Le goût du bonheur, Au fondement de la morale avec Aristote
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Le goût du bonheur, Au fondement de la morale avec Aristote
P. Jean-Marie Forrett
Paris, Éd. Presses de la Renaissance, 2000. – 276 p.,
Esprit & Vie n°61 / juillet 2002 – 1e quinzaine, p. 28.
Voilà un livre simple, clair, en des domaines souvent abscons pour le lecteur ordinaire : la pensée morale du vieil ARISTOTE. Jean VANIER n’en reste pas pour autant à un présentation superficielle de la doctrine du Stagirite, se complaisant dans une vulgarisation à bon marché, mais il fait pénétrer avec beaucoup de pédagogie l’analyse que fait ARISTOTE de la nature humaine, mettant chaque fois en valeur le fond culturel et philosophique sur lequel elle prend son élan.
C’est avec joie que l’on retrouve ou que l’on découvre le réalisme et l’équilibre d’une pensée, qui rejoint la quête actuelle de points de repère pour la construction en chacun de sa propre humanité : la juste place du plaisir dans une recherche plus fondamentale d’un bonheur qui soit à la hauteur de l’inquiétude humaine ; le dynamisme intérieur du monde de vertus par lequel chacun accède à la beauté et à la joie ; surtout les bienfaits de l’amitié et la dimension politique d’un bonheur qui n’a rien de la jouissance égoïste…
Après le règne du moralisme qui laissa dans la conscience moderne un grande méfiance par rapport à la morale, c’est avec étonnement que le lecteur découvre une éthique qui est un appel à vivre, avant tout basée sur le désir, et qui fait fond sur le sens inné en l’être humain de son accomplissement. L’attention à ce qui est, l’observation des comportements et la prise en compte des opinions autorisées font la texture du discernement rationnel d’ARISTOTE et lui donnent sa tournure concrète, existentielle. Ce que les nombreuses citations des œuvres du philosophe, surtout des deux Éthique, permettent de goûter.
La notion simple de bonheur est la pierre de fondement de la pensée d’ARISTOTE. C’est aussi ce qui fait sa « modernité », après le long règne des morales du devoir. C’est cependant à une redécouverte du bonheur comme accomplissement en nous de notre nature humaine, comme action la plus intériorisée et la plus haute, que ce livre nous conduit, très loin de sa compréhension vulgaire comme satisfaction matérielle immédiate. Il nous en énonce aussi les diverses composantes : intellectuelle, relationnelle et affective, politique… La notion d’un tel bonheur nous est-elle facilement accessible, à nous qui restons marqués culturellement par une réticence envers le recours à la notion de « nature » en morale, au profit de la revendication d’une « liberté » ressentie avant tout comme une sortie de la nature ? Jean VANIER lui-même envisage cette difficulté et insiste sur la nécessité de clarifier à la base ces concepts essentiels.
La conclusion, non moins intéressante, évoque, avec la valeur de la morale d’ARISTOTE, ses lacunes aussi, au regard d’une philosophie moderne qui, depuis, a conquis la conviction de la valeur égale de toute personne humaine, qui a fait davantage de place à l’amour et à la compassion, qui a adopté une vision évolutive du sujet et de l’histoire, notamment au contact des sciences humaines, toutes choses que le philosophe grec ne pouvait penser. Reste la santé de ses analyses et sa conviction de la vocation humaine à l’humanisation, son appel à la capacité conjuguée en nous de la raison et de la volonté.
Le ton général de l’exposé de Jean VANIER est enfin à relever qui, à chaque pas, fait sentir l’actualité du Stagirite, son utilité dans bien des problèmes de pédagogie concrète, sans pour autant forcer la note ni verser dans la condamnation pessimiste de nos Tempora et Mores.
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