Archive pour le 11 février, 2012

Jesus Heals the leper

11 février, 2012

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La souffrance conteste une certaine image de Dieu

11 février, 2012

http://www.esprit-et-vie.com/breve.php3?id_breve=391

Jean-Louis Souletie

La souffrance conteste une certaine image de Dieu

Qui n’est pas confronté à l’énigme du mal, à l’angoisse devant la souffrance, au mystère de la mort ? Nous étouffons souvent, au fond de notre être, ces questions et nous laissons vivre en nous une certaine image de Dieu. Quand nous ne pouvons plus faire taire ces questions, l’image de Dieu que nous avons en nous est plus qu’interrogée. Un an après la tragédie des tsunamis, le P. Jean-Louis Souletie, théologien, nous aide à voir clair dans ces questions et dessine quelques traits du visage de Dieu, tel qu’il est révélé dans la Bible.
À la question de savoir si Dieu aurait pu empêcher les tsunamis et leurs victimes, il n’y a pas de réponse chrétienne. Aucune notion de Dieu ne correspond adéquatement à cette question en christianisme tant que l’on reste dans la justification de Dieu devant le mal. Car s’il l’avait pu, pourquoi ne l’a-t-il pas fait et est-il encore bon ? Et s’il ne l’avait pu, est-il encore Dieu, puissance de salut ? Ce dilemme est le propre de l’homme soumis à l’angoisse devant l’insensé, l’injustifiable qui le surprend et le pousse à interroger Dieu ou à décider qu’il n’existe pas. La foi discerne dans l’impossible réponse à cette question le chemin vers une clarté nouvelle qui n’interroge plus, mais reconnaît où est Dieu jusque dans le négatif de l’histoire et de la nature.
Les solutions dans l’histoire de la doctrine chrétienne ont été cherchées d’abord du côté d’un mal rival de Dieu (le manichéisme combattu par saint Augustin) puis du côté du mal lié à la structure de l’univers fini. On sait la solution de Teilhard de Chardin : « Le mal est un sous-produit inévitable, il apparaît comme une peine inséparable de la création [1] » comme ce désordre lié à la structure de l’univers. Dieu, selon le théologien, veut corriger cet appauvrissement par une volonté constante de salut de sa création qui ne laisse pas au mal le dernier mot. D’autre part, il conçoit la liberté humaine engagée contre le mal au côté de Dieu. Enfin, une solution a été cherchée du côté de la liberté de l’homme [2]. Bref, le mal physique comme celui des tsunamis, comporte un excès injustifiable qu’aucun Dieu ne vient justifier. Ni explication, ni interprétation ne convient ici. La révélation chrétienne fait entendre, dans l’ordre de la foi, comme en face de cet excès du mal, un autre excès que présente la folie de la croix.
L’irréductibilité du mal physique
Les tsunamis ont frappé en Asie du Sud-Est. Plus de deux cent mille morts. Un élan de générosité international et l’information médiatique se tait. Il ne reste que le silence et la souffrance des peuples victimes de ce cataclysme, des personnes et des familles qui sont altérées pour toujours, marquées par la mort innocente de leurs proches. Ces gens étaient au mauvais endroit au mauvais moment. Resurgit sans cesse l’énigme du mal, non plus celle d’un mal qui affecte l’homme coupable, mais celui qui altère l’homme souffrant. Se trouve posée ici, dans toute sa force de questionnement, l’irréductibilité du mal physique au mal moral. C’était d’ailleurs déjà le mensonge des amis de Job, dans la Bible, qui réduisaient la souffrance de Job à la faute (qu’il n’avait pas commise). Comme Abraham, Job souffre infiniment plus qu’il n’a fait souffrir. Dans le tsunami et quoiqu’il en soit des responsabilités des États et des scientifiques concernant la prévention de ce genre de catastrophe, l’épreuve du mal vient suspendre la morale (sans l’annuler) devant l’excès de souffrance produit par un tel événement.
La déliaison
Le mal vient d’abord surprendre l’homme en détruisant sa capacité à donner du sens à la vie, au monde, à l’histoire, à son identité. Il provoque une rupture du pacte symbolique qui assigne à chacun sa place dans le monde de la culture. Le temps semble s’arrêter. Il n’y a plus hier, ni demain, ni tout à l’heure. La vie ne semble pas avoir d’avenir ni le monde d’histoire. Le mal plonge dans l’instant où s’effondrent toutes les constructions du sujet pour soutenir son existence et pour s’inscrire dans une trajectoire cohérente. C’est alors la souffrance sans raison ni recours.
Délié de tout, le mal subi défie la compréhension et l’interprétation du monde et de la vie. Le mal vient alors déchirer toutes ces relations symboliques qui font l’humanité à travers ces liens qui la tissent. Et la réponse de solidarité internationale est à l’échelle de cette déliaison ; elle veut symboliquement remettre du lien là où toute relation a été dévastée par la souffrance. Face à l’énigme de cette violence destructrice de la symbolisation humaine, la réaction internationale réaffirme le lien qui unit toute l’humanité. C’est le même élan dans les réactions de la société civile aux prises d’otages, comme avec ces journalistes enlevés dont on affiche le portrait dans les capitales européennes et pour lesquels on signe des registres, on écrit des lettres, on rappelle à la radio par des voix médiatiques le lien qui unit chaque citoyen à eux qui sont victimes innocentes d’un mal qu’ils subissent.
La plainte, le récit et le silence
Aux premières heures de l’effroyable cataclysme, il y a la plainte des premiers témoins, les pleurs et les cris : « C’est effroyable » inlassablement répétés à travers ces paroles suffoquées. « Comment dire l’indicible ? », écrivait Primo Levi à propos des camps de la mort dans Si c’est un homme. Comment mettre en ordre des paroles quand nous submergent la peur, la fatigue, la mort, les cris, la solitude ? Pour les victimes des raz-de-marée en Asie, comment raconter la souffrance qu’apporte l’absence de ceux que la mer vient d’emporter sous leurs yeux, la blessure physique qui déchire leur chair pour toujours ? Les caméras des télévisions sont venues et elles ont enregistré les premiers témoignages encore remplis de la plainte devant l’horreur. Elles ont rendu compte et décrit la situation avec tout l’excès et le réalisme de ces paroles qui n’ont pas encore trouvé le chemin du récit. Avant de se taire bientôt, chassées par une actualité mondiale toujours nouvelle. Des articles viendront lentement par la suite pour raconter ce qui s’est passé. Des interviews tenteront un récit, des reportages aussi.
Pour vivre confronté à la souffrance, jaillit un besoin de récit mais celui-ci est long à venir car il y faut beaucoup d’artifice pour remettre de la cohérence dans des propos pleins de mal et de peur. Le récit vient réaliser comme une synthèse du temps. Il permet au narrateur de retrouver son identité. Il peut alors se réinsérer dans une histoire avec des personnages d’avant, d’aujourd’hui et de demain, la famille, des amis, des proches disparus ou heureusement retrouvés ou restés au loin. Après l’instant de l’horreur qui délie toute histoire vient le temps du récit, le temps commun de la préoccupation quotidienne où le lien se reforme entre les humains altérés pour toujours par le mal. Si pour de nombreux souffrants du mal innocents le récit a été une voie de salut, ainsi que le relate Sarah Kofman à propos des camps de la mort dans Paroles suffoquées [3], dans le moment où surgit la souffrance, le mal ne peut se raconter.
L’homme qui souffre voit le temps suspendu : nul avenir, disparition du passé et éternel recommencement de la souffrance. Nul avenir autre que la souffrance pour celui qui souffre comme Job. « Ce qui a été, sera ; et ce qui s’est fait, c’est ce qui se fera » (Qo 1, 9) et « Le Seigneur a fermé de toutes parts le sentier que je suivais et je ne puis plus passer » (Jb 29, 8). Souffrir, c’est semble-t-il souffrir sans fin. La mort elle-même apparaît comme la dernière possibilité. À Auschwitz, rappelle J. Améry, « nous n’avions pas peur de la mort alors même que des humains mouraient partout, mais la figure de la mort avait disparu [4] ». « L’enfer, commente J. Porée, n’a pas par hasard été conçu comme le lieu de la damnation éternelle. Plus impossible que la mort est l’impossibilité de mourir. À l’homme qui souffre, la mort n’apparaît pas comme la première possibilité mais comme la dernière possibilité. En destituant l’avenir de sa fonction constitutive, le mal destitue la mort de sa signification définitive [5]. »
Les ressources vives du sujet souffrant
Devant les énigmes du tourment injuste et innocent, l’être humain est saisi par la souffrance qui le prend tout entier en ignorant la séparation entre la matière et l’esprit. Le livre de Job mêle la description de la chair malade du serviteur de Dieu et les détresses de son cœur. Les prisonniers des camps de la mort parlent ainsi, identifiant leur douleur et leur corps, leur identité et leur corps : « Je suis deux pieds qui traînent l’un après l’autre et une tête qui pend… Je tomberai ou je ne tomberai pas ; si je tombe c’est le corps qui aura décidé. Moi, je ne sais pas. Ce que je sais c’est que je ne peux plus marcher, et je marche [6]… » Il arrive une étonnante proximité entre le dehors et le dedans, entre la présence à soi intérieure et la réalité extérieure qui fait souffrir. Mais dans cette description qui semble diminuer l’homme jusqu’à ce qu’il soit un automate, il ne semble pourtant pas que le sujet soit réduit à une chose. La souffrance ne détruit donc pas la liberté mais l’introduit dans une expérience paroxystique en la mettant au contact de ce qui n’est pas elle. Certains souffrent et font souffrir ; d’autres qui souffrent aussi s’ouvrent à la souffrance d’autrui, comme en témoignent les expériences limites de l’univers concentrationnaire.
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[1] Les directions de l’avenir, Œuvres t. XI, Paris, Éd du Seuil, 1973, p. 212.
[2] P. Ricœur, L’homme faillible. Finitude et culpabilité I, Paris, Éd. Aubier, 1960.
[3] Paris, Éd. Galilée, 1987, cité par Jérôme Porée, Le mal. Homme coupable, homme souffrant, Paris, Éd. Armand Colin, 2000.
[4] Par-delà le crime et le châtiment, Paris, Éd. Actes Sud, 1995, p. 45.
[5] Jérôme Porée, Le mal. Homme coupable, homme souffrant, Paris, Éd. Armand Colin, 2000, p. 152-153.
[6] R. Antelme, L’espèce humaine, Paris, Éd. Gallimard, 1957, p. 247.

SBF La Parole de Dieu: De la lecture liturgique à la lecture personnelle de l’Ecriture (Frédéric Manns, ofm)

11 février, 2012

http://www.custodiaterrasanta.com/SBF-La-Parole-de-Dieu-De-la.html

SBF La Parole de Dieu: De la lecture liturgique à la lecture personnelle de l’Ecriture

10/01/2009

La communauté de Taizé a décidé de faire imprimer et de distribuer un million de Bibles en chinois pendant l’année 2009. Fr. Alois Loser, le prieur de la communauté, a diffusé cette nouvelle le 28 décembre lors de la clôture de la 31° assemblée européenne des jeunes. C’est la version du Studium Biblicum Franciscanum de Hong Kong qui sera imprimée. C’est là sans doute un des fruits du synode sur l’Ecriture qui nous encourage à reprendre notre réflexion sur la Parole de Dieu.

Index:
Dieu se révèle à l’homme
L’Église des premiers siècles lit la Bible
Quelques grands interprètes de la Bible
La “lectio divina” naît dans les monastères
La Bible imprimée : chrétiens et protestants se divisent
Un défi pour le futur : Lire la Bible en Église

Le christianisme n’est pas une religion du Livre, mais une religion de la révélation de Dieu, un Dieu qui parle et fait alliance avec les hommes. C’est cependant grâce au texte que le chrétien entre en relation avec Dieu, un Dieu qui s’intéresse à l’histoire des hommes.
L’Evangile de Luc se conclut sur la scène des disciples d’Emmaüs. Deux hommes quittent Jérusalem après la mort de Jésus et rentrent chez eux. Ils sont déçus parce qu’ils espéraient que Jésus serait celui qui délivrerait Israël des Romains. Jésus les rejoint sur la route et « ouvrit pour eux les Ecritures ». Il explique, commente et interprète. Jésus part de Moïse, des prophètes et des autres écrits. L’exégète est Jésus, Dieu fait homme, mort et ressuscité.
Dans la suite du récit, les deux hommes font halte au village d’Emmaüs. Jésus prend le pain et le distribue. « Alors, leurs yeux s’ouvrirent et ils le reconnurent », dit Luc. En d’autres mots l’eucharistie est le haut lieu de réception et de compréhension des Ecritures. Le Livre est une nourriture. Il renferme la parole, une parole appelée à s’épanouir à l’intérieur des esprits et des corps.
Le principe d’interprétation du texte ne doit pas dépendre seulement de la critique historique ou de la subjectivité de l’interprète. Il doit s’ancrer dans la tradition de l’Eglise. C’est la lecture christologique qui rend raison de la richesse de l’Ecriture. Sinon le lecteur risque de tomber dans l’arbitraire subjectif ou dans le fanatisme fondamentaliste.
Vatican II a relié fortement la Bible, la parole de Dieu, la tradition et le magistère : l’Eglise reconnaît ainsi qu’il y a une source unique, la révélation de Dieu, qui passe à travers des canaux multiples, qu’on ne peut isoler les uns des autres. C’est pourquoi l’Eglise encourage à lire et à méditer la parole de Dieu, comme l’a fait le dernier synode des évêques à Rome, en octobre. La Bible est sur la place publique. Il ne faut pas la séparer de sa source, qui est le Dieu vivant. Il faut la recevoir pour la mettre en pratique.

L’Église des premiers siècles lit la Bible
Aux premiers siècles de notre ère, pour les communautés chrétiennes naissantes, les « Ecritures » désignent la Bible hébraïque et il n’est pas question de leur adjoindre un deuxième livre.
Des écrits sur Jésus apparaissent très tôt. Les lettres de l’apôtre Paul sont les textes les plus anciens. L’ancien persécuteur des chrétiens se met à proclamer le kérygme : « Le Christ est mort pour nous et il est ressuscité pour notre justification ». Celui qui reçoit le baptême obtient le pardon de ses péchés. Paul avait cependant mis en garde les chrétiens de Corinthe: « La lettre tue, l’esprit vivifie ».
Les quatre Evangiles furent rédigés après avoir connu une période de tradition orale. Leur origine est liturgique. Mais le noyau de ces écrits accompagnant les enseignements itinérants des apôtres et des prophètes, n’est que l’ombre portée de l’événement fondateur: la mort et la résurrection de Jésus.
Pour les jeunes Eglises chrétiennes, la question de la sélection des témoignages les plus fiables sur Jésus émerge seulement au courant du IIe siècle, quand l’éclatement doctrinal se profile. La montée en puissance du christianisme sur le pourtour méditerranéen s’accompagne en effet d’une floraison de doctrines entâchées par des philosophies ésotériques venues de Grèce, d’Iran ou d’Egypte, comme la gnose – un mot grec signifiant « connaissance ».
En quelques décennies, les courants gnostiques déferlent sur le christianisme oriental. Ils se caractérisent par une opposition entre le monde matériel, voué à la perdition, et le monde spirituel, objet d’une connaissance supérieure et réservé à une petite élite. Pour les désavouer, Irénée de Lyon recourt, à la fin du IIe siècle, à la notion de « tradition »: est considéré comme vrai ce qui a été reçu directement des apôtres et conservé intact dans les Eglises fondées par les apôtres, en particulier celle de Rome.
Irénée de Lyon fait ainsi remonter les quatre Evangiles à des apôtres directs (Matthieu et Jean) ou à leurs compagnons (Marc et Luc) et montre que les quatre textes proclament différemment la même chose. Le quatuor sonne juste, sans dissonance. Pourquoi quatre? Parce qu’il y a quatre points cardinaux, répond, imperturbable, Irénée. La réponse ne convainc visiblement pas des chrétiens qui manipulent, à cette époque, près d’une quinzaine d’Evangiles. Citons le célèbre Evangile de Thomas, déterré en Egypte en 1945 et titré « Paroles cachées de Jésus écrites par Thomas ».

Quelques grands interprètes de la Bible
C’est dans ce contexte polémique que s’impose la nécessité d’opérer un tri et de déterminer une règle qui définit les textes lui appartenant de droit. Ainsi naît l’idée d’un canon des Ecritures. Loin des bibliothèques gnostiques, les écrits chrétiens sont d’abord des paroles proclamées, à des fins d’enseignement ou de célébration.
Les siècles suivants vont alors faire apparaître un nouveau personnage, banal pour nous modernes, mais révolutionnaire pour l’Antiquité tardive: le lecteur privé des Ecritures.
Origène, à Césarée maritime, établit la première école biblique. Après avoir résout les problèmes de critique textuelle, il écrit ses commentaires allégoriques dont certains se rapprochent du midrash juif. A Bethléhem Jérôme traduit la Bible en latin, la Vulgate, et revient au texte hébreu, alors qu’Augustin d’Hippone préférait la traduction grecque des Septante.
Augustin qui vit à Milan est en recherche de la vérité. Déçu de tout, lassé des philosophes et de leurs contradictions, il se rend à l’église pour entendre les sermons de l’évêque Ambroise. Fasciné par cet homme pieux, Augustin se glisse ensuite dans son bureau, dont la porte est toujours ouverte. Et là, Ambroise, qui ne pensait pas être vu, lit un livre à voix basse. Pourquoi cette scène bouleverse-t-elle à ce point Augustin ? Simplement parce qu’elle le fait basculer dans un monde neuf, qui est encore aujourd’hui le nôtre: celui du livre comme compagnon intime, miroir de l’âme et ami de la solitude. La Bible chrétienne, dont les contours commencent alors à se dessiner, est le premier livre à jouer ce rôle en Occident. Le monde gréco-romain était un monde d’orateurs, formé à l’art de la rhétorique; le monde chrétien va devenir un monde de lecteurs. Le livre devient le lieu même où se joue la vie spirituelle.
La “lectio divina” naît dans les monastères
C’est du côté des premiers moines, au Ve siècle, que la pratique de la lectio divina, ou « lecture des textes divins », va se répandre, au point de devenir l’un des piliers de la vie monastique, avec le travail manuel et la prière du choeur. D’abord liturgique et public, le rapport au livre devient personnel. Il s’agit de lire la Bible comme une parole qui m’est adressée, à moi et à nul autre, à l’instant même où je la lis. Devenu un manuscrit copié à la plume d’oie dans le silence du scriptorium, le livre n’est plus une simple suite de propositions dédiées à l’enseignement, mais le lieu même où la vie spirituelle se joue. Dans les hermitages de Cappadoce les moines apprennent par cœur les Psaumes et les Evangiles pour les ruminer jour et nuit. Dans le désert de Juda Cariton, Sabbas et Eythyme fondent des laures où les moines travaillent et méditent les Ecritures durant la semaine et se retrouvent pour la liturgie dominicale.
A la fin du XIIe siècle, le prieur de la grande Chartreuse Guigues II fait de la lecture silencieuse le « premier barreau de l’échelle qui monte au ciel ». Il rédige en 1150 L’Echelle du moine, où il distingue quatre étapes dans la vie du moine : lecture, méditation, prière et contemplation. La lecture signifie cependant la recherche du sens littéral du texte.
Plus tard, François d’Assise veut que l’Evangile vécu au quotidien soit l’unique règle des Frères Mineurs, ce qui exige une méditation constante des saintes Ecritures. L’Institution du tiers ordre pour les laïcs met à la disposition du peuple chrétien les Evangiles. Mais les livres sont chers. Jusqu’à la Renaissance, la Bible existe principalement pour les clercs des monastères et des universités. Pour le peuple, elle se transmet par la liturgie qui la met en scène, la prédication qui l’explique et l’art qui la représente. Ainsi, les cathédrales avec leurs sculptures colorées, sont une Bible de pierre.
La lecture monastique commence cependant à ébranler la pierre des cathédrales. Peu à peu, la relation personnelle au livre saint remet en question les intermédiaires institutionnels. Une brèche apparaît, dans laquelle entreront au XVIe siècle les mouvements de réforme de l’Eglise.

La Bible imprimée : chrétiens et protestants se divisent
Le premier livre à sortir des presses de Gutenberg à Strasbourg en 1455 est la Bible. Gutenberg préfère imprimer sur papier plutôt que sur parchemin, ce qui lui permet d’abaisser considérablement le poids du livre. La technique devient ainsi l’alliée des humanistes et des réformés, pareillement soucieux de démocratiser l’accès à la Bible, en l’arrachant à la prédiction et à la liturgie. Malgré tout la Bible reste coûteuse et volumineuse. Cependant, la révolution est en marche. Elle fera du livre saint un objet malléable, offert à toutes les lectures et à toutes les interprétations.
« Sola fides » s’écrie alors Luther, court-circuitant la hiérarchie ecclésiale et son clergé. Pour le moine allemand la foi à l’intérieur du coeur ne doit avoir pour seul répondant, à l’extérieur, que le livre saint, lisible par tous.
Joignant le geste à la parole, l’initiateur de la Réforme traduit la Bible latine dans une langue allemande encore en formation, mais qu’il veut la plus proche possible de celle qui est utilisée par le peuple. Il poursuit ainsi un mouvement inauguré aux XIIe et XIIIe siècles, avec les premières traductions de la Bible en français. A l’époque, leur diffusion n’avait pas dépassé le cercle des familles royales. Cette fois, par l’imprimerie, le mouvement s’accélère et le public s’élargit.
Mais cette Bible des humanistes et des réformés n’est sans doute qu’un rêve: celui d’un accès simple et direct à une Parole divine qui illuminerait le lecteur aussitôt qu’il la découvrirait. Eloignée d’une lecture spirituelle qui dissimulait ses aspérités, la Bible apparaît à l’époque moderne comme un texte embarrassant: les contradictions historiques sautent aux yeux des fins lettrés que sont Baruch Spinoza (1632-1677) et surtout Richard Simon (1638-1712), auteur du grand ouvrage Histoire critique du Vieux Testament (1678). Simon, prêtre catholique, compare les différentes versions disponibles, révise les traductions et discute l’attribution des premiers textes de la Bible à Moïse. Il entend cependant laisser l’Ecriture à sa dimension divine, limitant l’objet et la portée de sa critique savante.

Un défi pour le futur : Lire la Bible en Église
Les mutations que le rapport au livre saint a connues au cours des siècles ne sont donc pas pour autant des fractures. Avec Internet commence une nouvelle mutation : la Bible est maintenant à la disposition de tous les navigateurs en toutes les langues du monde et avec des centaines de commentaires. C’est maintenant la lecture personnelle qui renvoie à une lecture plus communautaire. La dialectique poursuit son chemin : dans un premier temps de la lecture collective à la lecture personnelle, puis de la lecture personnelle à la lecture communautaire. Pour le chrétien de 2009, il s’agit plutôt d’intégrer sans les opposer ces trois usages du livre qui en ont bouleversé la réception: la lecture collective, la lecture personnelle et la lecture critique. Le recours à la lectio divina prôné par le synode devrait permettre de réaliser ce défi. Vatican II a rappelé que la hiérarchie institutionnelle est soumise à la parole de Dieu qui la jugera.
L’Orient a soif aujourd’hui de la parole de Dieu. La Bible qui est une vraie nourriture sera capable d’apaiser la faim des populations chinoises et asiatiques grâce à la générosité de la communauté de Taizé. L’Esprit qui parle au cœur des lecteurs leur permettra de saisir la richesse de la parole de Dieu. Les communautés chrétiennes auront pour tâche d’expliquer le texte millénaire qui est parole de Dieu pour aujourd’hui.

Frédéric Manns, ofm