Paul, le missionnaire (Père Manns)

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Paul, le missionnaire

by Frédéric Manns

(Studium Biblicum Franciscanum – Jerusalem)

L’expérience du chemin de Damas allait transformer Paul en missionnaire du ressuscité. L’ancien émissaire du Sanhédrin devint l’envoyé du Christ. La communauté d’Antioche où Paul était l’hôte comprit rapidement qu’elle ne pouvait pas garder le message du Christ en vases clos. Les Juifs de la diaspora attendaient la plénitude de la révélation. Barnabé, Paul et Jean Marc furent envoyés par la communauté pour proclamer que Jésus de Nazareth humilié par les hommes est le Christ ressuscité.
Au cours de la première mission en Asie Mineure, en passant par Chypre, l’évangile fut annoncé dans des petits centres tels Paphos, Pergé, Antioche de Pisidie, Iconium, Lystres et Derbé. Barnabé originaire de Chypre avait la direction. Lorsque Paul prendra le commandement lors des missions successives, il agira méthodiquement. Lorsqu’il fondait une communauté chrétienne il choisissait des villes qui par leur position géographique, économique et culturelle constituaient des centres de rayonnement pour tout un arrière-pays. Généralement ces villes étaient des capitales des provinces de l’empire.
Paul laissait derrière lui une communauté solide qui, en tant que centre missionnaire, devait propager la foi dans les villes les plus proches. Il ne voulait pas la conversion de quelques uns, mais cherchait à organiser l’Eglise. La ville d’Antioche sur l’Oronte à partir de laquelle Barnabé et Paul ont accompli leur premier voyage servit de modèle. Le message fut répandu ainsi à Philippes, point de rencontre entre la Grèce et le reste du monde occidental ; à Thessalonique, capitale de la province de Macédoine, à Corinthe, capitale de la province d’Achaïe, et à Ephèse qui servait de résidence au gouverneur d’Asie et qui avec son Temple d’Artémis était un centre important de pèlerinages.
Enfin Athènes, la ville des philosophes, allait réserver des surprises à Paul. Les philosophes ne se laissent pas facilement convaincre. Les nouveautés leur sont suspectes par principe. Une tentative d’implantation dans la capitale a probablement échoué. Sur l’impossibilité de fonder une communauté à Athènes, Luc s’explique de façon magistrale dans les Actes des Apôtres 17,34. Peut-être Paul a-t-il tiré une leçon de cet échec à Athènes ? En examinant les projets de Paul on voit que son but était plutôt d’atteindre les ports que les capitales. En effet le message du Christ crucifié et ressuscité s’est répandu dans le monde entier essentiellement à partir des ports, les plaques tournantes de la vie internationale.
S’il en est ainsi pourquoi Paul a-t-il porté l’Evangile aux Galates ? Ce voyage ne correspond pas à sa tactique missionnaire (Ac 16,6-7). Paul a néanmoins évangélisé les Galates. Il semblait avoir pour dessein de traverser la Galatie et la Phrygie jusqu’en Bithynie qui avec ses ports offrait un intérêt apostolique. Dans sa lettre aux Galates 4,13 reconnaît que c’est à l’occasion d’une maladie qu’il leur a annoncé la bonne nouvelle.
Les Actes des Apôtres rédigés par Luc révèlent une vision de l’histoire du salut centrée sur Rome. En fait Rome n’a pas été le but ultime de l’activité apostolique de Paul. Cette finalité aurait été en contradiction avec sa règle évangélique : en fait Rome possédait déjà une église chrétienne florissante. Lorsque Paul, avant d’aller à Jérusalem, écrit une lettre de Corinthe à la communauté de Rome, il ne le fait que pour annoncer son voyage missionnaire en Espagne et son passage par Rome. Le séjour projeté n’est qu’une étape et non pas une évangélisation. Mais à Jérusalem. Paul est arrêté et son voyage se passe différemment de ce qu’il avait projeté. Après une traversée difficile et un naufrage à Malte où il doit passer l’hiver, Paul est placé en liberté surveillée. Il est ensuite libéré. Tout ce que nous savons c’est qu’il fut décapité hors de Rome. En dépit de l’interprétation eschatologique que Luc donne des voyages de Paul, les Actes des Apôtres 16,6-10 montrent que Paul considérait sa mission dans la partie orientale de l’empire comme achevée avec la création de la communauté d’Ephèse. A partir de là l’activité de Paul se déroule telle qu’elle est racontée dans les Actes des Apôtres.
A lire ce texte on a l’impression qu’il n’existe que des communautés fondées par Paul. Or le monde chrétien de l’époque se situait dans son ensemble en Orient, en Palestine et en Syrie, sans parler du christianisme égyptien et éthiopien. Les compagnons de Paul sont à peine mentionnés comme s’ils n’étaient que des compagnons de voyages sans responsabilités ni initiatives.
Un autre cliché des Actes doit être revu. D’après les Actes Paul prêche d’abord méthodiquement à la synagogue et ne s’adresse aux Juifs que si ces derniers refusent son message. Cette interprétation de Luc reflète la pensée de Paul : le salut est d’abord offert au Juif, ensuite au non-Juif. Mais à partir du concile de Jérusalem les accords sont plus clairs. Dans la lettre aux Galates 2,8-9 Paul affirme clairement que sa mission est pour les païens. Il n’est pas faux de dire que Paul a commencé à prêcher à la synagogue. Mais c’est dans les synagogues qu’il rencontre les craignant-Dieu, les païens sympathisants du judaïsme. Pour Paul la crucifixion de Jésus est déjà un appel vers les païens (Ga 3,13-14).
Paul considérait son travail achevé dans la partie orientale de l’empire avec la fondation de la communauté d’Ephèse. Avant de se rendre à Jérusalem il se trouva confronté aux crises les plus graves de sa vie missionnaire : ces crises affectaient les communautés de Galatie, de Corinthe et d’Ephèse.
Des rapports lui étaient parvenus selon lesquels des missionnaires étrangers attaquaient son évangile. De même que Paul n’intervenait pas dans les communautés fondées par d’autres, de même il n’acceptait pas d’ingérence étrangère. L’évangile qu’il annonçait il l’avait reçu de Dieu même. Le fait d’être affronté à des schismes naissants dans l’Eglise lui montre ce que peut signifier une séparation dans l’Eglise.
Des difficultés de tous ordres avaient surgi en Galatie, à Corinthe et à Ephèse. C’est au cours de cette période difficile que Paul écrit ses lettres à Corinthe, son épître aux galates et aussi aux Philippiens.
L’épître écrite de Corinthe à Rome est une préparation à ce qui devait sauver la deuxième partie de son apostolat : une mise en forme des thèmes de l’Evangile qu’il avait propagés dans la partie orientale de l’empire. Paul traite les problèmes brûlants de la foi et nous connaissons son intention d’annoncer l’Evangile aux limites du monde occidental (Rom 15,24-28).
Les Actes des Apôtres racontent innocemment que Paul, en route vers Jérusalem, évite l’escale d’Ephèse pour gagner du temps (20,16), mais que toutefois il envoie un messager pour inviter les chefs de la communauté à lui rendre visite à Milet. Dans le testament que Paul leur fait la réalité douloureuse que Paul vit est décrite comme un événement menaçant à venir : « Je sais qu’après mon départ des loups féroces s’introduiront parmi vous qui n’épargneront pas le troupeau ». Dans la deuxième lettre à Timothée Paul confesse: « Tu le sais, ceux d’Asie m’ont abandonné ». La révolte des orfèvres d’Ephèse ne suffit pas à expliquer l’attitude de Paul. Paul s’est heurté aux anti-pauliniens et aux pseudo-pauliniens. Des gens qui se réclamaient de son Evangile de liberté répandaient un enseignement que Paul devait repousser. La doctrine paulinienne de la justification par la foi prend dans les épîtres aux Galates et aux Romains la forme d’un thème théologique en raison des difficultés rencontrées en Galatie et à Corinthe. Pour Paul il n’y a qu’un chemin vers le salut : Jésus dont la grandeur s’est révélée dans son abaissement.
La lettre de Jacques propose une théologie différente de celle de Paul. Pour Jacques on n’est heureux que par les oeuvres. Jacques ne s’attaque pas à Paul, mais à un paulinisme mal compris. Mais il est significatif que Jacques dans son enseignement de la justification par les oeuvres personnelles, tout comme Paul dans son enseignement sur la justification par la foi, citent le même verset de l’Ecriture relatif au consentement d’Abraham à sacrifier Isaac (Rom 4 et Jc 2,21-23). Tous deux citent Gen 15,6. Paul conclut en Rom 3,28 : « Donc sans les oeuvres », tandis que Jacques 2,24 affirme : « Non pas sans les oeuvres ». Jacques met en relation Gen 22,9 et Gen 15,6. Le consentement d’Abraham au sacrifice de son fils est une oeuvre et c’est la raison de sa justification. D’autre part Abraham a fait confiance à Dieu. Dans la justification apparaît une synergie, une union de la foi et de l’action. Dans les oeuvres la foi agit (Jc 2,22). Pour Paul aussi la foi dans le Christ exige les oeuvres (Rom 3,20) et s’accomplit dans l’amour. La collecte qu’il organise pour l’Eglise de Jérusalem fait partie de son évangile. Jacques ne combat pas le christianisme paulinien, mais propose une tradition chrétienne différente.
La manifestation actuelle du Règne du Christ est chez Paul une idée force. Le Christ exerce dès maintenant son pouvoir comme chef de l’Eglise qui est son corps. Par le baptême le croyant meurt avec le Christ, se libère du péché et ressuscite avec le Seigneur (Col 2,12). Dès maintenant les baptisés sont déjà assis avec le Christ à côté du Père et attendent la révélation de ce qu’ils sont déjà. Ils participent à la souffrance du Christ, car la souffrance découle de l’engagement total pour le bien, le bien du Royaume de Dieu.
On parle beaucoup de nouvelle évangélisation ces derniers temps. Une des plus belles figures d’évangélisateur reste celle de Paul : sa foi au Ressuscité, son dynamisme, son talent d’organisateur sont encore l’objet d’admiration de beaucoup d’Eglises locales et peuvent inspirer aujourd’hui les générations nouvelles.

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