un fait surnaturel ou supra-rationnel se passe devant lui19. Si la défense de la foi, selon les dernières indications de l’apologétique évoquée au début, « passe par une pédagogie de l’expérience spirituelle, dont on reconnaît la possibilité inscrite a priori dans chaque être humain », nous ne pouvons négliger l’accroche que nous offre la phénoménologie religieuse moderne.
Certes, le « sentiment d’une certaine présence » de Grégoire de Nysse est autre chose que le sens confus du numineux et du frisson du surnaturel, mais les deux ont quelque chose en commun. L’un est le début d’une marche vers la découverte du Dieu vivant, l’autre en est le terme. La connaissance de Dieu, disait Grégoire de Nysse, commence par un passage des ténèbres à la lumière et se termine par un passage de la lumière aux ténèbres. On n’arrive pas au second passage sans passer par le premier ; autrement dit, sans s’être d’abord purifiés du péché et des passions. « J’aurais déjà abandonné les plaisirs, dit le libertin, si j’avais la foi. Mais moi je lui réponds, dit Pascal: Tu aurais déjà la foi si tu avais abandonné les plaisirs »20.
L’image qui, grâce à Grégoire de Nysse, nous a accompagnés tout au long de cette méditation, est celle de Moïse gravissant la montagne du Sinaï et entrant dans la nuée. L’approche de Pâques nous encourage à aller au-delà de cette image, de passer du symbole à la réalité. Il y a une autre montagne où un autre Moïse a rencontré Dieu « alors que l’obscurité se fit sur toute la terre » (Mt 27,45). Sur le mont Calvaire, l’homme Dieu, Jésus de Nazareth, a uni pour toujours l’homme à Dieu. Au terme de son Itinéraire de l’esprit à Dieu, Saint Bonaventure écrit:
« Après toutes ces considérations, ce qu’il reste à notre esprit est de s’élever en spéculant non seulement au-dessus de ce monde sensible, mais au-dessus aussi de lui-même ; et dans cette ascèse le Christ est le chemin et la porte, le Christ est l’échelle et le véhicule … Celui qui tourne résolument et pleinement ses yeux vers le Christ en le regardant suspendu à la croix, avec foi, espérance et charité, dévotion, admiration, exultation, reconnaissance, louange et jubilation, célèbre la Pâque avec lui, c’est-à-dire le passage»21.
Puisse le Seigneur nous accorder de faire cette belle et sainte Pâques avec lui!
1 Augustin, De Trinitate XIII,2,5)
2 J.-Y. Lacoste et N. Lossky, « Foi » dans Dictionnaire critique de Théologie, Presses Universitaires de France 1998, p.479.
3 Grégoire de Nazianze, Oratio 42, 16 (PG 36, 477).
4 Th. De Régnon, Études de théologie positive sur la Sainte Trinité, I, Paris 1892, 433.
5 S. Grégoire de Naz., Or. 42, 15 (PG 36, 476).
6 Cf. Grégoire de Nysse, Contra Eunomium 1,42 (PG 45, 464)
7 Augustin, De Trinitate, I, 6, l0; cf. Aussi IX, 1, 1 («Credamus Patrem et Filium et Spiritum Sanctum esse unum Deum»).
8 Cf. Philon d’Alexandrie, De posteritate, 5,15.
9 Grégoire de Nysse, Homélie XI sur le Cantique (PG 44, 1000 C-D).
10 Vie de Moïse, II,163 (SCh 1bis, p. 210 s.).
11 Homélie XI sur le Cantique (PG 44, 1001B).
12 Homélie VI sur le Cantique (PG 44, 893 B-C).
13 B. Pascal, Pensées, 267 (éd. Brunswick).
14 Thomas, In Boet. Trin. Proem. q.1, a.2, ad 1.
15 Augustin, Epître 130,28 (PL 33, 505).
16 S. Kierkegaard, Journal, VIII A 11.
17 Jean de la Croix, Nuit obscure, Chant de l’âme, str. 3-4.
18 Libro della beata Angela da Foligno, éd. Quaracchi 1985, p. 468.
19 R. Otto, Le Sacré, Payot, Petite Bibliothèque, 1995.
20 Pascal, Pensées, 240 Br.
21 Bonaventurae Itinerarium mentis in Deum, VII, 1-2 (Oeuvres de S. Bonaventure, V,1, Rome, Nouvelle Cité 1993, p. 564).
DIMANCHE DES RAMEAUX
30 mars, 2012Sermon XIII, pour la fête des Rameaux et sur l’ânon, Saint Cyrille d’Alexandrie
30 mars, 2012http://missel.free.fr/Annee_A/careme/rameaux_4.html
Sermon XIII, pour la fête des Rameaux et sur l’ânon
Saint Cyrille d’Alexandrie
Voici le mystère caché de l’économie du salut qui correspond cet événement : lorsque dans les enfers le Christ met en émoi la prison d’en bas, les puissances supérieures crient aux inférieures : «Portes levez vos frontons[1] », afin qu’entre celui qui dit « Je suis la porte[2] ». Et les puissances adverses répliquent, frappées de stupeur : « Qui est ce roi de gloire ? »
Les hôtes de la Jérusalem terrestre s’enquiétèrent : « Qui est ce roi de gloire ? » Et lorsque le Christ monte vers la Jérusalem d’en haut, les puissances spirituelles, le voyant incarné (alors qu’elles ne l’ont jamais vu du fait de sa nature incorporelle), s’étonnent du mode surprenant de son ascension et, intriguées, se demande les unes aux autres : « Qui est celui-là qui se présente incarné dans les espaces incorporels ? »
Mais ce dont on peut s’étonner, c’est de les voir s’enquérir, ces puissances royales : «Qui est celui-là qui se présente ? », alors qu’au Jour de sa nativité sur la terre elles ont proclamé et chanté : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes qu’il aime ![3] » C’est d’elles que les enfants des Hébreux, dans leur louange ont appris à dire aujourd’hui : « Hosanna, béni celui qui vient au nom du Seigneur, paix dans le ciel et gloire au plus haut des cieux ![4] »
On pouvait voir en Sion comment les célestes et les terrestres se faisaient écho et se saluaient réciproquement. Ceux d’en haut disaient : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre ! », et ceux d’en bas répondaient : « Paix dans le ciel et gloire au plus haut des cieux ! » Les anges disaient : « Paix sur la terre ! » et les hommes s’écriaient : « Paix dans le ciel et gloire au plus haut des cieux ! » Les anges disaient : « Paix sur la terre ! » et les hommes s’écriaient : « Paix dans le ciel ! »
Et pourquoi cela ? Parce qu’il était là, celui qui proclamait à tous : « Paix à vous ![5] », celui que priait le prophète en disant : « Seigneur notre Dieu, donne-nous la paix ![6] », c’est-à-dire : envoie ton Fils unique, afin que par lui tu te réconcilies avec nous, en voyant notre nature t’être unie par lui.
Les chœurs célestes, voyant cette paix, ont proclamé : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre ! » C’est la réconciliation parfaite de Dieu avec ses ennemis. Et à leur tour les enfants l’apprenant, se sont écriés : « Hosanna, paix dans le ciel et gloire au plus haut des cieux ! » Car ce qui fut ennemi a été rendu fraternel, les célestes et les terrestres offrant au Christ céleste et terrestre une seule et même louange et adoration.
C’est ainsi que ceux d’en haut exhortent ceux d’en bas à offrir leur louange : « Qu’adorent le Seigneur toutes les familles des nations ![7] » Et ceux d’en bas font écho à ceux d’en haut : « Que l’adorent tous les anges de Dieu ![8] » David proclame à tous : « Joie au ciel, exulte la terre ![9] » Et les enfants répondent : « Hosanna, béni celui qui vient au nom du Seigneur ! »
[1] Psaume XXIV 7.
[2] Evangile selon saint Jean, X 9.
[3] Evangile selon saint Luc, II 14.
[4] Evangile selon saint Luc, XIX 38.
[5] Evangile selon saint Jean, XX 19.
[6] Isaïe, XXVI 12.
[7] Psaume XLVI 7.
[8] Psaume XLVII 7.
[9] Psaume XLVI 11.
PAPE BENOÎT XVI: CÉLÉBRATION DU DIMANCHE DES RAMEAUX, 2009
30 mars, 2012CÉLÉBRATION DU DIMANCHE DES RAMEAUX
HOMÉLIE DU PAPE BENOÎT XVI
Place Saint-Pierre
XXIV Journée Mondiale de la Jeunesse
Dimanche 5 avril 2009
Chers frères et sœurs,
Chers jeunes,
Uni à une foule grossissante de pèlerins, Jésus était monté à Jérusalem pour la Pâques. Au cours de la dernière étape de son périple, près de Jéricho, Il avait guéri l’aveugle Barthimée qui, lui demandant pitié, l’avait invoqué comme Fils de David. À présent – étant désormais capable de voir – il s’était avec gratitude mêlé au groupe des pèlerins. Quand, aux portes de Jérusalem, Jésus monte sur un âne – l’animal symbole de la royauté davidique – la joyeuse certitude éclate spontanément au milieu des pèlerins : C’est Lui, le Fils de David ! C’est pourquoi ils saluent Jésus avec l’acclamation messianique : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! », et ils ajoutent : « Béni le Règne qui vient, celui de notre Père David. Hosanna au plus haut des cieux ! » (Mc 11, 9s). Nous ne savons pas précisément comment les pèlerins enthousiastes pouvaient imaginer ce que fut le Règne de David à venir. Mais nous, avons-nous vraiment compris le message de Jésus, Fils de David ? Avons-nous compris ce qu’est le Règne dont Il a parlé au cours de l’interrogatoire devant Pilate ? Comprenons-nous ce que cela signifie que ce Royaume n’est pas de ce monde ? Ou bien désirerions-nous à l’inverse qu’il soit de ce monde ?
Saint Jean, dans son Évangile, après le récit de l’entrée à Jérusalem, rapporte une série de parole de Jésus, à travers lesquelles il explique l’essentiel de ce royaume d’un genre nouveau. Dans une première lecture de ces textes, nous pouvons distinguer trois images du Royaume dans lesquelles, toujours de façon toujours différente, se reflète le même mystère. Jean raconte avant tout que, parmi les pèlerins qui durant la fête « voulaient adorer Dieu », il y avait aussi des Grecs (cf. 12, 20). Prêtons attention au fait que le véritable but de ces pèlerins était d’adorer Dieu. Ceci correspond parfaitement à ce que Jésus dit à l’occasion de la purification du Temple : « Ma maison s’appellera maison de prière pour toutes les nations » (Mc 11, 17). Le véritable but du pèlerinage doit être celui de rencontrer Dieu ; de l’adorer et ainsi de mettre dans l’ordre juste la relation fondamentale de notre existence. Les grecs sont des personnes à la recherche de Dieu ; à travers leur vie, ils sont en chemin vers Dieu. Ainsi, par l’intermédiaire de deux Apôtres de langue grecque, Philippe et André, font-ils parvenir leur demande au Seigneur : « Nous voudrions voir Jésus » (Jn 12, 21). Voilà une parole importante ! Chers amis, c’est pour cela que nous nous sommes réunis ici : nous voulons voir Jésus. Dans ce but, l’année dernière, des milliers de jeunes sont allés à Sydney. Certes, il devait y avoir des attentes multiples pour ce pèlerinage. Mais l’objectif essentiel était celui-ci : nous voulons voir Jésus.
À l’égard de cette requête, qu’a dit et fait Jésus alors ? L’Évangile ne laisse pas apparaître clairement si une rencontre entre ces Grecs et Jésus a eu lieu. Le regard de Jésus va bien au-delà. Le cœur de sa réponse à la demande de ces personnes est : « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il donne beaucoup de fruit » (Jn 12, 24). Cela signifie : il n’est plus important maintenant qu’ait lieu un dialogue plus ou moins bref avec quelques personnes, qui s’en retourneront ensuite chez elles. Comme grain de blé mort et ressuscité, je viendrai, de façon totalement nouvelle et au-delà des limites du moment présent, à la rencontre du monde des Grecs. Par la Résurrection, Jésus dépasse les limites de l’espace et du temps. Ressuscité, Il est en chemin vers l’étendue du monde et de l’histoire. Oui, ressuscité, il va chez les Grecs et parle avec eux, il se montre à eux de sorte que eux, les lointains, deviennent proches et, dans leur propre langue, dans leur propre culture, sa parole advient sur un mode nouveau et est comprise d’une façon nouvelle – advient son Royaume. Nous pouvons ainsi reconnaître deux caractéristiques essentielles de ce Règne. La première est que ce Royaume s’institue à travers la croix. Puisque Jésus se donne totalement, il peut en tant que ressuscité appartenir à tous et se rendre présent à tous. Dans la Sainte Eucharistie, nous recevons le fruit du grain de blé tombé en terre, la multiplication des pains qui se poursuit jusqu’à la fin du monde dans tous les temps. La seconde caractéristique est celle-ci : sa Royauté est universelle. L’antique espérance d’Israël s’accomplit : la royauté de David ne connaît plus de frontière. Elle s’étend « d’une mer à l’autre » (Zach 9, 10). – c’est-à-dire embrasse le monde entier. Cependant, ceci n’est possible que parce qu’elle n’est pas la souveraineté d’un pouvoir politique, mais qu’elle se fonde uniquement sur la libre adhésion de l’amour – un amour qui, pour sa part, répond à l’amour de Jésus Christ qui s’est donné pour tous. Je pense que nous devons apprendre toujours à nouveau les deux choses, surtout l’universalité, la catholicité. Cela signifie que personne ne peut prendre pour l’absolu soi-même, sa culture, son temps et son monde. Cela demande que tous, nous nous accueillons mutuellement, renonçant à une part de ce qui nous est propre. L’universalité inclut le mystère de la Croix – le dépassement de soi-même, l’obéissance à la parole de Jésus qui nous est commune dans l’Église qui nous est commune. L’universalité est toujours un dépassement de soi-même, un renoncement à quelque chose de personnel. L’universalité et la croix vont ensemble. C’est seulement ainsi que la paix se crée.
La parole concernant le grain de blé tombé en terre fait partie de la réponse de Jésus aux Grecs, elle est sa réponse. Toutefois, il formule ensuite une nouvelle fois la loi fondamentale de l’existence humaine : « Celui qui aime sa vie la perd ; celui qui s’en détache en ce monde la garde pour la vie éternelle » (12, 25). C’est-à-dire, qui veut garder sa vie pour lui, vivre seulement pour lui-même, rapporter tout à soi et jouir de toutes les opportunités – c’est proprement lui qui perd la vie. Celle-ci devient ennuyeuse et vide. Ce n’est que dans l’abandon de soi-même, dans le don désintéressé du je en faveur du tu, dans le « oui » à une vie plus grande – celle de Dieu -, que notre vie devient grande et belle. Ce principe fondamental, que le Seigneur établit, est en dernière analyse purement et simplement identique au principe de l’amour. En effet, l’amour signifie : s’abandonner soi-même, se donner, ne pas vouloir se posséder soi-même, mais devenir libre de soi-même : ne pas se replier sur soi – (en pensant) qu’adviendra-t-il de moi ? -, mais regarder en avant, vers l’autre – vers Dieu et vers les hommes que Lui m’envoie. Et ce principe de l’amour, qui marque le chemin de l’homme, est encore une fois identique au mystère de la croix, au mystère de mort et de résurrection que nous rencontrons dans le Christ. Chers amis, il est peut-être relativement facile d’accepter cela comme le sens profond de la vie. Dans la réalité concrète, cependant, il ne s’agit pas de simplement reconnaître un principe, mais d’en vivre la vérité, la vérité de la croix et de la résurrection. Et pour cela, à nouveau, une unique et grande résolution ne suffit pas. Il est certainement important, essentiel d’oser poser une fois le grand choix décisif, d’oser le grand « oui » que le Seigneur nous demande à un certain moment de notre vie. Mais le grand « oui » du moment décisif dans notre vie – le « oui » à la vérité que le Seigneur nous propose – doit ensuite être quotidiennement reconquis dans les situations de chaque jour dans lesquels, toujours de nouveau, nous devons abandonner notre moi, nous mettre à disposition, quand au fond nous voudrions à l’inverse nous accrocher à notre moi. Le renoncement, le sacrifice font aussi partie d’une vie droite. Qui promet une vie sans ce don de soi-même toujours renouvelé, trompe les gens. Il n’existe pas de vie réussie sans sacrifice. Si je jette un regard rétrospectif sur ma vie personnelle, je dois dire que ce sont précisément les moments où j’ai dit « oui » à un renoncement, qui ont été les moments importants et décisifs de ma vie.
Enfin, saint Jean a accueilli dans l’écho qu’il donne des paroles du Seigneur pour le « Dimanche des Rameaux », une forme modifiée de la prière de Jésus dans le jardin des oliviers. Il y a avant tout l’affirmation : « Mon âme est bouleversée » (Jn 12, 27). L’effroi de Jésus apparaît ici, souligné fortement par les autres évangélistes – son effroi devant le pouvoir de la mort, devant tout l’abîme du mal qu’Il voit et dans lequel il doit descendre. Le Seigneur souffre nos angoisses avec nous, il nous accompagne à travers l’ultime angoisse jusqu’à la lumière. Puis viennent en saint Jean, les deux demandes de Jésus. La première, exprimée seulement au conditionnel : « Que puis-je dire ? Dirai-je ? : Père, délivre-moi de cette heure ? » (Jn 12, 27). En tant qu’être humain, Jésus aussi se sent poussé à demander que lui soit épargnée la terreur de la Passion. Nous aussi pouvons prier ainsi. Nous aussi, nous pouvons nous plaindre au Seigneur comme Job le fît, lui présenter toutes les demandes qui, face à l’injustice du monde et au trouble de notre propre moi, surgissent en nous. Devant Lui nous ne devons pas nous réfugier dans des phrases pieuses, dans un monde factice. Prier signifie toujours aussi lutter avec Dieu, et comme Jacob nous pouvons lui dire : « Je ne te lâcherai que si tu me bénis » (Gn 32, 27). Mais vient ensuite la seconde demande de Jésus : « Glorifie ton nom ! » (Jn 12, 28). Dans les synoptiques, cette demande résonne ainsi : « Que ce ne soit pas ma volonté qui se fasse, mais la tienne » (Lc 22, 42). En définitive, la gloire de Dieu, sa seigneurie, sa volonté sont toujours plus importantes et plus vraies que mes pensées et que ma volonté. C’est là l’essentiel dans notre prière et dans notre vie : apprendre cet ordre juste de la réalité, l’accepter profondément ; faire confiance à Dieu et croire qu’Il fait la chose juste ; que sa volonté est la vérité et l’amour ; que ma vie devient bonne si j’apprends à adhérer à cet ordre. Vie, mort et résurrection de Jésus sont pour nous la garantie que nous pouvons véritablement nous fier à Dieu. Et c’est de cette façon que se réalise son royaume.
Chers amis, au terme de cette liturgie, les jeunes venus d’Australie remettront la Croix de la Journée Mondiale de la Jeunesse à leurs homologues venus d’Espagne. La Croix est en chemin d’un côté du monde à l’autre, d’une mer à une autre. Et nous, nous l’accompagnons. Nous progressons avec elle sur la route qu’elle trace et nous trouvons ainsi notre route. Quand nous touchons la Croix, ou plutôt, quand nous la portons, nous touchons le mystère de Dieu, le mystère de Jésus Christ. Ce mystère est que Dieu a tant aimé le monde – nous – qu’il a donné son Fils unique pour nous (cf. Jn 3, 16). Nous touchons le mystère merveilleux de l’amour de Dieu, l’unique vérité authentiquement rédemptrice. Mais nous touchons aussi la loi fondamentale, la norme constitutive de notre vie, c’est-à-dire le fait que sans le « oui » à la Croix, sans le cheminement en communion avec le Christ jour après jour, la vie ne peut aboutir. Plus nous sommes capables de quelques renoncements, par amour de la grande vérité et du grand amour – par amour de la vérité et par amour de Dieu -, plus grande et plus riche est notre vie. Qui veut garder sa vie pour soi-même, la perd. Qui donne sa vie – quotidiennement dans les petits gestes, qui sont constitutifs de la grande décision -, celui-ci la trouvera. C’est là la vérité exigeante, mais aussi profondément belle et libératrice, dans laquelle nous voulons pas à pas entrer au cours de ce parcours de la Croix d’un continent à l’autre. Que le Seigneur daigne bénir ce chemin ! Amen.
ancien vaisseau romain de la guerre
29 mars, 2012Une barque en Méditerranée
29 mars, 2012http://bible.archeologie.free.fr/barquemediterranee.html
Une barque en Méditerranée
(Bible et Archeologie)
Les années qui virent la disparition de l’Etat juif antique et la diaspora du peuple hébreu, ont vu parallèlement émerger la nouvelle dynamique spirituelle du christianisme, qui partit de son sein et commença à se diffuser à travers le monde.
Les textes apocryphes, dont la valeur historique est toujours discutée, ont néanmoins alimenté la littérature de l’Eglise des premiers siècles, et on les retrouve à travers l’historiographie chrétienne primitive. Plusieurs documents apocryphes ont donc servi de sources littéraires chrétiennes classiques.
Le plus célèbre document qui s’y réfère est un travail réalisé au Moyen Age par le chroniqueur Jacques de Voragine, moine dominicain du XIIIème siècle et archevêque de Gènes. A partir d’une abondante documentation, il fit une compilation des vies de cent-cinquante saints, et son œuvre restée fameuse sous le nom de « Légende dorée » fut le livre le plus lu au Moyen Age après la Bible.
Le parcours des douze apôtres
On trouve dans la « Légende dorée » des informations sur les voyages missionnaires entrepris par les douze apôtres après la Pentecôte. Ceux-ci se dispersèrent à travers le monde ancien pour fonder des églises dans des contrées diverses. De l’Inde à l’Espagne, les disciples du Christ Jésus prêchèrent partout la « bonne nouvelle » avec un zèle infatiguable. Ils se heurtèrent aux cultes juifs ou païens, et la plupart le payèrent de leur vie dans des conditions cruelles. Paradoxalement, les circonstances héroïques de leurs martyres favorisèrent encore davantage la diffusion de leur message.
Ainsi apprend-on que Pierre se rendit à Rome pour y vaincre le magicien Simon, mais qu’en représailles l’empereur Néron le fit crucifier la tête en bas. De même, Jacques dit « le Majeur », fils de Zébédée et frère de Jean, devint le premier évêque de Jérusalem mais il y fut décapité. André, après un voyage missionnaire autour de la mer Noire, fut arrêté en Grèce et mourut sur une croix en forme de X. Matthieu partit évangéliser l’Ethiopie où il fut assassiné après avoir célébré la messe. Le seul apôtre non martyr serait l’apôtre Jean, évangéliste et auteur de l’Apocalypse.
Les autres apôtres, un peu moins connus, furent également victimes de leur zèle missionnaire. Thomas et Barthélemy partirent pour l’Inde où ils furent tués, l’un d’un coup de lance et l’autre écorché vif puis décapité. Jacques « le Mineur », fils d’Alphée, prêcha dans plusieurs pays et finit crucifié en Egypte. Philippe aurait prêché en Asie Mineure et serait mort à Hiérapolis, par lapidation ou crucifixion. Simon et Thaddée (ou Jude) partirent annoncer la bonne nouvelle en Mésopotamie et en Perse, où ils furent égorgés dans un temple païen.
Des éléments archéologiques se mêlent parfois aux traditions locales relatives à la mémoire des apôtres dans ces différentes contrées. Le tombeau de Pierre fut retrouvé à Rome en 1940 dans les sous-sols de la basilique pontificale. L’Inde conserve à Mylapore un tombeau de Thomas, qui contenait un squelette partiellement complet (actuellement en Italie) ; la tombe était associée à une curieuse stèle, gravée d’une croix et d’une inscription inconnue et qui avait l’étrange réputation de saigner au XVIème siècle. L’Espagne honore la sépulture de son premier missionnaire en la personne de l’apôtre Jacques le Majeur. Sa redécouverte légendaire fut faite au IXème siècle par un ermite, à la suite de l’apparition d’une étoile miraculeuse juste au-dessus du champ où Jacques était inhumé. Le lieu-dit du « champ de l’étoile », campus stella en latin, est peut-être à l’origine du nom de Saint-Jacques-de-Compostelle.
Les saintes Maries
Hormis le groupe des apôtres, d’autres disciples et parents de Jésus cités dans le Nouveau Testament ont eu des destins étonnants, tragiques ou non, également rapportés dans la littérature. Arrêtons-nous sur l’histoire d’une poignée d’entre eux, à l’origine d’une tradition populaire qui s’établit dans le sud de la Gaule romaine : la barque des saintes Maries.
Ce récit rapporté dans la Légende dorée se trouve également dans les révélations de la religieuse allemande Anne-Catherine Emmerich écrites au XIXème siècle. Cette aventure et ses implications ultérieures méritent qu’on s’y attarde.
Vers l’an 45, une dizaine de disciples de Jésus fuyant la première persécution d’Hérode Agrippa se rendirent à Joppé, port de la Méditerranée. Selon les versions, ils s’embarquèrent volontairement pour les Gaules, ou bien ils furent pris par des Juifs hostiles à leur foi et jetés dans une barque sans voile ni rames, abandonnée en pleine mer au large de la Palestine.
Dans cette frêle embarcation se trouvaient plusieurs proches parents et amis du Nazaréen, parmi lesquels Marie-Madeleine, Marthe sa soeur probable, Lazare leur frère, Marie Jacobé une soeur de la Vierge, Marie Salomé la mère de deux apôtres, et un certain Maximin, notable de Béthanie.
Livrés aux caprices des flots, la barque et ses occupants furent cependant sauvés par le souffle puissant d’un vent providentiel, qui les poussa vers la côte provençale de Camargue où ils accostèrent sans encombres ni pertes humaines. Recueillis par des bergers, ses occupants indemnes décidèrent de se séparer, afin de diffuser les paroles de Jésus en des lieux différents du pays. Ce fut le premier contact entre la Gaule romaine et le christianisme.
L’histoire de la Provence traditionnelle est imprégnée des récits plus ou moins légendaires du destin de ces personnages. Marie-Madeleine prêcha quelque temps à Marseille aux côtés de Lazare, puis elle se retira dans une grotte du flanc nord de la montagne de la Sainte-Baume où elle vécut encore trente ans. Lorsqu’elle sentit sa mort approcher, elle descendit dans la plaine à la rencontre de Maximin, et décéda à l’instant où elle l’eut rejoint.
Marthe s’installa à Tarascon où elle combattit la « Tarasque », un animal fabuleux qui dévorait ses habitants. Son frère Lazare serait devenu le premier évêque de Marseille, demeurant dans une grotte de la rive sud du lacydon jusqu’à ce qu’il soit arrêté, supplicié et décapité. Plus au nord, Maximin fut l’évêque d’Aix-en-Provence ; il éleva un oratoire en l’honneur de Marie-Madeleine à l’emplacement du futur village de Saint-Maximin. Enfin, les deux Marie Jacobé et Salomé seraient quant à elles demeurées en Camargue, sur le site de l’actuel village des Saintes-Maries.
La crédibilité historique de ces récits n’en finit pas d’être débattue. Le cas qui présente le plus d’intérêt archéologique est sans doute celui de Marie-Madeleine, dont l’histoire est riche en éléments concrets découverts à la suite de nombreuses recherches. A sa mort, la sainte fut enterrée dans la chapelle que Maximin lui avait édifiée.
Ses reliques y demeurèrent jusqu’au temps de l’invasion de la Gaule par les Sarrasins (VIIIème siècle) ; pour cette raison, la tombe fut dissimulée en 716 par des chrétiens craignant une éventuelle profanation.
Un texte du IXème siècle attribué à Girart de Roussillon, fondateur de l’abbaye de Vézelay, précise que deux moines seraient venus chercher les reliques en 745 ou 749 pour les emmener à Vézelay. La croyance provençale dit pourtant que les ossements de la sainte ne quittèrent pas leur place de Saint-Maximin. Toujours est-il qu’après le départ des Sarrazins au Xème siècle, personne ne connaissait plus l’emplacement exact de la sépulture de Marie-Madeleine.
En 1254, le roi de France Louis IX dit saint Louis, était de retour d’une croisade lorsqu’il fit un pèlerinage à la grotte de la Sainte-Baume. Informé de l’énigme des reliques, il chargea son neveu Charles II d’Anjou, comte de Provence, de tenter de retrouver les restes de la sainte. En 1279, Charles II fit donc une enquête et entreprit des fouilles près du village de Saint-Maximin où la tradition les situait.
Charles d’Anjou explora l’ancien monastère cassianite de Saint-Maximin, où reposaient quatre sarcophages de marbre vides. Il décida de creuser une tranchée profonde dans le sol. Son intuition était bonne, car il exhuma en effet un cinquième sarcophage de pierre. Lorsqu’on en souleva le couvercle, une odeur suave s’en dégagea tandis que l’on vit apparaître les ossements en désordre d’un corps humain presque entier. Etaient-ce ceux de sainte Madeleine ? L’examen de plusieurs indices allait permettre de l’identifier.
Au milieu des ossements était posé un vieux morceau de liège, qui tomba en poussière lorsqu’on le manipula. Mais il cachait un fragment de papyrus, portant une inscription latine encore lisible et ainsi rédigée : « L’an de la Nativité 716, au mois de décembre, sous le règne d’Eudes, très pieux roi des Francs, au temps des ravages de la perfide nation des Sarrazins, très secrètement et pendant la nuit, le corps de la très chère et vénérable Marie Madeleine, par crainte de ladite nation perfide, a été transféré de son tombeau d’albâtre dans celui-ci de marbre, car il y est plus caché, après en avoir enlevé le corps de Sidoine ».
Le même cercueil contenait également un globe de cire, dans lequel une planchette de bois plus ancienne portaient inscrits en latin les mots suivants : « Ici repose le corps de Marie Madeleine ».
L’identité du corps de Marie de Magdala semblait donc authentifiée par deux inscriptions manuscrites. Mais ce ne furent pas les seuls indices convaincants. Charles d’Anjou constata que le squelette était presque complet, à l’exception de la mâchoire inférieure qui manquait. Il eut alors une inspiration qui allait se révéler providentielle. Désirant faire reconnaître par le Saint-Siège les reliques de la sainte, il partit pour Rome en emportant le crâne de Marie-Madeleine. Lorsqu’il rencontra le pape Boniface VIII à Saint Jean-de-Latran, il fut surpris d’y apprendre qu’une mâchoire attribuée à Marie-Madeleine était précisément conservée dans la sacristie de la même basilique. On alla donc chercher la précieuse relique, et devant une foule de témoins rassemblée pour l’occasion, on confronta les deux parties de la tête : elles se complétaient exactement !
Ce résultat spectaculaire entraîna l’enthousiasme général, et la nouvelle de l’authenticité ainsi confirmée des reliques se répandit dans l’Occident chrétien. Le pape offrit à Charles la mâchoire inférieure, et le comte rentra donc en Provence avec le chef complet. Après un accueil triomphal, les ossements reprirent leur place dans le caveau, et la vénération des reliques des saints de Provence fut instituée.
La tradition fait état d’un autre détail surprenant : sur le front de la tête de Marie il aurait subsisté un lambeau de chair, au point précis où Jésus aurait touché la tête de la sainte après sa Résurrection. Ce petit morceau de peau est aujourd’hui conservé dans un reliquaire séparé.
Charles d’Anjou entreprit de faire construire une prestigieuse basilique au-dessus de la tombe de Marie-Madeleine. Entre 1295 et 1532, un impressionnant monument gothique fut érigé. Sa façade n’a jamais été achevée, mais il fut complété par un important monastère et un large cloître s’intégrant dans le village de Saint-Maximin.
La basilique abrite toujours dans son sous-sol l’ancienne tombe des saints de Provence. Sur le côté de la grande nef, un escalier descend vers une petite crypte qui contient quatre sarcophages de pierre, aux flancs finement sculptés de bas-reliefs paléochrétiens. Ce sont ceux de Maximin, de Sidoine, de Marcelle et de Marie-Madeleine. Cette dernière repose dans la niche du fond, et son cercueil supporte un somptueux reliquaire doré dans lequel est exposé le crâne de la sainte. Lorsqu’on emprunte la volée de marches qui descend dans cette cave, on se trouve ainsi en face du premier témoin de la Resurrection de Jésus-Christ.
En 1974, une expertise scientifique des ossements de Marie fut effectuée par l’Institut d’Archéologie Méditerranéenne. Elle permit d’établir qu’il s’agissait d’une femme de type méditerranéen, âgée d’une cinquantaine d’années et de petite taille, informations compatibles avec ce que l’on savait déjà du personnage de Marie-Madeleine.
De nouvelles fouilles effectuées en 1994 autour de la crypte révélèrent encore les restes d’un baptistère et d’une basilique primitive du IVème siècle. L’une des conclusions de ce travail est le fait que la crypte se trouvait à l’origine au-dessus du niveau du sol actuel. Ce fait a conduit le dominicain Philippe Devoucoux, ancien gardien de la grotte de Marie-Madeleine, à penser que les murs de la crypte ne seraient rien d’autre que l’oratoire du Ier siècle, élevé par saint Maximin lui-même. Si tel était le cas, il s’agirait alors du premier édifice de la chrétienté demeuré encore entier.r
Références :
[1] – Association de soutien à la tradition des saints de Provence.
[2] – Fr. Ph. Devoucoux du Buysson O.P. : « Marie-Madeleine repose-t-elle à Saint-Maximin ? » Cahiers de la Sainte-Baume No 6, 1er déc. 1989.
[3] – U. Villevieille : « Nos saints de Provence ». C.P.M. Marcel Petit, Raphèle-les-Arles 1995.
[4] – « La basilique de Saint-Maximin ». Association des amis de la basilique Sainte-Marie-Madeleine.
[5] – G. de Nantes : « Sainte Marie-Madeleine est-elle venue en Provence ? » Il est ressuscité n° 83, juillet 2009.
[6] – Fr. Ph. Devoucoux du Buysson, O.P. : « Visite de la basilique de la Madeleine à Saint-Maximin. Suivez le guide ! ». Maison Marie Magdeleine.
MESSAGE DE BENOÎT XVI AUX JEUNES DU MONDE ENTIER
29 mars, 2012http://www.zenit.org/article-30484?l=french
MESSAGE DE BENOÎT XVI AUX JEUNES DU MONDE ENTIER
Journée mondiale de la Jeunesse 2012, dimanche des Rameaux
ROME, mardi 27 mars 2012 (ZENIT.org) – « Soyez toujours dans la joie du Seigneur ! » : ce verset de l’Epître de saint Paul aux Philippiens est le thème du message de Benoît XVI pour la Journée mondiale de la Jeunesse 2012, dimanche des Rameaux, 1er avril.
Message de Benoît XVI :
« Soyez toujours dans la joie du Seigneur ! » (Ph 4, 4)
Chers jeunes,
Je suis heureux de pouvoir à nouveau m’adresser à vous à l’occasion de la XXVIIème Journée Mondiale de la Jeunesse. Le souvenir de la rencontre de Madrid, en août dernier, reste très présent à mon esprit. Ce fut un temps de grâce exceptionnel au cours duquel Dieu a béni les jeunes présents, venus du monde entier. Je rends grâce à Dieu pour tout ce qu’il a fait naître lors de ces journées, et qui ne manquera pas de porter du fruit à l’avenir pour les jeunes et pour les communautés auxquelles ils appartiennent. A présent nous sommes déjà orientés vers le prochain rendez-vous de Rio de Janeiro en 2013, qui aura pour thème « Allez, de toutes les nations faites des disciples ! » (cf. Mt 28, 19).
Cette année, le thème de la Journée Mondiale de la Jeunesse nous est donné par une exhortation de la lettre de saint Paul apôtre aux Philippiens : « Soyez toujours dans la joie du Seigneur ! » (Ph 4, 4). La joie, en effet, est un élément central de l’expérience chrétienne. Et au cours de chaque Journée Mondiale de la Jeunesse, nous faisons l’expérience d’une joie intense, la joie de la communion, la joie d’être chrétiens, la joie de la foi. C’est une des caractéristiques de ces rencontres. Et nous voyons combien cette joie attire fortement : dans un monde souvent marqué par la tristesse et les inquiétudes, la joie est un témoignage important de la beauté de la foi chrétienne et du fait qu’elle est digne de confiance.
L’Eglise a pour vocation d’apporter au monde la joie, une joie authentique qui demeure, celle que les anges ont annoncé aux bergers de Bethléem la nuit de la naissance de Jésus (cf. Lc 2, 10) : Dieu n’a pas seulement parlé, il n’a pas seulement accompli des signes prodigieux dans l’histoire de l’humanité, Dieu s’est fait tellement proche qu’il s’est fait l’un de nous et a parcouru toutes les étapes de la vie humaine. Dans le difficile contexte actuel, tant de jeunes autour de vous ont un immense besoin d’entendre que le message chrétien est un message de joie et d’espérance ! Aussi, je voudrais réfléchir avec vous sur cette joie, sur les chemins pour la trouver, afin que vous puissiez en vivre toujours plus profondément et en être les messagers autour de vous.
1. Notre cœur est fait pour la joie
L’aspiration à la joie est imprimée dans le cœur de l’homme. Au-delà des satisfactions immédiates et passagères, notre cœur cherche la joie profonde, parfaite et durable qui puisse donner du “goût” à l’existence. Et cela est particulièrement vrai pour vous, parce que la jeunesse est une période de continuelle découverte de la vie, du monde, des autres et de soi-même. C’est un temps d’ouverture vers l’avenir où se manifestent les grands désirs de bonheur, d’amitié, de partage et de vérité et durant lequel on est porté par des idéaux et on conçoit des projets.
Chaque jour, nombreuses sont les joies simples que le Seigneur nous offre : la joie de vivre, la joie face à la beauté de la nature, la joie du travail bien fait, la joie du service, la joie de l’amour sincère et pur. Et si nous y sommes attentifs, il y a de nombreux autres motifs de nous réjouir : les bons moments de la vie en famille, l’amitié partagée, la découverte de ses capacités personnelles et ses propres réussites, les compliments reçus des autres, la capacité de s’exprimer et de se sentir compris, le sentiment d’être utile à d’autres. Il y a aussi l’acquisition de nouvelles connaissance que nous faisons par les études, la découverte de nouvelles dimensions par des voyages et des rencontres, la capacité de faire des projets pour l’avenir. Mais également lire une œuvre de littérature, admirer un chef d’œuvre artistique, écouter ou jouer de la musique, regarder un film, tout cela peut produire en nous de réelles joies.
Chaque jour, pourtant, nous nous heurtons à tant de difficultés et notre cœur est tellement rempli d’inquiétudes pour l’avenir, qu’il nous arrive de nous demander si la joie pleine et permanente à laquelle nous aspirons n’est pas une illusion et une fuite de la réalité. De nombreux jeunes s’interrogent : aujourd’hui la joie parfaite est-elle vraiment possible ? Et ils la recherchent de différentes façons, parfois sur des voies qui se révèlent erronées, ou du moins dangereuses. Comment distinguer les joies réellement durables des plaisirs immédiats et trompeurs ? Comment trouver la vraie joie dans la vie, celle qui dure et ne nous abandonne pas, même dans les moments difficiles ?
2. Dieu est la source de la vraie joie
En réalité, les joies authentiques, que ce soient les petites joies du quotidien comme les grandes joies de la vie, toutes trouvent leur source en Dieu, même si cela ne nous apparaît pas immédiatement. La raison en est que Dieu est communion d’amour éternel, qu’il est joie infinie qui n’est pas renfermée sur elle-même mais qui se propage en ceux qu’il aime et qui l’aiment. Dieu nous a créés par amour à son image afin de nous aimer et de nous combler de sa présence et de sa grâce. Dieu veut nous faire participer à sa propre joie, divine et éternelle, en nous faisant découvrir que la valeur et le sens profond de notre vie réside dans le fait d’être accepté, accueilli et aimé de lui, non par un accueil fragile comme peut l’être l’accueil humain, mais par un accueil inconditionnel comme est l’accueil divin : je suis voulu, j’ai ma place dans le monde et dans l’histoire, je suis aimé personnellement par Dieu. Et si Dieu m’accepte, s’il m’aime et que j’en suis certain, je sais de manière sûre et certaine qu’il est bon que je sois là et que j’existe.
C’est en Jésus Christ que se manifeste le plus clairement l’amour infini de Dieu pour chacun. C’est donc en lui que se trouve cette joie que nous cherchons. Nous voyons dans les Evangiles comment chaque événement qui marque les débuts de la vie de Jésus est caractérisé par la joie. Lorsque l’ange Gabriel vient annoncer à la Vierge Marie qu’elle deviendra la mère du Sauveur, il commence par ces mots : « Réjouis-toi ! » (Lc 1, 28). Lors de la naissance du Christ, l’ange du Seigneur dit aux bergers : « Voici que je vous annonce une grande joie qui sera celle de tout le peuple : aujourd’hui vous est né un Sauveur, qui est le Christ Seigneur. » (Lc 2, 11) Et les mages qui cherchaient le nouveau-né, « quand ils virent l’étoile, ils éprouvèrent une très grande joie ». (Mt 2, 10) Le motif de cette joie est donc la proximité de Dieu, qui s’est fait l’un de nous. C’est d’ailleurs ainsi que l’entendait saint Paul quand il écrivait aux chrétiens de Philippes: « Soyez toujours dans la joie du Seigneur ! Laissez-moi vous le redire : soyez dans la joie ! Que votre sérénité soit connue de tous les hommes. Le Seigneur est proche. » (Ph 4, 4-5) La première cause de notre joie est la proximité du Seigneur, qui m’accueille et qui m’aime.
En réalité une grande joie intérieure naît toujours de la rencontre avec Jésus. Nous le remarquons dans de nombreux épisodes des Evangiles. Voyons par exemple la visite que Jésus fit à Zachée, un collecteur d’impôt malhonnête, un pécheur public auquel Jésus déclare « il me faut aujourd’hui demeurer chez toi ». Et Zachée, comme saint Luc le précise, « le reçut avec joie » (Lc 19, 5-6). C’est la joie d’avoir rencontré le Seigneur, de sentir l’amour de Dieu qui peut transformer toute l’existence et apporter le salut. Zachée décide alors de changer de vie et de donner la moitié de ses biens aux pauvres.
A l’heure de la passion de Jésus, cet amour se manifeste dans toute sa grandeur. Dans les derniers moments de sa vie sur la terre, à table avec ses amis, il leur dit : « Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez dans mon amour. (…) Je vous ai dit ces choses pour que ma joie soit en vous, et que votre joie soit parfaite. » (Jn 15, 9.11) Jésus veut introduire ses disciples et chacun d’entre nous dans la joie parfaite, celle qu’il partage avec son Père, pour que l’amour dont le Père l’aime soit en nous (cf. Jn 17, 26). La joie chrétienne est de s’ouvrir à cet amour de Dieu et d’être possédé par lui.
Les Evangiles nous racontent que Marie-Madeleine et d’autres femmes vinrent visiter le tombeau où Jésus avait été déposé après sa mort et reçurent d’un ange l’annonce bouleversante de sa résurrection. Elles quittèrent vite le tombeau, comme le note l’Evangéliste, « tout émues et pleines de joie » et coururent porter la joyeuse nouvelle aux disciples. Et voici que Jésus vint à leur rencontre et leur dit : « Je vous salue !» (Mt 28, 8-9). C’est la joie du salut qui leur est offerte : le Christ est vivant, il est celui qui a vaincu le mal, le péché et la mort. Et il est désormais présent avec nous, comme le Ressuscité, jusqu’à la fin du monde (cf. Mt 28, 20). Le mal n’a pas le dernier mot sur notre vie. Mais la foi dans le Christ Sauveur nous dit que l’amour de Dieu est vainqueur.
Cette joie profonde est un fruit de l’Esprit Saint qui fait de nous des fils de Dieu, capables de vivre et de goûter sa bonté, en nous adressant à lui avec l’expression “Abba”, Père (cf. Rm 8 ,15). La joie est le signe de sa présence et de son action en nous.
3. Garder au cœur la joie chrétienne
A présent nous nous demandons : comment recevoir et garder ce don de la joie profonde, de la joie spirituelle ?
Un Psaume dit : « Mets ta joie dans le Seigneur : il comblera les désirs de ton cœur » (Ps 36, 4). Et Jésus explique que « le Royaume des cieux est comparable à un trésor caché dans un champ ; l’homme qui l’a découvert le cache de nouveau. Dans sa joie, il va vendre tout ce qu’il possède, et il achète ce champ » (Mt 13, 44). Trouver et conserver la joie spirituelle procède de la rencontre avec le Seigneur, qui demande de le suivre, de faire un choix décisif, celui de tout miser sur lui. Chers jeunes, n’ayez pas peur de miser toute votre vie sur le Christ et son Evangile : c’est la voie pour posséder la paix et le vrai bonheur au fond de notre cœur, c’est la voie de la véritable réalisation de notre existence de fils de Dieu, créés à son image et à sa ressemblance.
Mettre sa joie dans le Seigneur : la joie est un fruit de la foi, c’est reconnaître chaque jour sa présence, son amitié : « Le Seigneur est proche » (Ph 4,5). C’est mettre notre confiance en lui, c’est grandir dans la connaissance et dans l’amour pour lui. L’“Année de la foi”, dans laquelle nous allons bientôt entrer, nous y aidera et nous encouragera. Chers amis, apprenez à voir comment Dieu agit dans vos vies, découvrez-le caché au cœur des événements de votre quotidien. Croyez qu’il est toujours fidèle à l’alliance qu’il a scellé avec vous au jour de votre Baptême. Sachez qu’il ne vous abandonnera jamais. Et tournez souvent les yeux vers lui. Sur la croix, il a donné sa vie par amour pour vous. La contemplation d’un tel amour établit en nos cœurs une espérance et une joie que rien ne peut vaincre. Un chrétien ne peut pas être triste quand il a rencontré le Christ qui a donné sa vie pour lui.
Chercher le Seigneur, le rencontrer dans notre vie signifie également accueillir sa Parole, qui est joie pour le cœur. Le prophète Jérémie écrit : « Quand tes paroles se présentaient je les dévorais : ta parole était mon ravissement et l’allégresse de mon cœur » (Jr 15,16). Apprenez à lire et à méditer l’Ecriture Sainte, vous y trouverez la réponse aux questions profondes de vérité qui habitent votre cœur et votre esprit. La Parole de Dieu nous fait découvrir les merveilles que Dieu a accomplies dans l’histoire de l’homme et elle pousse à la louange et à l’adoration, pénétrées par la joie : « Venez crions de joie pour le Seigneur,… prosternez-vous, adorons le Seigneur qui nous a faits » (Ps 94, 1.6).
La liturgie est par excellence le lieu où s’exprime cette joie que l’Eglise puise dans le Seigneur et transmet au monde. Ainsi chaque dimanche, dans l’Eucharistie, les communautés chrétiennes célèbrent le Mystère central du Salut : la mort et la résurrection du Christ. C’est le moment fondamental du cheminement de tout disciple du Seigneur, où se rend visible son Sacrifice d’amour. C’est le jour où nous rencontrons le Christ Ressuscité, où nous écoutons sa Parole et nous nourrissons de son Corps et de son Sang. Un Psaume proclame : « Voici le jour que fit le Seigneur, qu’il soit pour nous jour de fête et de joie ! » (Ps 117, 24). Et dans la nuit de Pâques, l’Eglise chante l’Exultet, expression de joie pour la victoire du Christ Jésus sur le péché et sur la mort : « Exultez de joie, multitude des anges… sois heureuse aussi, notre terre, irradiée de tant de feux… entends vibrer dans ce lieu saint l’acclamation de tout un peuple ! ». La joie chrétienne naît de se savoir aimé d’un Dieu qui s’est fait homme, qui a donné sa vie pour nous, a vaincu le mal et la mort ; et c’est vivre d’amour pour lui. Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, jeune carmélite, écrivait : « Jésus, ma joie, c’est de t’aimer ! » (Pn 45, 21 janvier 1897).
4. La joie de l’amour
Chers amis, la joie est intimement liée à l’amour : ce sont deux fruits de l’Esprit inséparables (cf. Ga 5, 23). L’amour produit la joie et la joie est une forme d’amour. La bienheureuse Mère Teresa de Calcutta, faisant écho aux paroles de Jésus : « Il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir » (Ac 20, 35), disait : « La joie est une chaîne d’amour, pour gagner les âmes. Dieu aime qui donne avec joie. Et celui qui donne avec joie donne davantage ». Et le Serviteur de Dieu Paul VI écrivait : « En Dieu lui-même, tout est joie parce que tout est don » (Exhort. Ap. Gaudete in Domino, 9 mai 1975).
En pensant aux différents aspects de votre vie, je voudrais vous dire qu’aimer requiert de la constance et de la fidélité aux engagements pris. Cela vaut d’abord pour les amitiés : nos amis attendent de nous que nous soyons sincères, loyaux et fidèles, parce que l’amour vrai est persévérant surtout dans les difficultés. Cela vaut aussi pour le travail, les études et les services que vous rendez. La fidélité et la persévérance dans le bien conduisent à la joie, même si elle n’est pas toujours immédiate.
Pour entrer dans la joie de l’amour, nous sommes aussi appelés à être généreux, à ne pas nous contenter de donner le minimum, mais à nous engager à fond dans la vie, avec une attention particulière pour les plus pauvres. Le monde a besoin d’hommes et de femmes compétents et généreux, qui se mettent au service du bien commun. Engagez-vous à étudier sérieusement ; cultivez vos talents et mettez-les dès à présent au service du prochain. Cherchez comment contribuer à rendre la société plus juste et plus humaine, là où vous êtes. Que dans votre vie tout soit guidé par l’esprit de service et non par la recherche du pouvoir, du succès matériel et de l’argent.
A propos de générosité, je ne peux pas ne pas mentionner une joie particulière : celle qui s’éprouve en répondant à la vocation de donner toute sa vie au Seigneur. Chers jeunes, n’ayez pas peur de l’appel du Christ à la vie religieuse, monastique, missionnaire ou au sacerdoce. Soyez certains qu’il comble de joie ceux qui, lui consacrant leur vie dans cette perspective, répondent à son invitation à tout laisser pour rester avec lui et se dédier avec un cœur indivis au service des autres. De même, grande est la joie qu’il réserve à l’homme et à la femme qui se donnent totalement l’un à l’autre dans le mariage pour fonder une famille et devenir signe de l’amour du Christ pour son Eglise.
Je voudrais mentionner un troisième élément pour entrer dans la joie de l’amour : faire grandir dans votre vie et dans la vie de votre communauté la communion fraternelle. Il y a un lien étroit entre la communion et la joie. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’exhortation de saint Paul est un pluriel : il ne s’adresse pas à chacun individuellement, mais affirme « soyez toujours dans la joie du Seigneur ! » (Ph 4, 4). C’est seulement ensemble, en vivant la communion fraternelle, que nous pouvons faire l’expérience de cette joie. Le livre des Actes des Apôtres décrit ainsi la première communauté chrétienne : « Ils partageaient le pain dans leurs maisons, prenant leur nourriture avec allégresse et simplicité de cœur » (Ac 2, 46). Vous aussi, engagez- vous pour que les communautés chrétiennes puissent être des lieux privilégiés de partage, d’attention et de prévenance les uns envers les autres.
5. La joie de la conversion
Chers amis, pour vivre la vraie joie, il faut aussi repérer les tentations qui vous en éloignent. La culture actuelle pousse souvent à rechercher des objectifs, des réalisation et des plaisirs immédiats, favorisant plus l’inconstance que la persévérance dans l’effort et la fidélité aux engagements. Les messages que vous recevez vous poussent à entrer dans la logique de la consommation en vous promettant des bonheurs artificiels. Or l’expérience montre que l’avoir ne coïncide pas avec la joie : beaucoup de personnes ne manquant pourtant d’aucun bien matériel sont souvent affligées par la désespérance, la tristesse et ressentent la vacuité de leur vie. Pour rester dans la joie, nous sommes invités à vivre dans l’amour et la vérité, à vivre en Dieu.
La volonté de Dieu, c’est que nous soyons heureux. C’est pour cela qu’il nous donné des indications concrètes pour notre route : les Commandements. En les observant nous trouvons le chemin de la vie et du bonheur. Même si à première vue ils peuvent apparaître comme un ensemble d’interdictions, presque un obstacle à la liberté, en réalité si nous les méditons un peu plus attentivement à la lumière du Message du Christ, ils sont un ensemble de règles de vie essentielles et précieuses qui conduisent à une existence menée selon le projet de Dieu. A l’inverse, et nous l’avons constaté tant de fois, construire en ignorant Dieu et sa volonté provoque la déception, la tristesse et le sens de l’échec. L’expérience du péché comme refus de le suivre, comme offense à son amitié, jette une ombre dans notre cœur.
Si parfois le chemin du chrétien est difficile et l’engagement de fidélité à l’amour du Seigneur rencontre des obstacles et même des chutes, Dieu, dans sa miséricorde, ne nous abandonne pas. Il nous offre toujours la possibilité de retourner à lui, de nous réconcilier avec lui, de faire l’expérience de la joie de son amour qui pardonne et accueille à nouveau.
Chers jeunes, recourez souvent au Sacrement de Pénitence et de Réconciliation ! C’est le sacrement de la joie retrouvée. Demandez à l’Esprit Saint la lumière pour savoir reconnaître votre péché et la capacité de demander pardon à Dieu en vous approchant souvent de ce sacrement avec constance, sérénité et confiance. Le Seigneur vous ouvrira toujours les bras, il vous purifiera et vous fera entrer dans sa joie : « Il y aura de la joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se convertit » (Lc 15, 7).
6. La joie dans les épreuves
Une question, toutefois, pourrait encore demeurer dans notre cœur : peut-on réellement vivre dans la joie au milieu des épreuves de la vie, surtout les plus douloureuses et mystérieuses ? Peut-on vraiment affirmer que suivre le Seigneur et lui faire confiance nous procure toujours le bonheur ?
La réponse nous est donnée par certaines expériences de jeunes comme vous, qui ont trouvé dans le Christ justement, la lumière capable de donner force et espérance, même dans les situations les plus difficiles. Le bienheureux Pier Giorgio Frassati (1901-1925) a traversé de nombreuses épreuves dans sa brève existence, dont une concernant sa vie sentimentale qui l’avait profondément blessé. Justement dans ce contexte, il écrivait à sa sœur : « Tu me demandes si je suis joyeux. Comment pourrais-je ne pas l’être ? Tant que la foi me donnera la force, je serai toujours joyeux ! Chaque catholique ne peut pas ne pas être joyeux (…) Le but pour lequel nous sommes créés nous indique la voie parsemée aussi de multiples épines, mais non une voie triste : elle est joie même à travers la souffrance » (Lettre à sa sœur Luciana, Turin, 14 février 1925). Et le Bienheureux Jean Paul II, en le présentant comme modèle, disait de lui : « C’était un jeune avec une joie entraînante, une joie qui dépassait toutes les difficultés de sa vie » (Discours aux jeunes, Turin, 13 avril 1980).
Plus proche de nous, la jeune Chiara Badano (1971-1990), récemment béatifiée, a expérimenté comment la douleur peut être transfigurée par l’amour et être mystérieusement habitée par la joie. Agée de 18 ans, alors que son cancer la faisait particulièrement souffrir, Chiara avait prié l’Esprit Saint, intercédant pour les jeunes de son mouvement. Outre sa propre guérison, elle demandait à Dieu d’illuminer de son Esprit tous ces jeunes, de leur donner sagesse et lumière. « Ce fut vraiment un moment de Dieu, écrit-elle. Je souffrais beaucoup physiquement, mais mon âme chantait. » (Lettre à Chiara Lubich, Sassello, 20 décembre 1989). La clé de sa paix et de sa joie était la pleine confiance dans le Seigneur et l’acceptation de la maladie également comme une mystérieuse expression de sa volonté pour son bien et celui de tous. Elle répétait souvent : « Si tu le veux Jésus, je le veux moi aussi ».
Ce sont deux simples témoignages parmi tant d’autres qui montrent que le chrétien authentique n’est jamais désespéré et triste, même face aux épreuves les plus dures. Et ils montrent que la joie chrétienne n’est pas une fuite de la réalité, mais une force surnaturelle pour affronter et vivre les difficultés quotidiennes. Nous savons que le Christ crucifié et ressuscité est avec nous, qu’il est l’ami toujours fidèle. Quand nous prenons part à ses souffrances, nous prenons part aussi à sa gloire. Avec lui et en lui, la souffrance est transformée en amour. Et là se trouve la joie (Cf. Col 1, 24).
7. Témoins de la joie
Chers amis, pour terminer, je voudrais vous exhorter à être missionnaires de la joie. On ne peut pas être heureux si les autres ne le sont pas : la joie doit donc être partagée. Allez dire aux autres jeunes votre joie d’avoir trouvé ce trésor qui est Jésus lui-même. Nous ne pouvons pas garder pour nous la joie de la foi : pour qu’elle puisse demeurer en nous, nous devons la transmettre. Saint Jean l’affirme : « Ce que nous avons vu et entendu nous vous l’annonçons, afin que vous aussi soyez en communion avec nous [...] Tout ceci nous vous l’écrivons pour que notre joie soit complète » (1 Jn 1, 3-4).
Parfois, une image du Christianisme est donnée comme une proposition de vie qui opprimerait notre liberté et irait à l’encontre de notre désir de bonheur et de joie. Mais ceci n’est pas la vérité ! Les chrétiens sont des hommes et des femmes vraiment heureux parce qu’ils savent qu’ils ne sont jamais seuls et qu’ils sont toujours soutenus par les mains de Dieu ! Il vous appartient, surtout à vous, jeunes disciples du Christ, de montrer au monde que la foi apporte un bonheur et une joie vraie, pleine et durable. Et si, parfois, la façon de vivre des chrétiens semble fatiguée et ennuyeuse, témoignez, vous les premiers, du visage joyeux et heureux de la foi. L’Evangile est la “bonne nouvelle” que Dieu nous aime et que chacun de nous est important pour lui. Montrez au monde qu’il en est ainsi !
Soyez donc des missionnaires enthousiastes de la nouvelle évangélisation ! Allez porter à ceux qui souffrent, à ceux qui cherchent, la joie que Jésus veut donner. Portez-la dans vos familles, vos écoles et vos universités, vos lieux de travail et vos groupes d’amis, là où vous vivez. Vous verrez qu’elle est contagieuse. Et vous recevrez le centuple : pour vous-même la joie du salut, la joie de voir la Miséricorde de Dieu à l’œuvre dans les cœurs. Et, au jour de votre rencontre définitive avec le Seigneur, il pourra vous dire : « Serviteur bon et fidèle, entre dans la joie de ton maître ! » (Mt 25, 21)
Que la Vierge Marie vous accompagne sur ce chemin. Elle a accueilli le Seigneur en elle et elle l’a annoncé par un chant de louange et de joie, le Magnificat : « Mon âme exalte le Seigneur, mon esprit tressaille de joie en Dieu mon Sauveur » (Lc 1, 46-47). Marie a pleinement répondu à l’amour de Dieu par une vie totalement consacrée à lui dans un service humble et total. Elle est appelée “cause de notre joie” parce qu’elle nous a donné Jésus. Qu’elle vous introduise à cette joie que nul ne pourra vous ravir !
Du Vatican, le 15 mars 2012
BENEDICTUS PP. XV