Archive pour le 15 février, 2012
Le goût du bonheur, Au fondement de la morale avec Aristote
15 février, 2012http://www.esprit-et-vie.com/article.php3?id_article=86
Le goût du bonheur, Au fondement de la morale avec Aristote
P. Jean-Marie Forrett
Paris, Éd. Presses de la Renaissance, 2000. – 276 p.,
Esprit & Vie n°61 / juillet 2002 – 1e quinzaine, p. 28.
Voilà un livre simple, clair, en des domaines souvent abscons pour le lecteur ordinaire : la pensée morale du vieil ARISTOTE. Jean VANIER n’en reste pas pour autant à un présentation superficielle de la doctrine du Stagirite, se complaisant dans une vulgarisation à bon marché, mais il fait pénétrer avec beaucoup de pédagogie l’analyse que fait ARISTOTE de la nature humaine, mettant chaque fois en valeur le fond culturel et philosophique sur lequel elle prend son élan.
C’est avec joie que l’on retrouve ou que l’on découvre le réalisme et l’équilibre d’une pensée, qui rejoint la quête actuelle de points de repère pour la construction en chacun de sa propre humanité : la juste place du plaisir dans une recherche plus fondamentale d’un bonheur qui soit à la hauteur de l’inquiétude humaine ; le dynamisme intérieur du monde de vertus par lequel chacun accède à la beauté et à la joie ; surtout les bienfaits de l’amitié et la dimension politique d’un bonheur qui n’a rien de la jouissance égoïste…
Après le règne du moralisme qui laissa dans la conscience moderne un grande méfiance par rapport à la morale, c’est avec étonnement que le lecteur découvre une éthique qui est un appel à vivre, avant tout basée sur le désir, et qui fait fond sur le sens inné en l’être humain de son accomplissement. L’attention à ce qui est, l’observation des comportements et la prise en compte des opinions autorisées font la texture du discernement rationnel d’ARISTOTE et lui donnent sa tournure concrète, existentielle. Ce que les nombreuses citations des œuvres du philosophe, surtout des deux Éthique, permettent de goûter.
La notion simple de bonheur est la pierre de fondement de la pensée d’ARISTOTE. C’est aussi ce qui fait sa « modernité », après le long règne des morales du devoir. C’est cependant à une redécouverte du bonheur comme accomplissement en nous de notre nature humaine, comme action la plus intériorisée et la plus haute, que ce livre nous conduit, très loin de sa compréhension vulgaire comme satisfaction matérielle immédiate. Il nous en énonce aussi les diverses composantes : intellectuelle, relationnelle et affective, politique… La notion d’un tel bonheur nous est-elle facilement accessible, à nous qui restons marqués culturellement par une réticence envers le recours à la notion de « nature » en morale, au profit de la revendication d’une « liberté » ressentie avant tout comme une sortie de la nature ? Jean VANIER lui-même envisage cette difficulté et insiste sur la nécessité de clarifier à la base ces concepts essentiels.
La conclusion, non moins intéressante, évoque, avec la valeur de la morale d’ARISTOTE, ses lacunes aussi, au regard d’une philosophie moderne qui, depuis, a conquis la conviction de la valeur égale de toute personne humaine, qui a fait davantage de place à l’amour et à la compassion, qui a adopté une vision évolutive du sujet et de l’histoire, notamment au contact des sciences humaines, toutes choses que le philosophe grec ne pouvait penser. Reste la santé de ses analyses et sa conviction de la vocation humaine à l’humanisation, son appel à la capacité conjuguée en nous de la raison et de la volonté.
Le ton général de l’exposé de Jean VANIER est enfin à relever qui, à chaque pas, fait sentir l’actualité du Stagirite, son utilité dans bien des problèmes de pédagogie concrète, sans pour autant forcer la note ni verser dans la condamnation pessimiste de nos Tempora et Mores.
La souffrance est-elle une Bonne Nouvelle ?
15 février, 2012http://qe.catholique.org/sacrement-des-malades/30707-la-souffrance-est-elle-une-bonne-nouvelle
Questions Essentielles
La souffrance est-elle une Bonne Nouvelle ?
« L’Évangile de la souffrance » est une expression du pape Jean-Paul II, employée notamment dans sa lettre apostolique Salvifici doloris sur la valeur salvifique de la souffrance. Signé le 11 février 1984, en la fête de Notre-Dame de Lourdes, devenue dans l’Église « journée mondiale des malades », ce document prenait aussi place dans le cadre du jubilé de la Rédemption (1983-1984), qui commémorait le 1950e anniversaire de la mort et de la résurrection du Seigneur.
L’idée d’un « Évangile de la souffrance », choquante à première vue, et qui pourtant s’éloigne dans la pensée de Jean-Paul II de toute tentation doloriste, s’explique par l’idée que « la joie vient de la découverte du sens de la souffrance », une découverte qui est une plongée dans le mystère du Christ qui rejoint dans la souffrance le mystère de l’homme.
L’expérience humaine de la souffrance.
Jean-Paul II relève d’abord que l’expérience humaine, fondamentalement, est celle de la souffrance, ce que constate également Benoît XVI, et avec eux tout homme raisonnable :
« La souffrance semble être, et elle est, quasi inséparable de l’existence terrestre de l’homme. » (Jean-Paul II, Salvifici doloris) « Nous devons tout faire pour surmonter la souffrance, mais l’éliminer complètement du monde n’est pas dans nos possibilités. » (Benoît XVI, Spe salvi)
Mais en même temps qu’elle renvoie l’homme à sa finitude, la souffrance « manifeste à sa manière la profondeur propre à l’homme », elle « semble appartenir à la transcendance de l’homme » :
« Seul l’homme, en souffrant, sait qu’il souffre et se demande pour quelle raison. » (Jean-Paul II, Salvifici doloris) Cette question de la souffrance, l’homme se la pose bien sûr à lui-même, mais c’est aussi dans ces occasions qu’il se tourne le plus volontiers vers une transcendance : même si c’est parfois pour l’accuser, il a tendance à se tourner vers Dieu.
La souffrance, le péché et le mystère du mal
Un des éléments fondamentaux de la foi chrétienne, c’est qu’il n’est pas vrai que la souffrance a automatiquement une valeur morale individuelle, même si bien évidemment certaines conduites à risque (l’alcool par exemple) provoquent des souffrances prévisibles :
« S’il est vrai que la souffrance a un sens comme punition lorsqu’elle est liée à une faute, il n’est pas vrai, au contraire, que toute souffrance soit une conséquence de la faute et ait un caractère de punition. » (Jean-Paul II, Salvifici doloris) Pour autant, la souffrance demeure liée au mal, à travers le mystère du péché originel, qui n’a pas été voulu par Dieu mais qui touche tous les hommes. À Adam et Ève, Dieu révèle que la peine sera désormais constitutive de leur vie.
« À l’homme, Dieu dit : parce que [...] tu as mangé de l’arbre dont je t’avais interdit de manger, maudit soit le sol à cause de toi ! À force de peines tu en tireras subsistance tous les jours de ta vie. » (Ge, III, 18)
Le récit de la Genèse révèle que ce n’est pas Dieu qui est la cause du mal dans le monde ; bien au contraire, le mal est l’absence du Bien, sa limitation ou son altération, un Bien dont l’être humain, cependant, garde conscience :
« Le christianisme proclame que l’existence est fondamentalement un bien, que ce qui existe est bon ; il professe la bonté du Créateur et proclame que les créatures sont bonnes. [...] L’homme souffre, pourrait-on dire, en raison d’un bien auquel il ne participe pas, dont il est, en un sens, dépossédé, ou dont il s’est privé lui-même. » (Jean-Paul II, Salvifici doloris)
Aussi, sur le plan individuel, le mystère de la souffrance dépasse l’entendement de l’homme.
C’est le cas dans l’exemple de Job, que Satan obtient de mettre à l’épreuve en le privant de tout. Ses amis cherchent à tout prix une explication ; si Job souffre, c’est qu’il a dû commettre une faute. Finalement, Dieu intervient pour confondre leurs discours ; il affirme la justice de sa Sagesse. Jean-Paul II commente ainsi ce livre de la Bible : « Sa souffrance doit être acceptée comme un mystère que l’intelligence de l’homme n’est pas en mesure de pénétrer à fond. » (Jean-Paul II, Salvifici doloris)
Jésus lui aussi dans l’Évangile associe la souffrance à la sagesse du dessein de Dieu qui au sein du mal fait éclater le bien, comme dans le cas de l’aveugle-né :
« “Rabbi, qui a péché, lui ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle ?” Jésus répondit : “Ni lui ni ses parents n’ont péché, mais c’est afin que soient manifestées en lui les œuvres de Dieu.” » (Jn, IX, 2-3)
Souffrances des hommes, Passion du Christ
Cependant, l’Évangile va plus loin que la simple constatation du mystère du mal et de la souffrance. Il jette sur lui une lumière nouvelle. Dans le Christ innocent, toute la souffrance humaine est en effet assumée, conformément à la prophétie faite par Isaïe du Serviteur souffrant :
« C’est à cause de nos fautes qu’Il a été transpercé, c’est par nos péchés qu’il a été broyé. Le châtiment qui nous obtient la paix est tombé sur lui, et c’est par ses blessures que nous sommes guéris. » (Is, LIII, 5)
Le Christ n’a pas seulement partagé les souffrances physiques des hommes, il a aussi éprouvé l’abîme de la souffrance morale et de la détresse, aux limites du désespoir :
« “Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?” » (Ps XXII, 2 & Mt, XXVII, 46)
Aussi cette oblation souffrante du Christ est-elle la plus grande preuve de l’amour de Dieu :
« Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. » (Jn, XV, 13)
« L’homme a pour Dieu une valeur si grande que Lui-même s’est fait homme pour pouvoir compatir avec l’homme de manière très réelle, dans la chair et dans le sang, comme cela nous est montré dans le récit de la Passion de Jésus. » (Benoît XVI, Spe salvi)
C’est cela que Jean-Paul II appelle l’« l’Évangile de la souffrance ». La souffrance n’est plus synonyme d’absurdité ; elle devient le lieu où Dieu a aimé l’homme :
« La souffrance humaine a atteint son sommet dans la Passion du Christ. Et, simultanément, elle a revêtu une dimension complètement nouvelle et est entrée dans un ordre nouveau : elle a été liée à l’amour. » (Jean-Paul II, Salvifici doloris)
La valeur salvifique de la souffrance
C’est par la croix que Dieu a voulu sauver le monde. Certes, ce n’est pas tant la souffrance du Christ qui sauve les hommes que son obéissance totale, mais cette obéissance est vécue « jusqu’à la mort sur une croix » (Ph, II, 8) :
« Il vous a réconciliés dans son corps de chair, le livrant à la mort, pour vous faire paraître devant Lui saints, sans tache et sans reproche. » (Col, I, 22)
« En opérant la Rédemption par la souffrance, le Christ a élevé en même temps la souffrance humaine jusqu’à lui donner valeur de Rédemption. » (Jean-Paul II, Salvifici doloris)
Ainsi, tout homme a la possibilité de faire participer sa souffrance à celle du Christ. C’est le mystère qu’exprime saint Paul :
« Je complète en ma chair ce qui manque aux souffrances du Christ pour son Corps, qui est l’Église. » (Col, I, 24)
« La souffrance du Christ a créé le bien de la Rédemption du monde. [...] Aucun homme ne peut lui ajouter quoi que ce soit. Mais en même temps, dans le mystère de l’Église qui est son corps, le Christ, en un sens, a ouvert sa souffrance rédemptrice à toute souffrance de l’homme. » (Jean-Paul II, Salvifici doloris)
Aussi, tout malade qui s’unit volontairement au Christ acquiert-il une valeur unique, là où une logique purement matérielle ne voit en lui qu’un poids inutile :
« Comme le Christ, celui qui souffre devient utile au salut de ses frères et sœurs, car il participe du sacrifice du Christ. » (Jean-Paul II, Salvifici doloris)
C’est cette dimension-là qui est mise en valeur par l’Onction des malades.