Archive pour février, 2012

Jesus Heals the leper

11 février, 2012

Jesus Heals the leper dans images sacrée garbo-jesus-heals-the-leper-133

http://www.neamericandiocese.org/news.13/week-2-of-great-fast-devotional-scripture-readings.aspx

La souffrance conteste une certaine image de Dieu

11 février, 2012

http://www.esprit-et-vie.com/breve.php3?id_breve=391

Jean-Louis Souletie

La souffrance conteste une certaine image de Dieu

Qui n’est pas confronté à l’énigme du mal, à l’angoisse devant la souffrance, au mystère de la mort ? Nous étouffons souvent, au fond de notre être, ces questions et nous laissons vivre en nous une certaine image de Dieu. Quand nous ne pouvons plus faire taire ces questions, l’image de Dieu que nous avons en nous est plus qu’interrogée. Un an après la tragédie des tsunamis, le P. Jean-Louis Souletie, théologien, nous aide à voir clair dans ces questions et dessine quelques traits du visage de Dieu, tel qu’il est révélé dans la Bible.
À la question de savoir si Dieu aurait pu empêcher les tsunamis et leurs victimes, il n’y a pas de réponse chrétienne. Aucune notion de Dieu ne correspond adéquatement à cette question en christianisme tant que l’on reste dans la justification de Dieu devant le mal. Car s’il l’avait pu, pourquoi ne l’a-t-il pas fait et est-il encore bon ? Et s’il ne l’avait pu, est-il encore Dieu, puissance de salut ? Ce dilemme est le propre de l’homme soumis à l’angoisse devant l’insensé, l’injustifiable qui le surprend et le pousse à interroger Dieu ou à décider qu’il n’existe pas. La foi discerne dans l’impossible réponse à cette question le chemin vers une clarté nouvelle qui n’interroge plus, mais reconnaît où est Dieu jusque dans le négatif de l’histoire et de la nature.
Les solutions dans l’histoire de la doctrine chrétienne ont été cherchées d’abord du côté d’un mal rival de Dieu (le manichéisme combattu par saint Augustin) puis du côté du mal lié à la structure de l’univers fini. On sait la solution de Teilhard de Chardin : « Le mal est un sous-produit inévitable, il apparaît comme une peine inséparable de la création [1] » comme ce désordre lié à la structure de l’univers. Dieu, selon le théologien, veut corriger cet appauvrissement par une volonté constante de salut de sa création qui ne laisse pas au mal le dernier mot. D’autre part, il conçoit la liberté humaine engagée contre le mal au côté de Dieu. Enfin, une solution a été cherchée du côté de la liberté de l’homme [2]. Bref, le mal physique comme celui des tsunamis, comporte un excès injustifiable qu’aucun Dieu ne vient justifier. Ni explication, ni interprétation ne convient ici. La révélation chrétienne fait entendre, dans l’ordre de la foi, comme en face de cet excès du mal, un autre excès que présente la folie de la croix.
L’irréductibilité du mal physique
Les tsunamis ont frappé en Asie du Sud-Est. Plus de deux cent mille morts. Un élan de générosité international et l’information médiatique se tait. Il ne reste que le silence et la souffrance des peuples victimes de ce cataclysme, des personnes et des familles qui sont altérées pour toujours, marquées par la mort innocente de leurs proches. Ces gens étaient au mauvais endroit au mauvais moment. Resurgit sans cesse l’énigme du mal, non plus celle d’un mal qui affecte l’homme coupable, mais celui qui altère l’homme souffrant. Se trouve posée ici, dans toute sa force de questionnement, l’irréductibilité du mal physique au mal moral. C’était d’ailleurs déjà le mensonge des amis de Job, dans la Bible, qui réduisaient la souffrance de Job à la faute (qu’il n’avait pas commise). Comme Abraham, Job souffre infiniment plus qu’il n’a fait souffrir. Dans le tsunami et quoiqu’il en soit des responsabilités des États et des scientifiques concernant la prévention de ce genre de catastrophe, l’épreuve du mal vient suspendre la morale (sans l’annuler) devant l’excès de souffrance produit par un tel événement.
La déliaison
Le mal vient d’abord surprendre l’homme en détruisant sa capacité à donner du sens à la vie, au monde, à l’histoire, à son identité. Il provoque une rupture du pacte symbolique qui assigne à chacun sa place dans le monde de la culture. Le temps semble s’arrêter. Il n’y a plus hier, ni demain, ni tout à l’heure. La vie ne semble pas avoir d’avenir ni le monde d’histoire. Le mal plonge dans l’instant où s’effondrent toutes les constructions du sujet pour soutenir son existence et pour s’inscrire dans une trajectoire cohérente. C’est alors la souffrance sans raison ni recours.
Délié de tout, le mal subi défie la compréhension et l’interprétation du monde et de la vie. Le mal vient alors déchirer toutes ces relations symboliques qui font l’humanité à travers ces liens qui la tissent. Et la réponse de solidarité internationale est à l’échelle de cette déliaison ; elle veut symboliquement remettre du lien là où toute relation a été dévastée par la souffrance. Face à l’énigme de cette violence destructrice de la symbolisation humaine, la réaction internationale réaffirme le lien qui unit toute l’humanité. C’est le même élan dans les réactions de la société civile aux prises d’otages, comme avec ces journalistes enlevés dont on affiche le portrait dans les capitales européennes et pour lesquels on signe des registres, on écrit des lettres, on rappelle à la radio par des voix médiatiques le lien qui unit chaque citoyen à eux qui sont victimes innocentes d’un mal qu’ils subissent.
La plainte, le récit et le silence
Aux premières heures de l’effroyable cataclysme, il y a la plainte des premiers témoins, les pleurs et les cris : « C’est effroyable » inlassablement répétés à travers ces paroles suffoquées. « Comment dire l’indicible ? », écrivait Primo Levi à propos des camps de la mort dans Si c’est un homme. Comment mettre en ordre des paroles quand nous submergent la peur, la fatigue, la mort, les cris, la solitude ? Pour les victimes des raz-de-marée en Asie, comment raconter la souffrance qu’apporte l’absence de ceux que la mer vient d’emporter sous leurs yeux, la blessure physique qui déchire leur chair pour toujours ? Les caméras des télévisions sont venues et elles ont enregistré les premiers témoignages encore remplis de la plainte devant l’horreur. Elles ont rendu compte et décrit la situation avec tout l’excès et le réalisme de ces paroles qui n’ont pas encore trouvé le chemin du récit. Avant de se taire bientôt, chassées par une actualité mondiale toujours nouvelle. Des articles viendront lentement par la suite pour raconter ce qui s’est passé. Des interviews tenteront un récit, des reportages aussi.
Pour vivre confronté à la souffrance, jaillit un besoin de récit mais celui-ci est long à venir car il y faut beaucoup d’artifice pour remettre de la cohérence dans des propos pleins de mal et de peur. Le récit vient réaliser comme une synthèse du temps. Il permet au narrateur de retrouver son identité. Il peut alors se réinsérer dans une histoire avec des personnages d’avant, d’aujourd’hui et de demain, la famille, des amis, des proches disparus ou heureusement retrouvés ou restés au loin. Après l’instant de l’horreur qui délie toute histoire vient le temps du récit, le temps commun de la préoccupation quotidienne où le lien se reforme entre les humains altérés pour toujours par le mal. Si pour de nombreux souffrants du mal innocents le récit a été une voie de salut, ainsi que le relate Sarah Kofman à propos des camps de la mort dans Paroles suffoquées [3], dans le moment où surgit la souffrance, le mal ne peut se raconter.
L’homme qui souffre voit le temps suspendu : nul avenir, disparition du passé et éternel recommencement de la souffrance. Nul avenir autre que la souffrance pour celui qui souffre comme Job. « Ce qui a été, sera ; et ce qui s’est fait, c’est ce qui se fera » (Qo 1, 9) et « Le Seigneur a fermé de toutes parts le sentier que je suivais et je ne puis plus passer » (Jb 29, 8). Souffrir, c’est semble-t-il souffrir sans fin. La mort elle-même apparaît comme la dernière possibilité. À Auschwitz, rappelle J. Améry, « nous n’avions pas peur de la mort alors même que des humains mouraient partout, mais la figure de la mort avait disparu [4] ». « L’enfer, commente J. Porée, n’a pas par hasard été conçu comme le lieu de la damnation éternelle. Plus impossible que la mort est l’impossibilité de mourir. À l’homme qui souffre, la mort n’apparaît pas comme la première possibilité mais comme la dernière possibilité. En destituant l’avenir de sa fonction constitutive, le mal destitue la mort de sa signification définitive [5]. »
Les ressources vives du sujet souffrant
Devant les énigmes du tourment injuste et innocent, l’être humain est saisi par la souffrance qui le prend tout entier en ignorant la séparation entre la matière et l’esprit. Le livre de Job mêle la description de la chair malade du serviteur de Dieu et les détresses de son cœur. Les prisonniers des camps de la mort parlent ainsi, identifiant leur douleur et leur corps, leur identité et leur corps : « Je suis deux pieds qui traînent l’un après l’autre et une tête qui pend… Je tomberai ou je ne tomberai pas ; si je tombe c’est le corps qui aura décidé. Moi, je ne sais pas. Ce que je sais c’est que je ne peux plus marcher, et je marche [6]… » Il arrive une étonnante proximité entre le dehors et le dedans, entre la présence à soi intérieure et la réalité extérieure qui fait souffrir. Mais dans cette description qui semble diminuer l’homme jusqu’à ce qu’il soit un automate, il ne semble pourtant pas que le sujet soit réduit à une chose. La souffrance ne détruit donc pas la liberté mais l’introduit dans une expérience paroxystique en la mettant au contact de ce qui n’est pas elle. Certains souffrent et font souffrir ; d’autres qui souffrent aussi s’ouvrent à la souffrance d’autrui, comme en témoignent les expériences limites de l’univers concentrationnaire.
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[1] Les directions de l’avenir, Œuvres t. XI, Paris, Éd du Seuil, 1973, p. 212.
[2] P. Ricœur, L’homme faillible. Finitude et culpabilité I, Paris, Éd. Aubier, 1960.
[3] Paris, Éd. Galilée, 1987, cité par Jérôme Porée, Le mal. Homme coupable, homme souffrant, Paris, Éd. Armand Colin, 2000.
[4] Par-delà le crime et le châtiment, Paris, Éd. Actes Sud, 1995, p. 45.
[5] Jérôme Porée, Le mal. Homme coupable, homme souffrant, Paris, Éd. Armand Colin, 2000, p. 152-153.
[6] R. Antelme, L’espèce humaine, Paris, Éd. Gallimard, 1957, p. 247.

SBF La Parole de Dieu: De la lecture liturgique à la lecture personnelle de l’Ecriture (Frédéric Manns, ofm)

11 février, 2012

http://www.custodiaterrasanta.com/SBF-La-Parole-de-Dieu-De-la.html

SBF La Parole de Dieu: De la lecture liturgique à la lecture personnelle de l’Ecriture

10/01/2009

La communauté de Taizé a décidé de faire imprimer et de distribuer un million de Bibles en chinois pendant l’année 2009. Fr. Alois Loser, le prieur de la communauté, a diffusé cette nouvelle le 28 décembre lors de la clôture de la 31° assemblée européenne des jeunes. C’est la version du Studium Biblicum Franciscanum de Hong Kong qui sera imprimée. C’est là sans doute un des fruits du synode sur l’Ecriture qui nous encourage à reprendre notre réflexion sur la Parole de Dieu.

Index:
Dieu se révèle à l’homme
L’Église des premiers siècles lit la Bible
Quelques grands interprètes de la Bible
La “lectio divina” naît dans les monastères
La Bible imprimée : chrétiens et protestants se divisent
Un défi pour le futur : Lire la Bible en Église

Le christianisme n’est pas une religion du Livre, mais une religion de la révélation de Dieu, un Dieu qui parle et fait alliance avec les hommes. C’est cependant grâce au texte que le chrétien entre en relation avec Dieu, un Dieu qui s’intéresse à l’histoire des hommes.
L’Evangile de Luc se conclut sur la scène des disciples d’Emmaüs. Deux hommes quittent Jérusalem après la mort de Jésus et rentrent chez eux. Ils sont déçus parce qu’ils espéraient que Jésus serait celui qui délivrerait Israël des Romains. Jésus les rejoint sur la route et « ouvrit pour eux les Ecritures ». Il explique, commente et interprète. Jésus part de Moïse, des prophètes et des autres écrits. L’exégète est Jésus, Dieu fait homme, mort et ressuscité.
Dans la suite du récit, les deux hommes font halte au village d’Emmaüs. Jésus prend le pain et le distribue. « Alors, leurs yeux s’ouvrirent et ils le reconnurent », dit Luc. En d’autres mots l’eucharistie est le haut lieu de réception et de compréhension des Ecritures. Le Livre est une nourriture. Il renferme la parole, une parole appelée à s’épanouir à l’intérieur des esprits et des corps.
Le principe d’interprétation du texte ne doit pas dépendre seulement de la critique historique ou de la subjectivité de l’interprète. Il doit s’ancrer dans la tradition de l’Eglise. C’est la lecture christologique qui rend raison de la richesse de l’Ecriture. Sinon le lecteur risque de tomber dans l’arbitraire subjectif ou dans le fanatisme fondamentaliste.
Vatican II a relié fortement la Bible, la parole de Dieu, la tradition et le magistère : l’Eglise reconnaît ainsi qu’il y a une source unique, la révélation de Dieu, qui passe à travers des canaux multiples, qu’on ne peut isoler les uns des autres. C’est pourquoi l’Eglise encourage à lire et à méditer la parole de Dieu, comme l’a fait le dernier synode des évêques à Rome, en octobre. La Bible est sur la place publique. Il ne faut pas la séparer de sa source, qui est le Dieu vivant. Il faut la recevoir pour la mettre en pratique.

L’Église des premiers siècles lit la Bible
Aux premiers siècles de notre ère, pour les communautés chrétiennes naissantes, les « Ecritures » désignent la Bible hébraïque et il n’est pas question de leur adjoindre un deuxième livre.
Des écrits sur Jésus apparaissent très tôt. Les lettres de l’apôtre Paul sont les textes les plus anciens. L’ancien persécuteur des chrétiens se met à proclamer le kérygme : « Le Christ est mort pour nous et il est ressuscité pour notre justification ». Celui qui reçoit le baptême obtient le pardon de ses péchés. Paul avait cependant mis en garde les chrétiens de Corinthe: « La lettre tue, l’esprit vivifie ».
Les quatre Evangiles furent rédigés après avoir connu une période de tradition orale. Leur origine est liturgique. Mais le noyau de ces écrits accompagnant les enseignements itinérants des apôtres et des prophètes, n’est que l’ombre portée de l’événement fondateur: la mort et la résurrection de Jésus.
Pour les jeunes Eglises chrétiennes, la question de la sélection des témoignages les plus fiables sur Jésus émerge seulement au courant du IIe siècle, quand l’éclatement doctrinal se profile. La montée en puissance du christianisme sur le pourtour méditerranéen s’accompagne en effet d’une floraison de doctrines entâchées par des philosophies ésotériques venues de Grèce, d’Iran ou d’Egypte, comme la gnose – un mot grec signifiant « connaissance ».
En quelques décennies, les courants gnostiques déferlent sur le christianisme oriental. Ils se caractérisent par une opposition entre le monde matériel, voué à la perdition, et le monde spirituel, objet d’une connaissance supérieure et réservé à une petite élite. Pour les désavouer, Irénée de Lyon recourt, à la fin du IIe siècle, à la notion de « tradition »: est considéré comme vrai ce qui a été reçu directement des apôtres et conservé intact dans les Eglises fondées par les apôtres, en particulier celle de Rome.
Irénée de Lyon fait ainsi remonter les quatre Evangiles à des apôtres directs (Matthieu et Jean) ou à leurs compagnons (Marc et Luc) et montre que les quatre textes proclament différemment la même chose. Le quatuor sonne juste, sans dissonance. Pourquoi quatre? Parce qu’il y a quatre points cardinaux, répond, imperturbable, Irénée. La réponse ne convainc visiblement pas des chrétiens qui manipulent, à cette époque, près d’une quinzaine d’Evangiles. Citons le célèbre Evangile de Thomas, déterré en Egypte en 1945 et titré « Paroles cachées de Jésus écrites par Thomas ».

Quelques grands interprètes de la Bible
C’est dans ce contexte polémique que s’impose la nécessité d’opérer un tri et de déterminer une règle qui définit les textes lui appartenant de droit. Ainsi naît l’idée d’un canon des Ecritures. Loin des bibliothèques gnostiques, les écrits chrétiens sont d’abord des paroles proclamées, à des fins d’enseignement ou de célébration.
Les siècles suivants vont alors faire apparaître un nouveau personnage, banal pour nous modernes, mais révolutionnaire pour l’Antiquité tardive: le lecteur privé des Ecritures.
Origène, à Césarée maritime, établit la première école biblique. Après avoir résout les problèmes de critique textuelle, il écrit ses commentaires allégoriques dont certains se rapprochent du midrash juif. A Bethléhem Jérôme traduit la Bible en latin, la Vulgate, et revient au texte hébreu, alors qu’Augustin d’Hippone préférait la traduction grecque des Septante.
Augustin qui vit à Milan est en recherche de la vérité. Déçu de tout, lassé des philosophes et de leurs contradictions, il se rend à l’église pour entendre les sermons de l’évêque Ambroise. Fasciné par cet homme pieux, Augustin se glisse ensuite dans son bureau, dont la porte est toujours ouverte. Et là, Ambroise, qui ne pensait pas être vu, lit un livre à voix basse. Pourquoi cette scène bouleverse-t-elle à ce point Augustin ? Simplement parce qu’elle le fait basculer dans un monde neuf, qui est encore aujourd’hui le nôtre: celui du livre comme compagnon intime, miroir de l’âme et ami de la solitude. La Bible chrétienne, dont les contours commencent alors à se dessiner, est le premier livre à jouer ce rôle en Occident. Le monde gréco-romain était un monde d’orateurs, formé à l’art de la rhétorique; le monde chrétien va devenir un monde de lecteurs. Le livre devient le lieu même où se joue la vie spirituelle.
La “lectio divina” naît dans les monastères
C’est du côté des premiers moines, au Ve siècle, que la pratique de la lectio divina, ou « lecture des textes divins », va se répandre, au point de devenir l’un des piliers de la vie monastique, avec le travail manuel et la prière du choeur. D’abord liturgique et public, le rapport au livre devient personnel. Il s’agit de lire la Bible comme une parole qui m’est adressée, à moi et à nul autre, à l’instant même où je la lis. Devenu un manuscrit copié à la plume d’oie dans le silence du scriptorium, le livre n’est plus une simple suite de propositions dédiées à l’enseignement, mais le lieu même où la vie spirituelle se joue. Dans les hermitages de Cappadoce les moines apprennent par cœur les Psaumes et les Evangiles pour les ruminer jour et nuit. Dans le désert de Juda Cariton, Sabbas et Eythyme fondent des laures où les moines travaillent et méditent les Ecritures durant la semaine et se retrouvent pour la liturgie dominicale.
A la fin du XIIe siècle, le prieur de la grande Chartreuse Guigues II fait de la lecture silencieuse le « premier barreau de l’échelle qui monte au ciel ». Il rédige en 1150 L’Echelle du moine, où il distingue quatre étapes dans la vie du moine : lecture, méditation, prière et contemplation. La lecture signifie cependant la recherche du sens littéral du texte.
Plus tard, François d’Assise veut que l’Evangile vécu au quotidien soit l’unique règle des Frères Mineurs, ce qui exige une méditation constante des saintes Ecritures. L’Institution du tiers ordre pour les laïcs met à la disposition du peuple chrétien les Evangiles. Mais les livres sont chers. Jusqu’à la Renaissance, la Bible existe principalement pour les clercs des monastères et des universités. Pour le peuple, elle se transmet par la liturgie qui la met en scène, la prédication qui l’explique et l’art qui la représente. Ainsi, les cathédrales avec leurs sculptures colorées, sont une Bible de pierre.
La lecture monastique commence cependant à ébranler la pierre des cathédrales. Peu à peu, la relation personnelle au livre saint remet en question les intermédiaires institutionnels. Une brèche apparaît, dans laquelle entreront au XVIe siècle les mouvements de réforme de l’Eglise.

La Bible imprimée : chrétiens et protestants se divisent
Le premier livre à sortir des presses de Gutenberg à Strasbourg en 1455 est la Bible. Gutenberg préfère imprimer sur papier plutôt que sur parchemin, ce qui lui permet d’abaisser considérablement le poids du livre. La technique devient ainsi l’alliée des humanistes et des réformés, pareillement soucieux de démocratiser l’accès à la Bible, en l’arrachant à la prédiction et à la liturgie. Malgré tout la Bible reste coûteuse et volumineuse. Cependant, la révolution est en marche. Elle fera du livre saint un objet malléable, offert à toutes les lectures et à toutes les interprétations.
« Sola fides » s’écrie alors Luther, court-circuitant la hiérarchie ecclésiale et son clergé. Pour le moine allemand la foi à l’intérieur du coeur ne doit avoir pour seul répondant, à l’extérieur, que le livre saint, lisible par tous.
Joignant le geste à la parole, l’initiateur de la Réforme traduit la Bible latine dans une langue allemande encore en formation, mais qu’il veut la plus proche possible de celle qui est utilisée par le peuple. Il poursuit ainsi un mouvement inauguré aux XIIe et XIIIe siècles, avec les premières traductions de la Bible en français. A l’époque, leur diffusion n’avait pas dépassé le cercle des familles royales. Cette fois, par l’imprimerie, le mouvement s’accélère et le public s’élargit.
Mais cette Bible des humanistes et des réformés n’est sans doute qu’un rêve: celui d’un accès simple et direct à une Parole divine qui illuminerait le lecteur aussitôt qu’il la découvrirait. Eloignée d’une lecture spirituelle qui dissimulait ses aspérités, la Bible apparaît à l’époque moderne comme un texte embarrassant: les contradictions historiques sautent aux yeux des fins lettrés que sont Baruch Spinoza (1632-1677) et surtout Richard Simon (1638-1712), auteur du grand ouvrage Histoire critique du Vieux Testament (1678). Simon, prêtre catholique, compare les différentes versions disponibles, révise les traductions et discute l’attribution des premiers textes de la Bible à Moïse. Il entend cependant laisser l’Ecriture à sa dimension divine, limitant l’objet et la portée de sa critique savante.

Un défi pour le futur : Lire la Bible en Église
Les mutations que le rapport au livre saint a connues au cours des siècles ne sont donc pas pour autant des fractures. Avec Internet commence une nouvelle mutation : la Bible est maintenant à la disposition de tous les navigateurs en toutes les langues du monde et avec des centaines de commentaires. C’est maintenant la lecture personnelle qui renvoie à une lecture plus communautaire. La dialectique poursuit son chemin : dans un premier temps de la lecture collective à la lecture personnelle, puis de la lecture personnelle à la lecture communautaire. Pour le chrétien de 2009, il s’agit plutôt d’intégrer sans les opposer ces trois usages du livre qui en ont bouleversé la réception: la lecture collective, la lecture personnelle et la lecture critique. Le recours à la lectio divina prôné par le synode devrait permettre de réaliser ce défi. Vatican II a rappelé que la hiérarchie institutionnelle est soumise à la parole de Dieu qui la jugera.
L’Orient a soif aujourd’hui de la parole de Dieu. La Bible qui est une vraie nourriture sera capable d’apaiser la faim des populations chinoises et asiatiques grâce à la générosité de la communauté de Taizé. L’Esprit qui parle au cœur des lecteurs leur permettra de saisir la richesse de la parole de Dieu. Les communautés chrétiennes auront pour tâche d’expliquer le texte millénaire qui est parole de Dieu pour aujourd’hui.

Frédéric Manns, ofm

Jesus heals the leper

10 février, 2012

Jesus heals the leper dans Pape Benoit healing-jesus-235

http://www.morethings.com/god_and_country/jesus/healing_jesus_photo_gallery06.htm

Homélie du 6e dimanche ordinaire B

10 février, 2012
http://parolesdudimanche.blogs.lalibre.be/
Homélie du 6e dimanche ordinaire B
Lv 13, 1-2 , 45-46 ; 1 Co 10, 31-11, 1 ; Mc 1, 40-45
Il y a quelques semaines, jeunes et moins jeunes se sont mobilisés dans notre pays pour se faire, très modestement mais efficacement, des émules du Père Damien pour relever le défi de la lèpre et œuvrer à sa suppression. Le P. Damien, ce saint missionnaire de chez nous, bientôt canonisé, a rendu espoir aux lépreux, d'abord parce qu'il a cru en eux, en leur dignité, en les aidant aussi à transformer leur pourrissoir, qui tenait du cimetière et du cloaque, en un jardin fleuri aux maisonnettes pimpantes. Et il en a payé le prix.
Symbole fort de l'exclusion depuis des millénaires, le lépreux est l'intouchable. Dans nos pays, on n'en rencontre plus, mais il y a de nombreux exclus qui, sans être malades de la lèpre ni contagieux, sont pratiquement considérés et traités comme des pestiférés. Chacun peut donc se demander : Qui sont pour moi les exclus, les intouchables d'aujourd'hui ? Quelle est mon attitude à leur égard ? Comment les traitons-nous dans la société et dans l'Eglise ?
Les textes bibliques proclamés ce dimanche peuvent nous aider, car ils ne traitent pas uniquement des victimes du bacille de Hansen, responsable de la lèpre, mais des impuretés et lèpres sociales ou religieuses qui provoquent la marginalisation. Et l'impur guéri par Jésus a surtout été guéri de l'exclusion qui l'avait écarté du Temple, de la communauté religieuse, et de la société tout court.
Depuis les temps immémoriaux, les peuples ont été très marqués par les angoisses du pur et de l'impur et tentés constamment de lier maladie et péché. D'où ces traditions archaïques, que l'on retrouve encore dans la loi de Moïse, avec des interdictions concernant certaines nourritures, certains contacts, certaines circonstances de la vie, qui rendent impur. Et qui est impur n'a plus accès à Dieu, n'a plus accès au sacré. Il est exclu du culte, exclu de la communauté religieuse et de la société civile, reclus dans la totale solitude physique et psychologique. Dès lors, pour faire disparaître l'impureté et retrouver un état de "pureté", l'impur devait accomplir des rites d'ablution et de purification. Ce qui signifiait en même temps sa guérison et permettait sa réintégration.
Ainsi, dans la Bible, on trouve la liste des animaux purs et des animaux impurs, l'impureté de l'accouchement, les impuretés liées à tous les phénomènes sexuels qui touchent à la génération et au mystère de la fécondité. Il y a aussi la lèpre des vêtements et des cuirs, quand on y trouve des taches blanchâtres. La lèpre des maisons, si des moisissures abîment un mur. L'impureté de la lèpre, évidemment. Mais, à l'époque, on appelait "lèpre" toutes les affections de la peau, sans distinction.
Tout cela laisse des traces dans les mentalités. Quand on a pris conscience de l'épidémie du sida, on a entendu certains croyants déclarer qu'il s'agissait là d'une punition, voire d'une vengeance de Dieu pour ceux qui avaient péché. Eux ou leurs parents, selon l'expression biblique. Et l'impureté liée à l'accouchement a même conservé des traces, jusqu'il y a peu, dans la célébration chrétienne des relevailles, même si elles étaient célébrées dans un autre esprit.
Mais quelle fut l'attitude de Jésus ? Lui, un Juif fidèle, respectueux de la loi de Moïse, qui n'était pas venu pour l'abolir mais l'accomplir ? La page d'évangile de ce jour commence par deux transgressions de la loi. Le lépreux n'avait pas le droit de se trouver là et encore moins de s'approcher des bien-portants. Et Jésus n'avait pas le droit de se laisser approcher par un impur et encore moins de le toucher. Jésus va donc braver les interdits sociaux et les interdits religieux, en les interprétant selon l'esprit et non pas selon la lettre. Comme Paul le fera plus tard à propos des viandes pures et impures, par exemple.
Face aux exclus, Jésus ne s'enfuit pas. Il exprime sa compassion. Il enfreint même la loi de Moïse et devient lui-même légalement contaminé, rituellement impur, et donc excommunié. Le voilà en guerre ouverte avec les autorités religieuses les plus traditionalistes. Il ne méprise pas la loi pour autant. Il envoie d'ailleurs l'intouchable au prêtre, car c'est lui qui doit assurer la reconnaissance officielle de la purification et permettre la réinsertion de l'exclu dans la communauté. Jésus ne repousse pas. Il tend la main. Il détruit les frontières au lieu d'en établir.
Mais il n'y a pas que des lois qui peuvent exclure. Nous pouvons, par exemple, être tellement persuadés de posséder toute la vérité, notamment en matière de foi et de morale, que nous serons tentés d'exclure, sans même les écouter, ceux qui présentent peut-être tout simplement un autre aspect de la vérité. D'ailleurs, au temps de Jésus, les lépreux n'étaient pas les seules victimes de l'exclusion, des mises à l'écart et des rejets. Il y avait les publicains et les pécheurs, les Samaritains, qui sont des étrangers et même des schismatiques, les païens, parce qu'ils n'adoraient pas le seul vrai Dieu d'Israël.
François d'Assise avait compris ce drame fondamental de l'exclusion. Un jour qu'il pénétrait dans une maladrerie, "asile de toutes les douleurs humaines", il réunit les malheureux qui s'y trouvaient pour leur demander pardon de les avoir si souvent méprisés. Quant aux lépreux, il les appelait "frères chrétiens", pour bien montrer qu'il les traitait en égaux et en membres honorables de la famille du Christ.
Nous avons aussi aujourd'hui nos catégories d'exclus et de boucs émissaires. Le différent fait toujours peur. Il y a tant de rejets faciles, spontanés, quasi naturels que nous pratiquons chaque jour.
L'essentiel de ce jour n'est pas le récit d'un miracle, mais le témoignage d'un signe, la proclamation d'un message. Ce que le Christ attend de tous ses disciples, c'est "qu'ils brisent, comme lui, les barrières de la méfiance, de la peur et du conformisme, pour tendre la main" vers leurs semblables, déshérités ou méprisés. La suite, c'est nous qui l'écrirons sur le terrain de la vie quotidienne.
Y a-t-il pour l'Eglise un moyen plus efficace de devenir aux yeux du monde un signe plus crédible du Christ, que d'entrer en relation avec les personnes et les communautés en danger ?
P. Fabien Deleclos, franciscain (T)
1925 - 2008

CATÉCHÈSE DE BENOÎT XVI : AUDIENCE DU 8 FÉVRIER 2012

10 février, 2012
http://www.zenit.org/article-30106?l=french

CATÉCHÈSE DE BENOÎT XVI : AUDIENCE DU 8 FÉVRIER 2012

Au coeur des ténèbres, Dieu est présent

ROME, mercredi 8 février 2012 (ZENIT.org) – « Au cœur des ténèbres, Dieu est présent », affirme Benoît XVI.
Benoît XVI a continué son cycle de catéchèses sur la prière et a centré sa méditation sur la prière de Jésus face à la mort lors de l’audience générale de ce mercredi 8 février, en la salle Paul VI du Vatican.
Partant du cri de Jésus sur la croix « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? », le pape a expliqué qu’en portant dans le cœur de Dieu le cri de l’humanité souffrante, le Christ a l’assurance que sa prière sera exaucée : ce sera la résurrection. De même, a-t-il dit, lorsque le chrétien est confronté « à l’aujourd’hui de la souffrance », il se trouve aussi devant « l’aujourd’hui de la résurrection ».
A la fin de l’audience, le pape a lancé un appel en faveur des victimes des intempéries en Europe.
Voici notre traduction du texte de la catéchèse de Benoît XVI en italien :
Chers frères et sœurs,
Je voudrais réfléchir aujourd’hui avec vous sur la prière de Jésus au moment de sa mort imminente, en m’arrêtant sur ce que nous racontent saint Marc et saint Matthieu. Les deux évangélistes rapportent la prière de Jésus mourant sur la croix, non seulement en langue grecque, dans laquelle sont écrits leurs récits, mais aussi, en raison de l’importance de ces paroles, dans un mélange d’hébreu et d’araméen. Ils nous ont ainsi transmis non seulement le contenu, mais jusqu’au son même de cette prière sur les lèvres de Jésus : nous entendons réellement les paroles de Jésus, telles qu’il les a dites. En même temps, ils nous ont décrit le comportement de ceux qui étaient présents lors de la crucifixion, qui n’ont pas compris – ou n’ont pas voulu comprendre – cette prière.
Comme nous l’avons entendu, voici ce qu’écrit saint Marc : « Quand ce fut la sixième heure, l’obscurité se fit sur la terre entière jusqu’à la neuvième heure. Et à la neuvième heure Jésus clama en un grand cri : « Élôï, Élôï, lema sabachthani « , ce qui se traduit :  » Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?  » (Mc 15, 34). Dans la structure du récit, la prière, le cri de Jésus, s’élève au sommet de ces trois heures de ténèbres qui, depuis midi jusqu’à trois heures de l’après-midi, tombèrent sur toute la terre. Ces trois heures d’obscurité sont, elles-mêmes, la continuité d’un autre laps de temps, de trois heures aussi, qui a commencé avec la crucifixion de Jésus. En effet, Llévangéliste Marc, nous informe que « c’était la troisième heure quand ils le crucifièrent » (Mc 15, 25). A partir des indications horaires données par le récit, les six heures de Jésus sur la croix sont articulées en deux parties chronologiquement équivalentes.
Dans les trois premières heures, de neuf heures à midi, se succèdent les moqueries de différents groupes de personnes qui affichent leur scepticisme, affirment ne pas croire. Saint Marc écrit : « Pareillement les grands prêtres se gaussaient entre eux avec les scribes » (Mc 15, 31) ; « Même ceux qui étaient crucifiés avec lui l’outrageaient » (Mc 15, 32). Dans les trois heures qui suivent, l’évangéliste parle seulement des ténèbres qui ont recouvert toute la terre ; seule l’obscurité occupe toute la scène sans aucune référence à des mouvements ou à des paroles des personnages. Alors que Jésus s’approche de plus en plus de la mort, il n’y a plus que l’obscurité qui tombe « sur toute la terre ». Le cosmos lui-même participe à cet événement : l’obscurité enveloppe les personnes et les choses mais, même en cet instant de ténèbres, Dieu est présent, il n’abandonne pas. Dans la tradition biblique, l’obscurité a un double sens : c’est le signe de la présence et de l’action du mal, mais c’est aussi celui d’une mystérieuse présence et action de Dieu, capable de vaincre toutes les ténèbres. Dans le livre de l’Exode, par exemple, nous lisons : « Le Seigneur dit à Moïse : “Je vais venir à toi dans l’épaisseur de la nuée” » (Ex 19, 9) ; et encore : « Le peuple se tint à distance et Moïse s’approcha de la nuée obscure où était Dieu » (Ex 20, 21). Et dans les discours du Deutéronome, Moïse raconte : « La montagne était embrasée jusqu’en plein ciel, un ciel obscurci de nuages ténébreux et retentissants » (Dt 4, 11) ; « Lorsque vous eûtes entendu cette voix sortir des ténèbres, tandis que la montagne était en feu » (Dt 5, 23). Dans la scène de la crucifixion de Jésus, les ténèbres enveloppent la terre et ce sont des ténèbres de mort dans lesquelles le Fils de Dieu s’immerge pour porter la vie, par son acte d’amour.
Revenons au récit de saint Marc : devant les insultes des différents groupes de personnes, devant l’obscurité qui recouvre tout, au moment où il se trouve face à la mort, Jésus montre, par le cri de sa prière, que même sous le poids de la souffrance et de la mort, alors qu’il semble que Dieu l’ait abandonné et soit absent, il a la pleine certitude de la proximité du Père, qui approuve cet acte d’amour suprême, de don total de lui-même. Pourtant, on n’entend pas, comme dans d’autres passages, la voix d’en haut. En lisant les évangiles, on s’aperçoit qu’à d’autres moments importants de sa vie terrestre, Jésus avait entendu la voix rassurante de Dieu qui accompagnait les signes de la présence du Père et qui manifestait son approbation pour son chemin d’amour. Par exemple, dans l’épisode qui suit le baptême dans le Jourdain, lorsque les cieux se déchirent, on avait entendu la parole du Père : « Tu es mon Fils bien-aimé, tu as toute ma faveur » (Mc 1, 11). Lors de la transfiguration, ensuite, une parole était venue de la nuée : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé ; écoutez-le !» (Mc 9, 7). En revanche, à l’approche de la mort du Crucifié, le silence s’installe, les voix se taisent, mais le regard d’amour du Père reste fixé sur le don d’amour du Fils.
Mais quel est le sens de la prière de Jésus, de ce cri qu’il lance vers le Père : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? », est-ce un doute sur sa mission, sur la présence du Père ? Les paroles que Jésus adresse au Père sont le début du psaume 22, dans lequel le psalmiste exprime à Dieu la tension qu’il vit entre le sentiment d’être laissé seul et la certitude de la présence de Dieu parmi son peuple. Le psalmiste prie ainsi : « Mon Dieu, le jour j’appelle et tu ne réponds pas, la nuit, point de silence pour moi. Et toi, le Saint, qui habites les louanges d’Israël ! » (Ps 22, 3-4). Le psalmiste parle d’un « cri » pour exprimer toute la souffrance de sa prière devant Dieu qui est apparemment absent : dans les moments d’angoisse, la prière devient un cri.
Et c’est aussi ce qui se passe dans notre relation avec le Seigneur : dans les situations plus difficiles et douloureuses, quand il semble que Dieu n’entende pas, nous ne devons pas craindre de lui confier tout le poids qui pèse sur notre cœur, nous ne devons pas avoir peur de lui crier notre souffrance, nous devons être convaincus que Dieu est proche, même si, apparemment, il se tait.
En répétant, sur la croix, les paroles du psaume : « Elôï, Elôï, lema sabachthani ? » – « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Mt 27, 46), en criant les paroles du psalmiste, Jésus prie au moment du refus ultime des hommes, au moment de l’abandon ; il prie mais, avec le psaume, dans la conscience de la présence de Dieu le Père, même en cette heure où il ressent le drame humain de la mort. Mais nous pouvons nous demander alors : comment est-ce possible qu’un Dieu aussi puissant n’intervienne pas pour arracher son Fils à cette épreuve terrible? Il est important de comprendre que la prière de Jésus n’est pas le cri de désespoir de quelqu’un qui va vers la mort, ni le cri de celui qui se sait abandonné. Jésus, à ce moment-là, fait sien tout le psaume 22, le psaume du peuple d’Israël qui souffre ; de cette façon, il prend sur lui non seulement la peine de son peuple, mais aussi celle de tous les hommes qui souffrent, oppressés par le mal, et en même temps, il porte tout cela dans le cœur de Dieu lui-même, avec l’assurance que son cri sera exaucé à la résurrection : « Le cri dans l’extrême tourment est, en même temps, certitude de la réponse divine, certitude du salut – non seulement pour Jésus lui-même, mais pour les « multitudes » » (Jésus de Nazareth II, 245). Cette prière de Jésus contient la confiance et l’abandon extrêmes dans les mains de Dieu, même lorsqu’il semble absent, même lorsqu’il semble se taire, selon un dessein qui nous est incompréhensible. Dans le Catéchisme de l’Eglise catholique, nous lisons ceci : « Mais dans l’amour rédempteur qui l’unissait toujours au Père, il nous a assumés dans l’égarement de notre péché par rapport à Dieu au point de pouvoir dire en notre nom sur la croix :  » Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné  » » (CEC n° 603). Il souffre en communion avec nous et pour nous, et sa souffrance découle de l’amour et porte déjà en elle la rédemption, la victoire de l’amour.
Les personnes présentes au pied de la croix de Jésus ne parviennent pas à comprendre et elles pensent que son cri est une supplication adressée à Elie. Dans une scène mouvementée, elles cherchent à le désaltérer pour prolonger sa vie et vérifier si Elie va véritablement venir à son secours, mais un grand cri met fin à la vie terrestre de Jésus et à leur désir. En ce moment extrême, Jésus laisse son cœur exprimer sa douleur, mais il laisse jaillir, en même temps, son sens de la présence du Père et son consentement à son dessein de salut pour l’humanité. Nous aussi, nous nous trouvons sans cesse confrontés à l’« aujourd’hui » de la souffrance, du silence de Dieu – nous l’exprimons si souvent dans notre prière – mais nous nous trouvons aussi face à l’« aujourd’hui » de la résurrection, de la réponse de Dieu qui a pris sur lui nos souffrances, pour les porter avec nous et nous donner la ferme espérance qu’elles seront vaincues (Encyclique Spe salvi, 35-40).
Cher amis, dans la prière, apportons à Dieu nos croix quotidiennes, avec la certitude qu’il est présent et qu’il nous écoute. Le cri de Jésus nous rappelle combien, dans notre prière, nous devons dépasser les barrières de notre « moi » et de nos problèmes et nous ouvrir aux besoins et aux souffrances des autres. La prière de Jésus mourant sur la croix nous enseigne à prier avec amour pour tant de frères et sœurs qui sentent le poids de la vie quotidienne, qui vivent des moments difficiles, qui sont dans l’épreuve, qui n’entendent même pas une parole de réconfort ; apportons tout cela au cœur de Dieu, pour que eux aussi puissent sentir l’amour de Dieu qui ne nous abandonne jamais. Merci.
Synthèse en français de la catéchèse:
Chers frères et sœurs, les derniers moments de Jésus sont rapportés par les évangiles en grec mais aussi en hébreu et en araméen. Ils ont ainsi voulu transmettre jusqu’au son la prière de Jésus. Le drame de sa mort se déroule en deux phases. Durant les trois premières heures, Jésus est soumis à la dérision et au scepticisme de ceux qui ne croient pas. Puis, les ténèbres envahissent la terre. Le cosmos participe à cet événement. Dans la tradition biblique, l’obscurité peut signifier à la fois la présence et l’action du Mal et aussi la présence mystérieuse de Dieu. Ainsi, Moïse monte vers ‘la nuée obscure où était Dieu’ (Ex, 20,21). A la crucifixion de Jésus, les ténèbres sont le signe de la mort dans laquelle descend le Fils de Dieu pour porter la vie, par cet acte d’amour. Devant les insultes des hommes, devant l’obscurité qui recouvre tout, portant le poids de la souffrance où semble être l’absence de Dieu, Jésus a la certitude de la proximité du Père, même s’il n’entend pas de voix venue d’‘en-haut’. Dans le silence, le regard d’amour du Père reste fixé sur le don d’amour du Fils. Jésus fait sien le cri du psalmiste, le cri d’Israël qui souffre, prenant ainsi sur Lui la détresse de tous les hommes. Il la porte dans le cœur de Dieu, certain de la réponse divine, certain du salut, non seulement pour Lui-même, mais pour ‘une multitude’. Et nous aussi, face à l’aujourd’hui de la souffrance, nous sommes face à l’aujourd’hui de la Résurrection !

A la fin de l’audience, le Saint-Père a salué les pèlerins de langue française
Je salue les pèlerins francophones présents, particulièrement les paroissiens de Paris ainsi que les collégiens et les lycéens. Soyez sûrs de la présence et de l’amour de Dieu dans nos vies. Il écoute nos cris et répond à notre prière par l’espérance qui a surgi de la victoire de Jésus sur la mort et le mal. Je vous bénis de grand cœur !
Benoît XVI a aussi lancé, en italien, cet appel pour les victimes du mauvais temps :
Chers frères et sœurs,
Ces dernières semaines, une vague de froid et de gel s’est abattue sur certaines régions d’Europe, causant des préjudices importants et des dommages considérables, comme nous le savons bien. Je désire manifester ma proximité aux populations touchées par la violence des intempéries et je vous invite à prier pour les victimes et pour leurs proches. J’encourage en même temps toute forme de solidarité afin que soient secourues généreusement les personnes éprouvées par ces événements si tragiques.
© Libreria Editrice Vaticana 2012
Traduction de Zenit, par Hélène Ginabat

Jesus Weeping Over Jerusalem

8 février, 2012

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http://sacredartpilgrim.com/collection/view/84

Paul, le missionnaire (Père Manns)

8 février, 2012

http://www.christusrex.org/www1/ofm/pope2/intros/GPint06.html

Paul, le missionnaire

by Frédéric Manns

(Studium Biblicum Franciscanum – Jerusalem)

L’expérience du chemin de Damas allait transformer Paul en missionnaire du ressuscité. L’ancien émissaire du Sanhédrin devint l’envoyé du Christ. La communauté d’Antioche où Paul était l’hôte comprit rapidement qu’elle ne pouvait pas garder le message du Christ en vases clos. Les Juifs de la diaspora attendaient la plénitude de la révélation. Barnabé, Paul et Jean Marc furent envoyés par la communauté pour proclamer que Jésus de Nazareth humilié par les hommes est le Christ ressuscité.
Au cours de la première mission en Asie Mineure, en passant par Chypre, l’évangile fut annoncé dans des petits centres tels Paphos, Pergé, Antioche de Pisidie, Iconium, Lystres et Derbé. Barnabé originaire de Chypre avait la direction. Lorsque Paul prendra le commandement lors des missions successives, il agira méthodiquement. Lorsqu’il fondait une communauté chrétienne il choisissait des villes qui par leur position géographique, économique et culturelle constituaient des centres de rayonnement pour tout un arrière-pays. Généralement ces villes étaient des capitales des provinces de l’empire.
Paul laissait derrière lui une communauté solide qui, en tant que centre missionnaire, devait propager la foi dans les villes les plus proches. Il ne voulait pas la conversion de quelques uns, mais cherchait à organiser l’Eglise. La ville d’Antioche sur l’Oronte à partir de laquelle Barnabé et Paul ont accompli leur premier voyage servit de modèle. Le message fut répandu ainsi à Philippes, point de rencontre entre la Grèce et le reste du monde occidental ; à Thessalonique, capitale de la province de Macédoine, à Corinthe, capitale de la province d’Achaïe, et à Ephèse qui servait de résidence au gouverneur d’Asie et qui avec son Temple d’Artémis était un centre important de pèlerinages.
Enfin Athènes, la ville des philosophes, allait réserver des surprises à Paul. Les philosophes ne se laissent pas facilement convaincre. Les nouveautés leur sont suspectes par principe. Une tentative d’implantation dans la capitale a probablement échoué. Sur l’impossibilité de fonder une communauté à Athènes, Luc s’explique de façon magistrale dans les Actes des Apôtres 17,34. Peut-être Paul a-t-il tiré une leçon de cet échec à Athènes ? En examinant les projets de Paul on voit que son but était plutôt d’atteindre les ports que les capitales. En effet le message du Christ crucifié et ressuscité s’est répandu dans le monde entier essentiellement à partir des ports, les plaques tournantes de la vie internationale.
S’il en est ainsi pourquoi Paul a-t-il porté l’Evangile aux Galates ? Ce voyage ne correspond pas à sa tactique missionnaire (Ac 16,6-7). Paul a néanmoins évangélisé les Galates. Il semblait avoir pour dessein de traverser la Galatie et la Phrygie jusqu’en Bithynie qui avec ses ports offrait un intérêt apostolique. Dans sa lettre aux Galates 4,13 reconnaît que c’est à l’occasion d’une maladie qu’il leur a annoncé la bonne nouvelle.
Les Actes des Apôtres rédigés par Luc révèlent une vision de l’histoire du salut centrée sur Rome. En fait Rome n’a pas été le but ultime de l’activité apostolique de Paul. Cette finalité aurait été en contradiction avec sa règle évangélique : en fait Rome possédait déjà une église chrétienne florissante. Lorsque Paul, avant d’aller à Jérusalem, écrit une lettre de Corinthe à la communauté de Rome, il ne le fait que pour annoncer son voyage missionnaire en Espagne et son passage par Rome. Le séjour projeté n’est qu’une étape et non pas une évangélisation. Mais à Jérusalem. Paul est arrêté et son voyage se passe différemment de ce qu’il avait projeté. Après une traversée difficile et un naufrage à Malte où il doit passer l’hiver, Paul est placé en liberté surveillée. Il est ensuite libéré. Tout ce que nous savons c’est qu’il fut décapité hors de Rome. En dépit de l’interprétation eschatologique que Luc donne des voyages de Paul, les Actes des Apôtres 16,6-10 montrent que Paul considérait sa mission dans la partie orientale de l’empire comme achevée avec la création de la communauté d’Ephèse. A partir de là l’activité de Paul se déroule telle qu’elle est racontée dans les Actes des Apôtres.
A lire ce texte on a l’impression qu’il n’existe que des communautés fondées par Paul. Or le monde chrétien de l’époque se situait dans son ensemble en Orient, en Palestine et en Syrie, sans parler du christianisme égyptien et éthiopien. Les compagnons de Paul sont à peine mentionnés comme s’ils n’étaient que des compagnons de voyages sans responsabilités ni initiatives.
Un autre cliché des Actes doit être revu. D’après les Actes Paul prêche d’abord méthodiquement à la synagogue et ne s’adresse aux Juifs que si ces derniers refusent son message. Cette interprétation de Luc reflète la pensée de Paul : le salut est d’abord offert au Juif, ensuite au non-Juif. Mais à partir du concile de Jérusalem les accords sont plus clairs. Dans la lettre aux Galates 2,8-9 Paul affirme clairement que sa mission est pour les païens. Il n’est pas faux de dire que Paul a commencé à prêcher à la synagogue. Mais c’est dans les synagogues qu’il rencontre les craignant-Dieu, les païens sympathisants du judaïsme. Pour Paul la crucifixion de Jésus est déjà un appel vers les païens (Ga 3,13-14).
Paul considérait son travail achevé dans la partie orientale de l’empire avec la fondation de la communauté d’Ephèse. Avant de se rendre à Jérusalem il se trouva confronté aux crises les plus graves de sa vie missionnaire : ces crises affectaient les communautés de Galatie, de Corinthe et d’Ephèse.
Des rapports lui étaient parvenus selon lesquels des missionnaires étrangers attaquaient son évangile. De même que Paul n’intervenait pas dans les communautés fondées par d’autres, de même il n’acceptait pas d’ingérence étrangère. L’évangile qu’il annonçait il l’avait reçu de Dieu même. Le fait d’être affronté à des schismes naissants dans l’Eglise lui montre ce que peut signifier une séparation dans l’Eglise.
Des difficultés de tous ordres avaient surgi en Galatie, à Corinthe et à Ephèse. C’est au cours de cette période difficile que Paul écrit ses lettres à Corinthe, son épître aux galates et aussi aux Philippiens.
L’épître écrite de Corinthe à Rome est une préparation à ce qui devait sauver la deuxième partie de son apostolat : une mise en forme des thèmes de l’Evangile qu’il avait propagés dans la partie orientale de l’empire. Paul traite les problèmes brûlants de la foi et nous connaissons son intention d’annoncer l’Evangile aux limites du monde occidental (Rom 15,24-28).
Les Actes des Apôtres racontent innocemment que Paul, en route vers Jérusalem, évite l’escale d’Ephèse pour gagner du temps (20,16), mais que toutefois il envoie un messager pour inviter les chefs de la communauté à lui rendre visite à Milet. Dans le testament que Paul leur fait la réalité douloureuse que Paul vit est décrite comme un événement menaçant à venir : « Je sais qu’après mon départ des loups féroces s’introduiront parmi vous qui n’épargneront pas le troupeau ». Dans la deuxième lettre à Timothée Paul confesse: « Tu le sais, ceux d’Asie m’ont abandonné ». La révolte des orfèvres d’Ephèse ne suffit pas à expliquer l’attitude de Paul. Paul s’est heurté aux anti-pauliniens et aux pseudo-pauliniens. Des gens qui se réclamaient de son Evangile de liberté répandaient un enseignement que Paul devait repousser. La doctrine paulinienne de la justification par la foi prend dans les épîtres aux Galates et aux Romains la forme d’un thème théologique en raison des difficultés rencontrées en Galatie et à Corinthe. Pour Paul il n’y a qu’un chemin vers le salut : Jésus dont la grandeur s’est révélée dans son abaissement.
La lettre de Jacques propose une théologie différente de celle de Paul. Pour Jacques on n’est heureux que par les oeuvres. Jacques ne s’attaque pas à Paul, mais à un paulinisme mal compris. Mais il est significatif que Jacques dans son enseignement de la justification par les oeuvres personnelles, tout comme Paul dans son enseignement sur la justification par la foi, citent le même verset de l’Ecriture relatif au consentement d’Abraham à sacrifier Isaac (Rom 4 et Jc 2,21-23). Tous deux citent Gen 15,6. Paul conclut en Rom 3,28 : « Donc sans les oeuvres », tandis que Jacques 2,24 affirme : « Non pas sans les oeuvres ». Jacques met en relation Gen 22,9 et Gen 15,6. Le consentement d’Abraham au sacrifice de son fils est une oeuvre et c’est la raison de sa justification. D’autre part Abraham a fait confiance à Dieu. Dans la justification apparaît une synergie, une union de la foi et de l’action. Dans les oeuvres la foi agit (Jc 2,22). Pour Paul aussi la foi dans le Christ exige les oeuvres (Rom 3,20) et s’accomplit dans l’amour. La collecte qu’il organise pour l’Eglise de Jérusalem fait partie de son évangile. Jacques ne combat pas le christianisme paulinien, mais propose une tradition chrétienne différente.
La manifestation actuelle du Règne du Christ est chez Paul une idée force. Le Christ exerce dès maintenant son pouvoir comme chef de l’Eglise qui est son corps. Par le baptême le croyant meurt avec le Christ, se libère du péché et ressuscite avec le Seigneur (Col 2,12). Dès maintenant les baptisés sont déjà assis avec le Christ à côté du Père et attendent la révélation de ce qu’ils sont déjà. Ils participent à la souffrance du Christ, car la souffrance découle de l’engagement total pour le bien, le bien du Royaume de Dieu.
On parle beaucoup de nouvelle évangélisation ces derniers temps. Une des plus belles figures d’évangélisateur reste celle de Paul : sa foi au Ressuscité, son dynamisme, son talent d’organisateur sont encore l’objet d’admiration de beaucoup d’Eglises locales et peuvent inspirer aujourd’hui les générations nouvelles.

MESSAGE DE BENOÎT XVI POUR LE CARÊME 2012

8 février, 2012

http://www.zenit.org/article-30093?l=french

MESSAGE DE BENOÎT XVI POUR LE CARÊME 2012

« Faisons attention les uns aux autres »

ROME, mardi 7 février 2012 (ZENIT.org) – « Je désire rappeler ici un aspect de la vie chrétienne qui me semble être tombé en désuétude : la correction fraternelle en vue du salut éternel » : Benoît XVI évoque cet aspect de la vie chrétienne, en vue de la sainteté, dans son message pour le carême 2012.
Le carême commence cette année le mercredi 22 février et le dimanche de Pâques tombe le 8 avril.
Le thème du message est tiré de l’Epître aux Hébreux : «Faisons attention les uns aux autres ?pour nous stimuler dans la charité et les œuvres bonnes» ?(He 10, 24).
Message de Benoît XVI pour le carême
Frères et sœurs,
Le Carême nous offre encore une fois l’opportunité de réfléchir sur ce qui est au cœur de la vie chrétienne : la charité. En effet, c’est un temps favorable pour renouveler, à l’aide de la Parole de Dieu et des Sacrements, notre itinéraire de foi, aussi bien personnel que communautaire. C’est un cheminement marqué par la prière et le partage, par le silence et le jeûne, dans l’attente de vivre la joie pascale.
Cette année, je désire proposer quelques réflexions à la lumière d’un bref texte biblique tiré de la Lettre aux Hébreux : « Faisons attention les uns aux autres pour nous stimuler dans la charité et les œuvres bonnes » (10, 24). Cette phrase fait partie d’une péricope dans laquelle l’écrivain sacré exhorte à faire confiance à Jésus Christ comme Grand prêtre qui nous a obtenu le pardon et l’accès à Dieu. Le fruit de notre accueil du Christ est une vie selon les trois vertus théologales : il s’agit de nous approcher du Seigneur « avec un cœur sincère et dans la plénitude de la foi » (v. 22), de garder indéfectible « la confession de l’espérance » (v. 23) en faisant constamment attention à exercer avec nos frères « la charité et les œuvres bonnes » (v. 24). Pour étayer cette conduite évangélique – est-il également affirmé -, il est important de participer aux rencontres liturgiques et de prière de la communauté, en tenant compte du but eschatologique : la pleine communion en Dieu (v. 25). Je m’arrête sur le verset 24 qui, en quelques mots, offre un enseignement précieux et toujours actuel sur trois aspects de la vie chrétienne: l’attention à l’autre, la réciprocité et la sainteté personnelle.
1. « Faisons attention » : la responsabilité envers le frère.
Le premier élément est l’invitation à « faire attention » : le verbe grec utilisé est katanoein, qui signifie bien observer, être attentifs, regarder en étant conscient, se rendre compte d’une réalité. Nous le trouvons dans l’Évangile, lorsque Jésus invite les disciples à « observer » les oiseaux du ciel qui, bien qu’ils ne s’inquiètent pas, sont l’objet de l’empressement et de l’attention de la Providence divine (cf. Lc 12, 24), et à « se rendre compte » de la poutre qui se trouve dans leur œil avant de regarder la paille dans l’œil de leur frère (cf. Lc 6, 41). Nous trouvons aussi cet élément dans un autre passage de la même Lettre aux Hébreux, comme invitation à « prêter attention à Jésus » (3, 1), l’apôtre et le grand prêtre de notre foi. Ensuite, le verbe qui ouvre notre exhortation invite à fixer le regard sur l’autre, tout d’abord sur Jésus, et à être attentifs les uns envers les autres, à ne pas se montrer étrangers, indifférents au destin des frères. Souvent, au contraire, l’attitude inverse prédomine : l’indifférence, le désintérêt qui naissent de l’égoïsme dissimulé derrière une apparence de respect pour la « sphère privée ». Aujourd’hui aussi, la voix du Seigneur résonne avec force, appelant chacun de nous à prendre soin de l’autre. Aujourd’hui aussi, Dieu nous demande d’être les « gardiens » de nos frères (cf. Gn 4, 9), d’instaurer des relations caractérisées par un empressement réciproque, par une attention au bien de l’autre et à tout son bien. Le grand commandement de l’amour du prochain exige et sollicite d’être conscients d’avoir une responsabilité envers celui qui, comme moi, est une créature et un enfant de Dieu : le fait d’être frères en humanité et, dans bien des cas, aussi dans la foi, doit nous amener à voir dans l’autre un véritable alter ego, aimé infiniment par le Seigneur. Si nous cultivons ce regard de fraternité, la solidarité, la justice ainsi que la miséricorde et la compassion jailliront naturellement de notre cœur. Le Serviteur de Dieu Paul VI affirmait qu’aujourd’hui le monde souffre surtout d’un manque de fraternité : « Le monde est malade. Son mal réside moins dans la stérilisation des ressources ou dans leur accaparement par quelques-uns, que dans le manque de fraternité entre les hommes et entre les peuples » (Lett. enc. Populorum progressio [26 mars 1967], n. 66).
L’attention à l’autre comporte que l’on désire pour lui ou pour elle le bien, sous tous ses aspects : physique, moral et spirituel. La culture contemporaine semble avoir perdu le sens du bien et du mal, tandis qu’il est nécessaire de répéter avec force que le bien existe et triomphe, parce que Dieu est « le bon, le bienfaisant » (Ps 119, 68). Le bien est ce qui suscite, protège et promeut la vie, la fraternité et la communion. La responsabilité envers le prochain signifie alors vouloir et faire le bien de l’autre, désirant qu’il s’ouvre lui aussi à la logique du bien ; s’intéresser au frère veut dire ouvrir les yeux sur ses nécessités. L’Écriture Sainte met en garde contre le danger d’avoir le cœur endurci par une sorte d’« anesthésie spirituelle » qui rend aveugles aux souffrances des autres. L’évangéliste Luc rapporte deux paraboles de Jésus dans lesquelles sont indiqués deux exemples de cette situation qui peut se créer dans le cœur de l’homme. Dans celle du bon Samaritain, le prêtre et le lévite « passent outre », avec indifférence, devant l’homme dépouillé et roué de coups par les brigands (cf. Lc 10, 30-32), et dans la parabole du mauvais riche, cet homme repu de biens ne s’aperçoit pas de la condition du pauvre Lazare qui meurt de faim devant sa porte (cf. Lc 16, 19). Dans les deux cas, nous avons à faire au contraire du « prêter attention », du regarder avec amour et compassion. Qu’est-ce qui empêche ce regard humain et affectueux envers le frère ? Ce sont souvent la richesse matérielle et la satiété, mais c’est aussi le fait de faire passer avant tout nos intérêts et nos préoccupations personnels. Jamais, nous ne devons nous montrer incapables de « faire preuve de miséricorde » à l’égard de celui qui souffre ; jamais notre cœur ne doit être pris par nos propres intérêts et par nos problèmes au point d’être sourds au cri du pauvre. À l’inverse, c’est l’humilité de cœur et l’expérience personnelle de la souffrance qui peuvent se révéler source d’un éveil intérieur à la compassion et à l’empathie : « Le juste connaît la cause des faibles, le méchant n’a pas l’intelligence de la connaître » (Pr 29, 7). Nous comprenons ainsi la béatitude de « ceux qui sont affligés » (Mt 5, 4), c’est-à-dire de ceux qui sont en mesure de sortir d’eux-mêmes pour se laisser apitoyer par la souffrance des autres. Rencontrer l’autre et ouvrir son cœur à ce dont il a besoin sont une occasion de salut et de béatitude.
« Prêter attention » au frère comporte aussi la sollicitude pour son bien spirituel. Je désire rappeler ici un aspect de la vie chrétienne qui me semble être tombé en désuétude : la correction fraternelle en vue du salut éternel. En général, aujourd’hui, on est très sensible au thème des soins et de la charité à prodiguer pour le bien physique et matériel des autres, mais on ne parle pour ainsi dire pas de notre responsabilité spirituelle envers les frères. Il n’en est pas ainsi dans l’Église des premiers temps, ni dans les communautés vraiment mûres dans leur foi, où on se soucie non seulement de la santé corporelle du frère, mais aussi de celle de son âme en vue de son destin ultime. Dans l’Écriture Sainte, nous lisons : « Reprends le sage, il t’aimera. Donne au sage : il deviendra plus sage encore ; instruis le juste, il accroîtra son acquis » (Pr 9, 8s). Le Christ lui-même nous commande de reprendre le frère qui commet un péché (cf. Mt 18, 15). Le verbe utilisé pour définir la correction fraternelle – elenchein – est le même que celui qui indique la mission prophétique de la dénonciation propre aux chrétiens envers une génération qui s’adonne au mal (cf. Ep 5, 11). La tradition de l’Église a compté parmi les œuvres de miséricorde spirituelle celle d’« admonester les pécheurs ». Il est important de récupérer cette dimension de la charité chrétienne. Il ne faut pas se taire face au mal. Je pense ici à l’attitude de ces chrétiens qui, par respect humain ou par simple commodité, s’adaptent à la mentalité commune au lieu de mettre en garde leurs frères contre des manières de penser et d’agir qui sont contraires à la vérité, et ne suivent pas le chemin du bien. Toutefois le reproche chrétien n’est jamais fait dans un esprit de condamnation ou de récrimination. Il est toujours animée par l’amour et par la miséricorde et il naît de la véritable sollicitude pour le bien du frère. L’apôtre Paul affirme : « Dans le cas où quelqu’un serait pris en faute, vous les spirituels, rétablissez-le en esprit de douceur, te surveillant toi-même, car tu pourrais bien, toi aussi être tenté » (Ga 6, 1). Dans notre monde imprégné d’individualisme, il est nécessaire de redécouvrir l’importance de la correction fraternelle, pour marcher ensemble vers la sainteté. Même « le juste tombe sept fois » (Pr 24, 16) dit l’Écriture, et nous sommes tous faibles et imparfaits (cf.1 Jn 1, 8). Il est donc très utile d’aider et de se laisser aider à jeter un regard vrai sur soi-même pour améliorer sa propre vie et marcher avec plus de rectitude sur la voie du Seigneur. Nous avons toujours besoin d’un regard qui aime et corrige, qui connaît et reconnaît, qui discerne et pardonne (cf. Lc 22, 61), comme Dieu l’a fait et le fait avec chacun de nous.
2. « Les uns aux autres » : le don de la réciprocité.
Cette « garde » des autres contraste avec une mentalité qui, réduisant la vie à sa seule dimension terrestre, ne la considère pas dans une perspective eschatologique et accepte n’importe quel choix moral au nom de la liberté individuelle. Une société comme la société actuelle peut devenir sourde aux souffrances physiques comme aux exigences spirituelles et morales de la vie. Il ne doit pas en être ainsi dans la communauté chrétienne! L’apôtre Paul invite à chercher ce qui « favorise la paix et l’édification mutuelle » (Rm 14, 19), en plaisant « à son prochain pour le bien, en vue d’édifier » (Ibid.15, 2), ne recherchant pas son propre intérêt, « mais celui du plus grand nombre, afin qu’ils soient sauvés » (1 Co 10, 33). Cette correction réciproque et cette exhortation, dans un esprit d’humilité et de charité, doivent faire partie de la vie de la communauté chrétienne.
Les disciples du Seigneur, unis au Christ par l’Eucharistie, vivent dans une communion qui les lie les uns aux autres comme membres d’un seul corps. Cela veut dire que l’autre m’est uni de manière particulière, sa vie, son salut, concernent ma vie et mon salut. Nous abordons ici un élément très profond de la communion : notre existence est liée à celle des autres, dans le bien comme dans le mal ; le péché comme les œuvres d’amour ont aussi une dimension sociale. Dans l’Église, corps mystique du Christ, cette réciprocité se vérifie : la communauté ne cesse de faire pénitence et d’invoquer le pardon des péchés de ses enfants, mais elle se réjouit aussi constamment et exulte pour les témoignages de vertu et de charité qui adviennent en son sein. « Que les membres se témoignent une mutuelle sollicitude » (cf.1 Co 12, 25), affirme saint Paul, afin qu’ils soient un même corps. La charité envers les frères, dont l’aumône – une pratique caractéristique du carême avec la prière et le jeûne – est une expression, s’enracine dans cette appartenance commune. En se souciant concrètement des plus pauvres, le chrétien peut exprimer sa participation à l’unique corps qu’est l’Église. Faire attention aux autres dans la réciprocité c’est aussi reconnaître le bien que le Seigneur accomplit en eux et le remercier avec eux des prodiges de grâce que le Dieu bon et tout-puissant continue de réaliser dans ses enfants. Quand un chrétien perçoit dans l’autre l’action du Saint Esprit, il ne peut que s’en réjouir et rendre gloire au Père céleste (cf. Mt 5, 16).
3. « pour nous stimuler dans la charité et les œuvres bonnes » : marcher ensemble dans la sainteté.
Cette expression de la Lettre aux Hébreux (10, 24), nous pousse à considérer l’appel universel à la sainteté, le cheminement constant dans la vie spirituelle à aspirer aux charismes les plus grands et à une charité toujours plus élevée et plus féconde (cf.1 Co 12, 31-13, 13). L’attention réciproque a pour but de nous encourager mutuellement à un amour effectif toujours plus grand, « comme la lumière de l’aube, dont l’éclat grandit jusqu’au plein jour » (Pr 4, 18), dans l’attente de vivre le jour sans fin en Dieu. Le temps qui nous est accordé durant notre vie est précieux pour découvrir et accomplir les œuvres de bien, dans l’amour de Dieu. De cette manière, l’Église elle-même grandit et se développe pour parvenir à la pleine maturité du Christ (cf. Ep 4, 13). C’est dans cette perspective dynamique de croissance que se situe notre exhortation à nous stimuler réciproquement pour parvenir à la plénitude de l’amour et des œuvres bonnes.
Malheureusement, la tentation de la tiédeur, de l’asphyxie de l’Esprit, du refus d’« exploiter les talents » qui nous sont donnés pour notre bien et celui des autres (cf. Mt 25, 25s) demeure. Nous avons tous reçu des richesses spirituelles ou matérielles utiles à l’accomplissement du plan divin, pour le bien de l’Église et pour notre salut personnel (cf. Lc 12, 21b ; 1 Tm 6, 18). Les maîtres spirituels rappellent que dans la vie de la foi celui qui n’avance pas recule. Chers frères et sœurs, accueillons l’invitation toujours actuelle à tendre au « haut degré de la vie chrétienne » (Jean-Paul II, Lett. ap. Novo millennio ineunte [6 janvier 2001], n.31). En reconnaissant et en proclamant la béatitude et la sainteté de quelques chrétiens exemplaires, la sagesse de l’Église a aussi pour but de susciter le désir d’en imiter les vertus. Saint Paul exhorte : « rivalisez d’estime réciproque » (Rm 12, 10).
Face à un monde qui exige des chrétiens un témoignage renouvelé d’amour et de fidélité au Seigneur, tous sentent l’urgence de tout faire pour rivaliser dans la charité, dans le service et dans les œuvres bonnes (cf. He 6, 10). Ce rappel est particulièrement fort durant le saint temps de préparation à Pâques. Vous souhaitant un saint et fécond Carême, je vous confie à l’intercession de la Bienheureuse Vierge Marie et, de grand cœur, j’accorde à tous la Bénédiction apostolique.
Du Vatican, le 3 novembre 2011.
BENEDICTUS PP. XVI

Theotokos

7 février, 2012

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